Interviews de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, à RTL les 19 janvier et 5 février 1996, dans "Les Échos" et à TF1 le 18 janvier et dans "Le Figaro" le 19, sur la philosophie, les objectifs et les dispositions du Pacte de relance pour la ville.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du Pacte de relance pour la ville par le Premier ministre, Alain Juppé, à Marseille le 18 janvier 1996

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Energies News - Les Echos - Le Figaro - Les Echos - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Date : 18 janvier 1996
Source : Les Échos

Les Échos : Le gouvernement présente aujourd’hui un pacte de relance pour la ville. Est-il porteur d’une vision nouvelle des problèmes de la ville ?

Jean-Claude Gaudin : Notre plan pour la ville est porté par une méthode et une approche différentes. Une méthode, tout d’abord, puisque l’ensemble des mesures présentées a fait l’objet d’une large et longue concertation, avec les représentants des élus locaux, les associations, mais également – parce que le pacte de relance pour la ville concerne de nombreux ministères – des échanges politiques et techniques avec mes collègues.

C’est, à ma connaissance, la première fois qu’est retenu un plan global, allant de l’habitat à la sécurité en passant par l’économie, l’éducation et la culture, avec, de surcroît, une volonté affirmée de définir, autour de ce plan général, les applications sur le terrain en tenant compte de spécificités locales, en concertation avec les élus et les représentants locaux concernés.

Mais la méthode à elle seule ne suffit pas, il faut une philosophie. Et là, sans doute, différons-nous de tout ce qui a été fait par le passé. Nous voulons une insertion, mais par l’économie, d’où des zones franches où les installations économiques seront très largement soutenues par des exonérations. Parallèlement, nous avons décidé de la création d’emplois-ville, soutenus pendant cinq ans. Il nous est apparu également nécessaire de renforcer la présence de l’Etat dans ces quartiers sensibles, de redonner des services publics au service du public.

Enfin, dans l’approche qui nous a conduits à proposer ces mesures, nous avons voulu accroître la participation des habitants et des associations avec la mise en place de vrais échanges, mais aussi l’établissement de contrats d’objectifs entre l’Etat et les associations.

Les Échos : La « ville » est devenue, en l’espace d’une douzaine d’années, un des problèmes majeurs du pays. Les gouvernements successifs n’ont-ils pas trop tardé à en prendre la mesure ?

Jean-Claude Gaudin : La politique de la ville remonte à 1977, quand Raymond Barre, alors Premier ministre, avait initié un programme habitat de vie sociale, qui n’a cessé d’être mis en œuvre par tous les gouvernements jusqu’à aujourd’hui. Toutefois, on ne saurait parler véritablement de politique de la ville avant le discours de François Mitterrand à Bron en décembre 1990. Ce fut alors le plan Delebarre-Rocard visant à renforcer la présence policière, à lancer des « défis jeunes » et des « fêtes de quartier ».

Ce premier plan était somme toute d’une ampleur limitée, même s’il a eu le mérite de poser quelques vraies questions sur une politique nationale de la ville. Quant au plan Tapie de mai 1992, il était surtout médiatique, avec la création de « parents d’école », de « maisons du citoyen » et l’annonce de protocoles « ville-entreprise ». Tout cela est cependant resté à l’état de prototypes. Deux mesures seulement ont été honorées par la création de 1 000 emplois administratifs dans la police et l’augmentation des « appelés-ville ». Depuis 1993, sous l’impulsion de Simone Veil, des mesures concrètes touchant l’habitat et la vie associatives ont été développées.

Notre souci, avec Eric Raoult, a été de prendre en compte tous les aspects de la vie de ces cités pour faire, nous l’espérons, plus, mieux, et en tout cas ensemble un grand projet global.

Les Échos : Quelles sont, selon vous, les conditions d’une réussite d’une politique de la ville ?

Jean-Claude Gaudin : Je ne sais pas s’il existe une solution miracle, mais, avant tout, il est nécessaire de travailler dans le calme. Les plans Delebarre ou Tapie ont été des réponses à des moments de troubles très forts dans certaines banlieues. Nous avons la possibilité de travailler sereinement avec tous les partenaires.

Il faut bien évidemment beaucoup de modestie. C’est un travail et une démarche de longue haleine, laissons par conséquent les paillettes et les strass au vestiaire, en même temps que les certitudes.

Il faut aussi être pragmatique, car chaque ville a des attentes spécifiques et il faut les traiter comme telles.

Les Échos : Votre action s’inscrit-elle dans la continuité de vos prédécesseurs ?

Jean-Claude Gaudin : Ce plan s’inscrit à la fois dans la continuité des mesures déjà prises, mais va aussi beaucoup plus loin, notamment dans l’approche économique, pour créer des emplois dans les quartiers.

Il entend maintenir et soutenir les contrats de plan Etat-Région, les GPU, les DSQ et autres mesures initiées par le passé, mais le pacte de relance pour la ville tente aussi de répondre davantage aux attentes du moment et d’anticiper sur les choix de vie de demain.

Le ministre de la Ville et de l’Intégration que je suis n’oublie pas qu’il est aussi le ministre de l’Aménagement du territoire, ce qui sous-entend équilibre entre l’urbain et le rural et nécessité de bien faire comprendre que nous sommes tous concernés par une amélioration de la vie dans les villes et les grands ensembles.


Date : 18 janvier 1996
Source : TF1

J.-C. Narcy : Le plan banlieue, nous dit-on, représente une enveloppe pour la collectivité, de 5 milliards d francs. Vous confirmez ?

Jean-Claude Gaudin : Cinq milliards de francs par an pendant trois ans. Dans cette période de difficulté budgétaire et de rigueur, cela veut dire que le gouvernement fait un effort à l’initiative, bien évidemment, au président de la République qui s’est engagé à plusieurs reprises pour améliorer la condition de vie de nos compatriotes qui vivent dans ces banlieues, et par la volonté du Premier ministre. Et ainsi, E. Raoult et moi-même, sommes chargés de mettre en application ce plan.

J.-C. Narcy : On attendait un vrai plan Marshall pour répondre aux urgences. On a l’impression qu’il s’agit simplement d’un train de mesures qui ne sont pas toujours peut-être à la hauteur du problème.

Jean-Claude Gaudin : On attendait le plan Marshall, comme vous dites, et aussi depuis quelques jours, on lisait ou on écoutait un peu partout « mais il n’y aura rien dans ce plan qui ne sera qu’un succédané de ceux qui ont existé déjà ». Eh bien, d’abord, il ne s’agit pas d’un plan. Il s’agit d’un pacte de relance pour la ville. Il s’agit d’une concertation, il s’agit d’un dialogue sur des propositions formulées aujourd’hui depuis Marseille par le Premier ministre pour faire en sorte d’évoluer les choses. Alors, d’abord, il y a les sommes d’argent nécessaire et vous venez aussi de parler des mesures : 100 000 emplois pour les jeunes de 18 à 25 ans sur une durée de cinq ans. Il y a longtemps qu’on n’en avait pas proposé. Des prêts de la Caisse des dépôts et consignations sur 5 milliards, à taux réduit, pour que les offices HLM puissent rénover 500 000 appartements en France, il y a longtemps que ça ne s’était pas produit. Cela va donner de l’activité, de la relance pour le bâtiment. Et pour les zones franches, je comprends qu’il y ait un peu d’hésitation.

J.-C. Narcy : Elles n’ont pas l’air de passionner les chefs d’entreprises.

Jean-Claude Gaudin : Oui, jusqu’au moment où tout le monde aura bien compris. Et quand on dit aux chefs d’entreprises qu’ils auront des exonérations fiscales et sociales, ça m’étonnerait qu’ils ne soient pas intéressés. Nous leur offrirons tout cela, mais en échange de quoi, donnant-donnant, ils devront, eux, nous employer des garçons et des filles qui vivent dans ces banlieues. Le Premier ministre a fixé aussi un calendrier. D’ici à l’été, il y aura de nouveaux des réunions de concertation et nous avons, les ministres concernés, E. Raoult et moi, obligation de résultat de la part du Président de la République et du Premier ministre.

J.-C. Narcy : Pour mener à bien votre plan, comment comptez-vous mobiliser les élus ? Vous avez besoin d’eux.

Jean-Claude Gaudin : Nous avons besoin aussi des élus, mais les élus seront très intéressés. D’abord, il y a eu en Conseil des ministres une décision cette semaine très importante de l’augmentation de ce qu’on appelle la DSU, la dotation sociale urbaine pour les banlieues, pour les villes, pour les quartiers les moins favorisés. Donc là, il y a déjà une aide qui va arriver. Ensuite, quand on dit dans une ville que l’Etat pourra payer 55 %, les communes, les associations, les divers organismes HLM, les réseaux de transports devront bien entendu abonder aussi dans l’autre partie, ça me paraît tout à fait naturel si l’on veut que les jeunes trouvent aujourd’hui un emploi. Et s’ils ont un emploi, ils retrouvent la dignité et s’ils ont en emploi, ils seront mieux insérés, et donc mieux intégrés, et à partir de ce moment-là on peut leur montrer que dans ces banlieues, il peut y avoir encore la vie. Nous voulons ramener les services de l’Etat. Nous voulons la vie dans ces quartiers. Savez-vous qu’aujourd’hui, il n’y a pas un bar, il n’y a pas un restaurant dans ces banlieues ? Eh bien, nous allons faire en sorte que la vie revienne, que l’activité revienne, que la vie associative soit davantage soutenue.

 

Date : 19 janvier 1996
Source : Le Figaro

Le Figaro : Est-ce vraiment à coups de milliards que se réglera le problème des banlieues ?

Jean-Claude Gaudin : Non, bien sûr. On a trop souvent parlé dans le passé de sommes d’argent qui arriveraient comme des confetti au carnaval de Nice. Mais les habitants des banlieues ne les ont jamais vu venir. Nous avons une approche plus modeste. Nous voulons une obligation de résultats. Nous n’avons pas de recette magique, mais la volonté de faire avancer les choses.

Le Figaro : Y a-t-il eu une « méthode Gaudin » dans la conception du Pacte de relance pour la ville ?

Jean-Claude Gaudin : L’originalité de ce projet vient de la grande concertation dont il a fait l’objet. Eric Raoult et moi-même avons rencontré plus de soixante associations, de nombreuses personnalités, dont des anciens ministres chargés de la politique de la Ville. Nous avons aussi consulté l’Association des maires de France, celle des présidents des conseils généraux, les maires des grandes villes et les maires des villes de banlieue, plus les présidents des syndicats professionnels et consulaires – chambres syndicales des métiers et du bâtiment. Et dans la méthode voulue par le premier ministre, la concertation se poursuivra avec les maires.

Le Figaro : C’est-à-dire ?

Jean-Claude Gaudin : Par exemple, sur la délimitation des zones franches, nous avons l’intention de discuter avec les maires des villes retenues. Nous avons défini des critères, hélas dramatiques : taux de chômage, chômage des jeunes, niveau de formation, ressources fiscales des communes. A partir de ces critères, nous allons faire un appel à projet pour 35 communes. Il s’agira de discuter avec chacune d’entre elles du meilleur projet. Il s’agit de rendre la vie dans les quartiers, d’attirer les petits entrepreneurs et les petits commerçants.

Le Figaro : Des maires et des entreprises estiment que les exonérations en zones franches ne sont pas incitatives…

Jean-Claude Gaudin : Qu’ils fassent d’autres propositions. Nous n’avons pas l’intention d’imposer depuis Paris un carcan qui ne réussirait pas plus que les autres plans précédents. Maintenant, si des maires nous claquent la porte au nez, ce sera leur responsabilité de ne pas avoir voulu profiter de la panoplie que nous leur offrons.

Le Figaro : Quatre mille policiers supplémentaires sont prévus dans les banlieues mais, curieusement, les problèmes d’immigration ne sont pas abordés dans le Pacte. Pourquoi ?

Jean-Claude Gaudin : Nous laissons une politique de sécurité, pas sécuritaire, pour rétablir la confiance. Nous ne mettons pas que la police dans les quartiers, mais tous les autres services de l’Etat. Quant à l’immigration, notre politique est faite pour rassembler, pas pour exclure. Par conséquent, nous allons essayer de traiter d’abord le volet emploi-sécurité, éducation, etc.

Le Figaro : Vous ignorez les phénomènes de formation de ghettos dans certains quartiers. Est-ce délibéré ?

Jean-Claude Gaudin : Nous essaierons d’éviter ces concentrations par toutes sortes de mesures dans les HLM. Mais vous ne pouvez pas me demander tout à la fois. On veut apporter des plus aux gens qui vivent là. On ne s’intéresse par pour l’instant de savoir s’ils sont d’origine étrangère, s’ils sont beurs, Maghrébins ou Français de souche. Pour l’instant, nous voulons participer à la relance. On va mettre cinq milliards rien que pour les crédits de logement sur trois ans. La Caisse des dépôts et consignations a reçu pour instruction de faire des prêts aux communes, aux offices HLM, pour un montant de cinq milliards sur trois ans à un taux de 4,8 %. Si, dans un délai créé, alors c’est qu’il y aura eu un vice de forme quelque part.

Le Figaro : Quel est votre diagnostic du mal des banlieues ?

Jean-Claude Gaudin : C’est une vieille histoire. Dans les années 60, les responsables ont répondu à la demande massive de logements en construisant vite mais pas forcément bien. On a bâti des ensembles qu’aujourd’hui plus aucun architecte n’aurait le culot de présenter. C’est la raison pour laquelle je suis parfaitement d’accord avec le discours de Bron du président Mitterrand, en décembre 1990, disant : « Honte à ceux qui ont construit ça. » Sauf que les plans successifs n’ont pas permis une amélioration de la qualité de vie.

Parallèlement à cette situation, des crises économiques sont venues ralentir la croissance, augmenter le chômage et laisser au bord du chemin les moins favorisés. Il y a eu la bonne volonté de Raymond Barre en 1977, de Delebarre et de Rocard, de Bérégovoy et de Tapie, de Simone Veil, mais, même en mettant beaucoup d’argent, les choses ne se sont pas améliorées. Cette fois-ci nous espérons apporter un plus. Par une approche plus économique, plus globale, de l’ensemble de nos propositions.

Le Figaro : Pourquoi, d’après vous, les politiques précédentes n’ont-elles pas été efficaces ?

Jean-Claude Gaudin : Il est évident que la politique de la ville ne s’est pas bâtie en un jour. C’est une succession et une addition de mesures. Certaines ont eu un effet positif, d’autres n’ont même pas été appliquées. Beaucoup, notamment du plan Tapie de 1992, sont restées à l’état de prototype. Excepté l’accroissement d’appelés du contingent au service de la police et des quartiers. Certaines mesures, comme la Maison du citoyen, étaient bonnes. Pour autant, celles qui ont été créées se comptent sur les doigts d’une main.

Le Figaro : La solution au mal des banlieues passe-t-elle par une destruction des tours ?

Jean-Claude Gaudin : À Marseille je n’envisage cette solution que sur l’une des nombreuses cités, le Plan d’Aou. Dans la mesure où nous pouvons reloger les habitants à proximité de leur ancien quartier, car ils y sont attachés, nous faisons œuvre utile. Dans ce cas, l’Etat participera pour 35 % à la démolition.

Le Figaro : Travailler avec Éric Raoult vous pose-t-il des problèmes d’organisation, de méthode ou de communication ?

Jean-Claude Gaudin : Cela ne nous pose aucun problème car nous ne sommes concurrentiels en rien sur le plan électoral. Nous ne sommes ni polytechniciens ni énarques, nous sommes des élus du peuple qui avons de l’estime réciproque. Et parce que nous sommes sortis du peuple nous savons dans quelles conditions le peuple vit.

 

Date : 19 janvier 1996
Source : RTL

M. Cotta : J. Chirac avait parlé de plan Marshall. Le plan présenté par A. Juppé hier est-il à ce niveau d’ambition et est-ce à coups de milliards que l’on pose et que l’on règle le problème des banlieues ?

Jean-Claude Gaudin : Le « pacte de relance pour la ville » est une grande affaire et quand nous l’avons préparé avec E. Raoult, nous avons eu deux alliés de poids qui ont été J. Chirac qui veut absolument améliorer la vie dans les banlieues et A. Juppé qui a toujours arbitré pour nous dans les comités interministériels. C’est la raison pour laquelle le plan financièrement est très substantiel. Visiblement, cela a surpris car on avait annoncé un plan riquiqui et c’est quand même un plan d’importance.

M. Cotta : Pensez-vous qu’A. Juppé a un peu tiré la couverture à lui hier ?

Jean-Claude Gaudin : C’est tout à fait naturel. C’est le chef du gouvernement.

M. Cotta : Vous avez l’esprit large…

Jean-Claude Gaudin : Il est en même temps le chef de la majorité. J’étais très heureux, j’ai considéré comme un signe d’amitié à mon égard, qu’il vienne annoncer le « pacte de relance pour la ville » à Marseille.

M. Cotta : Y a-t-il une méthode Gaudin différente de la méthode Juppé ?

Jean-Claude Gaudin : Oui : je crois avoir convaincu le Premier ministre que son pacte, il fallait l’annoncer avec des mesures que vous connaissez, qui sont des mesures fortes. Mais ce pacte est proposé aux élus et en particulier aux maires. Il pourra évoluer, être modifié éventuellement. En tout cas, il sera appliqué en concertation avec les maires et ça, c’est un peu la méthode Gaudin.

M. Cotta : Création de zones franches où les commerçants qui s’installent et ceux qui sont déjà installés ne paient ni impôts, ni taxes, ni charges : comment allez-vous sélectionner ces zones franches ?

Jean-Claude Gaudin : D’abord, on a établi un certain nombre de critères qui, hélas ! ne sont pas des critères glorieux : le taux de chômage des jeunes, l’échec scolaire et le potentiel fiscal de la commune. A partir de là, on peut décider des zones franches, des exonérations fiscales et sociales pour les artisans, pour les commerçants, ceux qui y sont et ceux qui vont venir. Mais avec obligation pour ceux qui vont venir s’implanter et bénéficier des avantages – c’est du donnant-donnant – de nous embaucher des jeunes de ces quartiers.

M. Cotta : Le maire de Valenciennes dit ce matin que lui avait obtenu en 91 une zone franche à Valenciennes mais « que la Communauté européenne a refusé de la lui accorder au titre de la concurrence en Europe ». Quand on sait que vous n’avez prévenu qu’hier la Commission de Bruxelles, n’est-ce pas un peu tardif ?

Jean-Claude Gaudin : Si nous l’avions prévenue avant ou si nous nous étions mis à genoux devant elle, on aurait encore évoqué Maastricht ou ne je ne sais quoi. Nous sommes dans notre pays, le gouvernement a le droit, pour l’emploi, de prendre des décisions, mais par courtoisie hier matin, j’ai téléphoné au commissaire en charge de ces zones franches à Bruxelles pour l’informer de la volonté du gouvernement et pour lui dire que le 1er février, j’irai lui présenter déjà un premier schéma prévisionnel de ce que pourraient être ces zones.

M. Cotta : Ce qui est valable dans les futures zones franches ne l’aurait pas été à Valenciennes ?

Jean-Claude Gaudin : Là, il s’agit de l’emploi. D’abord, il y a les 100 000 emplois-ville pour les jeunes de 18 à 25 ans, mais nous voulons, si nous donnons des exonérations fiscales et sociales, récupérer des emplois pour les jeunes. Il faut que l’on bouge et que l’on fasse bouger aussi Bruxelles.

M. Cotta : Les maires, les entrepreneurs, certains contestent que la création de zones franches soient vraiment incitatives.

Jean-Claude Gaudin : Visiblement, ceux qui contestent n’ont pas encore compris l’intérêt financier pour eux, l’intérêt économique et pour nous l’intérêt de l’emploi. Tout est lié.

M. Cotta : C’est difficile d’aller s’implanter dans un endroit où il n’y a rien.

Jean-Claude Gaudin : Oui, car en même temps il faut que le quartier change, il faut qu’il y ait la vie, il faut qu’il y ait aussi une vie associative forte. Or cela nous l’avons prévu en plus des zones franches. Nous avons obtenu, par exemple, et c’est considérable, 5 milliards de prêts de la Caisse des dépôts et consignations à taux de 4,8 pour rénover 500 000 logements !

M. Cotta : 4 000 policiers supplémentaires sont prévus mais le pacte ne dit pas un mot sur l’immigration. Est-ce possible de passer sous silence le phénomène majeur des quartiers en difficulté ?

Jean-Claude Gaudin : A partir du moment où on fait des améliorations, où on veut traiter nos compatriotes qui vivent dans ces cités, qu’ils soient maghrébins d’origine, beurs, français de souche, à partir du moment où on améliore la qualité de la vie et où on leur donne l’emploi, la dignité, on fait de l’insertion de fait. Et ça n’est toujours pas la peine de revenir sur des notions qui peuvent au contraire irriter les gens. La politique du gouvernement, la mienne en particulier à Marseille, c’est de rassembler et non pas d’exclure. Nous allons faire dans quelques temps une loi contre l’exclusion. Là, nous faisons de la discrimination positive.

M. Cotta : Ne craignez-vous pas que l’on fasse « gérer un problème de ghetto par et dans le ghetto », comme dit le maire de Vaulx-en-Velin ?

Jean-Claude Gaudin : Il y a de nombreux plans. La politique de la ville, c’est une addition de plans. Et le comportement que nous avons parfois à l’égard de nos prédécesseurs, c’est que nous, nous n’avons rien annulé des décisions prises par nos prédécesseurs. Au contraire. Tous les instruments au service de la ville restent. Simplement, nous voulons donner un élan, une dynamique nouvelle, et des mesures nouvelles, qui, nous l’espérons, auront plus de succès que celles faites avant. Dans le plan Tapie-Bérégovoy, il y avait d’excellentes idées sauf qu’elles sont restées à l’état de prototypes.

 

Date : 5 février 1996
Source : RTL

J.-M. Lefèbvre : Encore un plan, cette fois-ci pour le monde rural ?

Jean-Claude Gaudin : C’était aujourd’hui, par la volonté du Premier ministre, la mise en place du Conseil national de l’aménagement du territoire qui est directement issu de la loi votée il y a un an, appelée loi Pasqua. Ce conseil était saisi de deux dossiers : l’un concernant la revitalisation des zones rurales, l’autre la politique de la ville. Le conseil, dans une très large majorité, a donné un avis favorable pour les deux dossiers.

J.-M. Lefèbvre : 40 % du territoire national va bénéficier d’incitations, c’est beaucoup ?

Jean-Claude Gaudin : Je suis le ministre de l’aménagement du territoire, de tout le territoire, par la volonté du Président de la République et du Premier ministre. Depuis plusieurs semaines on parlait de la ville, certains observateurs disaient, « c’est un plan rikiki, un plan au rabais ». Vous avez vu que le plan est substantiel, novateur, massif et essaie d’aborder les problèmes qui se posent dans les banlieues. Aujourd’hui il s’agissait d’examiner un décret qui sera publié dans les jours qui viennent et qui concerne la France rurale. Nos compatriotes de la France rurale peuvent en être légitimement satisfaits.

J.-M. Lefèbvre : Que répondez-vous à ceux qui disent que les plans créent des exonérations pour les uns, mais plus de prélèvements pour les autres ?

Jean-Claude Gaudin : Il s’agit de décrets de l’application d’une loi. Quant au pacte de relance pour la ville, ceux qui nous critiquent – quand ils ont eu le pouvoir et ils l’ont eu longtemps – auraient peut-être pu régler un certain nombre de problèmes que nous sommes obligés de régler aujourd’hui. Soyons dans le consensuel dans cette affaire. Les suggestions, j’en tiendrai compte, mais qu’on n’essaie pas de diminuer notre volonté à améliorer la situation de nos compatriotes.

J.-M. Lefèbvre : Et les zones franches ?

Jean-Claude Gaudin : Nous espérons en faire une trentaine. Bruxelles a admis que nos critères étaient les bons et puisque cela concernait l’emploi, Bruxelles n’y fera pas obstacle. Nous faisons appel à ce projet, sur la volonté du Premier ministre qui veut que l’on discute avec les maires, les parlementaires, tous les acteurs sociaux, de la délimitation de ces zones franches. A l’intérieur de ces zones, il y aura de sérieux avantages pour les industriels et commerçants, les artisans, qui viendront s’installer. La contrepartie sera de nous donner de l’emploi. Je n’emploierai pas l’expression « donnant-donnant », puisqu’elle n’est pas au goût du jour, mais il y a un peu de cela.

J.-M. Lefèbvre : Que pensez-vous des violences dans les zones sensibles ?

Jean-Claude Gaudin : Avec F. Bayrou, nous essayons de multiplier les zones d’éducation sensibles, nous essayons d’encourager les enseignants qui supportent quelquefois d’une manière injuste des agressions. Nous essayons avec le ministre de l’Intérieur, c’est prévu dans le pacte de relance de la ville, d’avoir des effectifs de police supplémentaires. Vous savez que nous avons mis beaucoup d’appelés du contingent au service de la ville, pour aider ces enseignants dans les secteurs sensibles. Nous allons démultiplier cela dans les années à venir. Je regrette qu’il y ait cette agression, ce climat, les enseignants ne le méritent pas et les gosses feraient de bien penser à leur avenir et de ne pas se livrer à ces exactions.

J.-M. Lefèbvre : Comment voyez-vous se profiler la bataille entre F. Léotard et A. Madelin ?

Jean-Claude Gaudin : Je n’ai pas le temps de m’expliquer longuement là-dessus. Je ne suis pas pour les batailles, encore moins pour les batailles fratricides et je pose à mes amis un problème : comment peut-on passer d’un système qui est confédéral, une union entre plusieurs partis, à un scrutin d’affrontement ? Cela ne me paraît pas une bonne chose, ce n’est pas comme ça qu’on fait progresser la démocratie à l’intérieur de l’UDF. Si on doit s’affronter, je serai de ceux qui le regretteront. Pour l’instant il n’y a qu’un candidat, même s’il y en avait deux ou trois, ce serait pour moi deux ou trois amis et cela me gênera pas. Le moment venu, je ferai un choix. Mais le moment n’est pas encore venu et je fais des efforts pour rassembler les objectifs, les idées et les hommes.