Interviews de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur France 3 le 9 octobre 1998 et dans "Le Journal du dimanche" du 11 octobre, sur le rejet du pacte civil de solidarité (Pacs) à l'Assemblée nationale.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Adoption à main levée de l'exception d'irrecevabilité contre la proposition de loi instaurant le pacte civil de solidarité (Pacs) à l'Assemblée nationale le 9 octobre 1998

Média : Emission Journal de 19h30 - France 3 - Le Journal du Dimanche - Télévision

Texte intégral

France 3 – vendredi 9 octobre 1998

Laurent Bignolas : Vous comprenez cette réaction, cette déception ?

Élisabeth Guigou : Évidemment, c'est décevant. Mais enfin, il ne faut pas... Ce n'est pas la fin de l'histoire. C'est un vote de procédure. On aurait préféré le gagner. Il n'y a pas eu une suffisante mobilisation des députés de gauche, et une forte mobilisation des députés de droite. Eh bien, maintenant, il faut se ressaisir. Voilà. C'est un vote qui a deux procédures. Ce n'est pas un vote sur le fond. Les députés ont décidé de redéposer une proposition de loi. Ça va être fait, là, ce soir. On va en profiter – et on l'examinera dans quinze jours – on va en profiter justement pour intégrer des amendements qui, de toute façon, étaient bons, qu'on avait envie d'intégrer dans le texte. Donc, on va mettre à profit ce délai de quinze jours. Et puis de toute façon, il n'y a pas de retard, puisqu'il était prévu qu'on finirait le vote le 24-25. Donc, c'est quinze jours de délai.

Laurent Bignolas : Problème de procédure, mais est-ce que ce n'est pas aussi, aujourd'hui, le signe d'un certain malaise de certains députés socialistes sur ce sujet du Pacs ?

Élisabeth Guigou : Moi, je crois que c'est plutôt parce que les députés se sont dits : « les autres seront là », et qu'ils ne se sont pas rendus compte que la droite allait mobiliser à fond contre ce texte, parce qu'il y a une très forte obstruction de la droite, qui d'ailleurs cherche à faire passer ce texte pour ce qu'il n'est pas. Moi, ce matin, en entendant les arguments – sur le fond – de la droite, je vous assure que, vraiment il n'y avait que des arguments pour démonter ce qu'il n'y a pas dans le texte. Donc, je crois qu'on a tout à fait de quoi faire voter ce texte sur le fond, le 24 et le 25, et ce n'est pas parce qu'aujourd'hui il y avait soixante députés de droite qui ont réussi à gagner un vote...

Laurent Bignolas : Ils crient victoire ?

Élisabeth Guigou : ... Alors qu'on était que cinquante, que tout d'un coup, ils ont la majorité dans notre pays. Moi, ce que je sais, c'est qu'il y a des sondages – sondages après sondages –, qui montrent que l'opinion publique, les jeunes en particulier, à 85 %, qui sont pour ce projet. La majorité des Français, près de 60 % qui ont bien compris ce qu'on voulait faire, c'est-à-dire tout simplement, donner une sécurité juridique à des gens qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas se marier, et qui ont le droit de voir reconnu leur engagement commun. Alors, c'est un bon texte. Il faut le faire passer et il ne faut pas se laisser arrêter par cet aléa.

Laurent Bignolas : Oui, vous devez rassurer tout le monde, finalement, parce qu'il y avait aussi la promesse dans ce sens de Lionel Jospin, et c'est vrai que cet incident en rajoute un petit peu sur ce dossier dans la déception des associations qu'on a entendues tout à l'heure. Non ?

Élisabeth Guigou : C'est un projet important. Ce sera fait dans quinze jours, j'en suis convaincu, parce que je pense que l'incident de cet après-midi aura fouetté l'amour-propre des députés de la majorité, et qu'ils auront tous à coeur d'être là dans quinze jours. Voilà. Donc, je pense qu'on va travailler, on va faire en sorte d'utiliser ce délai pour que le texte soit encore meilleur qu'il n'était cet après-midi, et puis, on va s'attacher de faire oublier cet incident, mais qui n'est qu'un incident de procédure. Il ne faut pas dramatiser.

Laurent Bignolas : Ce n'est pas difficile, justement, de ne parler que d'un incident quand la droite crie victoire, comme on l'a entendue ?

Élisabeth Guigou : Cela, évidemment, c'est son rôle, surtout qu'elle n'a pas beaucoup d'occasions de crier victoire en ce moment. Donc, on comprend qu'elle essaye de faire monter la mayonnaise. Mais, il se trouve que ce n'est pas parce qu'on a soixante députés au lieu de cinquante qu'on est tout d'un coup devenu majoritaire dans le pays. Donc, je crois tout simplement qu'il faut que la gauche se dise : quand on a un texte important comme celui-là, en effet il faut se mobiliser sur ce texte.

Le Journal du Dimanche - 11 octobre 1998

Le Journal du Dimanche : À propos de l'adoption de l'exception d'irrecevabilité, vendredi à l'Assemblée, sur le PACS, vous avez parlé d'« incident », n'est-ce vraiment qu'un « incident » ?

Élisabeth Guigou : Oui, un incident de procédure. Un contretemps regrettable. Une de ces péripéties parlementaires qui arrivent rarement, heureusement. Les députés de gauche doivent se remobiliser. Quand le PACS reviendra à l'Assemblée prochainement, je pense que la plupart seront là. Par amour propre, par volonté de montrer que la majorité sait se mobiliser. Sur le fond, le texte sera adopté. Cet incident va nous permettre de mieux expliquer, de mieux faire comprendre que c'est un bon texte. Les députés de droite ont pavoisé à tort vendredi car ils n'étaient que soixante dans l'hémicycle et ils ne sont pas majoritaires sur cette question dans le pays. Les sondages le montrent.

Le Journal du Dimanche : Cet « incident » n'est-il pas la marque d'une réticence, voire d'une hostilité de la part de députés socialistes à ce projet ?

Élisabeth Guigou : Je ne le pense pas. Les députés sont convaincus qu'il faut faire quelque chose. Il y a près de 5 millions de personnes qui vivent en couple sans être mariées. Ce matin encore, j'ai reçu une lettre d'une vieille dame de Nice qui m'explique sa situation dramatique depuis la mort de son concubin. Ce sont les homosexuels qui ont révélé ces situations, du fait du sida. À la mort de l'un, l'autre, qui venait de traverser une dure épreuve, se retrouvait expulsé de son appartement sans avoir même le droit de venir aux obsèques. De nombreux jeunes commencent par cohabiter ; d'autres, divorcés ou âgés, veulent rompre leur solitude. Quand ces situations deviennent un fait social d'importance, ni le droit ni l'État ne peuvent l'ignorer. Ce serait lâcheté. Il n'empêche qu'il faut prendre des précautions vis-à-vis du mariage. Car le PACS est un contrat qui donne des droits précis en contrepartie d'un engagement strictement défini. Le mariage est célébré à la mairie, le PACS enregistré à la préfecture. Cela n'ouvre pas droit à l'adoption, ni au mariage homosexuel.

Le Journal du Dimanche : Le rapporteur du texte, Jean-Pierre Michel, milite pourtant pour le droit à l'adoption pour les homosexuels…

Élisabeth Guigou : Jean-Pierre Michel a le droit de dire son opinion personnelle. En tant que rapporteur de la proposition de loi, il n'a pas développé cette idée au cours du débat. Je rappelle que cette opinion est minoritaire même chez les homosexuels. Je ne comprends pas la mauvaise foi de ceux qui disent que le PACS est un premier pas vers l'adoption. Ni le gouvernement ni la majorité n'ont proposé d'aller dans ce sens. C'est un sujet sur lequel il y a beaucoup de confusion mentale. Il est évident que les homosexuels peuvent élever des enfants et les aimer. Mais on doit se placer du point de vue de l'enfant. Pour structurer sa personnalité, construire son identité, tous le disent – anthropologues, psychanalystes, etc. –, un enfant a besoin de deux parents de sexe différent.

Le Journal du Dimanche : Que pensez-vous de la proposition de Robert Badinter de supprimer toute distinction d'ordre sexuel dans le code civil concernant les concubins ?

Élisabeth Guigou : Je connais cette proposition. Elle est proche de celle de la sociologue Irène Théry à qui j'ai demandé un rapport. Elle dit : reconnaissons l'état de concubinage au bout d'une certain nombre d'années et donnons aux concubins des droits, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Nous refusons cette thèse, car cela reviendrait à créer un statut du concubinage très proche du mariage. Une autre proposition émane du professeur Jean Hauser qui m'a remis un rapport commandé par Jacques Toubon – preuve que le gouvernement précédent voulait répondre à ces problèmes – et propose de régler la question sur le plan de la gestion des biens matériels, comme un contrat de droit commun, sans intégrer l'aspect vie commune. C'était la porte ouverte à toutes sortes de fraudes et de terribles dérives. Voilà pourquoi les députés ont proposé le PACS sur lequel nous travaillons, avec eux, depuis juillet 1997. Il était important, en effet, que la majorité présente un texte acceptable pour le gouvernement.

Le Journal du Dimanche : Tout de même, ne pouvait-on pas, comme le préconisent certains à droite, aménager la législation existante ?

Élisabeth Guigou : Comment osent-ils le dire ? C'est de l'hypocrisie ! Finalement cet incident va permettre de révéler la vraie nature de l'opposition de droite. Je suis encore plus résolue à défendre ce texte. Je vais dénoncer l'attitude de certains députés donneurs de leçons, et qui n'ont pas lu le texte. Ainsi Monsieur Sarkozy qui veut ouvrir le PACS à 4, 5 ou 6 personnes. Et le risque de polygamie et les sectes ? Y a-t-il pensé ? Je vais leur répondre. Moi, je ne « mégote » jamais. Quand j'ai quelque chose à défendre, je le défends. Je ne supporte pas la lâcheté de ceux qui, à droite, ont peur de passer pour des ringards et font dire au texte ce qu'il ne dit pas.

Le Journal du Dimanche : Des députés de gauche comme de droite voudraient voir le PACS étendu aux fratries, vous n'y semblez pas favorable.

Élisabeth Guigou : Il y a, c'est vrai, un problème. Il faut le traiter, mais sans nuire à la cohérence du texte. Quand on parle de vie commune, on a raison d'exclure la relation parents-enfants, frères-soeurs, qui peut donner lieu à une interprétation incestueuse. Mais on peut envisager un article spécifique. Dans des conditions bien particulières, les frères et soeurs pourraient avoir accès à une partie des droits prévus par le PACS. Nous allons trouver une solution. Mais ce texte est fait majoritairement pour des personnes qui vivent dans une situation de couple et pour des gens qui veulent rompre leur solitude.

Le Journal du Dimanche : Philippe Séguin vous reproche d'avoir choisi une proposition de loi – initiative parlementaire – plutôt qu'un projet de loi – initiative gouvernementale – jugeant que le texte aurait été mieux ficelé.

Élisabeth Guigou : Ce texte a une histoire. Depuis dix ans, sept propositions de loi ont été déposées émanant de tous les groupes de la gauche. Les parlementaires ont donc beaucoup travaillé sur le sujet. Je trouve paradoxal et choquant que quelqu'un qui a été président de l'Assemblée dénigre le travail parlementaire. C'est une argutie pour faire oublier l'embarras de la droite sur le sujet. Je n'ai pas entendu Séguin dire un mot de fond sur la question, alors qu'il est tout de même président du RPR. En fait, je n'ai entendu aucun argument à droite, à part Jean-François Mattei qui a reconnu la réalité du problème. Les autres n'ont joué que sur les peurs, c'est croire que les Français ne comprennent rien. Quand je pense à Madame Boutin, brandissant son missel dans l'hémicycle, c'est guignol !

Le Journal du Dimanche : Vous fustigez la droite, mais l'échec, c'est d'abord celui de Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS, et de Daniel Vaillant, le ministre des relations avec le Parlement !

Élisabeth Guigou : Qu'on ne compte pas sur moi pour dénigrer mes amis. Je leur fais confiance pour tirer toutes les leçons de ce qui s'est passé. C'est un incident regrettable que nous allons utiliser pour une mobilisation encore plus forte. Aujourd'hui, je suis en colère contre l'hypocrisie et la lâcheté.

Le Journal du Dimanche : N'avez-vous pas fait de ce débat un combat droite-gauche, les ringards contre les modernes ?

Élisabeth Guigou : Roselyne Bachelot est là pour démontrer qu'il y a des gens de droite qui sont capables d'assumer des décisions courageuses. On ne peut pas réduire le PACS à un combat droite-gauche. Je n'en fais pas une affaire idéologique. Il s'agit de régler des problèmes concrets et d'aider plusieurs millions de personnes à mieux vivre. Voilà pourquoi je suis encore plus déterminée à défendre ce texte !