Déclaration de M. Lucien Rebuffel, président de la CGPME, sur le "libéralisme tempéré" préconisé pour les relations entre les PME et l'Etat face aux concentrations et à la concurrence, et sur les revendications des PME en matière de fiscalité et de réduction du temps de travail.

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Circonstance : Assemblée générale de la CGPME à Paris le 14 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le ministre,
Madame la ministre,

Nous vous remercions d'avoir accepté l'invitation de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de venir, à l'issue de son Assemblée générale annuelle, exposer la politique du Gouvernement en faveur des PME.

Vous avez ici, face à vous, une salle homogène, représentant les 100 départements de notre pays ainsi que les professions de l'industrie, du commerce et des services.
Homogène, c'est-à-dire ayant et défendant les mêmes idéaux comme les mêmes intérêts, dont la somme, notamment dans le domaine de l'emploi et de la création de la richesse, recoupe l’intérêt général de la Nation.
Homogène, c'est-à-dire que vous pouvez être ainsi assurés d'entendre, ici, la voix des PME, en direct, sans arguties oratoires visant à vous laisser supposer qu'il n'y aurait, dans ce pays, comme par un consensus aveugle, qu'un seul patronat monolithique et unanime capable de représenter et défendre à la fois le « dominé » et le « dominant ».

Car, quoi qu'on tente d'accréditer, ici ou là, c'est un rappel d'évidence, les rapports économiques interentreprises, au quotidien, sont tous d'ordre conflictuel. Qui paie commande. Et heureux, mais rares, sont les cas où des filières entre fabricants, grossistes et détaillants peuvent exister dans le respect réel et rigoureux de conventions ou protocoles respectant les intérêts de chacun.

C'est la raison pour laquelle, notre Confédération estime toujours que le devoir de l'Etat – hors toutes considérations politiques que j'exclus naturellement de mon allocution – doit être de se donner pour tâche de rechercher et condamner tout abus de « position dominante » dans les rapports interentreprises comme dans la vie économique en général. Tâche immense et permanente dans le moment où les frontières s'effacent, dans le moment où un gigantesque jeu de monopoly financier s'instaure en France, en Europe et dans le Monde, dans le moment où, déjà, on voit nombre d'États, dits souverains, soumis à des intérêts capitalistiques qui les parasitent. Le phénomène du grand capital « monopoliste d'État » selon l'expression de Karl MARX devient palpable lorsqu'on s'approche – sous la pression des Etats-Unis – de l'A.M.I, le fameux projet d'accord Multilatéral sur l'investissement. Il entraînerait pour les PME – sauf à être protégées par leurs Etats – leur élimination ou leur enchaînement inéluctable aux intérêts des grands oligopoles et monopoles transnationaux.

Cette façon de voir et de dire nous conduit une fois de plus à répéter – au moment où tous les partis politiques cherchent, avec quelle difficulté pour certains, à définir leur doctrine économique par rapport aux événements nationaux, européens et mondiaux – à répéter que notre doctrine, à nous, ne varie pas : nous voulons, dans notre pays et en Europe, l'instauration d'un libéralisme tempéré.

Libéralisme opposé à collectivisme ou étatisme.

Tempéré : car nous récusons le libéralisme tout court, sauvage, ou la dimension de l'homme n'est pas prise en compte et où les intérêts des grands groupes dominants sacrifient impitoyablement au veau d'or que constitue, pour eux, le couple « rentabilité-productivité ».

Tempéré ? Cela veut dire que nous estimons que l'Etat à un rôle éminent à assumer : celui de laisser jouer les mécanismes du libéralisme, certes, mais dans un cadre défini par lui, l'Etat, fixant les règles du jeu économique et les faisant rigoureusement respecter. C'est la raison pour laquelle, je le répète, une fois de plus : nous demandons, vis-à-vis des concentrations, un renforcement du dispositif légal des ordonnances de 1986 ainsi qu'un renforcement du rôle du Conseil de la concurrence.

Il y a, en effet, en France, de plus en plus de concentrations et de plus en plus de marchés captifs et verrouillés notamment entre les mains de la grande distribution.

Les oligopoles qui se créent ainsi, jour après jour, ne sont pas souhaitables pour les consommateurs parce qu'ils les soumettent à leur marque, à leur qualité, à leurs prix ; ils nuisent naturellement au développement équilibré du tissu industriel et commercial des PME et donc à l'aménagement harmonieux du territoire. Ils handicapent la concurrence en empêchant l'émergence d'entreprises nouvelles, porteuses de produits ou services nouveaux.

Puisqu'on nous rétorque qu'on ne peut pas faire mieux pour l'instant, en France, dans l'approche juridique de cette loi anti-trust et anti-monopole que nous appelons de nos vœux, qu'au moins on donne d'urgence des pouvoirs accrus au Conseil de la concurrence, je le répète, dans le domaine des concentrations.

Dans ce domaine, en effet, le Conseil est désarmé : il ne peut pas anticiper ; il se contente de photographier. Il n'a qu'un rôle de proposition. Il n'émet que des avis. Certes, vous le suivez avec quelle autorité, on l'a vu récemment dans le cas célèbre de concentration empêchée grâce à vous, mais ce Conseil n'a malgré tout pas encore une bonne vision des concentrations interprofessionnelles qui se développent et se diversifient tous azimuts en élargissant sans cesse leurs parts de marché au détriment de la plupart des commerces et services spécialisés (voyages, parapharmacie, bijouterie, libraires, produits financiers et d'assurances, jouets, informatique) de façon à ce que le consommateur tombe entre leurs mains du berceau à la tombe. Il faut examiner ce problème qui, finalement, au-delà de la concentration économique pose à terme un problème de société par la disparition leucémique des commerces et services spécialisés et de proximité.

Notre conception du rôle de l'Etat, dans le cadre du libéralisme tempéré, est que ce rôle doit être d'exigence. Il ne s'agit pas de protéger des intérêts corporatistes ou des PME dépassées par le progrès, mais de prendre mieux en compte le fait que les entreprises sont plurielles.

A patronat pluriel, c'est-à-dire à problèmes pluriels, il faut des solutions plurielles tenant compte, au premier rang, des différences dues à la taille des entreprises.
Or, si nous avons été incontestablement compris par l'Etat, depuis plusieurs années, grâce à des lois que nous avons appelées de nos vœux et à l'élaboration desquelles, c'est notoire, nous avons contribué :

– la loi sur l'entreprise individuelle ;
– la loi sur les pratiques anticoncurrentielles ;
– la loi sur l'urbanisme commercial ;
– l'instauration d'un impôt progressif visant à accroître les fonds propres des PME, etc. etc.

Il n'en demeure pas moins que toutes ces lois n'ont que partiellement atteint leur but : l'abus de position dominante reste constant dans ce pays.

Aussi, nous vous demandons de veiller au respect rigoureux de ces récentes lois que nous vous suggérons de faire contrôler et auditer toutes, sous l'angle de leur exacte application, permettant enfin réellement et puissamment; comme c'était leur but, création, progression, épanouissement des PME sans que celles-ci ne subissent plus enfin aucune sujétion à raison de leur taille.

Nous vous demandons ainsi, c'est simple, de pouvoir travailler et lutter à armes égales avec les grandes entreprises et cela avec d'autant plus d'insistance que nous sommes à la veille d'un séisme dont nous ne mesurons pas les effets ; je veux parler des performances de l'électronique qui peut révolutionner toutes les théories existantes.

Quoi qu'il en soit, je saisis cet instant privilégié pour renouveler ma demande, toujours périodiquement rappelée depuis votre arrivée au pouvoir, d'une loi « facilitant l'accès des PME aux marchés publics »… marchés qui intéressent, je le souligne, aussi bien les industriels que les commerçants et les prestataires de services.

Je sais, Monsieur le ministre, Madame la ministre, que vous y êtes favorables. Je serais heureux que vous vouliez bien, tout à l'heure, évoquer la date à laquelle nous pouvons l'espérer cette loi. Tout le monde, ici, connaît parfaitement le problème. Les grandes entreprises raflent les marchés publics des collectivités locales par des moyens que j'ai déjà très souvent dénoncés et stigmatisés. Il faut mettre fin à ces évidents et criants « abus de position dominante ».

Il faut mettre fin à la dictature du « moins disant » télécommandé par les grands groupes pour donner sa place au « mieux disant », et cela de telle sorte que le maître d'ouvrage puisse le faire en toute sécurité juridique. Un dispositif simple devrait permettre de détecter les offres anormalement basses, tout en respectant naturellement la concurrence. Enfin, des dispositions prenant en compte la spécificité de la sous-traitance doivent être définies. Cela veut dire clairement que les PME doivent avoir une part dans les marchés publics et que cette part doit faire l'objet d'un suivi grâce à la mise en place d'une structure adéquate.

Au plan de la fiscalité, il faut également traiter les entreprises à raison de leur taille, aux trois niveaux, que défend la CGPME, c'est-à-dire, celui de la très petite entreprise, celui de la petite entreprise et celui de la moyenne entreprise. Car, vous savez parfaitement, Monsieur le ministre, Madame la ministre, que la définition de la PME, adoptée en France depuis cinquante ans, va de 0 à 500 salariés et couvre ainsi un champ très large de situations diverses.
Pour les très petites entreprises, nous avons bien noté dans la loi de finances de 1999, la hausse prévue de la franchise de TVA. Elle passera de 100 000 F de chiffre d'affaires 175 000 F pour les artisans et les prestataires de services facturant un travail, et à 500 000 F de chiffre d'affaires pour les entreprises facturant des marchandises.

C'est une bonne mesure, qui simplifiera incontestablement la vie de 500 000 très petites entreprises, dont une majorité écrasante est constituée, vous le savez, de travailleurs indépendants.

Cette mesure budgétaire nouvelle et heureuse s'inscrit bien ainsi dans la démarche permanente de notre Confédération visant à obtenir des dispositions prenant en compte la spécificité de l'entreprise individuelle.

Pour les petites entreprises, cette fois, nous notons que, dans vos décisions, vous appliquez le seuil de référence au chiffre d'affaires de 50 millions fixé par Bruxelles. Nous l'avons constaté, notamment l'an dernier, avec l’impôt progressif sur les sociétés qui a profité, c'est vrai, à 96 % des entreprises à forme sociétale, soit 625 000 sur 650 000.

Nous le voyons encore cette année avec la réforme de la taxe professionnelle puisque la hausse de la cotisation minimale épargnera toutes les entreprises faisant moins de 50 millions de chiffre d’affaires.

Vous les avez naturellement privilégiées car elles sont, c'est bien connu, très créatrices d’emplois.

Nous ne pouvons que vous en remercier…

Cependant, le seuil plafond de la PME a été fixé à 250 millions de francs de chiffres d'affaires par Bruxelles. Nous vous demandons, Monsieur le ministre, d'intégrer ce chiffre dans vos décisions fiscales futures car nous manquons, c'est notable, en France, d'entreprises moyennes. Elles ont besoin, elles aussi, d'augmenter leurs fonds propres ; il ne faut surtout pas qu'elles continuent à être laminées, elles comme toutes les autres, par les prélèvements sociaux et fiscaux, à partir de lois générales qui traitent une PME de quartier comme on traite toujours, obstinément, notamment dans le domaine social, aujourd'hui, une multinationale.

L'allègement de la taxe professionnelle sur cinq ans, au titre de la part salariale, va toucher dès l'an prochain 820 000 établissements sur les 1 million 200 000 établissements concernés, soit près de 70 % des PME, j'en conviens. Cet allègement va ainsi favoriser les secteurs à forte densité de main-d'œuvre, comme les services, le bâtiment et le commerce, certes.

Mais nous vous demandons, notamment pour les moyennes entreprises PME-PMI, de veiller, lors de la remontée des minima à éviter les fortes distorsions prévisibles comme on en a connu en 1975 après la suppression de la funeste patente.

Et de plus, puisque cette catégorie d'entreprises moyennes constitue notre « force de frappe » l'exportation, il faut avec précaution préserver tout ce qui touche à leur pérennité et à leur transmission.

C'est pourquoi – au nom de toutes les PME, certes, mais plus particulièrement sans doute au nom des entreprises moyennes – je vous redis notre hostilité à voir incorporer, même partiellement, l'outil de travail dans l'ISF : notre hostilité à ce qu'on touche à la rétroactivité de la loi sur les contrats d'assurance-vie qui, à nos yeux, ne sont pas fait pour spéculer mais pour mieux transmettre nos entreprises.

Je vous remercie d'avoir renoncé à cette rétroactivité ainsi qu'annoncé par la presse ce matin. Je demande à l'Assemblée de vous en remercier.

Enfin, sur un plan général, pour toutes les catégories d'entreprises très petites, petites et moyennes, que la CGPME représente, je vous rappelle, Monsieur le ministre, Madame la ministre, notre déception de voir, quoi qu'on dise officiellement, de voir le nombre de fonctionnaires et personnels à statut augmenter subrepticement et les prélèvements obligatoires, malgré les promesses faites, ne baisser qu'à dose homéopathique.

Une baisse significative de l'impôt sur le revenu – c'est-à-dire une baisse parfaitement lisible celle-là - devrait être réalisée.
Avec toutes les classes moyennes auxquelles nous appartenons, nous les PME-PMI qui travaillons à notre compte et à nos risques, nous nous sentons toujours spoliées de nos efforts, sur notre travail, sur nos acquis d’épargne.

Pour tout le reste, en attente, nous comprenons qu'on ne peut pas tout faire, certes, en 16 mois de Gouvernement.

Notre catalogue est bien connu de vous Madame la ministre. Au passage, nous nous félicitons des excellents rapports qui nous lient a votre cabinet comme à celui de Monsieur STRAUSS-KAHN.

Les dossiers les plus urgents, sans ordre hiérarchique, peuvent être ainsi catalogués :

D'abord tout ce qui touche à l'EURO et au passage à l’an 2000 :

Aucune décision n'a été encore envisagée pour, par des mécanismes appropriés, alléger les coûts de ces deux passages onéreux pour les entreprises. Il conviendrait, par exemple, de prévoir la mise  en place d'un mécanisme d'amortissement fiscal adapté à tous ces investissements de contrainte qui ne rapporteront aucun accroissement de chiffre d'affaires à nous tous qui les subiront ces contraintes.

Ensuite, tout ce que vous connaissez déjà de nos revendications permanentes pour le commerce, pour 1'industrie, pour les prestataires de services dans les domaines de la concurrence, de la protection des PME, quand l'intérêt général est en cause, reste inchangé, non réglé, toujours, hélas, à l'ordre du jour : l'inventaire de tout cela reste inscrit dans nos divers livres blancs qui sont en votre possession.

Nous connaissons votre talent, Monsieur le ministre, Madame la ministre, sur le plan de la dialectique. Mais l'auditoire qui est en face de vous n'est pas constitué de militants politiques. Nous avons reçu, ici ou ailleurs, tous les Premiers ministres, ou ministres tuteurs, de droite comme de gauche. Cela nous conduit à savoir parfaitement à qui, malgré les cohabitations successives, nous continuons imperturbablement d'envoyer nos chèques, cotisations et contributions au titre de toutes les rubriques fiscales et sociales. Le montant de ces chèques ou versements de tous ordres malgré toutes les déclarations ou affirmations, ne cesse de s'accroître. Nous allons évidemment entendre dans un instant, très probablement, le contraire, c'est-à-dire vos apaisements ou peut-être vos promesses. Nous vous demandons d'entendre notre propre sentiment d'inquiétude et le témoignage de notre vécu : l'Etat – sous toutes ses formes bien entendu, toutes collectivités confondues vivant de nos contributions en tous genres, – ne cesse de peser, de jour en jour, plus lourd.

Naguère, dans nos livres d'histoire, pour illustrer les inégalités, à la veille de la Révolution, on voyait, en caricature, un homme du peuple, portant péniblement sur ses épaules un prêtre, symbolisant ce qui était dû au clergé, et sur les épaules du prêtre un noble en habit de cour. Le malheureux, représentant le Tiers Etat, portant le tout, ne pouvait plus bouger, trop chargé qu'il était, naturellement d'impôts et dîmes en tous genres.

Il m'apparaît qu'aujourd'hui les entrepreneurs de notre pays sont dans cette position de paralysie.

Les statistiques récentes moins favorables sur l'emploi dans les PME, me paraissent l'illustrer – devant la crainte notamment de ce qui nous apparaît être une erreur historique du Gouvernement, je veux parler naturellement des 35 heures.

Selon les chiffres officiels, au 23 septembre, il y aurait eu 321 accords signés concernant 45 444 salariés. Ces chiffres, contrairement à ce qui a pu se dire, sont médiocres du point de vue de la mise en œuvre de la loi sur les 35 heures.

En effet :

D'abord, 45 444 salariés ne représentent que 0,32 % du total des salariés recensés par 1'UNEDIC en 1997 et qui sont au nombre de 14 010 000.

Ensuite, et cela est très important, il n'y a eu que 2 675 emplois créés sur les 45 444 salariés concernés. On voit déjà sur cet échantillon, certes restreint, que « l'effet emploi » est tout à fait mineur.

Enfin, s'agissant du nombre d'accords (321 accords, je le répète, sur une période d'environ 3 mois et demi), cela reste un chiffre dérisoire par rapport aux 13 000 accords signés, dans le domaine social, chaque année.

A ce rythme, si le seul volontariat était admis, c'est près de 99 000 accords et 90 ans qu'il faudrait pour couvrir l'ensemble des 14 010 000 salariés, dans le cadre de la fameuse loi sur les 35 heures. Bien sûr, ce rythme s'accélèrera puisqu'à court terme, l'épée dans les reins, nous allons tous devoir appliquer cette fameuse loi sous la contrainte.

Notre position reste ainsi inchangée, inspirée d'un souci de légitime défense économique.
Elle vise à ce que cette loi AUBRY s'instaurant de force, sous la contrainte, le soit à compte nul, c'est-à-dire sans charge encore nouvelle pour nos entreprises.

Dès lors, notre démarche consiste :

– d'une part, à donner la priorité, avant les dates butoirs d'application, sauf cas particuliers d'entreprises naturellement, à l'action volontaire des branches professionnelles qui sont les plus à même d'évaluer la situation des entreprises de leur secteur et d'élaborer les nécessaires contre-propositions et recherches de compensations ;
– d'autre part, à demander d'ores et déjà aux pouvoirs publics que figurent dans le deuxième volet législatif (loi discutée fin 1999) les nécessaires assouplissements à même de limiter les très graves difficultés qu'entraîne la réduction obligatoire et massive de la durée légale hebdomadaire du travail pour les PME.

Il s'agit, notamment, de :

– l'adaptation du régime des heures supplémentaires à travers une majoration limitée (par exemple de 10 % du prix) des heures supplémentaires entre 35 et 39 heures et le maintien d'un contingent d'heures supplémentaires libre en moyenne d'au moins 200 heures ;
– la possibilité, sur la base du volontariat, de mettre en œuvre les 35 heures dans le cadre annuel.

Cette loi sur les 35 heures, Monsieur le ministre, Madame la ministre, reste à nos yeux une mauvaise loi car, si nous ne sommes pas entendus, par quelque côté qu'on la prenne, de quelque manière que vous nous l'appliquiez, elle alourdira, immédiatement ou à terme, les charges des entreprises à coup sûr et, à coup sûr encore, ne provoquera pas la baisse du chômage. Vous ne pouvez tout de même pas rendre l'embauche obligatoire. Mais vous nous ferez payer le prix de la baisse obligatoire du temps de travail et ce prix pourra conduire les PME à faible marge, finalement, au tribunal de commerce.

L'histoire, pourtant, nous a montré déjà qu'il n'y avait pas de lien direct entre l'abaissement de la durée du temps de travail et l'abaissement du taux de chômage.

Ainsi, en 1936, l'année où le Front populaire a instauré la semaine de 40 heures, on a fait baisser autoritairement la durée du temps de travail de 8 heures, le double de la décision de cette année. Or, en janvier 1936, on comptait quelque 400 000 demandeurs d'emploi selon la définition de l’époque ; en décembre de la même année 864 000. Le nombre de chômeurs avait plus que doublé en un an.

Pendant ce temps, les Allemands travaillaient 54 heures et on sait ce qu'il est advenu 4 ans après...en 1940.

Toutes choses égales, il en est de même aujourd'hui dans le conflit mondial, d'ordre économique cette fois certes, dans lequel nous sommes engagés : on nous pénalise en nous mettant en position de moindre compétitivité ; durant que des milliards d'hommes de par le monde s'éveillent au travail, quand ce n'est pas pour certains au travail forcé, y compris femmes et enfants et donc à des coûts imbattables.

D'où notre position bien connue de réserve, voire d'hostilité, devant cette loi qui se veut généreuse, nous le comprenons bien, mais qui menace les PME directement car, naturellement, les grandes entreprises, elles, sauront s'adapter, ne serait-ce qu'en délocalisant encore davantage. Certaines, dont les noms sont internationalement connus, viennent, encore tout récemment, de l'annoncer sans aucun état d’âme.

Je dois dire aussi qu'à l'erreur sur les 35 heures est en train de s'en ajouter une autre : celle qui consiste à réserver les invitations à l'embauche qu'utilisent beaucoup de PME aux seuls salariés peu ou pas qualifiés : je pense naturellement au sort fait à la prime incitatrice pour le contrat de qualification.

Quoi qu'il en soit, votre projet de loi de finances pour 1999, Monsieur le ministre, a été adopté en Conseil des ministres.

On dit, vous dites, nous disons, tout le monde dit qu'il faut résolument réduire les impôts qui pèsent sur les français et leurs entreprises. Puissions-nous le constater au cours de cette nouvelle année fiscale.

Je demande à l'Assemblée de bien vouloir vous réserver ses applaudissements les plus chaleureux, si vous confirmez, Monsieur le ministre, tout à l'heure le vœu que je viens d'exprimer relatif à votre volonté affichée de baisser les impôts.

Je vais quitter cette tribune car je sais que votre temps, ainsi que celui de Madame, est compté.

Vous allez, c'est probable, nous parler de la France et la macroéconomie ne sera sans doute pas absente de la démonstration, assurément optimiste, de l'agrégé de sciences économiques que vous êtes.

Seriez-vous, Monsieur STRAUSS-KAHN, un ministre des finances réellement heureux ?

Seriez-vous le thaumaturge que nous attendions depuis si longtemps ?

Nous, en tout cas, notre potage quotidien est constitué de microéconomie. Celle-ci ne se superpose jamais, hélas, avec les éléments de la macro-économie qui vous sont, par fonction, familiers, à vous, comme à Madame la ministre.

Tout en nous efforçant de rester optimistes devant les statistiques officielles, tout en nous efforçant d'être fiers même de ces statistiques qui, parfois, cependant nous surprennent par leur jeu de yoyo, de trimestre en trimestre, nous ne pouvons pourtant – compte tenu de ce que nous considérons, je le répète, chaque jour dans notre assiette – nous empêcher de songer au mot attribué à DISRAELI.

Il y a, disait-il, trois degrés dans le mensonge :

– le mensonge ordinaire, celui de chaque jour ;
– le mensonge sacré ou l’on prend Dieu à témoin ;
– et les statistiques.

Je veux dire par là, à nouveau, avec précaution et respect – sachant que je parle à un éminent universitaire, je l'ai déjà dit, mais par surcroît diplômé de l'Institut des statistiques de l'Université de Paris – qu'il y a loin de la macro à la micro.

Toutefois, aujourd'hui, vous ayant face à nous, nous ne demandons, vous le voyez bien, qu'à vous croire.

Mais, au-delà, c'est partager vos certitudes économiques pour la France que nous souhaiterions pouvoir faire, à l’écoute de votre allocution sur la politique gouvernementale en faveur des PME, nous faisant peut-être oublier, ne serait-ce qu'un instant les risques quotidiens que nous font courir les décrets et les lois d'un Etat – qu'à travers les cohabitations successives – nous respectons, certes, mais au même degré où nous le redoutons.