Interviews de M. Bruno Mégret, délégué général du FN, dans "La Une" de mai 1997 et dans "Les Echos" du 7 mai 1997, sur les relations entre le FN et les partis de droite, le mondialisme et les propositions économiques du FN.

Prononcé le 1er mai 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives anticipées des 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission Face à la Une - Energies News - Les Echos - La Une - Les Echos

Texte intégral

Date : Mai 1997
Source : La Une

La Une : Bruno Mégret, vous venez du RPR que vous avez quitté en 1982, comment jugez-vous l’évolution des partis de la majorité ?

Bruno Mégret : Je pense qu’il y a une dégénérescence complète de la classe politique française qui me fait penser que la situation actuelle ne pourra pas durer encore très longtemps. Cette dégénérescence est liée à deux phénomènes majeurs. À la fois l’impuissance et la corruption. Bien entendu, tous les politiciens ne sont pas corrompus, je ne ferai pas ce procès-là, mais je constate qu’il y a une complicité générale.

Prenons l’exemple de Vitrolles : lorsque l’ensemble de la classe politique soutient notre adversaire mis en examen, on peut dire qu’il y a là une véritable complaisance à l’égard de la corruption qui contamine l’ensemble de la classe politique, y compris ceux qui à titre personnel n’ont pas commis d’infraction. Ce n’est d’ailleurs pas seulement une question éthique ou morale, mais cela va bien au-delà du fait. C’est une question politique majeure.

Comment voulez-vous qu’une nation se respecte, se redresse, puisse être fière d’elle-même, croire en son avenir et en son destin, si elle ne peut avoir et en son destin, si elle ne peut avoir que du mépris pour ceux qui la dirigent. Comment voulez-vous que ceux qui la gouvernent puissent avoir une autorité morale et entraîner un peuple s’ils ne sont pas respectés.

C’est, d’autre part, l’impuissance qui caractérise également les gouvernements successifs du PS aussi bien que de l’UDF et du RPR. Ce dernier est incapable de résoudre les problèmes, de peser sur les événements. On a l’impression qu’ils sont incapables d’agir et qu’ils se contentent d’observer, or le propre d’un politique est bien l’action !

Lorsque l’on entend M. Chirac s’exprimer, on a le sentiment que c’est plus un observateur et un analyste qu’un acteur, et c’est ce qu’il y a de plus grave en politique, car si ces gens-là ne sont pas capables d’agir sur les événements, ils ne servent à rien… Si en plus, ils se servent au passage, c’est le comble.

La Une : Oui, mais mécaniquement, vous ne pouviez pas vous servir, puisque vous n’avez jamais eu le pouvoir ?

Bruno Mégret : Bien sûr, on peut le dire, c’est très facile. Mais ce que je constate, c’est que ceux qui viennent au FN sont des gens qui précisément ne viennent pas à la politique pour se servir, puisque chez nous il n’y a aucun avantage à glaner. Il n’y a plutôt que des coups à prendre ! C’est la grande force du FN, et l’une des choses les plus positives qu’il peut apporter à la France, ce sont des femmes et des hommes sélectionnés pour leur conviction et leur courage. Or c’est bien de cela dont nous avons besoin à présent en France pour renouveler la scène politique française : des gens de caractère et de conviction.

La Une : Comment voyez-vous l’avenir politique du FN ?

Bruno Mégret : Ce qui est important aujourd’hui, c’est que le FN apparaît pour tout le monde comme un mouvement qui va durer et qui restera définitivement enraciné dans la vie politique française. C’est d’ores et déjà le grand succès de Jean-Marie Le Pen que d’être parvenu à conduire cette édification politique de grande ampleur. Je pense, pour ma part, que le FN est destiné à conquérir le pouvoir tôt ou tard ! Plusieurs facteurs me permettent de l’affirmer avec autant d’assurance.

D’abord, la classe politique est – comme je viens de le dire – en pleine dégénérescence. Ensuite, nos idées sont en train de devenir majoritaires dans l’opinion publique, même si beaucoup de Français ne sont pas conscients que les idées qui leur apparaissent évidentes aujourd’hui sont les idées du FN. Il y a en effet une espèce de voile lié à la désinformation et à la diabolisation, qui les empêchent parfois de faire cette connexion. Mais lorsque les idées gagnent, la victoire électorale vient.

La Une : Vous n’excluez pas que le FN soit majoritaire aux législatives.

Bruno Mégret : Je n’exclue pas ce cas de figure, à condition bien sûr qu’il y ait des événements qui accélèrent un peu le processus de prise de conscience des Français. Pour l’instant – compte tenu de ce que nous pouvons observer –, je pense que le FN va progresser de façon très significative mais pas suffisamment sans doute pour avoir une majorité de députés ou d’électeurs. Si cela ne vient pas en 98, ce sera pour les années suivantes.

La Une : Est-ce que Vitrolles a changé quelque chose dans les perspectives de votre parti ?

Bruno Mégret : Vitrolles est un événement très important dans l’histoire du FN. C’est la démonstration « grandeur nature » que le FN, seul contre tous, sans effet de surprise, sans circonstance particulière, est capable d’avoir la majorité alors même que les deux camps avaient mis toutes leurs forces dans la bataille. Donc oui, je crois que c’est un grand tournant dans l’histoire du FN. C’est notamment ce qui me permet de penser que nous sommes entrés dans une troisième phase.

Après l’émergence, après l’implantation, nous nous trouvons dans celle de la maturité et de la conquête du pouvoir. Personnellement, je m’inscris tout à fait dans cette perspective.

C’est ce qui motive depuis toujours mon engagement au FN : faire en sorte que le FN soit un mouvement du Gouvernement et arrive au pouvoir.

La Une : Vous dites que le FN aura du mal à être majoritaire seul. Cela suppose une alliance. Avec qui et dans quelles conditions celle-ci est-elle envisageable ?

Bruno Mégret : Il est vrai qu’il y a très peu de mouvements politiques qui soient arrivés au pouvoir – au moins à l’Assemblée nationale – avec une majorité absolue et homogène. Ceci dit, il ne faut pas oublier le fonctionnement de nos institutions : le président de la République est toujours élu avec une majorité absolue. Je ne suis pas du tout hostile à une alliance pour arriver au pouvoir, cela peut même être un accélérateur, mais encore faut-il avoir des partenaires. Or il se trouve qu’aujourd’hui nous n’avons pas de partenaires possibles, car il n’est pas question de faire alliance avec le PS ou le PC, ni même avec le RPR et l’UDF, puisque ces partis sont au pouvoir et font une politique contraire à celle que nous souhaitons. Par conséquent, en l’état actuel des choses, il n’y a pas de possibilités d’alliance.

Mais l’aggravation des problèmes, l’échec des gens au pouvoir et la montée en puissance du FN, tout concourt à provoquer tôt ou tard une implosion de la classe politique, une redistribution des cartes, une nouvelle donne. Et des partenaires issus d’une régénération du système politique pourront dès lors se constituer et se présenter à nous.

La Une : Vous semblez dire que l’on se dirige naturellement vers de nouveaux clivages ?

Bruno Mégret : Ce qui me paraît évident, c’est que nous nous trouvons dans une période de mutation politique où les clivages anciens « droite-gauche », « libéraux-socialistes » ou « capitalistes-communistes » sont dépassés. Le nouveau clivage aujourd’hui est celui des idées nationales contre les idées mondialistes. Ce n’est pas un hasard si la grande mode aujourd’hui c’est le mondialisme. C’est-à-dire l’acceptation de la mondialisation par le biais de Maastricht, du nouvel ordre mondial, du Gatt, de l’immigration, de l’Euro… Par tous ces phénomènes qui conduisent à déposséder la France de sa souveraineté, le « politiquement correct » est contre la Nation.

La Une : Pourquoi opposer ainsi national et mondialiste, on peut être les deux à la fois…

Bruno Mégret : Non, on ne peut pas. Par contre, qui dit affirmation de l’identité nationale ne dit pas fermeture au monde. Prenons l’exemple de la maison. Il y a trois façons de procéder : soit vous murez les portes et les fenêtres et vous vivez en autarcie. C’est une vision rétrograde qui n’est pas du tout la nôtre. Soit vous démontez les portes et les fenêtres en laissant la maison ouverte à tous les vents. C’est la position de la classe politique qui supprime tous les contrôles à nos frontières. C’est la politique mondialiste que nous rejetons.

Nous sommes donc partisans d’une vision plus traditionnelle et plus modérée : ouvrons les portes quand c’est bénéfique et fermons-les lorsque c’est utile. La mondialisation est à l’origine de la formidable régression sociale que nous connaissons aujourd’hui. Il y a un décalage total dont on ne mesure pas suffisamment l’ampleur, entre les dirigeants qui considèrent que la situation n’est pas si mauvaise parce que le Franc est fort, que l’inflation est jugulée, que le commerce extérieur est bénéficiaire et que les critères de Maastricht vont être respectés, et les Français qui constatent l’augmentation du chômage, la baisse du pouvoir d’achat, la montée de la précarité…

La Une : On voit difficilement une France se refermer dans l’Europe.

Bruno Mégret : Il n’est pas question pour la France de se couper du monde. Mais je rappelle que les pays qui sont les plus performants sur le plan du commerce extérieur sont des pays protectionnistes comme le Japon, les dragons d’Asie et même, d’une certaine façon, les États-Unis. Je ne vois pas pourquoi ce qui est possible pour les uns ne le serait pas pour les autres. Et lorsque l’on me dit qu’un Français sur quatre travaille pour l’exportation, je demande combien d’emplois ont été détruits par les importations. Donc il faut de la mesure. Nous ne sommes pas contre le commerce international mais contre la religion du commerce international et nous sommes partisans de rétablir – si possible aux frontières de l’Europe, sinon aux frontières de la France – des écluses douanières. C’est d’ailleurs ce que préconise le prix Nobel d’économie, M. Maurice Allais, pour assurer la stabilité des ensembles économiques homogènes les uns par rapport aux autres.

La Une : Pourquoi tous ces rendez-vous manqués entre les partis de la droite ? L’UDF ou le RPR n’ont-ils jamais tenté de passer des alliances avec vous comme nous le révélait un ancien de votre parti dans un précédent numéro de « La Une », Olivier d’Ormesson, président du CNIP ?

Bruno Mégret : Je ne pense pas que Chirac ou quiconque ait tenté de passer des alliances avec nous. La meilleure preuve est qu’en 1986, lorsque le FN est entré à l’Assemblée nationale avec un groupe parlementaire, nous avons été d’emblée rejetés dans l’opposition avant même d’avoir ouvert la bouche et de nous prononcer nous-mêmes sur la question. Il y a dès l’origine une attitude délibérée du RPR et de l’UDF contre le FN.

La Une : Pourquoi selon-vous ?

Bruno Mégret : Il est difficile de répondre à cette question. D’abord parce que comme toujours, lorsqu’un nouveau concurrent s’installe sur le marché il y a une réaction de rejet de la part de ceux qui sont en place. Et il y a peut-être aussi la persistance d’une subordination idéologique du RPR et de l’UDF par rapport à la gauche, subordination qui existait déjà avant l’arrivée de Mitterrand au pouvoir et qui a perduré.

Lorsque l’on voit la complaisance aujourd’hui encore de l’UDF et du RPR avec le communisme (alors même que le communisme s’est effondré à l’Est et qu’il serait temps de faire le procès de Nuremberg du communisme), il y a là quelque chose d’extrêmement curieux et de très révélateur. Les gens de l’UDF et du RPR sont des gens du passé, qui vivent encore avec les schémas du passé. Ils restent subjugués par l’idéologie de leurs anciens adversaires, ils ne sont pas sortis de cette période. En fait, contrairement à ce que l’on pense, c’est le FN qui est le seul parti politique d’avenir. Les partis en place actuellement appartiennent encore à la période de l’après-guerre, alors que nous appartenons à la période qui suit.

La Une : Le but n’est-il pas de trouver des solutions aux difficultés des Français. Vous êtes également responsable de cette division ?

Bruno Mégret : Pour ma part, je me réjouis que nous n’ayons pas passé de compromis. Imaginez que cela ait été le cas, le FN serait aujourd’hui totalement discrédité par la politique menée actuellement dont il serait co-responsable. Alors qu’en restant ferme, le FN a conservé aux Français la possibilité d’une autre solution, d’une alternative d’espoir. Pour résoudre les vrais problèmes de notre pays, il faut un mouvement qui ait une volonté politique puissante.

C’est toujours la même chose en période de déclin : tout le monde sait ce qu’il faut faire. Le vrai problème c’est de le faire. Or c’est ce qu’apporte le FN. Il est capable d’agir, comme nous venons de le montrer à Vitrolles : nous serons capables de baisser les dépenses publiques parce que nous aurons la volonté politique tout en étant prêts à en assumer les conséquences.

La Une : Mais si vous aviez passé un accord avec la majorité en place, vous auriez influencé les choses de l’intérieur…

Bruno Mégret : Je ne le pense pas. Car dans les alliances, c’est toujours celui qui est en situation dominante qui donne le ton. Dans le cas d’une alliance entre le RPR-UDF et le FN, c’est le RPR-UDF qui aurait été en situation dominante. Cela n’aurait pas donné aux Français une situation politique très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui.

Si j’ai dit tout à l’heure que je n’étais pas opposé à des alliances avec des fractions rénovées de la classe politique, c’est bien sûr à la condition que le FN soit en situation dominante pour que ce soit lui qui donne le ton. C’est la grande différence que je fais entre les alliances telles que vous les concevez et telle que je les conçois !

La Une : Vous estimez que ce sera possible quand ?

Bruno Mégret : j’estime que cela sera possible arithmétiquement bientôt, puisque le FN est aujourd’hui par exemple déjà devant l’UDF ! On ne s’en rend pas compte, parce que l’on agrège les chiffres du RPR et de l’UDF. Mais le FN est un mouvement plus important que l’UDF, et pratiquement à parité avec le RPR. Donc le FN est en passe de devenir le second parti politique français talonnant le PS. Ce qui compte, ce sont les électeurs et les militants. S’agissant des militants, nous sommes très bien dotés par rapport à nos adversaires. Quant aux électeurs, nous sommes en pleine phase ascendante.

La Une : Est-ce qu’un Premier ministre FN est quelque chose qui vous paraît possible ?

Bruno Mégret : Ce n’est pas impossible, pour peu que le FN soit en situation de gagner les élections législatives, et même si M. Chirac est encore président de la République. Cela serait une situation de cohabitation droite-droite. Une cohabitation d’un nouveau type.

La Une : Vous avez déploré la diabolisation du FN. Sur ce point pensez-vous que Jean-Marie Le Pen en ait trop dit ?

Bruno Mégret : Certains ont pu dire « Jean-Marie Le Pen n’aurait pas dû dire ça ». On peut en discuter longtemps. Ce que je constate, c’est que la liberté d’expression n’est pas de dire ce qui plaît aux gens en place. La vraie liberté est de pouvoir dire ce qui leur déplaît. En parlant comme il l’a fait à plusieurs reprises, Jean-Marie Le Pen a étendu le champ des libertés publiques en France. Si on ne peut plus s’exprimer qu’avec les mots du politiquement correct, cela signifie que les libertés sont déjà terriblement amputées dans notre pays ! Et si Jean-Marie Le Pen ne peut plus parler des inégalités entre les races sans être condamné, cela veut dire que demain en France plus personne ne pourra parler dès lors qu’il ne sera pas dans la ligne du politiquement correct. La classe politique représente aujourd’hui, par ses initiatives d’auto-défense, un danger pour la démocratie et la république. Elle provoque la montée d’une espèce de totalitarisme mou et insidieux qui conduit à réduire la liberté d’expression au nom de l’antiracisme.


Date : 7 mai 1997
Source : Les Échos

Les Échos : Le programme économique du Front national se veut en rupture avec celui des Gouvernement au pouvoir depuis deux décennies. Comment avez-vous été amené à le bâtir sous sa forme actuelle ?

Bruno Mégret : Il existe un écart dramatique entre la façon dont la classe dirigeante décrit la réalité et la manière dont celle-ci est vécue par les citoyens. D’un côté, on se réfère à quelques indicateurs macroéconomiques pour expliquer que les choses ne vont pas si mal. Certes, on reconnaît que l’épine du chômage est douloureuse mais on ajoute aussitôt que grâce à la croissance retrouvée, les choses vont finir par s’arranger.

Si l’on se place du point de vue des Français, c’est une régression sociale qu’ils ressentent. Le chômage se développe plus vite que ne l’indiquent les chiffres officiels. Il atteint sans doute les 6 millions de personnes, chiffre confirmé par des économistes indépendants comme le professeur Maurice Allais. Le pouvoir d’achat des ménages est orienté à la baisse notamment dans la catégorie des plus faibles revenus.

Comment expliquer cette dégradation ? La France souffre du cumul de deux maux dont la combinaison produit des effets meurtriers : le mondialisme d’un côté, l’étatisme de l’autre.

L’appareil de production industrielle est pris entre deux feux. D’une part il est soumis à des prélèvements abusifs, et de l’autre il est livré sans protection aux coups de butoir de la concurrence étrangère sauvage. On demande aux chefs d’entreprise de descendre dans l’arène de l’économie internationale et en même temps on les ligote. Tout en leur demandant de créer des emplois…

Les Échos : Un pays développé comme la France peut-il soudainement opter pour l’isolationnisme ?

Bruno Mégret : Nous refusons la fatalité de la mondialisation. Les Français sont victimes d’une mystification. On leur fait croire que le laisser-faire, le laisser-passer intégral, sont la seule attitude possible. Je suis ingénieur, donc je n’ignore pas les effets que les progrès de la technologie produisent sur l’économie mondiale. La planète se rapetisse mais les frontières des États ne sont pas pour autant condamnées à disparaître. En créant les conditions d’une concurrence sauvage entre les entreprises françaises et celles des pays à faible coût, on condamne nos entreprises à des restructurations, à des dépôts de bilan ou à des délocalisations. Dans les trois cas, on les condamne à fabriquer des chômeurs. Cette division internationale du travail que l’on nous présente comme inéluctable, personne ne peut nous expliquer où et comment elle peut s’arrêter. On nous dit que la France en tant que pays industriel développé doit maintenant se spécialiser dans les produits à forte valeur ajoutée. Mais en réalité, les secteurs les plus évolués comme l’automobile, l’aéronautique ou l’informatique subissent eux aussi les effets de la délocalisation forcée. Certains éléments de l’Airbus, dans la partie dévolue à l’Allemagne, commencent déjà à être fabriqués dans des pays asiatiques. Ce n’est qu’un début. Un grand nombre de peuples du monde sont capable de faire aussi bien que nous et pour beaucoup moins cher.

Le principe de la division internationale du travail méconnaît un facteur essentiel de la vie économique : le facteur temps. Rien ne dit que dans cinq ou dix ans, le rapport des facteurs de production ayant changé, on ne se retrouvera pas avec un double handicap. Ainsi par exemple, on commence par délocaliser les constructions navales vers un pays d’Asie qui connaît peu à peu une élévation de ses coûts et de son niveau de vie. Au bout de quelques années, on peut se trouver contraint d’acheter, à des prix plus élevés, des équipements que nous ne serions plus à même de produire nous-mêmes.

Les Échos : Pour l’instant, les résultats du commerce extérieur montrent une certaine capacité de résistance des entreprises françaises…

Bruno Mégret : L’excédent actuel s’explique en partie par la très faible croissance intérieure, elle-même marquée par le sous-investissement et le recul des importations. En outre, je pense qu’il est inapproprié d’analyser le commerce extérieur en termes exclusivement financiers, c’est-à-dire en valeur. On devrait utiliser un autre critère : je veux parler de la balance en termes d’emplois. Prenons l’exemple de nos échanges avec la Chine populaire, pays avec lequel nous avons un déficit de l’ordre de 10 milliards de francs : importations de 20 milliards, exportations de 10 milliards. Nous avons fait une étude sur le sujet. Les 10 milliards d’exportations fournissent du travail à 25 000 personnes. Mais les 20 milliards d’importations pourraient – si les produits importés étaient fabriqués en France – faire vivre 250 000 personnes.

À partir de cette analyse, comment construisez-vous votre programme d’action économique ?

Bruno Mégret : Jamais nous n’avons pensé établir un régime économique d’autarcie. Il ne s’agit pas d’interrompre les flux d’échange, mais plutôt de les réguler. Pour cela, il faut renoncer à la logique de l’instauration d’un marché unique mondial. La régulation, cela s’obtient en instaurant un système d’écluses douanières. Des écluses qui permettent de maintenir des niveaux différents des systèmes économiques et sociaux se trouvant dans des situations différentes. Cela n’interromprait pas les échanges, tout comme les écluses d’un canal n’ont pas pour but d’interrompre la circulation des péniches…

Les Échos : La réforme du système GATT-OMC ne peut cependant pas se faire de manière unilatérale.

Bruno Mégret : Les mesures que nous préconisons peuvent cohabiter avec l’OMC à condition que celle-ci change de méthode et de philosophie. Plutôt que de consacrer son action à supprimer tous les obstacles aux échanges, l’OMC devrait déterminer les niveaux des écluses à mettre en place pour maintenir sans traumatismes les échanges entre pays à niveaux de développement différents. Je ne suis pas naïf. Je sais bien que les États-Unis et l’OMC ne sont pas prêts à entendre un tel discours. Si le Front national arrivait au pouvoir, il aurait néanmoins la ressource de prendre des initiatives diplomatiques. La France pourrait prendre la tête d’un mouvement de contestation de l’ordre mondial dicté par Bruxelles et par les États-Unis.

Les Échos : Il s’agit là de mesures susceptibles de produire des effets à échéance lointaine. Quelles dispositions prévoyez-vous à court terme ?

Bruno Mégret : La France devrait commencer par prendre trois séries de mesures unilatérales. En premier lieu, instaurer aux frontières du pays – à défaut de pouvoir le faire aux frontières de l’Europe – un prélèvement douanier de 10 % en moyenne, à moduler selon les pays et selon les produits. Cela nous donnerait un premier outil de régulation susceptible d’être complété par une loi du type Super 301, à l’image de ce que font les États-Unis.

En second lieu, il faut stopper le processus de la monnaie unique et casser le dogme du franc fort. Au-delà de l’hérésie politique qu’elle représente – perte de la souveraineté politique –, la monnaie unique prive la France d’un outil essentiel de politique économique. Le franc doit être libre. La monnaie est et doit rester pour notre pays un instrument du combat économique international.

Troisième mesure structurelle : le retour des immigrés dans leurs pays d’origine. L’immigration non contrôlée a plusieurs effets négatifs du point de vue économique. Elle pèse sur les finances publiques à hauteur de 280 à 300 milliards de francs selon les estimations du rapport Milloz.

Les Échos : Comment calculez-vous ce chiffre ?

Bruno Mégret : Il recoupe des données d’origine diverses. Il y a d’abord un manque à gagner d’environ 60 milliards de franc pour la Sécurité sociale (différence entre ce que les immigrés financent par leurs cotisations et ce qu’ils perçoivent en retour). Il y a ensuite les dépenses consenties par l’État pour faire face aux problèmes de l’immigration.

Le retour des étrangers n’ayant pas de carte d’identité française dans leurs pays d’origine aurait un effet direct sur le chômage. Sur les 1,2 millions d’emplois régulièrement occupés par des étrangers établis régulièrement sur notre territoire, nous pensons qu’il y a 1 millions de postes susceptibles d’être occupés par des chômeurs français.

Les Échos : Quel votre programme en matière de ce que vous désignez comme « la réduction des méfaits de l’étatisme » ?

Bruno Mégret : Nous sommes pour un programme de baisse massive des charges et des impôts passant par une démarche volontariste. Cela doit commencer par la fixation d’un cliquet institutionnel : le blocage en francs courants de l’ensemble des dépenses publiques sur cinq ans. Bloquer en francs courants la dépense quand les recettes augmentent au régime de l’inflation et de la croissance, c’est un moyen d’alléger rapidement la charge budgétaire réelle. Une loi en ferait l’obligation à l’État et aux collectivités territoriales.

Dans un deuxième temps, il faut supprimer les 140 milliards de pseudo aides à l’emploi. Elles n’apportent rien en termes d’emplois et elles subventionnent les entreprises de manière malsaine. La suppression s’accompagnerait d’autant de réduction de charges pour les entreprises.

Autre voie : la réduction du nombre total de fonctionnaires, non par des licenciements bien sûr, mais par non-renouvellement de départs à la retraite. Enfin, il y a des économies à faire dans ce que l’on appelle les titres IV et V du budget de l’État, les interventions et les subventions. À condition bien sûr de poursuivre le programme des privatisations.

Les Échos : Le Front national s’est pourtant déclaré hostile au programme actuel des privatisations.

Bruno Mégret : Il faut privatiser tout ce qui relève du marché. Toutefois nous voulons maintenir sous la coupe de l’État les entreprises qui assurent les grands services nécessaires au fonctionnement de la Nation et celles qui opèrent dans le domaine des industries stratégiques. En clair, les industries de transport public, de communication, de production d’énergie et d’armement.

Les Échos : Vous maintenez donc France Télécom dans le secteur public ?

Bruno Mégret : Oui, car l’entreprise opère dans un domaine clé pour l’avenir de notre pays.

D’une façon générale, les Français se plaignent souvent de leurs entreprises publiques. Mais ce n’est pas nécessairement parce qu’elles sont sous la coupe de l’État qu’elles prêtent le flanc à la critique. Si certaines marchent mal, c’est parce qu’elles sont gangrénées par des syndicats politisés, peu soucieux de l’efficacité du service public. Il n’y a donc pas de raison de brader des institutions nécessaires à l’indépendance de la Nation.

Les Échos : Le Front national a annoncé qu’il augmenterait les bas salaires. Comment cela s’intègre-t-il dans votre programme économique ?

Bruno Mégret : Une politique sociale volontariste est le contrepoint naturel de notre programme économique. C’est pourquoi nous proposons d’augmenter le salaire minimum. La solution socialiste consiste à multiplier les prestations d’assistance. Nous avons une autre idée de ce que doit être une politique sociale. Les prestations d’assistance placent les individus sous tutelle, réduisent leur liberté, portent atteinte à leur dignité. Elles sont au mieux un palliatif. L’objectif d’une grande politique sociale ne doit donc pas être de multiplier les prestations, mais de chercher au contraire à les rendre inutiles. Cela suppose que tous les Français puissent vivre décemment du fruit de leur travail, sans aide ni assistance. Cela veut donc dire que les salariés dont les rémunérations sont les plus modestes doivent bénéficier d’un SMIC réévalué. Il vaut mieux que les entreprises versent des salaires directs plus conséquents et paient en contrepartie des charges sociales moins lourdes.

Les Échos : Quelles sont les grandes lignes de votre programme fiscal ?

Bruno Mégret : Il faut alléger les impôts qui pénalisent le travail et l’investissement. Cela implique d’abord la suppression de l’impôt sur le revenu. Une mesure qui ne remet pas en cause l’équilibre du système puisque l’impôt sur le revenu ne rapporte que 320 milliards de francs, une somme équivalente à ce que nous souhaitons obtenir comme économies budgétaires.

Deuxième cible : la suppression de l’impôt sur les successions en ligne directe, de façon à permettre aux Français de transmettre à leurs enfants leur patrimoine sans spoliation. Cela aurait un impact sur la croissance. D’une part en dissuadant les hauts revenus de pratiquer l’évasion de patrimoine vers l’étranger et en les incitant à investir sur notre sol. D’autre part, en permettant aux petites entreprises de ne pas risquer le démantèlement ou la disparition à chaque saut de génération.

Pour les entreprises, nous souhaitons alléger la charge des cotisations en retirant tout ce qui relève de la solidarité et de la politique familiale. Ces charges seraient inscrites au budget de l’État, qui hériterait en contrepartie du produit de la CSG.

Les Échos : Quel jugement portez-vous sur la Bourse et les comportements des Français en matière d’épargne ?

Bruno Mégret : La Bourse, c’est ce qui marche le mieux en France depuis que les socialistes sont passés au pouvoir. Nous n’avons pas l’intention de ralentir son mouvement général, mais d’un point de vue je dirais philosophique, nous tenons à rétablir une juste hiérarchie entre la rémunération du capitalisme d’entrepreneur et celle du capitalisme spéculatif. Par ailleurs, notre souci est d’aider les petits revenus à se constituer un patrimoine. Pour les socialistes, la propriété a pendant longtemps été considérée comme un vol. Pour nous, elle est un objectif social. Cela explique nos propositions en matière de fiscalité des transmissions. Mais aussi notre programme d’encouragement au capitalisme populaire et à la propriété du logement pour tous.