Texte intégral
Michel FIELD : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, merci de nous rejoindre sur le plateau de « Public ». Dominique STRAUSS-KAHN, bonsoir. Merci d'être là et merci aussi d'avoir accepté d'inaugurer cette formule que je crois, nous reproduirons assez régulièrement dans cette émission parce que voilà, vous avez là, à en juger par la taille de ces dossiers, le résultat de cette consultation que nous vous avons proposée. Vous avez été extrêmement nombreux à nous répondre par courrier, par téléphone, par Internet, par Minitel, pour poser des questions au ministre de l'Économie et des Finances. Toute l'équipe de l'émission a passé sa semaine à relever vos interventions, à les trier, on en a fait des familles de questions, on en a regroupé évidemment l'essentiel dans des thèmes et j'essaierai de me faire l'interprète de ces questions. Pardon par avance à ceux qui n'auront pas été retenus. Il y a toujours des questions un petit peu plus annexes ou plus pointues, je les communiquerai au ministre dans un deuxième temps et peut-être vous répondra-t-il personnellement. En tout cas j'essaierai de me faire l'interprète le plus fidèle de vos préoccupations. Donc une page de pub et on démarre ce nouvel exercice.
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Michel FIELD : Retour sur le plateau de « Public ». Dominique STRAUSS-KAHN est l'invité de l'émission. Il va répondre à vos questions. On va commencer évidemment par des questions plus liées à l'actualité, des questions d'actualité, puis on passera aux grands thèmes que vous soupçonnez, j'imagine, les retraites, l'emploi, le chômage, les impôts, les taxes diverses, les privatisations. Bref, on fera, grâce aux téléspectateurs, un tour complet de vos attributions ministérielles. Mais pour commencer et pour commencer si vous le voulez bien avec un sourire, une première question un peu particulière : Philippe S. d'Épinal, il nous l'a posée la semaine dernière.
Philippe SÉGUIN, puisque vous êtes là encore une minute, la question que vous souhaiteriez poser à Dominique STRAUSS-KAHN si vous répondiez comme je viens de convier les téléspectateurs à le faire ?
PHILIPPE SÉGUIN, président DU RPR : Comment peut-il encore prétendre que nous aurons 2,7 % de croissance ?
Michel FIELD : Voilà, c'est une question que Philippe SÉGUIN vous posait la semaine dernière mais Cyril CONSTANTINOV par Internet, André AUTRUSSON de Ville-d'Avray vous demandent : vos prévisions de croissance ne sont-elles pas optimistes ? Ne relèvent-elles pas de la méthode Coué ? Seriez-vous prêt à faire ce soir une nouvelle estimation en la justifiant ?
Dominique STRAUSS-KAHN, ministre de l 'Économie et des Finances : Il faut voir où on en est. En 98, on aura sans doute une croissance supérieure à ce qu'on avait prévu, un peu supérieure. On avait prévu 3%, on fera sans doute un petit peu plus. Et ça malgré la crise financière que chacun a vu passer au mois d'octobre, septembre-octobre et encore début novembre. Alors les conséquences ne se portent pas tellement sur la fin 98 mais un peu sur 99 et donc il est clair aujourd'hui que quand on fait des enquêtes auprès des chefs d'entreprise, le moral est beaucoup moins bon qu'il ne l'était avant l'été parce qu'ils ont vu cette crise, ils se disent « où est-ce qu'on va etc ? ». On est en train de sortir doucement de la crise financière, encore que dans ces matières il faut rester prudent, on ne sait pas de quoi demain peut être fait mais enfin a priori, on est en train d'en sortir et donc la cible doit rester 2,7. Mais vous dire qu'aujourd'hui, on est sur un rythme de 2,7 pour 99, ça ce n'est pas vrai. On n'est pas sur un rythme de 2,7, on est encore dans la fin de la crise. C'est un peu comme si on roulait sur l'autoroute à 100 à l'heure et puis qu'il y ait un embouteillage, alors on ralentit. Dès qu'on sera sorti de l'embouteillage, on va réaccélérer. Est-ce qu'on va tenir la moyenne et arriver à l'heure, c'est encore difficile à dire. Moi je me donne jusqu'aux premières semaines, peut-être deux mois en 99 pour avoir une idée plus précise et savoir si le rattrapage de sortie de crise vient vite ou si les conséquences de la crise se feront sentir un peu lourdement sur 99.
Michel FIELD : Aujourd'hui, vous réviseriez à la baisse de combien ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Aujourd'hui, je ne réviserais pas parce qu'encore une fois, ça dépend de la rapidité avec laquelle on va sortir de cela. Vous savez, il y a des bons éléments et des pas bons. Les pas bons, c'est ce que j'ai dit : les chefs d'entreprise, quand on les interroge sur l'investissement notamment, disent : Ouh là là ! Ouh là là ! D'un autre côté, l'environnement international est plutôt un peu meilleur que ce qu'on pouvait craindre il y a un mois ou deux aux États-Unis notamment, un peu en Asie ; on dirait que les Allemands ne vont pas très bien mais enfin bon, tout ça s'équilibre. Les ménages, les consommateurs vont bien et je ne serais pas surpris que dans les jours qui viennent, on ait des indicateurs sur la consommation qui montrent que la confiance reste très bonne ...
Michel FIELD : Avant Noël, vous ne prenez pas beaucoup de risques à dire que la consommation ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Attendez, attendez... malheureusement il y a eu des Noël où la confiance des consommateurs n'était pas là. Là, elle est là. Et la consommation, c'est quand même ce qui tire les entreprises derrière. Là où on a une faiblesse, c'est clair, ce sont les chefs d'entreprise qui sont inquiets. S'ils ont le sentiment qu'on sort assez positivement et assez rapidement de la crise, ça peut se rétablir, sinon il faudra voir à quelle vitesse ça peut avancer. Pour le moment, la cible, l'objectif doit être d'essayer de faire les 2,7.
Michel FIELD : Il y a quelques mois, vous étiez évidemment dans une phase plus euphorique et vous avez eu des mots assez durs vis-à-vis de votre prédécesseur en disant : si on ne sait pas faire une prévision à un an, il vaut mieux changer de métier.
Dominique STRAUSS-KAHN : Mais oui, c'est vrai.
Michel FIELD : Est-ce que je peux vous retourner le compliment ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Mais absolument, mais on fera une bonne prévision à un an ! Non, ce que j'avais dit, c'est que la dissolution avait été fondée, vous vous en souvenez, sur l'idée que l'année 97 allait être catastrophique. Et puis elle n'a pas été catastrophique, donc c'était vraiment une erreur. Il n'y a pas eu de crise, il n'y a pas eu de phénomène particulier. Elle s'est déroulée comme prévu, et elle avait été mal prévue. Bon, là il y a eu une crise que personne ne pouvait attendre au mois de septembre-octobre ; elle aura des conséquences ; il faut encore un petit peu de temps pour en mesurer exactement les conséquences et ensuite je pense qu'on aura une prévision juste à un an, peut-être 2,7, peut-être un peu moins. Pour le moment, je veux garder cette cible parce que vous savez, la croissance, ce n'est pas complètement donné comme ça du ciel, par l'environnement international ; c'est aussi la politique du Gouvernement. Le Gouvernement mène une politique qui recherche la croissance dans son budget, dans ses actions. La coordination des politiques économiques en Europe dont on voit là le résultat puisque vous avez vu que les banques centrales européennes venaient de baisser leurs taux d'intérêt, ça va aider la croissance. Tout ceci sont des phénomènes dont il faut pouvoir tenir compte. C'est complètement nouveau puisque l'euro, évidemment, on ne l'aura qu'à partir du 1er janvier. Donc il y a des éléments nouveaux dont il faut qu'on puisse apprécier l'importance avec un peu de temps. Donc moi je me donne encore un petit peu de temps pour savoir finalement si la sortie de l'embouteillage, l'accélération permettra de rattraper le retard qu'on a pris ou si du coup, la vitesse moyenne va un peu baisser.
Michel FIELD : Mais est-ce que c'était très utile d'avancer de façon triomphaliste un chiffre pour dire aujourd'hui : eh bien finalement il me faut encore deux mois pour savoir si c'est le bon ou pas.
Dominique STRAUSS-KAHN : Non, mais attendez, ce n'était pas triomphaliste au mois d'août. Il faut bien annoncer une prévision puisqu'il faut fonder le budget dessus. Donc au mois d'août, on a fait la meilleure prévision qu'on pouvait ; d'ailleurs on l'a faite un peu en retrait par rapport à ce qu'on pensait au mois d'avril, on l'a déjà baissée un peu. Et puis fin août, début septembre octobre, on a la crise. Très bien. On va voir les conséquences que ça a. Moi je prétends que la cible doit rester celle que je viens de dire, qu'il faut attendre un peu pour savoir exactement où en sont les chefs d'entreprise, que la consommation continue de tirer ; les stocks sont bas, donc ils vont se reconstituer. Il y a des signes positifs et des signes moins positifs, attendons un peu pour savoir. Mais de toute façon, la croissance de 99 sera forte. Et ce qui est important à mon avis, c'est quand même ça. Parce que si vous citez ce que j'ai dit, il faut tout citer. J'ai aussi dit : je n'ai pas la religion de la décimale et en effet, le problème, ce n'est pas de savoir à un troisième chiffre après la virgule ce qu'on va faire ; le problème, c'est d'avoir une croissance suffisamment forte pour faire baisser le chômage. Et ça de toute façon, je pense qu'on ne peut pas se tromper aujourd'hui en disant que de toute façon, nous aurons une bonne croissance en 99.
Michel FIELD : Alors je parlais d'une période euphorique il y a quelques mois. Cette semaine l'a été moins pour le Gouvernement, ça a été même une zone de relatives hautes turbulences pour le Gouvernement. On fait un résumé de cette semaine politique, dure semaine donc pour le Gouvernement.
- agenda de la semaine
Michel FIELD : Alors de nombreux téléspectateurs et téléspectatrices nous ont appelés dans la journée pour réagir à ces propos du Président de la République. Madame de MIOME de Bordeaux : êtes-vous d'accord avec le Président pour un service minimum dans les transports comme il en existe dans d'autres services publics en cas de grève évidemment ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Ça dépend ce qu'on veut dire. S'il est clair que la grève dans les transports gêne énormément les usagers, et on voit bien maintenant depuis dix jours, dans beaucoup de régions, à Paris, dans la région parisienne, ailleurs, combien la grève crée des problèmes, le Gouvernement n'a pas l'intention de légiférer pour changer le code du travail et limiter le droit de grève. Maintenant s'il s'agit de dire : ça serait bien qu'à la SNCF, comme ça existe dans d'autres entreprises publiques, il y ait un accord qui soit passé entre la direction et les syndicats pour que puisse s'exercer une forme de service minimum, pourquoi pas ? Encore qu'il paraît qu'en matière de transport, c'est très compliqué parce que, aux heures de pointe, où il y a assez de trains ou il n'y en a pas assez, il y a des problèmes de sécurité qui se posent s'il y a trop de gens par rapport au nombre de trains. Mais enfin la RATP par exemple a montré qu'on pouvait mettre en place des procédures avec des délais de préavis et de discussions suffisamment longs pour que ça puisse fonctionner. Très bien. Moi ce que je crois, c'est que qu'il faut que la grève reste le droit de grève tel qu'il est mais qu'il faut qu'il ne soit utilisé qu'au bout d'une négociation, quand elle n'a pas abouti et pas à tout bout de champ en démarrant le processus par une grève. Donc à la SNCF, il y a maintenant une grève qui est longue. Ce à quoi il faut s'attaquer plus qu'au droit de grève, c'est aux problèmes de fond. Alors moi j'ai confiance dans le président de la SNCF, Louis GALLOIS, pour mener cette négociation. Il va s'ouvrir un débat avec les cheminots sur la réduction du temps de travail comme d'ailleurs dans les autres entreprises publiques. C'est l'occasion d'avoir la discussion et s'ils le souhaitent, d'avoir la discussion sur le service minimum. J'ai entendu les syndicats dire qu'ils n'étaient pas pour, donc je ne me fais pas trop d'illusions. Mais en tout état de cause, autant on peut être d'accord avec l'idée que le service rendu aux usagers soit amélioré autant que faire se peut, autant il n'est pas question pour nous de légiférer comme j'ai le sentiment que c'était demandé, en matière de droit de grève. D'ailleurs vous avez remarqué qu'en 95, quand il y a eu ces gigantesques grèves à la SNCF notamment et dans les transports, aussi le Premier ministre de l'époque, Alain JUPPE, avait dit : il faut un service minimum. Il était au pouvoir ; les grèves se sont terminées, il ne l'a pas mis en place. C'est toujours plus facile de parler de ces choses-là quand on est ailleurs qu'au pouvoir. Mais enfin bon, en tout cas il est clair que les usagers sont très gênés par ce qui se passe et que donc tout accord entre la direction et les syndicats qui permettrait d'avancer, sera le bienvenu.
Michel FIELD : Alors beaucoup de questions sur l'existence ou non d'un consensus entre le Gouvernement et le Président de la République sur les principes de modernisation de la vie politique qu'il a énoncés avec beaucoup de fermeté dans son discours de Rennes.
Dominique STRAUSS-KAHN : J'ai l'impression qu'il y a un certain consensus puisque très largement le discours de Rennes du Président de la République reprend des projets de loi que le Gouvernement a déposés.
Michel FIELD : Donc Jacques CHIRAC serait pour vous le porte-parole du Gouvernement sur ces questions-là ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Eh bien il me semble qu'il y a quelques problèmes du côté de l'opposition mais que nous n'avons pas de problème avec le Président de la République. Le cumul des mandats par exemple, c'est un élément de modernisation, ça c'est vrai. Pourquoi ? Parce que si on limite le cumul des mandats, il y a plus de mandats électifs pour plus de monde ; plus de gens peuvent venir, ça diversifie les élus, c'est une bonne chose. Bon. Lionel JOSPIN a proposé un texte. Au Sénat, la droite le bloque. Très bien. Alors ?! Si le Président de la République est capable de faire que les sénateurs de droite, majoritaires au Sénat, ne bloquent pas le texte sur le cumul des mandats, bravo, j'applaudis, bravo.
Michel FIELD : Monsieur Claude CHARLES de Lille souligne que le Président a rappelé que les fonctions gouvernementales doivent être prises en compte dans la limitation du cumul des mandats. Qu'en pensez-vous ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Peut-être, pourquoi pas ?! On ne va pas rentrer dans le détail de tel ou tel mandat.
Michel FIELD : Non mais là, ça fait un petit peu friction, non ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Non, écoutez, les fonctions gouvernementales sont prises en compte. Moi j'étais maire, je ne suis plus maire, d'ailleurs le maire de Sarcelles est là, il est à côté de moi, donc on a pris en compte cela et Lionel JOSPIN, sans que ce soit la loi, rien ne l'obligeait a demandé à ses ministres qui étaient maires de ne plus l'être. Très bien. Moi je suis plutôt pour ; on peut être contre. Il y aura un débat à l'Assemblée, peu importe. Ce qui compte, c'est que le projet avance et qu'au bout du compte, ce qui est central dans l'affaire du cumul des mandats, c'est-à-dire qu'on ne soit pas et député et maire et conseiller général voire président de conseil régional, président de région, bref, les cumuls qu'on a connus qui sont en partie limités aujourd'hui mais seulement en partie, que cela disparaisse. Nous, le Gouvernement, avons déposé un texte. Il a été voté une première fois à l'Assemblée, il est au Sénat. Le Sénat l'empêche de passer. Si le discours de Rennes du Président de la République permet d'avancer, bravo CHIRAC !
Michel FIELD : Est-ce que ça n'est pas - là c'est une question de moi - est-ce que ça n'est pas le début d'une offensive politique de Jacques CHIRAC ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Contre l'opposition ?
Michel FIELD : Par rapport au Gouvernement et par rapport aux échéances à venir
Dominique STRAUSS-KAHN : Non. J'ai lu ça dans la presse comme vous : Écoutez, moi je ne sais pas si le Président de la République a en tête des échéances, nous, on ne travaille pas avec des échéances dites présidentielles.
Michel FIELD : Personne visiblement, ni du côté du Gouvernement ni du côté de l'opposition.
Dominique STRAUSS-KAHN : Vous dites que le Président de la République, lui, c'est son objectif ; moi je n'en sais rien. Le Gouvernement, il travaille, il a suffisamment de choses à faire comme ça. Il dépose les projets de loi - celui que je viens d'évoquer sur le sujet que vous abordez - mais d'autres sujets sur la modernisation de la vie politique, puisque c'était le thème du Président de la République, comme par exemple l'égalité hommes-femmes, la parité : dans dix jours, l'Assemblée nationale va discuter d'un texte de cette nature. Donc tout ça, c'est dans les tuyaux. Alors plus il y aura d'opposition - c'est normal que l'opposition s'oppose, ça je ne lui reproche pas - plus ça prendra de temps à être voté. Si le Président de la République est d'accord avec l'opposition, eh bien on a un combat politique droite-gauche classique. Si le Président de la République, comme il le dit, là, comme sur les textes sur la justice, est d'accord avec ce que fait le Gouvernement, alors on devrait y arriver ; l'opposition devrait arriver à voter avec le Gouvernement et faire passer les textes. Auquel cas, rapidement, les textes que nous avons déposés, devraient permettre cette modernisation.
Michel FIELD : Olivier DAYAN de Strasbourg : pourquoi les socialistes ont-ils tout gâché dans le débat du PACS qui semblait faire l'objet d'un large consensus avant d'être rattrapé par les clivages politiques ?
Dominique STRAUSS-KAHN : La question n'est pas assez précise pour que je sache à quoi Monsieur DAYAN pense. Je ne suis pas sûr qu'il y ait eu un large consensus sur le PACS, honnêtement. Je crois que c'est une mesure de modernisation pour le coup de la société française. Il y a le problème des homosexuels d'une part, il y a cinq millions de couples aujourd'hui qui vivent en concubinage, ensemble, et pour lesquels il fallait un statut pour des questions de succession, d'imposition etc. La gauche l'a proposé et une large partie de l'opposition, la quasi-totalité de l'opposition l'empêche. Bon. On va y arriver. Là aussi, il y a eu un coup, vous vous souvenez, il y a quelques semaines, où l'opposition a réussi à être majoritaire à l'Assemblée nationale, bon, ça a fait beaucoup de bruit mais c'est des épiphénomènes. La réalité, c'est que le PACS continue d'être discuté et qu'assez rapidement il sera voté. Et donc ce qui est important à mon avis, c'est qu'au-delà des turbulences, des discours, des scènes de larmes à l'Assemblée nationale ou des choses de ce genre-là, le travail se fait, le travail avance, les textes sont votés et petit à petit la société change.
Michel FIELD : Mais la majorité a quand même donné le sentiment d'un plus grand désordre que d'habitude cette semaine.
Dominique STRAUSS-KAHN : On est capable de désordre, oui, mais enfin ça n'empêche pas d'avancer, la preuve ; encore que ... je ne suis pas sûr que vous ayez raison. Sur la justice, où est le désordre ? Nous faisons remarquer à l'opposition qu'elle est en opposition justement avec ce qu'a annoncé le Président de la République qui se dit d'accord avec le texte du Gouvernement. Ce n'est pas de nous que vient le désordre, honnêtement. Alors sur d'autres sujets, ça peut venir de nous, mais sur ce sujet-là, le désordre vient quand même plutôt d'en face.
Michel FIELD : Alors prenons un sujet où il vient de vous, l'audiovisuel ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Je savais que vous alliez y venir.
Michel FIELD : Question d'Alexis, de Rouen : pourquoi ne pas intégrer la redevance dans l'impôt pour qu'elle soit mieux perçue ? Et beaucoup de questions sur l'audiovisuel public avec la question : est-ce qu'un audiovisuel public affranchi de toute publicité serait pensable ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Alors d'abord qu'est-ce que nous avons voulu faire ? Nous avons voulu changer l'audiovisuel public pour qu'il y ait une différence de contenu avec cette chaîne en particulier qui est une chaîne privée. Et on s'est dit : une des choses pour changer ça, c'est diminuer la publicité. Alors Monsieur demande : est-ce qu'on peut la supprimer totalement ? Peut-être, encore que ça pose des problèmes, ça pose en plus graves encore, en plus difficiles, les problèmes que pose déjà la réduction qu'on voulait faire puisque la réduction qu'on veut faire, c'est de douze minutes de publicité par heure à cinq minutes. Bon. Alors on nous dit : c'est bien ça, évidemment, ça libère des publicitaires, de l'audimat, donc on peut faire des oeuvres de qualité qui éventuellement auront moins d'audience mais qui sont le rôle d'un service public. Très bien. À ce moment-là, on dit très bien, mais la publicité, elle a rapporté de l'argent à FRANCE TÉLÉVISION, à FRANCE 2, FRANCE 3, alors cet argent, d'où il va venir ? Et le Gouvernement dit : on va le mettre, c'est le Budget qui va payer. Et c'est comme ça que le texte est arrivé à être prêt pour l'Assemblée. Et puis en discutant avec les parlementaires, ils nous ont fait remarquer que ça n'allait pas, que ça n'allait pas parce que nous ... c'était la majorité évidemment, ils nous disaient à nous, les socialistes, les communistes, ils nous disaient : vous, vous allez mettre l'argent, on vous croit, et donc FRANCE TÉLÉVISION aura l'argent au bout du compte. Mais qui sait, un jour où il y aura un Gouvernement de droite, s'il mettra l'argent et s'il n'en profitera pas pour punir en quelque sorte l'audiovisuel public en ne mettant pas l'argent. Donc on veut une ressource automatique. On veut que ça tombe automatiquement, que ça ne soit pas une décision du Gouvernement. Et là on n'était pas prêts, c'est vrai. Donc on a dit : on va retarder le projet ; on va réfléchir dans cette ligne-là puisqu'on ne l'avait pas prévue, et on reviendra avec un projet qui comprendra cet élément-là.
Michel FIELD : Alors le ministre des Finances que vous êtes, il voit d'un bon oeil, cette surcharge finalement budgétaire ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Ah ! Sous ma casquette de ministre des Finances, ça coûte mais enfin il faut savoir ce qu'on veut, c'est une politique. Si une politique du secteur public sait dire : moins de publicité pour une plus grande liberté dans la programmation et une programmation de secteur public d'intérêt général, pas 24 heures sur 24 mais libérée en partie des contraintes de la publicité, alors évidemment ça coûte mais il faut savoir ce qu'on veut faire. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
Michel FIELD : On a le sentiment qu'il y a quand même ... finalement des pannes dans les réformes de société que mène le Gouvernement ou que sur ces réformes - on a parlé du PACS, on parle de l'audiovisuel, on parle de la justice - que finalement la clairvoyance politique qui a peut-être marqué l'action du Gouvernement des premiers mois est en train de se gripper et qu'on vous sent moins à l'aise finalement pour mener à bien vos réformes.
Dominique STRAUSS-KAHN : Non, je ne dirais pas ça. D'abord je ne crois pas qu'il y ait une différence dans le temps car des réformes financières par exemple sont à l'oeuvre dans la loi de finances cette année, qui ne sont pas du tout ... qui progressent normalement, qui seront votées en temps utile, il n'y a pas ce désordre que vous évoquiez. Alors je ne crois pas que ce soit un problème de calendrier ; je crois que c'est propre, peut-être, aux questions de société. C'est vrai, les questions de société c'est plus compliqué. Et discuter sur le PACS, discuter sur la réforme de l'audiovisuel, discuter sur la réforme de la justice, sur la parité, toutes ces questions, c'est plutôt plus compliqué et donc ça demande plus de temps. Mais vous savez, je le redis, je le disais à propos du PACS, ce qui compte, ce n'est pas de savoir si ça va prendre trois semaines de plus que prévu ou pas. L'opposition arrive à retarder, ça prend trois semaines de plus ; on dit grande victoire pour l'opposition, désordre dans la majorité, d'accord, ça c'est le petit combat politique de tous les jours. Si on regarde ça d'un peu plus loin, sur l'oeuvre qui est accomplie par ce Gouvernement depuis dix-huit mois, les traces profondes qu'il commence à laisser dans la société française... le fait que le PACS soit voté ou pas, ça, ça a une signification, et il le sera, le fait qu'il soit voté trois semaines plus tôt ou plus tard, honnêtement, ça ne change pas grand-chose.
Michel FIELD : L'équilibre à l'intérieur de la majorité, la majorité dite plurielle, il y a eu des secousses aussi, l'arrivée un peu tonitruante de Daniel COHN-BENDIT du côté des Verts, les tensions entre communistes et socialistes sur beaucoup des questions que nous venons d'évoquer.
Dominique STRAUSS-KAHN : Non, pas tellement sur ces questions-là, pas sur les questions de société. Il y a des tensions entre les partenaires à tout moment mais depuis un an et demi sur tel ou tel sujet. C'est un peu inévitable ...
Michel FIELD : Si vous n'avez pas entendu qu'il y avait des divergences sur les sans-papiers ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Vous ne m'avez pas parlé des sans-papiers encore, vous m'avez parlé du PACS, de la réforme de la justice et de l'audiovisuel ...
Michel FIELD : Je me fais un plaisir de vous le rappeler ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Absolument, mais je disais sur les sujets que vous avez abordés. Sur les sujets que vous avez abordés, il n'y en a pas, sur d'autres sujets il peut y en avoir. Il y en a eu aussi sur la fiscalité par exemple. Bon. C'est l'essence d'une majorité qui est plurielle justement de discuter. Vous savez, la grosse différence avec le Gouvernement précédent... le Gouvernement précédent, il y avait un Premier ministre, et puis il y avait des ministres. Il discutait avec chacun face à face et puis il décidait. Donc évidemment entre les ministres, il n'y avait pas de débat, il ne risquait pas d'y avoir de divergences. Lionel JOSPIN a mis en place une méthode qui est complètement différente, que moi j'approuve, j'ai l'impression que les Français l'approuvent plutôt mais enfin ça, c'est à eux de le dire, qui consiste à mettre le débat sur la place publique, à faire discuter les ministres, à faire discuter avec les parlementaires. Donc évidemment si tout le monde n'est pas d'accord - et c'est normal que tout le monde puisse avoir un avis sur tel ou tel sujet - ça fait débat et comme ça fait débat, on dit ça fait contradiction. Alors il ne faut pas exagérer. La preuve, c'est qu'au bout du compte, on arrive à se mettre d'accord. Mais il y a une phase de débats et comme chacun tient à ses idées, eh bien on les défend fermement. Je crois que c'est mieux ; je crois que c'est plus transparent, c'est plus clair, plutôt que d'avoir un système dans lequel le Premier ministre décide de tout et puis ne veut voir qu'une tête. Ce n'est pas du tout le style de Lionel JOSPIN. Les inconvénients sont clairs, c'est ceux que vous dites, c'est que ce débat, évidemment il n'est pas secret, d'ailleurs il ne faut pas qu'il soit secret, et donc il transparaît dans la population et on nous dit : mais comment, vous n'êtes pas d'accord entre vous ! Ce que les Français constatent, me semble-t-il, c'est que depuis dix-huit mois, on a eu des débats sur de nombreux sujets et on est toujours tombés d'accord au bout pour faire ensemble ce qu'on avait décidé de faire.
Michel FIELD : Nous poursuivons cet entretien avec vos questions - des questions alors en masse sur les retraites, ça sera un des gros chapitres de la deuxième partie - l'emploi, le chômage, les taxes, les prélèvements, les privatisations, l'euro et l'Europe évidemment, après une page de pub.
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Michel FIELD : Retour sur le plateau de « Public ». Dominique STRAUSS-KAHN, ministre de l'Économie et des Finances, est l'invité de l'émission et répond à vos questions. Je le disais en commençant, dans ce gros dossier qui est constitué par toutes les fiches de vos questions, les retraites constituent peut-être ... je ne sais pas ... un quart des questions, retraite et autour des retraites, avec une grande émotion. Alors le terme qui revient c'est le terme d'acharnement. Beaucoup de retraités mais pas seulement, quand on ajoute les retraités et les futurs retraités, ça fait finalement beaucoup de monde, des questions : pourquoi un tel acharnement du Gouvernement vis-à-vis des retraités ? Pourquoi DSK s'est-il opposé au vote majoritaire du Parlement concernant l'aménagement de l'abattement de 10 % ? Considérez-vous les retraités comme des nantis ? Etc, etc.
Dominique STRAUSS-KAHN : Bon, on va reprendre tout ça. D'abord une conviction très forte c'est que nous avons un système de retraite qu'on a construit au lendemain de la Libération, qui est un système de solidarité et que la première tâche de tout Gouvernement, c'est d'en assurer la survie et le bon fonctionnement. Et je dis bien la survie parce qu'on le sait tous, pour des raisons qui tiennent à la démographie, autour de 2005-2010, ce système va avoir des problèmes, il va y avoir un déséquilibre. Et donc première mission, première mission profonde pour tout homme de gauche qui veut que ça tienne, c'est de faire en sorte que cette affaire résiste. Pour ça, Lionel JOSPIN a créé un fonds de réserve du système de retraite dans lequel on va verser toute sorte d'excédents pour accumuler, je pense, plusieurs dizaines de milliards - on devrait y arriver - pour faire face aux besoins au moment où ils se présentent. Et on va commencer par des ressources qui existent cette année pour quelques milliards, pas beaucoup, mais en 99 sensiblement plus notamment avec les opérations sur les Caisses d'Épargne etc etc. Et donc l'idée première et forte, c'est : on a besoin de faire en sorte que notre système de retraite passe le cap de ce creux démographique qui se situe vers 2005-2010 et pour ça, il faut accumuler des réserves. Deuxième point, vous dites acharnement. Il n'y a aucun acharnement...
Michel FIELD : Je ne dis rien, c'est les téléspectateurs ... un certain nombre, c'est un mot qui revient.
Dominique STRAUSS-KAHN : Bien sûr.
Michel FIELD : Il y a même André MATY de Toulon, qui demande : est-ce que vous avez une allergie aux personnes âgées pour baisser sans cesse leurs revenus. Donc vous voyez, la suspicion va loin quand même.
Dominique STRAUSS-KAHN : J'ai d'autant moins d'allergie aux personnes âgées que comme nous tous, j'ai dans mon entourage immédiat pas mal de personnes âgées, donc tout le monde sait exactement quelle est la situation des personnes âgées et quand j'étais encore maire de Sarcelles - je ne suis plus aujourd'hui que premier adjoint - je rencontrais très régulièrement de très nombreuses personnes âgées dont les ressources ne sont généralement pas extraordinaires. Et l'une des questions qui était posée, c'était cette affaire d'abattement de 10 %. Alors là aussi, de quoi s'agit-il ? Le Gouvernement JUPPE a voté en 96 la disparition des 10 % de frais professionnels ou considérés comme tels pour les retraités. Bien. Les retraités considèrent que c'est injuste de l'avoir supprimé. Et il y a donc eu un débat à l'Assemblée là, pour savoir si on allait stopper cette disparition progressive qui avait été programmée par le Gouvernement de Monsieur JUPPE ou pas. Et le stopper, ça voulait dire bloquer l'année 2000 à un certain niveau. Le Gouvernement n'a pas dit qu'il était contre ; il a dit qu'on n'allait pas le faire maintenant, qu'on attendait le rapport qui a été demandé au commissaire au plan, Monsieur CHARPIN, et qui doit être remis dans quelques semaines au Gouvernement sur l'ensemble du système de retraite et qu'à partir de là, on verrait ce qu'on fait effectivement puisque c'est pour l'an 2000 de toute façon, ça n'avait pas de conséquence pour 99 ce qui était proposé à l'Assemblée, donc il n'y avait pas besoin de le voter tout de suite. On votera en 99 pour l'an 2000 en fonction de ce que dira Monsieur CHARPIN et je l'ai déjà annoncé à l'Assemblée, sans doute reviendra-t-on en partie sur la diminution de ces 10 %. Mais ce qu'il faut bien voir quand même, c'est que nous sommes aujourd'hui dans une société où le niveau moyen des revenus des retraités est le même que celui des actifs. Ce n'était pas le cas il y a dix ans ou vingt ans, c'est le cas aujourd'hui. Et dans ces conditions, il est normal que des situations qui pouvaient exister avant, des avantages particuliers donnés aux retraités parce que les retraites étaient particulièrement faibles, soit quelque chose qui éventuellement bouge. En tout cas, on trouve que ça bouge trop, que la suppression de ces 10 % faite en 96 allait trop loin et sans doute pour l'an 2000 y aura-t-il une modification.
Michel FIELD : Alors il y a parmi les retraités des situations très difficiles, notamment du côté des retraités agricoles. On a l'appel d'un agriculteur.
René CHABOT : Je suis agriculteur dans le Lot-et-Garonne et je m'appelle CHABOT René, à la retraite. J'ai le triste privilège d'appartenir aux deux millions de retraités agricoles dont une grande partie vie avec 50 % du RMI. Connaissez-vous la méthode, Monsieur le ministre, pour arriver à survivre avec cette somme ou pensez-vous faire quelque chose pour nous ? Je vous en remercie.
Dominique STRAUSS-KAHN : Oui, la situation que décrit ce monsieur est effectivement celle de beaucoup d'agriculteurs notamment de salariés agricoles. Il y a eu un effort très important fait notamment à la demande de François HOLLANDE, député de la Corrèze, l'année dernière, il y a de nouveau un effort très important fait cette année puisque c'est plus d'un milliard qui est mis sur cette question. Et ce qu'on a promis, c'est qu'en une législature ... c'est-à-dire pendant toute la durée de la législature, avec le même effort, on arriverait à rattraper une bonne part de l'écart qu'il y a entre ces retraites agricoles et les retraites de tout le monde. Mais c'est vrai, c'est là une situation très difficile parce qu'il y a un décalage. Les retraites ne sont pas toujours énormes mais en matière agricole, elles sont particulièrement faibles et il y a un décalage. On ne va pas le rattraper en un jour. Il y a eu un gros rattrapage fait avec le budget 98 ; de nouveau un gros rattrapage sera fait avec le budget 99 en continuant sur toute la législature, une bonne part de l'écart, la quasi-totalité de l'écart aura disparu et la réponse aura été apportée à ce monsieur. Maintenant évidemment, c'est un sujet qu'on traite depuis un an et demi, enfin depuis deux budgets, or c'est un sujet qui existe depuis très longtemps parce que cet écart qu'il souligne, est là depuis très longtemps et donc il faut quelques années pour arriver à le résorber. Mais c'est une question tout à fait sérieuse.
Michel FIELD : Alors sans revenir sur le débat retraite par répartition, retraite par capitalisation - nous y avons consacré une émission contradictoire il y a quelques semaines - une question néanmoins sur les rapports fiscalité-retraite.
M. SERVAIN : Monsieur SERVAIN, de Vannes. Pourquoi fiscaliser autant les placements retraite par capitalisation alors qu'aujourd'hui on reste dans l'incertitude des revenus retraite par répartition dans les prochaines années ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Aujourd'hui, lorsqu'un Français met de l'argent de côté pour sa retraite, lorsqu'il le peut et lorsqu'il le fait, il est fiscalisé normalement comme toute épargne qui apporte un revenu et qui donc a une fiscalité. L'objectif du Gouvernement, c'est d'essayer de faire en sorte que lorsqu'on épargne très longtemps pour sa retraite justement - on peut épargner dix ans, quinze ans, vingt ans pour sa retraite - on puisse avoir un régime particulier et on va proposer un texte sur l'épargne-retraite en 99. Aujourd'hui on voit bien que beaucoup de gens notamment de couche moyenne, qui épargnent pour leur retraite, le font par exemple sur leur livret de Caisse d'Épargne, c'est ce qu'ils répondent lorsqu'on fait des enquêtes. Or le livret de Caisse d'Épargne, ce n'est pas le meilleur support, le meilleur produit financier, le meilleur placement pour préparer sa retraite. Donc il faut faire quelque chose, on ne l'a pas en France. Ça existe dans la plupart des pays qui nous entourent, ça n'existe pas en France. Donc ceux qui épargnent et qui ont un petit peu de moyens à mettre de côté pour leur retraite, doivent pouvoir le faire dans de bonnes conditions. Il n'y a pas de texte pour ça, il n'y a pas de support pour ça. Nous nous sommes engagés Martine AUBRY et moi l'autre jour à l'Assemblée nationale, à déposer un texte en 99 pour que ça devienne possible.
Michel FIELD : Alors pour conclure ce chapitre - on pourrait le faire en résumant une question de Nadège PREAU de Chevreuse : la CSG, la suppression de l'abattement de 10 %, etc, DSK trahit les promesses de Lionel JOSPIN dans sa campagne de préserver le niveau des retraites.
Dominique STRAUSS-KAHN : Non. D'abord DSK ne trahit rien du tout parce que les promesses comprenaient aussi la CSG...
Michel FIELD : Ne commencez pas à parler de vous à la troisième personne, ça serait très vite suspect ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Vous avez raison. Grave maladie, vous faites bien de m'en protéger. Bon. Dans les promesses de campagne, il y avait la mise en place de la CSG à la place des cotisations maladie et les salariés s'en rendent bien compte, qui ont eu une diminution de leurs cotisations maladie plus importante que l'augmentation de la CSG et ça a fait à peu près un point de pouvoir d'achat, qu'on retrouve d'ailleurs dans la consommation et dans la croissance. Maintenant par ailleurs il faut préserver le pouvoir d'achat des retraites. Et il est tellement préservé que pour l'année 98 il y aura même un gain de pouvoir d'achat puisque nous avons indexé les retraites en 98 sur l'inflation telle qu'elle était prévisible l'année dernière, 1,3 %, voyez là aussi on s'est trompé, on a fait moins. On avait prévu 1,3 % d'inflation, on va avoir 0,5 %. Et donc comme on a augmenté de 1,3 % pour faire comme l'inflation qu'on prévoyait et qu'en fait l'inflation va être plus faible, au total, il va y avoir un gain. Bien sûr on ne va pas le reprendre aux retraités. Donc il y a un gain net cette année 98 pour les retraités en termes de pouvoir d'achat. Mais par ailleurs, c'est vrai, la CSG a frappé les revenus du capital y compris des retraités mais ça honnêtement, moi je trouve ça normal. Comprenez, Monsieur MARTIN qui a 10 000 francs de salaire, et Monsieur Michel, qui est à la retraite peut-être, et qui a 10 000 francs de revenu du capital, ils sont couverts par l'assurance maladie de la même manière, il est normal qu'ils cotisent de la même manière. Et moi je trouvais tout à fait injuste et maintenant ça a changé, que nous ayons une situation dans laquelle selon le type de revenu que l'on avait, alors qu'on a la même couverture maladie, on payait plus ou on payait moins. Donc effectivement, cette mesure que je crois vraiment être une mesure de justice sociale, eh bien ça conduit un certain nombre de personnes qui avaient des revenus du capital, de l'épargne, à payer là-dessus plus pour leur couverture. Mais je ne crois pas que ce soit anormal.
Michel FIELD : Alors deuxième grand chapitre, évidemment, toutes les questions tournant autour de l'emploi, du chômage, des mesures gouvernementales. Alors beaucoup de questions sur les emplois jeunes. Je peux en prendre une de Madame BEQUIER d'Évry, et puis de nombreuses questions de Bordeaux, de Lille, de Strasbourg : que vont devenir les emplois jeunes à la fin du délai, seront-ils systématiquement reconduits, transformés en emplois de fonctionnaires ? Les emplois jeunes ne sont-ils pas un total échec dans le privé ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Alors parlons du public d'abord, c'est un total succès. Quand avec d'autres, j'ai lancé cette idée pendant la campagne électorale, qu'est-ce qu'on n'a pas entendu ! Vous ne vous rendez pas compte, ça ne marchera jamais etc. Aujourd'hui, on en est à 150 000 emplois jeunes, exactement le rythme qui a été prévu ...
Michel FIELD : Dans le public ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Dans le public, oui, oui, absolument. La partie public. On a dit : il faudra en faire 300 000 et fin 98, on passera à 150 000. On passe à 150 000. Ils sont faits. Ils sont un vrai travail, payé au SMIC, pour cinq ans. Alors la dame ou le monsieur je ne sais plus, dit : qu'est-ce qui va leur arriver au bout de cinq ans ?
Michel FIELD : Une dame.
Dominique STRAUSS-KAHN : Une dame, pardon. Il peut leur arriver plusieurs choses. Première chose : ils peuvent ne pas rester cinq ans et profiter de l'expérience acquise au bout d'un, deux, trois ans de travail pour aller sur le marché du travail et se faire embaucher par une entreprise. Deuxième chose : il y a ceux qui effectivement seront embauchés dans les collectivités publiques - par exemple moi je vois, pardonnez-moi de réciter l'exemple que je connais le mieux - mais à Sarcelles, nous avons embauché trois cents emplois jeunes, d'ailleurs la ville a même eu un prix comme étant celle qui était la première par rapport à sa population. Très bien. Trois cents emplois jeunes. Il se trouve qu'il y a pas mal de fonctionnaires de la ville, vu la pyramide des âges, qui vont partir à la retraite pendant la période ; eh bien on va petit à petit les remplacer par ces emplois jeunes là parce que justement, plutôt que de recruter des gens qui n'auront pas été formés, autant faire passer les concours de fonction publique à ces jeunes qui justement travaillent déjà pour la ville. Donc c'est une deuxième solution. Et puis il y a ceux qui pendant les cinq ans en question, grâce à la formation dont ils bénéficient, passeront des diplômes et se retrouveront eux aussi dans une situation nouvelle. Donc l'idée des emplois jeunes, c'est quoi ? C'est évidemment d'abord de sortir les jeunes de la rue et il y en a 150 000 qui sont sortis de la rue. Mais en plus, c'est que pendant cette période-là, ils acquièrent une expérience pour les uns, une formation pour les autres, qu'ils n'avaient pas avant. Moi j'ai vu tellement de jeunes qui disaient : j'envoie des lettres partout, je réponds à toutes les offres d'emploi mais on me dit tout le temps « vous n'avez jamais travaillé ? On ne vous veut pas ». Là, ils pourront dire : moi j'ai travaillé trois ans comme mécanicien, comme peintre, comme animateur, peu importe, dans telle ou telle ville, dans telle ou telle commune, dans telle ou telle région, et donc j'ai une expérience, et aller sur le marché du travail.
Michel FIELD : Échec dans le privé.
Dominique STRAUSS-KAHN : Alors dans le privé, le processus n'est pas exactement le même puisque pour que ça marche, c'est la caractéristique du privé, il faut que les branches professionnelles veuillent s'y engager. Nous avons tenté de lancer des discussions, des négociations avec le patronat. On ne peut pas dire que ça ait beaucoup abouti sous la forme des emplois jeunes. Il se passe des choses sur les contrats d'apprentissage, sur les contrats de qualification. Il y a beaucoup de jeunes qui sont embauchés dans le privé. Mais la technique même des emplois jeunes stricto sensu suppose qu'on arrive à avoir un accord avec le patronat et pour le moment, on ne l'a pas.
Michel FIELD : Vous avez un chiffre sur les emplois jeunes dans le privé parce qu'on n'en entend jamais émettre ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Non, parce que la catégorie emplois jeunes, appelée comme ça, elle n'a pas été créée. Il existe tout un tas de procédures qui permettent aux jeunes... d'argent public, qui aident les jeunes à aller dans les entreprises, d'aides aux entreprises pour embaucher des jeunes. Et il y a un nouveau programme qui s'appelle le programme TRACE et qui devrait concerner plusieurs dizaines de milliers de jeunes encore ; mais rien de tout ça n'a été appelé emplois jeunes dans le privé. Donc je ne peux pas vous donner un chiffre correspondant. C'est vrai que nous sommes tout à fait ouverts à une négociation qui se mènerait avec les représentants des branches patronales, ça n'a jamais pu avoir lieu encore, peut-être ça aura lieu un jour, et qui permettrait d'avancer. Vous vous rappelez peut-être : à la sortie de la fameuse conférence du 10 octobre 97 sur le temps de travail où le président du CNPF, à l'époque Monsieur GANDOIS, avait claqué la porte. Il était sorti en disant : puisque c'est comme ça, on ne fera plus d'accord sur rien sauf sur une chose, les emplois jeunes ! On attend toujours.
Michel FIELD : Beaucoup de questions sur la baisse des charges sociales et notamment dans les PME-PMI avec, là je synthétise toutes ces questions : repenser les cotisations patronales, la baisse des charges sociales ne permettraient-elles pas d'aider les PME-PMI à créer des emplois puisqu'elles sont en général le réservoir de création d'emplois en France ?
Dominique STRAUSS-KAHN : C'est exact que ce sont les PME et les PMI dans lesquelles on peut espérer créer des emplois ; à l'inverse, dans les grandes entreprises, ça diminue plutôt. Comment est-ce qu'on peut les aider ? Eh bien d'abord en créant la confiance et la croissance. Moi j'ai la conviction profonde que la réalité de l'emploi, ça passe d'abord par la croissance. S'il y a eu 300 000 emplois créés cette année en France, c'est parce qu'on a 3 % de croissance. Vous savez, 300 000 emplois, ça ne dit rien sans doute à ceux qui nous écoutent, mais il faut qu'ils sachent que dans les années 60, il y avait de la croissance forte, on créait 150 000 emplois par an ; dans les années 70, on n'en créait plus que 100 000 ; dans les années 80, on n'en créait plus que 60 000 par an. Cette année, on en crée 300 000. Et donc aider les PME à continuer dans ce sens-là, c'est d'abord rétablir ce contrat de confiance qui a prévalu dans l'année 98.
Michel FIELD : Mais pas de baisse de charges sociales, c'est ça la question.
Dominique STRAUSS-KAHN : J'y viens, j'y viens. Les charges sociales ont été sensiblement baissées puisqu'au niveau du SMIC aujourd'hui, il n'y a plus que les cotisations vieillesse, 10 %, il n'y a plus de cotisations maladie, il n'y a plus de cotisations famille. La voie que nous avons choisie, est un peu différente, parce que tous les instruments sont bons, moi je n'ai aucun obstacle, si un instrument marche pour l'emploi, il faut l'utiliser. La voie qu'on a choisie est un peu différente pour cette année, c'est de faire disparaître la part salaires de la taxe professionnelle. C'est un impôt qui pèse sur les salaires. Et pourquoi on a choisi ça ? Parce que justement c'est ciblé sur les PME. Si vous baissez les cotisations sociales, ça touche tous les salariés y compris les secteurs de grandes entreprises qui n'embauchent pas, c'est que disait ce monsieur ou cette dame. On voulait une mesure qui touche directement et principalement les PME. Or la méthode que nous mettons en oeuvre pour faire disparaître un tiers de la taxe professionnelle, celle qui porte sur les salaires justement, celle qui nuit à l'emploi, va toucher directement les PME à tel point que c'est étalé sur cinq ans mais que dès la première année, 70 % des entreprises, les plus petites, les PME justement, vont être exonérées de la totalité de leurs charges en matière de taxe professionnelle. Ça va avoir un effet important sur l'emploi qui va exactement dans le sens de ce que disait ce téléspectateur.
Michel FIELD : Ces téléspectateurs parce que j'avais regroupé plein de questions. Alors on va vite pour qu'on ait le temps de parler de l'euro et de l'Europe ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Excusez-moi, je suis trop long ...
Michel FIELD : Un petit peu, mais vous êtes là pour ça aussi. Taxes et prélèvements, c'est évidemment un grand sujet. Alors sur la CSG, il y avait beaucoup de questions, je pense que vous y avez répondu tout à l'heure. Sur les taxes et notamment sur ce qui concerne beaucoup les automobilistes, l'essence, une question par téléphone.
M. GUILLAUME : Monsieur GUILLAUME, à Vesoul. Comment se fait-il que l'essence ne baisse pas aux pompes alors que le baril n'a jamais été aussi bas ?
Michel FIELD : C'est une excellente question qu'on n'a généralement jamais la simplicité de poser avec autant d'honnêteté.
Dominique STRAUSS-KAHN : Vous aurez déjà remarqué que les taxes sur l'essence, pour la première fois depuis vingt ans, n'ont pas augmenté en 99 - c'est la première fois depuis vingt ans que ça arrive - mais ce n'est pas votre question. Votre question, c'est pourquoi est-ce que quand le baril de pétrole baisse, ça ne se répercute pas ? Ça se répercute mais avec décalage et avec décalage parce que notamment les compagnies pétrolières ont des stocks et elles les écoulent aux prix auxquels elles les ont achetés. Donc ça se répercute avec un décalage relativement important qui fait que généralement on ne le perçoit pas. Mais moi je me fais la même remarque que vous parce que souvent, en prenant de l'essence, je me dis que ce que je vois comme information sur le prix du baril, je n'ai pas l'impression de le retrouver à la pompe ...
Michel FIELD : Mais vous n'avez jamais l'occasion de voir des chefs d'entreprise dans ce secteur-là pour pouvoir leur poser la question directement ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Si, si, la réponse que m'ont donnée les spécialistes, c'est celle-là, c'est qu'il y a donc des décalages relativement importants. Mais j'insiste sur le premier point de ma réponse : c'est quand même la première fois qu'un Gouvernement depuis vingt ans n'augmente pas les taxes sur l'essence pour l'année prochaine.
Michel FIELD : Beaucoup de questions sur la TVA. Une baisse de la TVA sur les produits de consommation courante demande Thierry BRIANCON par Minitel, et beaucoup de questions sur ce que vous dénonciez quand vous étiez dans l'opposition, comme une sorte d'impôt injuste touchant indifféremment les plus riches et les plus pauvres et quelque chose à quoi vous ne touchez pas avec assez d'audace, pour beaucoup de téléspectateurs.
Dominique STRAUSS-KAHN : Le problème des baisses d'impôts, c'est que quand on en bénéficie, on ne les voit jamais passer, tandis que les hausses, ça, on les voit. En matière de TVA, entre l'année dernière et cette année, on aura baissé de plus de dix milliards. Il y a les fameux abonnements EDF-GDF dont tout le monde a rigolé mais enfin quand vous faites de la baisse de TVA qui profite à tout le monde et pas une baisse d'impôt qui ne profite qu'à certains, évidemment ça ne fait pas beaucoup pour chacun. Donc la baisse de TVA sur les abonnements EDF-GDF, c'est une réalité. Sur les produits pour handicapés, on a fait de la baisse de TV A sur un ensemble de produits. Pourquoi pas une baisse générale sur les produits de première consommation comme demande ce monsieur ? Parce que le taux aujourd'hui est de 5,5%. On ne peut aller qu'à 5% parce que le minimum européen possible est de 5%. Donc on pourrait baisser d'un demi-point, vous me direz. Mais si on baisse d'un demi-point, personne ne s'en rend compte, il n'est même pas dit d'ailleurs que les commerçants le répercutent dans les prix, ça fait quelques centimes et parfois moins encore, un ou deux centimes sur certains produits. Et donc ce n'est pas répercuté, personne ne le perçoit. Si bien qu'au bout du compte, on a amélioré les marges du commerce ou de la distribution, très bien, mais enfin en pouvoir d'achat pour le consommateur, ça ne change rien. Si on veut que la baisse de TVA soit répercutée, il faut qu'elle soit massive sur une ou deux choses - par exemple on a pris les abonnements EDF-GDF - et en plus en prenant les abonnements EDF, comme c'est quelque chose qu'on contrôle puisqu'EDF est une entreprise publique, alors on est sûr que c'est répercuté. Donc c'est un choix. Est-ce qu'il vaut mieux cibler les baisses de TVA ou les faire générales ? On a choisi de les cibler.
Michel FIELD : Votre réponse me procure une transition pour arriver sur l'Europe avec beaucoup de questions sur l'harmonisation. Alors une question très claire de Henri ARNAUD, elle résume beaucoup de dizaines de questions qu'on a eues sur ce thème : la mise en place de l'euro avant l'harmonisation fiscale et sociale des pays européens est-elle véritablement raisonnable ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Le fait qu'il n'y ait qu'une seule question sur la fiscalité m'empêchait de dire la deuxième chose que je voulais dire, je vais quand même la dire c'est qu'il y a la baisse des impôts, il faut essayer de le faire même si les Français ne s'en rendent encore pas compte parce que ce n'est que la première année que ça baisse, ils s'en rendront compte au fur et à mesure - on a baissé sur la TV A, on le disait, mais sur les donations, les achats de logement, on a baissé sur un ensemble de sujets. Mais il y a aussi la simplification. Et l'année prochaine par exemple, il y aura quinze millions de formulaires, des formulaires fiscaux qu'il fallait remplir, qui disparaissent. Par exemple le droit au bail. Les gens qui louent un logement, ont à remplir un droit au bail. Eh bien ça disparaît. L'impôt, il faudra qu'ils continuent à le payer mais la simplification fiscale, la disparition des formulaires, c'est quelque chose qui va considérablement progresser dans les années qui viennent. Alors maintenant vous me dites est-ce que c'est bien raisonnable de faire l'euro avant que l'harmonisation fiscale soit là ? C'est un peu l'oeuf et la poule. L'euro est construit pas à pas depuis dix ans, on y arrive et moi je suis fier d'être le ministre des Finances français qui fera le passage à l'euro. Je crois qu'on a informé les Français, les particuliers comme les entreprises, autant qu'on pouvait le faire. Tout le monde a reçu cette petite brochure qu'on a distribuée partout - permettez-moi de faire ma publicité - et là, ce que les enseignants auront partout comme document pour former les élèves.
Michel FIELD : On est sur une chaîne privée, la publicité n'est pas encore interdite.
Dominique STRAUSS-KAHN : Très bien ... tant qu'elle est gratuite. On a fait tout ce qu'on pouvait et les sondages internationaux montrent d'ailleurs que les Français se considèrent plutôt mieux informés que les autres. On va mettre ça en oeuvre, ça va être un changement considérable, progressif mais considérable. Est-ce qu'il aurait mieux valu harmoniser fiscalement avant ? Du point de vu logique, on peut dire oui, sauf que le mouvement ne se faisait pas. Et il y a beaucoup de pays qui ne veulent pas avancer vers l'harmonisation fiscale notamment les pays qui avaient des gouvernements conservateurs. Aujourd'hui qu'il y ait une majorité de gauche dans les pays européens, on va avancer beaucoup plus vite. Peut-être avez-vous vu, ou les téléspectateurs ont-ils vu les déclarations de mon collègue Oskar LAFONTAINE, le nouveau ministre des Finances allemand, qui vient d'être élu avec le SPD à gauche et qui dit : ma tâche, c'est l'harmonisation fiscale et il a raison ! Sauf que lui plus moi plus d'autres, on va y arriver et on va y arriver aussi parce que maintenant l'euro nous y force. C'est un peu la logique de la question de ce monsieur ...
Michel FIELD : C'est un des chantiers prioritaires de la nouvelle Europe ?
Dominique STRAUSS-KAHN : Oui, c'est un chantier prioritaire. Moi je pense que sur l'impôt sur les sociétés comme sur la fiscalité sur l'épargne, il faudrait arriver à harmoniser ou du moins à avoir une ligne d'harmonisation à la fin du premier semestre 99, c'est un chantier tout à fait prioritaire. C'est vrai que d'un point de vue logique, ça aurait été mieux de le faire avant. Mais c'est un tel mouvement de construire cette Europe, un tel mouvement de gain de souveraineté par rapport à la mondialisation, tout le monde a peur de la mondialisation mais l'euro va nous donner un instrument de protection face à la mondialisation, c'est un tel mouvement d'identité européenne - pensez que vous aurez la même monnaie à Lisbonne, à Strasbourg, à Rome ou à Paris - c'est un tel mouvement aussi sur le fonctionnement de l'économie, que ça va entraîner avec soi d'autres choses comme par exemple l'harmonisation fiscale qui est évidemment nécessaire.
Michel FIELD : Beaucoup de questions sur l'absence d'un référendum solennel simultané dans tous les pays européens sur l'euro. On sent que les gens finalement se rendent compte - en tout cas les téléspectateurs qui nous ont répondu - que c'est un pas important, ça a une lourde charge symbolique et même affective et ils sont un peu désemparés que ça se fasse finalement de manière aussi technocratique.
Dominique STRAUSS-KAHN : Un référendum, il y en a eu un. Il y en a eu un ...
Michel FIELD : Pas sur ça spécifiquement et solennellement je dirais ...
Dominique STRAUSS-KAHN : Le traité de Maastricht, le débat, rappelez-vous... Monsieur PASQUA, etc, c'est ancien, je sais bien, on l'a oublié mais enfin quand même, le débat, c'était ceux qui étaient contre l'euro et ceux qui étaient pour l'euro. Le référendum a eu lieu, il n'a pas eu lieu dans tous les pays mais chez nous justement il a eu lieu. C'est vrai que c'est très solennel, c'est vrai aussi que les Français jour après jour vont s'en rendre compte pendant les trois ans qui nous séparent de l'apparition des pièces et des billets en euros, mais pendant ces trois ans-là, le Gouvernement et toute l'administration est aux côtés des Français et des entreprises pour les aider. Par exemple on va distribuer des dizaines de milliers de calculettes aux publics un peu fragiles, les chômeurs, les personnes âgées, pour les aider ; et puis tout un tas d'autres actions de ce genre parce que le grand chantier de l'avenir, pour moi, pour beaucoup de jeunes chefs d'entreprise, pour je pense beaucoup de jeunes dans le pays et puis de toute façon pour ceux qui ont été des combattants de l'euro, c'est de faire que grâce à cela, grâce à cette victoire qu'est la mise en place de l'euro, vraiment l'Europe politique et l'Europe sociale qu'à gauche nous avons toujours voulue et qu'on n'a jamais réussi à mettre sur pieds, finisse par s'établir. Moi je suis convaincu que le 1er janvier 99 est un pas formidable en avant pour les conquêtes sociales en Europe que j'ai souhaitées pendant une dizaine d'années sans pouvoir me battre en leur faveur. Maintenant ça arrive.
Michel FIELD : On finit par une salve de questions personnelles : DSK est-il persuadé d'être toujours de gauche, qu'est-ce qui différencie votre politique dite de gauche de celle de Messieurs BALLADUR et JUPPE dite de droite ? DSK se sont-ils encore de gauche ou plutôt de droite ? Vous avez quelques secondes pour répondre mais ça préoccupe les gens visiblement.
Dominique STRAUSS-KAHN : Oui, mais c'est le lot des ministres des Finances. Écoutez, les sondages, on les connaît, la politique économique du Gouvernement est considérée majoritairement comme bonne par l'ensemble des Français et par la gauche. Maintenant on peut donner tous les symboles que l'on veut. Quand on baisse la TVA - on en parlait tout à l'heure - et qu'on augmente l'ISF, on fait le contraire de ce que faisait Monsieur JUPPE puisque vous le citiez comme exemple. Quand sur THOMSON MULTIMEDIA, la droite disait : ça vaut un franc et que nous, parce qu'on a une politique industrielle différente, on l'a redressée et que maintenant dans le secteur public cette entreprise vaut des milliards, c'est une politique de gauche. Lorsque, avec Jean-Claude GAYSSOT, il y a un peu moins d'un an, on a changé la situation de 500 000 familles qui avaient des prêts PAP, qui ne pouvaient plus payer, et que je reçois aujourd'hui des lettres qui disent Monsieur, vous avez sauvé ma famille, j'ai le sentiment que j'ai fait mon travail de ministre de gauche.
Michel FIELD : Et que vous êtes de gauche.
Dominique STRAUSS-KAHN : Que j'ai fait mon travail de ministre de gauche.
Michel FIELD : Dominique STRAUSS-KAHN, merci.