Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale, dans "le Journal du dimanche" le 27 décembre 1998, sur le bilan de la session parlementaire, les dysfonctionnements du travail parlementaire, la réorganisation des groupes de la gauche plurielle, le projet de réforme de la justice et la révision constitutionnelle.

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Média : Le Journal du Dimanche

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Le JDD : Votre directeur de cabinet, Jean-Louis Gentille, vient de démissionner. Cela n’ajoute-t-il pas au malaise qui a réglé au groupe PS cet automne ?

Jean-Marc Ayrault : Non, car depuis un mois, il avait été convenu entre nous qu’il arrêterait ses fonctions à partir du 1er janvier. C’est vrai qu’il a vécu en direct certains dysfonctionnements de l’Assemblée nationale. Ces problèmes ont été relevés par tous. L’essentiel, c’est de sortir de cette situation. À partir de janvier, l’Assemblée nationale va fonctionner différemment.

Le JDD : Gentille a démissionné ; vous-même avez été mis en cause ; avez-vous, comme lui, pensé à jeter l’éponge ?

Jean-Marc Ayrault : On m’a imputé le vote raté du 9 octobre sur le PACS, mais le problème était beaucoup plus sérieux. Il fallait donc aller au fond des choses. C’est ce que j’ai fait, et j’ai dit la nécessité de s’organiser autrement, de définir un plan de travail plus politique et plus respectueux des contraintes des députés. Le message a été entendu à Matignon.

Le JDD : Pensez-vous que Matignon a méconnu le travail parlementaire ?

Jean-Marc Ayrault : Il y a eu une sous-estimation de la réalité politique de l’Assemblée nationale : la droite réunie représente autant de députés que le groupe socialiste qui n’est pas majoritaire à lui tout seul. Nous devons donc tenir compte des autres composantes de la majorité. Désormais, tous les quinze jours, les cinq présidents de groupe de la gauche et des Verts se réunissent autour de Daniel Vaillant pour anticiper les problèmes politiques qui pourraient naître et consolider la majorité. L’épisode du PACS a été révélateur, mais tous les textes du gouvernement, en dehors du projet de loi sur l’audiovisuel qui a été retiré, sont pascés. De façon difficile, c’est vrai, mais en raison de l’obstruction systématique de la droite et d’un programme trop chargé. Mon rôle est de défendre un bon équilibre entre le travail des députés à Paris et celui qu’ils font dans leur circonscription, c’est ce que j’ai fait en ne me laissant pas impressionner par une campagne un peu facile contre moi. Et j’ai obtenu satisfaction. On a vécu quelques semaines fatigantes et pas toujours agréables, mais ce qui compte, c’est d’avancer. Il est maintenant acquis que les députés siégeront trois jours par semaine comme la session unique le prévoyait : mardi, mercredi, jeudi, avec des textes qui seront préparés suffisamment à l’avance, en particulier avec nos amis de la majorité plurielle.

Sous-titre : « L’Assemblée nationale va fonctionner différemment », déclare le président du groupe PS

Le JDD : La méthode Jospin, notamment avec le retrait de la loi sur l’audiovisuel, n’a-t-elle pas été mise à mal ces derniers mois ?

Jean-Marc Ayrault : Il n’y a pas de méthode parfaite. « Il faut être souple dans ses baskets », a dit Lionel Jospin. Et il l’est, je peux en témoigner. Il écoute même s’il n’est pas forcément d’accord et tient compte de ce qui est dit, notamment le mardi matin quand on se voit autour de lui avec Hollande et Estier.

Le JDD : On dit que le projet sur la limitation du cumul des mandats devrait être très édulcoré ? Qu’en est-il ?

Jean-Marc Ayrault : La droite à l’Assemblée nationale n’en veut pas, le Sénat non plus. Mais je suis convaincu qu’une avancée dans la limitation du cumul des mandats est nécessaire. L’arbitrage sera rendu le moment venu. Avance-t-on par étape ou reste-t-on sur une position maximaliste ? Le débat reprendra à l’Assemblée nationale en mars. Mais nous allions commencer par un texte sur l’aménagement du territoire et la coopération intercommunale. Ce qui est logique, car la décentralisation renforcée plus la limitation du cumul des mandats forment un tout cohérent. On pourra voir alors de manière très concrète qui est pour la modernisation de la vie publique et qui ne l’est pas. Il y a ceux qui en parlent et ceux qui la font. Là, comme ailleurs, c’est la majorité plurielle qui fait preuve de volonté réformatrice quand de l’autre côté on parle beaucoup, mais on agit peu.

Le JDD : Jacques Chirac a annoncé qu’il ne donnerait pas son feu vert pour réviser la Constitution sur le Conseil supérieur de la magistrature tant que l’ensemble de la réforme sur la justice ne serait pas voté. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Marc Ayrault : Jacques Chirac bloque, en effet, la réforme constitutionnelle. Je ne vois pas très bien pourquoi. Cinq textes sont prévus sur la réforme de la justice. Attendre que le dernier texte passe reviendrait à attendre la fin de la législature. Si on veut rendre son indépendance à la justice, notamment à travers la nomination des magistrats, il faudrait commencer par voter au congrès de Versailles – dont la convocation ne relève que du président de la République – le texte sur la réforme du conseil supérieur de la magistrature. Tout le monde parle du « discours fondateur » de Jacques Chirac à Rennes. Mais entre les bonnes intentions et l’action, je constate que, pour l’instant, c’est le gouvernement de Lionel Jospin et sa majorité qui agissent.

Le JDD : Donc la majorité n’est pas essoufflée, selon vous ?

Jean-Marc Ayrault : Avec du recul, je considère que la majorité plurielle s’est bien comportée. Elle a été solidaire du gouvernement sur des sujets difficiles comme la loi de financement de la Sécurité sociale, la réforme du mode de scrutin régional ou la réforme constitutionnelle permettant de ratifier le traité d’Amsterdam malgré de vraies divergences. À chaque fois, la cohésion de la majorité a été préservée et tous les textes ont été votés.