Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué et président de la commission économique du MEDEF, à Radio Classique le 7 novembre 1998, sur la mise en oeuvre du "programme de Strasbourg", la rénovation de l'organisation patronale, l'amélioration de sa représentativité et du dialogue interprofessionnel, le soutien à la création et au financement des entreprises, les charges de l'entreprise, le régime fiscal de l'assurance vie.

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Média : Emission Questions sociales - Radio Classique

Texte intégral

GERARD BONOS : Denis Kessler, bonjour.

DENIS KESSLER : Bonjour.

GERARD BONOS : « Entreprendre », selon le dictionnaire Robert, c'est « se mettre à faire ». En cette occurrence, peut-on dire « se mettre à refaire » ? Refaire un monde de l'entreprise qui, à l'instar des autres domaines, doit faire face à la complexité d'une planète sans repères évidents ? Une mutation entre incertitude et ras-le-bol. Dans ces conditions, tant psychologiques qu'économiques, comment faire en sorte que l'avion France puisse décoller franchement ? Pour l'heure, à chaque fois que des signes positifs s'installent, une bulle financière ou l'impéritie de tel ou tel dirigeant à l'autre tout de la planète vient nous rappeler la fragilité de nos espérances. Est-ce à dire, monsieur Kessler, qu'il nous faudra désormais vivre avec un ciel économique où les rayons de soleil, si courageux soient-ils, doivent se battre en permanence pour exister face à de gros nuages ? Dans ce contexte, qu'est-ce que le MEDEF va offrir que le CNPF ne pouvait donner ? Comment trouver des pistes de prospérité différentes de celles que nous avons jusqu'alors explorées ? Difficile, tant on a le sentiment d'avoir tout essayé, et tel un poisson dans son bocal, on a l'impression de tourner en rond. Je vous propose donc de faire un vaste tour d'horizon économique, de la réduction de la taxe professionnelle, à la baisse des charges sur les bas salaires, en passant par les 35 heures ou les emplois-jeunes. Ce sont autant de dossiers sur lesquels nous nous arrêterons si vous le voulez bien. Parler également de votre secteur, on l'a entendu, celui des assurances, un secteur qui a connu quelques remous, notamment dans sa dimension épargne, puisqu'il n'a pas échappé au gouvernement, en quête de quelques rentrées fiscales, qu'il y a avait là du grain à moudre, ce qui a provoqué des tensions entre vos membres et les pouvoirs publics, tensions qui ont atteint leur apogée avec la fiscalité sur l'assurance-vie et la possible rétroactivité des mesures annoncées lors de la dernière loi de Finances. Et puis on parlera bien sûr conjoncture mondiale, car là aussi, ce ne sont pas les points d'interrogation qui manquent. Alors, présents dans ce studio pour vous interroger, Edwige Chevrillon, L'EXPANSION, Renaud Belleville, LES ECHOS. Jean-Francois Couvrat. LA TRIBUNE. Christine Kardellant. L'ENTREPRISE, Véronique Maurus, LE MONDE, et Pierre Zapalski, RADIO CLASSIQUE. Je leur passe la parole dans un instant. Monsieur Kessler, auparavant, MEDEF à la place de CNPF, c'est quoi ? C'est symbolique le fait qu'on veuille mettre le mot entrepreneur en avant ?

DENIS KESSLER : Oui, c'est symbolique. Mais c'est surtout la trace d'un profond changement de l'organisation représentative des entreprises. Nous avons changé de statuts, nous avons affiché une nouvelle orientation, un nouveau programme, nous avons changé de nom, et surtout, nous allons maintenant prouver que ce que nous voulons faire, eh bien nous l'obtiendrons.

PIERRE ZAPALSKI : Est-ce que ce changement signifie que vous allez vous rapprocher davantage des entreprises ? C'est une critique qui avait été faite au CNPF, à savoir que l'entreprise était loin de la rue Pierre Ier de Serbie.

DENIS KESSLER : Notre intention est, bien entendu, de prouver que, désormais, le. MEDEF sera l'écho sonore des entreprises françaises, de toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, mais aussi quel que soit leur secteur d'activité. Nous souhaitons pourvoir exprimer haut et fort ce que souhaitent les entreprises émergentes, les nouvelles entreprises, les entreprises de high-tech, les entreprises anciennes, les entreprises à taille régionale, à taille locale, à taille nationale, à taille européenne, à taille mondiale... Ce que nous souhaitons faire, c'est de montrer qu'il est nécessaire qu'en France, existe une organisation représentative des entreprises, pour qu'elles participent au débat et que l'on puisse faire entendre la voix du secteur productif. Je trouve que c'est une ambition très haute et Ernest-Antoine Seillière et moi-même, nous sommes très heureux de voir l'écho que cette réforme a suscité dans le pays et de voir le soutien très très fort qui nous est apporté à l'heure actuelle par les entreprises.

PIERRE ZAPALSKI : On souligne souvent le soutien des PME, mais ça ce sont des actes. Autre symbole : on dit aussi que le MEDEF va organiser le déménagement du CNPF.

DENIS KESSLER : Vous êtes bien informé monsieur Zapalski. Dans nos intentions, il y a effectivement la possibilité de déménager de l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie. C'est un projet qui n'est pas, à l'heure actuelle, au stade de la réalisation, de façon même que la connotation, l'organisation de l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie disparaisse. Nous ne renions pas notre passé. Je crois que c'est très important, voyez. Nous avons, et tous ceux qui ont animé le CNPF – moi-même j'y suis depuis maintenant 9 ans -, tous les présidents et tous les membres du Conseil Exécutif auparavant, eh bien, nous ne renions pas ce que nous avons fait dans une conjoncture sociale, politique, économique, donnée. Mais le monde a tellement changé qu'il nous semble qu'il y avait cette adaptation nécessaire face à l'euro, aux technologies, à la mondialisation, à la globalisation, à la privatisation, et surtout les modifications mêmes, par exemple, du salariat. Et nous espérons que d'autres organisations en France, qui sont nées en même temps que nous, c'est-à-dire au lendemain de la guerre, connaîtront des évolutions aussi radicales. Nous attendons de ce vaste mouvement de réforme, bien entendu, une rénovation du discours, une rénovation du dialogue, et peut-être la possibilité de converger vers des solutions plus rapidement.

CHRISTINE KARDELLANT : La rengaine sur le fait que le CNPF va se rapprocher des PME, j'ai l'impression de l'avoir entendue vraiment très très souvent, à chaque renouvellement de bureau. Qu'est-ce qui peut changer vraiment ? Comment est-ce qu'on peut faire changer vraiment l'attitude en fait des dirigeants du CNPF face aux entreprises inconnues, anonymes et provinciales ?

DENIS KESSLER : Alors, nous ne parlerons plus du CNPF, mais du MEDEF...

GERARD BONOS : ... Laissez-nous le temps de nous y habituer un peu monsieur Kessler...

DENIS KESSLER : .... Je vous laisse le temps. Moi-même d'ailleurs, voyez, j'ai mis un petit carton en face de moi pour me rappeler qu'il ne faut pas que je me trompe...

GERARD BONOS : ... Il y a marqué MEDEF sur ce carton, sur ce petit bristol...

DENIS KESSLER : ... Car le tropisme est de temps en temps suffisamment fort pour que l'on oublie ce nouveau nom. Donc le MEDEF a la ferme intention de rester très étroitement en contact avec l'ensemble des entreprises. D'abord parce que les solutions que nous proposons sont donc des solutions, comme vous l'avez remarqué, qui sont des solutions très micro-économiques, très proches de l'entreprise. Pour ceux qui ont vu le résultat ou lu le résultat de tous nos forums régionaux et qui ont préparé Strasbourg, vous aurez sans doute été surpris par le fait que nous ne proposons pas de grandes idées, mais une multitude de petites idées. Notre sentiment, à Ernest-Antoine Seillière et à toute l'équipe du MEDEF, c'est qu'en France, pour faire avancer la situation, il faut trouver des tas de solutions à des tas de petits problèmes. C'est ce que j'appelle l'ère des micro-solutions. Il faut desserrer tous les écrous qui, à des niveaux très décentralisés, sont ceux qui bloquent l'initiative, la croissance, la création de richesses, l'expansion, l'emploi. Donc notre approche est une approche en fait d'entreprise. Et dans l'évolution, si vous voulez, des grands débats en France, vraiment nous nous positionnons d'une manière tout-à-fait nouvelle. Ecoutez, jusqu'à présent, on avait toujours l'art des grands débats en France. Le grand débat, c'était le déficit tire la croissance, quel était le montant du déficit qui permettait de résoudre le problème du chômage. Nous avions de grands débats sur la valeur de la monnaie : faut-il dévaluer ou pas ou s'accrocher au franc fort. Nous avions des énormes débats sur l’inflation : est-elle nécessaire pour retrouver des équilibres ou faut-il vraiment lutter contre l'inflation. Nous avons eu un grand débat - le seul pays au monde – sur les 35 heures, une solution magique pour tout le monde qui permettrait de résoudre le problème du chômage. Nous nous inscrivons radicalement contre cette approche dans laquelle on trouverait des solutions magiques au problème lancinant qui est la faible croissance de la France et le maintien d'un taux de chômage élevé. Et nous avons, au contraire, une approche tout-à-fait différente, très proche justement de ce que souhaitent les entreprises : comment, dans tous les domaines, essayer de trouver des micro-solutions pour favoriser la recherche et le développement, pour améliorer les dépôts de brevets, pour favoriser l'investissement des entreprises, pour développer la capacité d'expansion des PME, pour faire en sorte que la fiscalité locale n'ait pas des effets pervers sur telle ou telle décision. Vous voyez, donc, une approche radicalement différente. Et c'est peut-être parce que nous avons choisi ce terrain qui est celui des entreprises, que nous avons autant d'écho.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT: Oui, je voudrais poser la question un peu autrement. Qu'est ce qui n'allait pas au CNPF ? Et puis, j'ai une petite annexe : quand vous allez déménager ? Est-ce que cela va se traduire par une réduction des effectifs de l'organisation patronale ?

DENIS KESSLER : Alors, quand on dit « ce qui n'allait pas au CNPF », je vous ai dit que nous étions un peu prisonniers du type de débats que nous avions en France et que je viens de résumer, dans lesquels les approches en
 France sont toujours des approches très globales. C'est notre forme d'esprit, à l'inverse d'autres pays où l'on accepte de porter des micro-débats et de défendre des micro-solutions. On a toujours la volonté en France de trouver des solutions universelles. Et d'ailleurs, quand on les trouve, on souhaite que le monde entier les adopte, ce qui montre que, vraiment, cette espèce de tentation globalisante dépasse les frontières. Et, à l'heure actuelle, vous voyez bien qu'il faudrait que l'Europe adopte nos solutions et que, derrière, le monde entier le fasse. Je ne sais pas pour quelle raison, mais depuis la Révolution française, notre souci d'universalisme nous conduit à ne jamais vouloir trouver des solutions très concrètes. Comment enseigner, en 1998, à un écolier les choses qui lui permettront de trouver un travail, me semble une vraie question qui mérite que l'on réfléchisse très attentivement à la nature de la pédagogie et non pas des développements abstraits sur l'éducation. Donc, voilà notre approche. Alors, vous allez me dire : qu'est-ce qui se passait mal au CNPF ? J'allais dire, le CNPF a été pris dans tous ces débats très politiques et très macro-économiques au cours des années passées, ou macro-sociaux. Nous souhaitons maintenant changer notre approche. Alors, un exemple pour être très précis : nous ne croyons pas vraiment que le niveau national soit propice au dialogue social. Voilà un exemple. Et ce qu'Ernest-Antoine Seillière a dit de manière très claire à Strasbourg, c'est qu'il nous semble que le dialogue interprofessionnel, qui était très en vigueur dans les années 60, 70 et en partie dans les années 80, qui a été revivifié au milieu des années 90 – en 1995 par exemple —, eh bien ce dialogue social au niveau national n'est pas bon, n'a pas de débouchés sur des solutions. Qu'est-ce que nous disons ? Il faut décentraliser le dialogue social, soit au niveau de la branche qui rassemble les gens par métier, mais surtout au niveau de l'entreprise, voire même de l'établissement. Parce que dans les grandes entreprises, il faut regarder à un niveau encore plus décentralisé que l'entreprise elle-même. Donc, voilà ce qui est clair, voilà l'orientation que nous avons donnée. Ce qui n'est pas de dire : nous ne souhaitons pas de dialogue social alors qu'auparavant nous y étions favorables, non. Nous espérons que, désormais, le dialogue social se tienne à l'endroit où il doit se tenir prioritairement : l'entreprise, accessoirement la branche et vraiment de manière tout-à-fait exceptionnelle au niveau national, et de manière encore plus exceptionnelle au niveau européen.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Et sur les effectifs du CNPF ?

DENIS KESSLER : Alors, les effectifs du CNPF sont extrêmement limités, le budget également. Il faut savoir que le budget du CNPF, de mémoire, doit être de l'ordre de 120 millions de francs, ce qui est le budget d'une sous-préfecture de province. Et les effectifs sont de l'ordre de 150 personnes, ce qui est, encore une fois, une toute petite organisation. Nous ne souhaitons pas l'accroissement de cette organisation. Ce que nous souhaitons, c'est l'accroissement de son efficacité. La chance que nous avons, à l'heure actuelle, c'est l'avoir en fait des relais -160 - sur tout le territoire. C'est, au niveau départemental, des gens qui décident de se regrouper pour pouvoir faire avancer les dossiers. Et ce que nous avons décidé, c'est la mise en tension, mise sous tension plutôt, de ce réseau territorial. Et par exemple, nous allons lancer dans une semaine un projet qui est un intra-web, qui sera un réseau fermé, à destination de toutes les fédérations et de tous les MEDEF territoriaux. Et sur ce web qui sera interactif, chacun pourra poser des questions, être informé en temps réel, on pourra aller consulter sur les grandes questions. Voilà un exemple de rapprochement du monde de l'entreprise de façon à ce que nous soyons toujours en liaison, non seulement en liaison, mais j'allais dire en: connivence, avec ceux qui se regroupent derrière nous. J'ajoute que la décision d'élargir le Conseil Exécutif pour intégrer davantage de représentants des unions territoriales va dans le même sens. Oui, nous souhaitons être en liaison étroite avec toutes les entreprises de France.

VERONIQUE MAURUS : Le fonctionnement du CNPF a été longtemps dominé par quelques grandes fédérations, comme l'UIMM, qui représentaient des très grandes entreprises. Est-ce que ce que vous venez de nous dire signifie que le poids de ces grandes entreprises et de ces grandes fédérations va disparaître ? Quid de l’UIMM ?
 
DENIS KESSLER : Madame Maurus, vous avez raison, vous savez, la représentation institutionnelle en France, comme dans les autres pays, fait que ce sont sans doute les professions les plus anciennes qui ont davantage de poids que ce qu'on appelle les professions émergeantes. Et il y a toujours un retard dans les institutions pour la traduction de cette représentation, mais c'est une loi générale. Quand vous regardez même les différentes institutions de la République, vous constatez que le poids de certains groupes sociaux qui, historiquement, était très important, reste important alors que l'on a du mal à faire émerger la représentation des groupes nouveaux. Or nous en avons conscience. C'est la raison pour laquelle nous avons dit, vraiment de manière très très claire, à Strasbourg que nous souhaitions que le MEDEF représente toutes les forces, mais surtout les forces économiques émergeantes. Les services, par exemple, les entreprises de high-tech, les Pme en création... tout ceux-ci, nous souhaitons que, désormais, ils se sentent bien dans la maison que nous sommes en train de construire. Alors, vous allez me dire : quid des autres groupes ? Bien entendu, ils sont les bienvenus. Au contraire ce sont des groupes extrêmement importants, je veux dire les industries. Mais nous avons souhaité, justement, en renforçant le pouvoir des unions territoriales dans le Conseil Exécutif, nous avons également souhaité que, dans les financements, les nouveaux secteurs participent davantage au financement du MEDEF. Tout ceci, encore une fois, pour être le plus proche possible de la structure économique et sociale actuelle. Mais c'est un travail permanent, pour être sûr que tel soit le cas. Donc, votre question est tout-à-fait pertinente. Nous réussirons au MEDEF si nous arrivons à vraiment exprimer le tissu économique et social tel qu'à l'heure actuelle il l'est, constitué tel qu'il se constitue. Si nous n'y parvenons pas, nous n'aurons pas fait l’oeuvre de modernisation que nous souhaitions.

VERONIQUE MAURUS : Il faut enterrer définitivement les maîtres des Forges, c'est ça ?

GERARD BONOS : On va faire une première pause.

Première pause publicitaire.

RENAUD BELLEVILLE : Concrètement, au-delà du changement de sigle et du fait qu'il y a maintenant le terme « entreprise » qui n'apparaissait pas auparavant, quelles actions précises vous allez lancer et quelle durée de temps vous vous donnez pour que le MEDEF apparaisse comme représentatif de l'ensemble des entreprises françaises et pas seulement, comme on le reprochait parfois au CNPF, comme le représentant des grandes entreprises ? Et puis, petite question annexe, le terme de « patron » et le mot de « patronat » est-ce que c'était vraiment quelque chose de honteux et de péjoratif et qu'il fallait à tout prix le supprimer ?

DENIS KESSLER : On va commencer par cet aspect-là des choses. Nous n'avons pas supprimé le mot « patron », tout simplement parce qu'il ne figurait pas dans le titre de notre organisation. Et je considère pour ma part que le mot « patron » n'est pas honteux en soi. Il est d'ailleurs utilisé dans quantité de domaines de manière pas pourquoi nous souhaiterions que le mot « patron » disparaisse du langage en France. Non, ce qui a été supprimé, c'est « patronat », « a », « t ». C'est l'organisation représentative des entreprises. Alors, pourquoi appeler patronat quelque chose qui est l'organisation représentative des entreprises ? Et vous voyez bien qu'il y avait une connotation très négative dans patronat. D'ailleurs, toutes vos questions depuis le début, mesdames et messieurs, montrent la connotation justement très négative de ce que vous avez en tête lorsque l'on parle du patronat en tant que tel. Et nous avons justement souhaité montrer que nous ne voulions plus de cette représentation institutionnelle mais que nous voulions montrer qu'une organisation nouvelle pouvait exister, dans laquelle on met en avant des hommes et des femmes — c'est ce que nous appelons les entrepreneurs, très présents dans l'ensemble de nos discours et dans le discours d'Ernest-Antoine Seillière à Strasbourg —, des entrepreneurs, c'est-à-dire des gens qui prennent des risques, qui acceptent des responsabilités dans des organisations, qui prennent des risques, qui acceptent des responsabilités dans des organisations, qui acceptent de mobiliser des capitaux, d'organiser des équipes. Et de l'autre côté, nous avons souhaité donc appeler ça un « mouvement des entreprises » pour donner la dynamique et indiquer que l'entreprise était l'alpha et l'oméga de ce que nous souhaitions représenter. Donc, « patronat » disparaît, mais pas « patron ». « Patron » est un terme qui peut être utilisé par tous ceux qui considèrent qu'il doit l'être.

GERARD BONOS : Alors, ça, c'était la réponse à la petite question de Renaud Belleville. Réponse à la grande.

DENIS KESSLER : Sur ce que nous allons faire ? Bien entendu, nous avons une Assemblée Générale mi-décembre dans laquelle le programme de Strasbourg, qui est programme qui était plutôt une vision, un projet, va être décliné pour l'année 1999. Et toute une série d'actions sont envisagées pour montrer comment nous allons désormais transformer en actes, en chair, le verbe strasbourgeois. Exemple, je peux vous donner une des opérations qui sera proposée
 à nos instances qui sera une mobilisation générale des entreprises autour du problème de l'an 2000. C'est un problème considérable qui affecte toutes les entreprises de France. Il affecte les petites, les moyennes, les grandes, tous les secteurs. Mais il a aussi des conséquences en chaîne puisque si une entreprise est concernée, elle peut être un fournisseur d'une entreprise qui subira des dommages en aval. Ça peut concerner certaines parties de l'entreprise, bref. Et vous voyez bien que c'est problème majeur. Nous considérons qu'il y a là sans doute pour le MEDEF une occasion de montrer que nous pouvons, sur ce thème, être d'un grand concours pour que toutes les entreprises soient informées de ce problème majeur qui les concerne, et de voir les solutions, bien entendu, qu'on peut apporter en matière de prévention, et puis surtout en matière, après, de survie lorsque l'an 2000 approchant, les difficultés pourraient apparaître. Donc, voilà un thème dans lequel le MEDEF sera appelé à jouer un nouveau rôle. Et on voit bien, encore une fois, l'intérêt d'utiliser toutes les unions territoriales de façon à concerner le maximum d'entreprises. Voilà un thème.

CHRISTINE KARDELLANT : Vous l'avez dit tout à l'heure, le MEDEF veut remettre les entreprises et les entrepreneurs à l'honneur. Mais alors, vous, votre seule expérience d'entrepreneur, je crois que c'est d'avoir ouvert un restaurant à la sortie d’HEC avec des copains de promo, dont Eric Izraelewicz, journaliste au MONDE. Et ça c'est terminé, je crois, par un dépôt de bilan. Ensuite, plus récemment, vous êtes allé chez AXA. On a pensé que vous alliez succéder à l'entrepreneur Claude Bébéar, et puis finalement, vous en êtes ressorti. Pour revenir à la FFSA. Alors, est-ce que vous vous sentez vraiment un entrepreneur ? Et est-ce que vous vous sentez légitime pour les représenter ?

DENIS KESSLER : Alors, à cette question, il ne faut pas croire tout ce qu'il y a dans la presse, madame Kardellant. Je n'ai jamais fait faillite avec ce restaurant. Ça fait partie de ces mythes, très pratiques pour démolir...

CHRISTINE KARDELLANT : ... C'est Eric lui-même qui m'a dit que ça c'était cassé la figure.

DENIS KESSLER : Ceci est entièrement faux...

GERARD BONOS :... Il a fait faillite et pas vous...

DENIS KESSLER :... Je vais même vous donner un scoop : on l'a revendu 4 fois son prix d'achat au bout de 5 ans. Mais ça fait partie de ce mythe, c'est pratique...

CHRISTINE KARDELLANT : …  C'est lui-même...

VERONIQUE MAURUS :... Eric me l'avait aussi raconté de la même façon...

DENIS KESSLER :... Ecoutez, il faudra que vous le revoyiez...

VERONIQUE MAUKUS : ... Oh, mais je le vois tous les jours...

GERARD BONOS : ... Laissez répondre Denis Kessler...

DENIS KESSLER :... Donc, je veux dire ce restaurant n'a jamais fait faillite. Ce restaurant a été revendu, il a été revendu, je dis bien encore une fois, 4 fois son prix d'achat. Et je vous rappelle aussi que c'était un investissement puisque nous étions 5 larrons et amis à le faire, et qu'à ma connaissance, je n'en étais ni gérant ni cuisinier. Vous voyez. Donc, on peut m'apporter beaucoup de responsabilités, mais enfin, appeler ça une expérience d'entrepreneur, si vous me le permettez, c'est comme quelqu'un qui aurait investi dans une action et qui considère que l'action a éventuellement augmenté ou baissé sans qu'il ait vraiment la responsabilité de l'avoir fait augmenter ou baisser. Donc, voilà une première légende tenace, si vous me permettez d'être sur ce point extrêmement précis. Alors, sur le second point, vous pouvez porter le jugement que vous souhaitez sur mon passage à AXA. Moi, en ce qui me concerne, ça été un passage qui m'a appris quantité de choses. J'étais en charge uniquement de problèmes et de dossiers à l'étranger puisque j'avais 5 continents. Ce qui me conduisait à consacrer plus de 50 % de mon temps dans des voyages aux 4 coins de la planète puisque j'avais 5 continents et plus de 60 pays - 56 pays exactement - pour occuper mon temps, figurez-vous, je continuais à m'occuper de l'ex-CNPF devenu MEDEF. Ce qui fait que vous me voyiez aussi à l'époque dans des dossiers aussi compliqués que les 35 heures ou tous les autres dossiers lors du changement de gouvernement. Eh bien, le choix qui a été fait, c'était de retourner à la Fédération Française des Sociétés d'Assurances où j'ai eu le plaisir d'être élu par des entrepreneurs, et j'ai aussi décidé de m'investir pleinement dans le CNPF puis le MEDEF. Et là, j'ai le plaisir d'avoir été élu par des entrepreneurs. Donc, si vous me permettez, ma légitimité vient des élections de gens qui acceptent de me porter dans leurs instances à des postes de responsabilité, et je considère que le fais avec beaucoup de plaisir et j'espère avec quelque efficacité.

VERONIQUE MAURUS : Moi, je voudrais savoir comment vous allez faire, comment va faire le MEDEF, pour intégrer les micro-entreprises, c'est-à-dire les entreprises unipersonnelles. Il y a énormément de gens, c'est comme ça que s'est fait la reprise...

GERARD BONOS : ...Ce que l'on appelle les « solo » aujourd'hui...

VERONIQUE MAURUS : .... la reprise aux Etats-Unis, c'est que tous les gens qui ont été licenciés ou qui sont sortis volontairement des grandes entreprises qui continuent à dégraisser, ont créé leur propre boîte. Ça commence à venir en France, il y en a énormément. Comment est-ce que vous faites, concrètement pour essayer... vous ne les touchez pas ces gens-là, la plupart du temps, ils sont complètement hors cadre, et il en a de plus en plus.

DENIS KESSLER : Ecoutez, la préoccupation d'un créateur d'entreprise n'est pas immédiatement de...

VERONIQUE MAURUS : ... Non, non...

DENIS KESSLER : ... de consacrer du temps à l'organisation professionnelle, territoriale...

VERONIQUE MAURUS : ... Non, c'est clair, il n'a pas le temps...

DENIS KESSLER : ... A laquelle il appartient. Première chose que fait malheureusement un créateur d'entreprise en France, c'est de recevoir les organismes sociaux qui viennent chercher des cotisations, alors qu'il n'a pas commencé à produire. Donc, on est quand même dans un drôle de pays, dans lequel, lorsqu'un entrepreneur décide de rassembler quelques capitaux, de mobiliser sa propre épargne, éventuellement de s'endetter, que ses fonds propres sont immédiatement mangés par les cotisations sociales diverses et variées...

VERONIQUE MAURUS : ... S'il est tout seul, ce n'est pas le cas...

DENIS KESSLER : ... Non, non, mais je veux dire, je parle d'un entrepreneur qui a un salarié, deux salariés et autres...
 
VERONIQUE MAURUS : ... Non, mais moi, je vous parle des gens qui créent, qui sont tout seuls pratiquement. Justement, dans le domaine des services, il y en a pas mal...

DENIS KESSLER :... Attendez, attendez, il y en a beaucoup qui sont tout seuls et qui commencent, et la première visite, je le maintiens, la première visite, c'est l'affiliation à une caisse de Sécurité sociale. Puis, la première année, on va payer sa taxe professionnelle, quand bien même on n'a pas commencé à produire. Nous, ce que nous souhaitons très honnêtement, on le dit avec beaucoup de force, c'est qu'il faut que tous ceux qui ont l'envie de créer des entreprises - qu'elles soient solo, un, deux, trois, quatre salariés - aient la possibilité de se consacrer entièrement à la création de cette entreprise, à la constitution des réseaux commerciaux, à la mise au point de la gestion. Alors que pour le moment, tel n'est pas le cas. Par exemple, nous avons toujours dit que si cette personne veut exercer son métier en respectant le code du Travail, il doit déjà consacrer les 2 premiers mois de son activité à le lire puisque la lecture du code du Travail prend deux mois. Alors, pendant ce temps-là, à ma connaissance, il ne pourra pas faire son activité qui consistera à produire, à rechercher les clients, à éventuellement mettre au point son produit. Donc nous sommes dans un environnement français qui est extrêmement peu favorable à la création d'entreprise. En plus, comme nous avons une culture dans laquelle, lorsque que, vous avez pu le voir dans la question précédente, on tente quelque chose et qu'on ne le réussit pas, ce qui n'est pas le cas mais enfin peu importe, c'est immédiat... On traîne ça comme quelque chose... c'est de l'infamie. Quand bien même les uns et les autres tentent, nous devrions avoir, et c'est ça sans doute la richesse d'une culture favorable à l'entreprise, on peut essayer une fois, on peut essayer deux fois, on essaye, et ça loupe, peu importe ! Il y aura toujours cette volonté de d'essayer de trouver, de monter une entreprise, de tester un produit, de mettre au point une innovation, de voir si ça marche dans tel ou tel secteur. Ça fait partie de ça. Mais comme nous avons une culture qui est vraiment tellement proche de la fonction publique, dans laquelle la réussite, c'est d'obtenir un poste à 20 ans à l'aide d'un diplôme et après de faire jouer les règles d'ancienneté en espérant que la retraite arrivera le plus tôt possible, je veux dire : non. Le MEDEF a clairement pris position et a affirmé ce que l'on appelle la priorité entrepreneuriale. Et donc, nous serons proches de tous les chefs d'entreprise, j'ai dit tout à l'heure des entrepreneurs, quelle que soit leur taille, et nous aurons à faire en sorte de faciliter la création d'entreprises, y compris lorsqu'il s'agit de personnes qui commencent toutes seules. Alors, c'est vrai dans le domaine de la technologie, un de nos vrais problèmes est le constat que nous faisons à l'heure actuelle : c'est que nous n'avons pas de bouillonnement entrepreneurial, comme on le constate dans d'autres pays, de gens qui décident sur la base d'une idée de prendre les risques et si ça marche tant mieux. Nous n'avons pas, j'allais dire encore une fois, cette volonté de la part de suffisamment de jeunes de se dire que le plaisir de la vie, que
 le succès, eh bien, c'est en fait de se lancer dans l'aventure de l'industrie, des services, l'aventure de l'entreprise.

VERONIQUE MAURUS : Moi, j'ai vu un certain nombre de cas concrets. Là, c'est un problème aussi de financement. Les banques françaises n'aident pas beaucoup les petits entrepreneurs individuels s'ils n'ont pas déjà du bien.

DENIS KESSLER : Nous avons proposé à Strasbourg, dans notre programme, que l'on mette au point des formules tirées de l'expérience américaine du Small Business Act. Ce n'est pas forcément les banques, c'est de gens qui acceptent de mettre du capital-risque. Mais quand vous savez que le montant du capital-risque en France représente à peu près 1/100e du déficit cumulé de la Sécurité sociale au cours de 3 dernières années, la France a un secret pour stériliser les ressources de cette Nation, non pas pour les orienter vers ceux qui veulent créer, qui veulent développer, qui veulent créer des entreprises, mais pour les stériliser dans des déficits publics ou dans des emplois collectifs dans la plupart du temps qui ne débouchent sur pas grand-chose. Je ne comprends pas, donc, dans ce cas-là, ce que nous avons souhaité à Strasbourg, c'est qu'on mette au point des formules très simples qui permettent la rencontre entre un investisseur personne physique et de l'autre côté, un entrepreneur personne physique de façon à ce que cette rencontre puisse être organisée et que tous les entrepreneurs qui veulent se lancer puissent trouver dans leur environnement immédiat, et non pas dans un fonds national ou dans une institution lointaine, mais dans leur environnement immédiat, des gens qui acceptent d'investir dans leur start-up, pour prendre un terme communément utilisé. Voilà une idée très simple. On déduit ça de ses impôts. Si ça réussit, on paiera un impôt sur les plus-values et non pas sur une autre assiette. Organisons la rencontre au niveau le plus décentralisé possible.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Il faut une aide fiscale pour faire ça ? C'est indispensable ? L'institution financière française ne peut pas aider, enfin, faire du capital-risque sans avoir une aide fiscale au bout ?

DENIS KESSLER : Vous ne m'avez pas écouté monsieur Couvrat, puisque que j'ai parlé de personnes physiques et non pas de personnes morales. Il s'agit d'organiser...

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : ... Mais pourquoi faut-il toujours associer une carotte fiscale, comme l'on dit, à des initiatives de ce genre ? Est-ce que c'est indispensable ?

DENIS KESSLER : C'est assez indispensable lorsque la plupart des investisseurs en question payent des taux d'imposition qui sont relativement élevés. Si on considère qu'il y a un véritable, à l'instar des Etats-Unis, intérêt pour la collectivité développent et créent des entreprises, je considère, pour ma part, que la déduction fiscale de personnes physiques qui décident d'investir dans le capital-risque et qui prennent le risque de tout perdre, je le rappelle, me semble absolument indispensable. Et tous les autres pays, y compris les plus libéraux, monsieur Couvrat, le font.

CHRISTINE KARDELLANT : Je crois que vous aviez raison tout à l'heure, quand vous disiez que, en France, on n'a pas le droit à l'échec, alors qu'aux Etats-Unis, ce sont autant de cicatrices qui vous donnent de l'expérience, qui vous permettent de réussir encore mieux ensuite. Alors, comment est-ce qu'on peut faire pour changer ça ? Est-ce qu'on peut réussir à changer cette culture à la française ?

DENIS KESSLER: Vous voyez, on a fait 7 forums régionaux sur des thèmes très divers : l'innovation, l'exportation, le développement... que sais-je encore. Eh bien, il n'y a pas eu un seul de ces 7 forums où le problème de la culture française n'ait pas été mentionné par les chefs d'entreprise qui participaient à ces forums. Et quel que soit le sujet, une des conclusions qui était tirée, c'est que nous avons un problème de culture. Oui, la réponse est oui. C'est la raison pour laquelle, dans notre projet, nous avons décidé de redonner la priorité à l'économie productive par rapport à l'économie publique ou à l'économie sociale, qui occupaient le devant de la scène, dans les discours, dans les mentalités, tout au long des années passées. Oui, nous disons avec beaucoup de force, qu'il faut que cette nation, qui a été une vieille nation industrielle dans laquelle l'industrie et le commerce étaient portés aux nues pendant quantité d'années, que cette Nation redevienne une terre propice à des activités de production, d'investissement, de développement, d'innovation et autres. Oui, nous avons un problème de culture. La manière de le résoudre, c'est de, comment dire, flamberge au vent, de faire ce que nous avons décidé de faire, c'est-à-dire de dire partout, dans tous les discours publics, dans tous les forums et dans tous les domaines, que ce pays ne résoudra pas les problèmes accumulés du passé si on ne replace pas l'entreprise au centre du village, si on ne revalorise pas le rôle des chefs d'entreprise, si on ne met pas en avant l'entreprise qui accepte le secteur de la concurrence, le jeu de la concurrence, si on ne valorise pas tous ceux qui participent, les salariés qui participent aux entreprises concurrentielles, qui acceptent l'exposition internationale. Voilà. Donc, comment faire pour changer la culture ? C'est une oeuvre de très longue haleine, mais nous avons décidé de le faire. Alors, un moyen, parce que vous allez me dire tout ça, c'est très abstrait. Une des propositions que nous avons faites à Strasbourg et que nous allons maintenant décliner : nous souhaitons absolument désormais nous intéresser de très près à l'éducation et à la formation. Si, à l'école, au lycée, que sais-je encore, à l'université, le modèle le plus formidable, c'est de réussir un concourt administratif pour s'abriter du marché du travail, nous considérons que... si, en plus, à l'école on n'apprend pas les compétences nécessaires pour participer à l'activité productive. Voilà, ce changement de culture passe très tôt. Nous avons décidé de nous investir, bien entendu suivant des modalités à définir, dans le domaine de l'éducation et de la formation.

Deuxième pause publicitaire.

PIERRE ZAPALSKI : Je voudrais que l'on revienne un petit peu aux lycéens, à l'école, l’Education nationale. Vous voulez soustraire le dossier des mains de Claude Allègre, et vous préférez financer ou aider les lycéens plutôt que financer la politique natale, c'est un petit peu le fond du débat ?

DENIS KESSLER : Non, non, je ne veux pas, ni moi ni Ernest-Antoine Seillière, retirer le dossier de l'éducation et de la formation à monsieur Allègre. De grâce, ne créez pas de polémique ! Ce que nous disons, c'est la chose suivante : je ne vois pas comment on peut se désintéresser de l'éducation et de la formation des nouvelles générations. Nous avons mis l'accent sur ce que l'on appelle l'approche compétences. Nous considérons qu'il y a une nécessité historique pour faire en sorte que les jeunes générations soient formées pour acquérir des compétences qui leur seront utiles pour exercer les métiers d'aujourd'hui et surtout les métiers de demain, Comment pouvoir rapprocher et améliorer l'employabilité des jeunes si l'entreprise ne dit pas ce qu'elle perçoit comme métier, comme contenu en métier aujourd'hui et demain. Don : nous ne voulons pas nous substituer en quoi que ce soit aux pouvoirs publics, nous souhaitons exercer, ce qui est tout-à-fait je crois dans la lignée du projet du MEDEF, nous voulons exercer l'influence absolument indispensable que les entreprises doivent avoir pour orienter les formations dans le sens attendu, et surtout dans l'intérêt des lycéens. Mais on m'a parlé d'un sondage sur les lycéens qui défilaient où 70 % d'entre eux à la question « qu'est-ce que vous voulez faire » répondaient : nous souhaitons être fonctionnaires. Même plus un métier, un statut ! Ils ne disaient pas je veux être professeur, ils ne disaient pas qu'ils voulaient être policiers ou douaniers... non, non, il n'y a même plus de métier. Nous souhaitons être fonctionnaires. C'est un statut, à ma connaissance, dont on ne voit pas très bien les compétences en tant que telles. Fonctionnaires. Et donc, comment expliquer, à l'heure actuelle, aux générations, et surtout comment leur montrer, que, en acquérant des compétences, ils pourront demain avoir la possibilité d'avoir des emplois qui correspondent, encore une fois à ce qui sera bon pour le pays et pour eux. Donc, voilà. Alors, vous allez me dire : selon quelles modalités ? Nous avons dit que nous voulons nous engager, nous investir. Nous avons même dit que ça pourrait être un des domaines de développement du paritarisme. Donc, vous voyez que nous allons très loin. Ça veut dire que nous avons mis en oeuvre un gros chantier et nous espérons pouvoir aboutir à des propositions concrètes le plus rapidement possible.

CHRISTINE KARDELLANT : Quand on interroge les entreprises, petites, grandes ou solos d'ailleurs, leur obsession, c'est vraiment le problème des charges. Elles réclament depuis toujours la baisse des charges. Pendant ce temps-là, le gouvernement, les gouvernements successifs, chaque année, proposent des choses, des aides en tout genre, de tous les côtés et la baisse des charges, on ne la voit toujours pas venir. Alors, je sais que vous, vous faites partie au MEDEF de ceux qui le réclament régulièrement. Mais est-ce que ça ne devrait pas être un message, je dirais plus fort, unique : tout le monde sur ce thème-là, plutôt que de multiplier les propositions ou les réclamations.

DENIS KESSLER : Alors, nous avons fait une proposition pour aller très directement au but. La proposition, c'est une formidable simplification de tous les dispositifs nombreux et variés dont les effets d'ailleurs sont souvent contestables. Une proposition de création d'une franchise de charges pour les X premiers milliers de francs de salaire. Voilà
 une mesure d'une grande simplicité. Voilà une mesure qui s'applique à tous les secteurs. Voilà une mesure qui s'applique à tous les salariés. Evidemment, qui en bénéficieront les premiers ? Ce sont des gens qui seront peu qualifiés, à des niveaux de salaires peu élevés. Mais nous n'introduisons pas de distinction sectorielle, nous n'introduisons pas de distinction par taille d'entreprise. Pourquoi ? Parce que nous avons le sentiment que, là, nous avons un levier d'une très très très grande puissance, extrêmement simple, très lisible et j'allais dire : aussi bien le salarié que l'employeur saura exactement qui a droit à quoi. Parce que nous sommes dans une situation, à l'heure actuelle, où c'est tellement complexe que nous ne savons plus qui a droit à quoi. Si bien que, en fait, ceux qui en bénéficient, ce sont ceux qui connaissent les procédures, ce sont ceux qui savent comment, dans les X dispositifs existants d'aides à l'emploi, s'en sortir. Donc, voilà : une mesure très simple. Nous pensons que c'est un formidable levier que l'on veut mettre au point et qui sera favorable, encore une fois, au développement de l'emploi. Cette idée-là est d'ailleurs défendue par les économistes les plus compétents qui ont travaillé sur ces questions-là. Ça suppose, bien entendu, la suppression de quantité d'aides à l'emploi existantes, dont bien entendu nous souhaitons ça. Et nous sommes prêts à, donc, « acquitter » le coût de la disparition de nombreux dispositifs d'aides à l'emploi.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Réforme de la taxe professionnelle ou baisse des charges, il semble que le gouvernement, pour des raisons budgétaires, ait eu à choisir. Mais enfin, on dit que vous avez suggéré à Dominique Strauss-Kahn de commencer par la taxe professionnelle. Est-ce que vous le regrettez pour la baisse des charges ?

DENIS KESSLER : Alors, attendez, d'abord, commençons par un chiffre qui figure dans le rapport des Comptes de la Nation. Il y a un chiffre important : c'est les 55 milliards de francs de prélèvements supplémentaires payés par les entreprises au cours de ces deux dernières années, y compris les prélèvements dans la loi de Finances 1999. 55 milliards de francs ! Je peux affirmer avec force que c'est sans doute grâce à ces prélèvements que la France est arrivée à tenir les critères de Maastricht et à autoriser le passage à la monnaie unique. Ce sont les entreprises qui ont financé le passage à la monnaie unique et l'avènement de l'euro. 55 milliards de francs ! Donc, à partir de ce chiffre, qui est un chiffre officiel, je veux dire qu'il figure dans un document officiel, j'allais dire authentifié, vous comprendrez bien que les discours selon lesquels les entreprises françaises voient en permanence leurs charges allégées, ne tiennent pas. Là, je parle des charges fiscales...

JEAN-FRANCOIS COUVRAT :... mais ce n'était pas ma question.

DENIS KESSLER : Alors, nous avons souhaité qu'une réforme fiscale soit entreprise, justement, qui concerne toutes les entreprises. Vous m'avez bien entendu : toutes les entreprises. Et non pas certaines d'entre elles. C'est conforme à ce que nous avons dit tout à l’heure : le MEDEF doit défendre et promouvoir toutes les entreprises. Qu'est-ce qu'il y a de commun à toutes les entreprises françaises ? Elles payent la taxe professionnelle. Elles payent la taxe professionnelle. Enfin, sauf celles, bien entendu, dans les mouvements sociaux divers et variés, comme les Mutuelles 45 qui ne payent pas, mais je ne veux pas entrer dans ce débat-là. Elles payent la taxe professionnelle. Quel meilleur signal envoyer aux entreprises que de souhaiter la disparition de cet impôt dont les effets économiques est totalement perverse, puisque, je vous rappelle, la taxe professionnelle taxe l'embauche et l'emploi et taxe les investissements. C'est pour ça que le ministre de l’Economie et des Finances, je crois, a été fort sage de prévoir dans un premier temps la suppression de la partie salaire de la taxe professionnelle. Et nous avons souhaité, et nous souhaitons, que la totalité de la taxe professionnelle disparaisse parce que cet impôt est très peu propice, justement aux deux impératifs de la France : investir plus, embaucher plus. Donc, c'est la raison pour laquelle je crois que cette réforme est bienvenue. On aurait souhaité qu'elle aille plus rapidement. 5 ans pour réduire la partie salaire, c'est long. Mais nous aurions souhaité surtout qu'on affiche l'objectif ambitieux d'éradiquer cet impôt.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT: Et qu'est-ce qui vous a fait préférer la taxe professionnelle à la baisse des charges ?

DENIS KESSLER : On n'a pas préféré. Nous avons souhaité déjà que cette disposition soit prise et que ce signal soit envoyé aux entreprises. Alors, écoutez, le coût net, c'est 6 milliards de francs. Je vous ai dit à l'instant que les augmentations par ailleurs étaient de l'ordre de 55 milliards. Pour une fois, l'ascenseur redescend. Il redescend d’un palier alors qu'il a augmenté de, vous n'avez qu'à faire le calcul, de 10 étages. Bon, alors, c'est un signal important. Et vous parliez tout à l'heure de ce que l'on faisait pour les petites entreprises, voilà un signal qui va aller droit à leur coeur. Parce que la taxe professionnelle, pour un entrepreneur en France, c'est quelque chose qui est lourd et qui vient systématiquement, je dis bien indépendamment de la réussite de l'entreprise, frapper son compte d'exploitation. Qu'elle soit en difficulté ou pas, on acquitte la taxe professionnelle. Donc, maintenant, vous allez me dire : est-ce que ceci remplace la baisse des charges ? La réponse est non, bien entendu monsieur Couvrat. Nous souhaitons la baisse des charges. Nous le souhaitons parce que c'est un problème absolument clef de restauration de la situation de plein emploi en France. Nous l'avons dit selon des modalités très simples et très claires. Je ne vois pas ce qui empêche, à l'heure actuelle, d'avancer dans cette voie.

VERONIQUE MAURUS : Il y a quand même un paradoxe parce que vous nous dites que depuis deux ans, il y a eu 55 milliards de prélèvements supplémentaires payés par les entreprises. Or, justement, on a assisté, dans le même temps, à une reprise de la croissance, à une baisse du chômage. Alors, on pourrait, à la limite pour être un peu provocateur, penser qu'il faudrait alourdir les prélèvements pour faire baisser le chômage. C'est un peu paradoxal. Alors que précédemment, on avait baissé...

DENIS KESSLER : ... Ce n'est pas vraiment un raisonnement économique que vous tenez là madame Maurus...

VERONIQUE MAURUS : ... on avait baissé les charges et que le chômage s'était alourdi et que la croissance ne partait pas et que l'investissement s'était... Je veux dire : on a baissé pendant des années les charges des entreprises, l'investissement n'a jamais été aussi bas. Donc je ne suis pas sûre que le raisonnement tienne.

DENIS KESSLER: Oui, enfin, vous ne tenez pas un raisonnement économique...

VERONIQUE MAURUS : ... Non, mais c'est un constat.

DENIS KESSLER : ... La pluie et les ventes de parapluies... Bon, là, vous dites, grosso modo, que l'on a pu augmenter de 55 milliards les prélèvements et que ceci n'a pas d'effets. Ce qui permet, effectivement de vérifier que pendant cette période-là, comme tout le monde le sait, que le chômage a vraiment vraiment diminué. Vous avez pu vérifier qu'en ayant prélevé 55 milliards, nous avons une situation absolument extraordinaire en matière de dépôts de brevets en France, vous avez pu constater, pendant cette période on a pu augmenter de 55 milliards, les investissements qui ont augmenté aux Etats-Unis de l'ordre de 46 % depuis 1990 alors qu'ils ont augmenté à peu près de 2 % sur la même période en France. Si vous me dites qu'augmenter les prélèvements obligatoires, c'est favorable à la croissance et à l'emploi, je deviens... (inaudible)...

JEAN-FRANCOIS COUVRAT: ... Non, sur les entreprises...

DENIS KESSLER : Sur les entreprises, augmenter les prélèvements sur les entreprises, qu'ils soient fiscaux ou sociaux, c'est la meilleure manière à l'heure actuelle de dégrader leur compétitivité, d'affaiblir les entreprises de façon à ce qu'elles soient éventuellement acquises par des entreprises étrangères. C'est le meilleur moyen à l'heure actuelle pour les empêcher de procéder aux investissements absolument indispensables pour restaurer leur compétitivité. C'est la meilleure manière à l'heure actuelle pour, les accablant de charges, qu'elles cherchent à tout faire pour essayer...

VERONIQUE MAURUS : ... Les entreprises n'ont jamais fait autant de bénéfices...

DENIS KESSLER : ... Donc, là-dessus, écoutez, que ça soit clair. Un exemple, tiens : on dit sans arrêt que la flexibilité ou l'allégement des charges n'a pas eu d'effets. Si ! Si nous avons créé en un an 280 000 emplois, hors toutes 35 heures - il ne faudra pas les comptabiliser dans les 35 heures parce que pour le moment, je crois que la comptabilité des 35 heures, c'est 3 500 emplois -, si nous avons créé 280 000 emplois avec le taux de croissance que nous avons eu depuis un, c'est en partie parce qu'effectivement un certain nombre de dispositions ont été prises en matière de charges et en matière de flexibilité. Donc, oui la croissance est plus riche en emplois, et c'est la preuve que lorsqu'on allège les charges, ce qui a été fait depuis 1993, nous avons une croissance plus riche en emplois. Non, non, la démonstration est apportée...

VERONIQUE MAURUS : ... Mais vous venez de nous dire que depuis 2 ans, on les a alourdies de 55 milliards, alors...

DENIS KESSLER : ... Les charges fiscales madame...

VERONIQUE MAURUS : ... oui, j'entends bien...

DENIS KESSLER : ... 55 milliards, c'est les charges fiscales. J'ai dit que lorsqu'on allège les charges sociales, comme depuis 1993, nous avons une croissance plus riche en emplois. Donc, l'allégement des charges, mais attention, que ceci soit gagé par des
 diminutions de dépenses sociales et dépenses publiques parce qu'il est évident que nous ne croyons plus à ce que les allégements de charges non gagés perdurent, à condition qu'il y ait diminution des dépenses publiques et sociales, nous avons là, je crois, la possibilité de retrouver un taux de croissance beaucoup plus élevé que celui que nous avons eu en longue période en France.

Troisième pause publicitaire

RENAUD BELLEVILLE : L'Allemagne vient de réviser en baisse ses prévisions de croissance pour 1999 à 2 %, en Grande-Bretagne et en Italie, on s'attend aussi à une croissance moins forte. En France, le gouvernement maintient une prévision ou un objectif de 2,7 %. Est-ce que ce chiffre vous paraît optimiste, réaliste ou très optimiste ?

DENIS KESSLER : Il est optimiste. On souhaiterait qu'il y ait 2,7 %, il n'y a pas un entrepreneur de France qui se réjouirait de voir ce taux plus bas. Mais nous sommes réalistes, je crois qu'à l'heure actuelle, ce taux est trop élevé et nous tablons, en ce qui nous concerne, sur une croissance qui sera de l'ordre de 2,3 points, 2,4 points. Et encore, si les choses ne se dégradent pas. Moi je suis frappé de la détérioration du climat des affaires depuis deux mois, septembre et octobre. Les enquêtes le montrent, il y a vraiment une crise de moral importante chez les responsables d'entreprise. Et quand on parle, effectivement, du maintien du moral des ménages, on s'en réjouit parce que ceci soutient la consommation. Je rappelle quand même que quand vous regardez l'indicateur de manière fine, il y a davantage de pessimistes que d'optimistes puisque le solde des opinions des ménages sur leur situation reste négatif. Alors, certes, il s'est considérablement amélioré, mais nous n'avons pas du tout, ce que tout le monde oublie, les indicateurs de confiance que peuvent avoir d'autres pays au monde, tels les Etats-Unis que ce soit du côté des entrepreneurs, que ce soit du côté des ménages. Bon, 2,3, 24, ceci nous semble réaliste à l'heure actuelle. Et nous disons aux pouvoirs publics d'être extrêmement prudents pour l'année 1999, de ne pas tabler sur des recettes potentielles mais qui restent pour le moment virtuelles, que nous ne souhaitons pas une augmentation du déficit qui serait très perturbateur pour l'ensemble des marchés financiers et que nous ne souhaitons pas, bien entendu, une augmentation d'impôts pour faire face à une augmentation du déficit. Donc, nous demandons aux pouvoirs publics d'être extrêmement prudents pour l'année 1999 et de ne pas pécher pas excès d'optimisme.

PIERRE ZAPALSKI : Je vais vous demander de mettre votre casquette de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances. Vous avez quand même gagné une petite bataille en obtenant l'abandon de la rétroactivité et retrouvé les droits de l'assurance-vie, mais il y a quand même une contrepartie, c'est les 0,2 % de taxe sur toutes les primes versées dans l'année. Comment les assurances vont-elles régler ce problème ? Je sais que c'est déductible des bénéfices, donc pour partie, c'est déjà avalé.

DENIS KESSLER : D'abord, je suis heureux que vous parliez de ce sujet-là parce que les pouvoirs publics ont, je crois, entendu ce que nous souhaitions au nom des épargnants. La rétroactivité frappait les épargnants. Je vous rappelle qu'il s'agissait des droits de succession que leurs descendants auraient dû payer. Donc, ce que nous avons souhaité, c'est que vraiment le principe de non-rétroactivité soit respecté. Tel a été le cas. Et je m'en réjouis, je dis bien pour tous ceux qui avaient fait confiance à l'assurance-vie. Nous acquittons un prix pour cette non-rétroactivité, qui est de l'ordre du milliard de francs, 0,2 % des provisions mathématiques, ça sera pris dans les fonds propres, mais l'exposé des motifs est clair : il s'agit d'une contribution exceptionnelle pour l'année 1999 à partir des provisions mathématiques constatées en 1998. Si ce n'était pas exceptionnel, mais je ne peux pas douter que ça ne soit pas exceptionnel, il est évident que nous ne pourrons pas supporter un tel prélèvement. Le sénateur Lambert le dit d'ailleurs dans un excellent rapport qui est sorti hier : il faut redresser la rentabilité de l'assurance en France, notamment de l'assurance-vie. Je ne suis pas sûr qu'un prélèvement sur les fonds propres des sociétés d'assurance-vie soit à même de participer au redressement de cette rentabilité.

PIERRE ZÁPALSKI : Est-ce que, justement à propos d'assurance-vie, est-ce qu'on peut avoir. une idée de ce qu'a donné l'année 1998, Denis Kessler, puisqu'on a dit que ça a été extrêmement chahuté ?

DENIS KESSLER : Ah, écoutez, nous sommes un pays dans lequel on a des débats fiscaux permanents. Ils se commencent en janvier, ils se poursuivent au printemps, on a des rapports, ensuite il y a des fuites, on recommence au mois de juillet, et puis les choses ne sont jamais stabilisées, ça continue jusqu'à la fin de l'année, et puis recommence le débat l'année suivante. Je veux dire : qu'est-ce que souhaitent les entrepreneurs français dans le domaine fiscal comme dans d'autres domaines ? C'est quand même une gestion, une gestion de l'information et des projets dans laquelle on ne soit pas sans arrêt ballotté par ces événements, ces projets, etc. Dans le domaine de l'assurance-vie, ça fait des années et des années où, en permanence, nous sommes soumis, et les épargnants, à cette espèce de multitude, de foultitude d'idées, de modifications fiscales et autres. Alors...

PIERRE ZAPALSKI ... Mais ça va durer puisque le projet de loi va fixer les seuils....

DENIS KESSLER : Cette année, la conséquence est très claire. Par exemple, au mois de septembre où personne ne savait où on allait, il y a eu une très forte baisse de la collecte. Depuis le début de l'année, nous avons une baisse de la collecte de 12 % au cours des 9 premiers mois de 1998. Moins 12 %, on voit bien que l'incertitude ralentit les placements des ménages.

RENAUD BELLEVILLE : La commission de contrôle des assurances s'est émue récemment de l'impact de la baisse des taux sur la situation d'un certain nombre de compagnies d'assurance-vie et des provisions et a cité le cas de plusieurs compagnies, sans les nommer, qui lui paraissaient dans une situation préoccupante. Est-ce que vous êtes inquiet, vous-même, dans ce domaine ?

DENIS KESSLER : Non, je ne suis pas inquiet. La solvabilité de l'assurance-vie française est élevée, les fonds propres sont là, la quasi-totalité des sociétés d'assurance vie ont adopté les principes prudentiels qu'on appelle la gestion active-passive, je ne rentre pas dans le détail, et donc, je n'ai pas d'inquiétude. Il y a eu une faillite, Europavie, pour des raisons qui étaient tout-à-fait contingentes puisqu'il s'agit plus d'une escroquerie et d'un mauvais management de la société que d'un problème prudentiel. Donc, je suis, en ce qui me concerne, confiant et je crois que les épargnants doivent avoir confiance dans l'assurance-vie française.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Justement, la profession a volé au secours d'Europavie. Qu'avez-vous obtenu en échange ?

DENIS KESSLER : D'abord, ça nous coûte 200 millions de francs. Donc, c'est clair, nous n’étions pas concernés par la faillite de cette société, mais nous avons considéré que c'était pour l'intérêt supérieur de la profession, une nécessité que non pas de voler au secours d'Europavie, mais de récupérer le portefeuille des contrats d'Europavie pour que ce soit géré par un professionnel avec l'aide financière de la totalité de la profession. Alors, qu'est-ce que nous avons obtenu en échange ? Eh bien, rien. Rien.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT: ... Même pas...

DENIS KESSLER :... La confiance des épargnants...

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : ... Même pas une disposition sur un fonds de garantie, des choses comme ça.

DENIS KESSLER : Non, non. Il y avait un débat parallèle sur le fonds de garantie. Ce débat parallèle a été mené depuis un an lorsque Dominique Strauss-Kahn a annoncé qu'il voulait des fonds de garantie dans notre secteur. Et il est vrai que nous sommes, à l'heure actuelle, proches du but puisque je crois que le gouvernement doit déposer le projet sur la table du Conseil des ministres incessamment sous peu. En ce qui nous concerne, je crois que nous avons trouvé des solutions satisfaisantes pour à la fois assurer la sécurité des contrats en cas de faillite, mais ne pas déresponsabiliser l'épargnant.

CHRISTINE KARDELLANT : Est-ce que vous croyez encore que de vrais fonds de pension vont pouvoir un jour être créés en France ?

GERARD BONOS : C'est la spécialiste des petites questions, mais des grands débats.

DENIS KESSLER : Ah !!!! Quelle belle question !!! Que de temps perdu ! Que de temps perdu ! Nous allons mettre au point peut-être des fonds de pension alors que nous aurions dû le faire il y a 20 ans, que, entre-temps, le temps a passé et que ce temps, on ne récupère pas, et tout d'un coup, il y a des gens qui se convertissent, pourquoi pas, après avoir lutté contre tout ce dossier-là. Mettre au point des fonds de pension, mais à condition qu'ils soient facultatifs, que ça ne soit pas un prélèvement obligatoire, mettre au point des fonds de pension, dès lors que bien entendu, ceci ne se met pas au niveau national, mais au niveau des entreprises...

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : ... Pourquoi pas obligatoires, excusez-moi ?

DENIS KESSLER : Pour une raison simple, c'est que nous avons fait le trop-plein des prélèvements obligatoires français.

JEAN-FRANCOIS COUVRAT: Mais est-ce que ça ne signifie pas surtout que ce concept n'a pas de sens?

DENIS KESSLER : Le concept ?

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : De prélèvement obligatoire.

DENIS KESSLER : Si, si, tout-à-fait, ça a un sens...

JEAN-FRANCOIS COUVRAT : .... C'est embêtant quand c'est obligatoire, et c'est très bien quand ça n'y est pas. Quelle est la différence ?

DENIS KESSLER : Le prélèvement obligatoire concerne les régimes de retraite
 par répartition. L'étage supplémentaire de capitalisation doit être. Laissé à l'initiative des entreprises et des salariés. C'est un étage supplémentaire. Je ne vois pas, et nous ne voyons pas pourquoi il faudrait rendre obligatoire ce niveau supplémentaire, je dis bien qui s'ajoute à deux étages obligatoires : le régime de base et les régimes complémentaires. Il faut quand même que ce pays apprenne ce que tous les autres pays ont fait, c'est-à-dire quand même de laisser le principe de responsabilité de... (inaudible). Les fonds de pension doivent relever de l'initiative des partenaires sociaux dans l'entreprise, des épargnants et des salariés dans l'entreprise, et non pas un rêve chimérique de fonds nationaux, obligatoires, que sais-je encore.

GÉRARD BONOS : Malheureusement, vaste débat. Et affaire à suivre, comme on dit, vous savez que j'aime bien les clichés. Denis Kessler, merci.