Texte intégral
France Inter : mardi 9 avril 1996
A. Ardisson : Avez-vous le sentiment d'avoir durci votre projet initial concernant la réforme hospitalière ?
J. Barrot : Non, nous avons simplement été au fond des choses pour essayer d'imaginer des dispositifs qui, tout en respectant l'impératif premier, la qualité du soin et l'accessibilité de tous à de bons soins, nous avons veillé à ce que chacun puisse prendre ses responsabilités. Que les médecins puissent se sentir plus engagés dans cette qualité du soin parce que l'assurance-maladie et son devenir dépendent de nous tous et bien sûr, d'abord d'eux.
A. Ardisson : La clef de voûte de cette réforme, c'est la création d'agences régionales. Elles vont refaire la carte hospitalière, si j'ai bien compris ?
J. Barrot : Ça veut dire qu'on régionalise. Il faut un pôle d'autorité et de compétence surtout : c'est l'agence régionale qui permet de regarder ensemble l'hospitalisation privée et l'hospitalisation publique – ce qui n'était pas le cas jusqu'ici – et de pouvoir faire le meilleur usage possible des ressources hospitalières en sachant par exemple que dans certains cas, mieux vaut reconvertir un service et dans d'autres, arriver à établir une complémentarité entre deux services ou deux établissements. Et puis il faut bien veiller à un bon usage de ces ressources qui sont mises à la disposition des hôpitaux par l'assurance-maladie.
A. Ardisson : Il s'agit d'une rationalisation que certains traduisent immédiatement par suppression d'emplois. Ça paraît logique.
J. Barrot : Non. Nous avons des besoins, notamment pour les personnes âgées dépendantes. Il y aura dans certains cas, effectivement, des reconversions à prévoir. Mais le personnel hospitalier relève d'un statut de la fonction publique hospitalière. Il ne s'agit pas de susciter, parmi ces personnels très dévoués, des peurs absolument injustifiées. Il s'agit simplement d'accepter que le monde hospitalier aussi s'adapte aux nouveaux besoins. On ne soigne plus de la même manière aujourd'hui qu'il y a vingt ans : il est logique que l'hôpital bouge et bouge pour un meilleur soin et aussi pour un meilleur usage des ressources de l'assurance-maladie.
A. Ardisson : Ces agences régionales seront dirigées par quelqu'un nommé en Conseil des ministres. Seront-elles toutes puissantes ?
J. Barrot : Il y aura autour de ce directeur, qui sera en effet un homme ou une femme choisi pour sa grande compétence, à la fois les représentants de la caisse régionale d'assurance-maladie et ceux des directions régionales et départementales de l'État. Autrement dit, on retrouve tout le monde au sein de l'agence et on travaille ensemble pour avoir une vue d'ensemble des hôpitaux mais aussi des cliniques, ce qui n'était pas le cas.
A. Ardisson : Et s'il y a des dérapages sur les dépenses ?
J. Barrot : Précisément, entre l'agence et chaque hôpital – où les médecins développent un projet d'hôpital, de services et de soins infirmiers –, il y a un contrat. Ce contrat, il s'échelonne sur plusieurs années pour permettre justement à la communauté hospitalière de pouvoir s'adapter, de pouvoir se redéployer. C'est donc beaucoup plus respectueux de la responsabilité, de l'autonomie des hospitaliers de prévoir un tel contrat sur plusieurs années qu'une tutelle qui tombait chaque année, un peu aveuglément. Donc il y a là un appel à la responsabilité. Je suis convaincu que ce pari, on pourra le gagner. Mais ce n'est pas parce qu'on aura fait l'ordonnance que tout sera fini, bien au contraire. Après, il faudra tisser entre tous les acteurs des liens de confiance et de responsabilité.
A. Ardisson : Y a-t-il encore des négociations et des modifications possibles par rapport à ce que vous avez présenté ?
J. Barrot : Bien sûr. Tant que le Conseil des ministres n'a pas adopté les ordonnances, il y a des possibilités de modifications. Mais attention, l'architecture a été établie après un long travail de concertation. Il est exclu que le Gouvernement modifie substantiellement ses ordonnances parce qu'elles sont l'aboutissement d'une réflexion en profondeur. J'ajouterais que pour l'hôpital, on parle de l'agence régionale, mais il faut aussi parler de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation qui elle, est une agence scientifique qui jugera de la qualité des établissements et les aidera ainsi à évoluer vers un soin toujours plus adapté aux besoins des patients, et sur des critères scientifiques. Donc il y a à la fois la démarche de qualité, la démarche de bon usage des ressources. Il me semble qu'on avance bien sur deux pieds et de manière conforme à l'intérêt bien compris des Français.
A. Ardisson : Ce qui touche peut-être plus directement les Français, c'est l'organisation de la médecine de ville. Il y a peut-être là des sources d'inquiétude. Par exemple, le passage par le généraliste avant d'aller chez un spécialiste va-t-il devenir obligatoire à terme ?
J. Barrot : Non, puisque précisément on parle d'expérience. C'est parce qu'on écarte en effet une obligation. Il faudra du volontariat à la fois de la part du médecin et du patient.
A. Ardisson : Quand on fait une expérience, c'est parfois pour la généraliser.
J. Barrot : Non, mais l'ordonnance fixe le cadre de l'expérience. Par conséquent, il est bon que dans le système français où nous vivons, surtout avec une médecine où le médecin est payé à l'acte, qu'il y ait des patients qui choisissent un médecin – vraisemblablement un médecin généraliste – qui puisse les suivre dans leur vie quotidienne pour leur maintien en santé, pour les orienter dans le système de soins. Il faut inventer, innover dans ce système de soins, tout en gardant les principes qui l'ont fait naître. Nous voulons sauver une médecine à la française. Ce que les médecins doivent comprendre, c'est que c'est vraiment la dernière chance pour eux de préserver justement ce qui a fait la richesse du système de soins, la liberté de prescription, la liberté de choix du malade. Mais attention ! On ne peut pas, à l'image de tous les autres pays, ne pas être très attentif à l'évolution des dépenses.
A. Ardisson : Pourra-t-on continuer à aller voir directement un spécialiste ?
J. Barrot : Bien sûr ! Tout en pensant que progressivement, un certain nombre d'expériences réussiront et permettront d'avoir pour chacun d'entre nous la possibilité de recourir à ce guidage par le médecin de famille. On retrouve, à la fin de ce siècle, l'intérêt majeur d'une très bonne médecine généraliste, qui permet d'éviter d'errer de spécialistes en spécialistes, alors qu'un bon aiguillage de départ éviterait des dépenses et des erreurs.
A. Ardisson : Le carnet de santé obligatoire permettra-t-il au patient de changer de médecin si besoin est ?
J. Barrot : Le carnet de soins, c'est l'instrument qui permet de pouvoir éventuellement rencontrer un autre médecin et de pouvoir lui dire ce que l'on a déjà reçu comme soins, ce que l'on a subi comme analyses, pour éviter les redondances, les doublons qui sont inutiles pour la qualité du soin et qui finissent par coûter très cher. Le carnet de soins qui entrera en vigueur à la fin de cette année, à l'automne, devrait permettre de bien soigner les Français. C'est ça qu'on ne comprend pas. Derrière cette réforme, ce n'est pas uniquement, contrairement à ce que dit une certaine propagande et des mots d'ordre dépassés, une question comptable : nous allons vers des économies par le juste soin et par une sagesse dans l'usage des moyens diagnostics des médicaments. On ne mesure pas la qualité du soin à la longueur de l'ordonnance systématiquement.
A. Ardisson : N'y aura-t-il pas un intéressement des médecins au respect des plafonds imposés ?
J. Barrot : Nous allons vivre la révolution informatique. Elle va aussi permettre aux médecins de mieux situer sa pratique comparée avec celle de ses pairs et pouvoir ainsi aller vers une pratique de plus en plus juste. Du même coup, il est vrai que les médecins auront intérêt à bien faire attention. Ils éviteront ainsi toutes les sanctions individuelles éventuelles que nous avons prévues. C'est pourquoi tout repose essentiellement sur ce que nous appelons une maîtrise médicalisée individualisée. Le reste, par exemple le report ou le paiement différé d'honoraires, n'est qu'un moyen secondaire et qui deviendra, je l'espère, vite inutile.
Libération : 12 avril 1996
Libération : On ne peut pas dire que la publication des trois ordonnances sur la maîtrise des dépenses de santé ait provoqué un tonnerre d'applaudissements, tant chez les médecins de ville qu'à l'hôpital.
Jacques Barrot : C'est la peur qui surgit ! La peur de l'inconnu, d'avoir à modifier certaines habitudes. Et puis on s'est trop focaliser sur les sanctions. La réforme ne se résume pas aux sanctions.
Libération : Le dispositif de sanctions à l'égard des médecins qui ne respecteraient pas les bonnes pratiques médicales paraît confus. Les uns l'accusent de laxisme, les autres d'autoritarisme.
Jacques Barrot : Ce dispositif résulte de longues discussions qui ont eu lieu autour de la convention médicale : les médecins s'étaient mis d'accord sur des références médicales opposables (c'est-à-dire des traitements standard devant certaines pathologies, ndlr) et sur le fait que le non-respect de ces pratiques impliquait des sanctions individuelles. Quand, par exemple, un médecin prescrit de façon démesurée. Nous nous sommes simplement assurés, dans le projet de l'ordonnance, de l'efficience de ces sanctions. Et on peut dire que, jusqu'à présent, les sanctions n'avaient été prises qu'au compte-gouttes. Désormais, un comité régional exclusivement composé de médecins se substituera aux partenaires défaillants pour sanctionner.
Libération : Mais les sanctions peuvent aussi être collectives ?
Jacques Barrot : C'était déjà le cas. On a juste modélisé les choses : si les objectifs de dépenses de santé, fixés annuellement, ne sont pas tenus, il y aura report des augmentations des honoraires pour tous les médecins. En revanche, si les objectifs sont atteints, il y aura un versement au profit des médecins et une revalorisation immédiate. S'il y a un dépassement très fort qui ne peut être « régulé » par les dispositifs normaux, l'assurance-maladie pourra demander un reversement aux médecins : celui-ci sera individualisé. Il faut bien comprendre le sens de cette mesure : s'il y a un dépassement important, une partie en sera bien imputable au nombre d'honoraires payés aux médecins. En d'autres termes, le revenu des médecins aura progressé nettement plus rapidement que l'objectif que la société française s'était fixé. Qu'y a-t-il de choquant dans cette règle ? Où est l'injustice ?
Libération : Dans l'état actuel de la préparation des textes, un accord avec les syndicats de médecins vous paraît-il encore indispensable ?
Jacques Barrot : Le plus souhaitable et le plus efficace, c'est de retrouver une vraie vie conventionnelle entre les différents partenaires sociaux, active et responsable au plein sens du terme.
Libération : Mais, manifestement, les syndicats de médecins n'y semblent pas prêts.
Jacques Barrot : Quelquefois, on se met en marche sous le coup de la contrainte alors même qu'on n'est pas prêt. Mais, je le répète, la trame de l'ordonnance est telle que, s'ils le veulent, les partenaires conventionnels resteront les maîtres de la régulation de base. Il y a tout pour nouer un nouveau dialogue conventionnel.
Libération : Y a-t-il des éléments qui peuvent encore être amendés dans le système de sanctions ?
Jacques Barrot : Avant d'arriver à ce dispositif, on avait déjà beaucoup discuté. Alors, je parie gagnant sur une maîtrise médicalisée efficace.
Libération : Certains regrettent le silence des ordonnances sur l'établissement du régime universel, c'est-à-dire un régime qui permette à tout le monde sans exception de bénéficier d'une couverture sociale.
Jacques Barrot : Une loi donnera un contenu concret à cette notion d'universalisation, en particulier sur la prise en charge des plus démunis. Le texte sera prêt, nous l'espérons, avant l'été.
Libération : Arrivons à la réforme de l'hôpital. C'est donc la naissance d'un nouveau gros monstre : l'agence régionale de l'hospitalisation.
Jacques Barrot : Nullement. La création de l'agence s'articule autour de trois objectifs. D'abord, la confirmation d'un périmètre régional. C'est à ce niveau que les choix doivent se faire, les regroupements ou les redéploiements. Deuxièmement, l'agence régionale aura un tableau de bord où figureront le public et le privé. Chacun garde son mode de financement, mais on se donne les moyens de comparer et de mieux allouer les ressources. Enfin, l'agence sera un pôle de compétences pour contractualiser avec chaque établissement, public et privé.
Libération : Comment sera composée cette agence ?
Jacques Barrot : Le directeur, nommé en Conseil des ministres, aura, autour de lui, une structure légère. Pour l'agence, nous avons choisi une formule simple : un groupement d'intérêt public, liant l'État et l'assurance-maladie. Car il faut faire travailler ensemble des personnels de statuts différents, tant ceux des caisses régionales d'assurance-maladie que les fonctionnaires de la Drass et des Ddass. Mais il n'y a aucun étouffoir : chaque agence pourra, d'une région à une autre, s'organiser de façon différente.
Libération : Paris, avec l'Assistance publique, reste, comme toujours, une exception ?
Jacques Barrot : Oui. Mais il y aura une agence régionale en Ile-de-France, compétente pour l'Assistance publique, et des rééquilibrages de moyens entre toutes les régions.
Libération : Votre réforme va-t-elle marquer une vraie rupture ?
Jacques Barrot : Les outils mis en place vont permettre une profonde évolution. Et ce qui me semble le plus important est de faire en sorte que la notion de contrat – entre les hôpitaux et l'agence – consacre la pleine responsabilité de la communauté hospitalière. On ne réussira cette réforme que si les médecins et le personnel s'engagent à fond dans le projet de leur hôpital. Je voudrais que ce nouveau paysage hospitalier marque la fin des anciennes règles de tutelle, au jour le jour, parfois mesquines et tatillonnes, pour laisser place à un vrai contrat d'objectif. Il faut libérer l'innovation à l'intérieur de l'hôpital.
Libération : Combien de temps vous donnez-vous pour que les ordonnances donnent leur plein effet, du moins pour la maîtrise des dépenses ?
Jacques Barrot : Nous nous sommes fixés un objectif, dès cette année : + 2,1 %. Pour atteindre le plein effet sans doute faut-il compter deux ans. Il faut que cela aille relativement vite, mais c'est aussi la bataille pour la qualité des soins qui est engagée dès maintenant.
France 2 : mercredi 24 avril 1996
B. Masure : J. Chirac a déclaré qu'A. Juppé et son Gouvernement avaient « conduit le navire à bon port ». Vous vous êtes quand même mis à dos une bonne partie des médecins.
J. Barrot : Ah non. La réforme est en marche. Bien expliquée, avec ce qui est la clé de cette réforme, le juste soin, et puis, avec la participation de tous, on convaincra. Il y a des peurs qui s'expriment aujourd'hui, mais je suis convaincu de l'idée que l'on peut à la fois soigner mieux et dépenser plus utilement. Les Français ont assez de bon sens pour comprendre que c'est possible. Et puis, il faut mettre fin à des faux-bruits selon lesquels chaque médecin aurait une enveloppe personnelle qu'il ne devrait pas dépasser. C'est faux.
B. Masure : Cela dit, pour que cette réforme soit efficace, il va bien falloir mettre en place des mécanismes de surveillance et de contrôle ? Y-aura-il vraiment des sanctions contre les médecins trop prescripteurs ?
J. Barrot : Tout repose sur la maîtrise médicalisée. Ce sont les médecins qui ont déjà mis les principes de cette maîtrise médicalisée en place. Nous allons rendre ça effectif. Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire qu'il faut respecter les bonnes pratiques et qu'en effet, si un médecin ne les respecte pas, il faut qu'il s'explique devant ses confrères médecins et qu'éventuellement, en effet, il peut y avoir une sanction. C'est ça le fond de la réforme. Simplement, nous voulons que la responsabilité du médecin puisse s'exercer de manière effective. Tout est dans la liberté.
B. Masure : La dérive du déficit de la Sécurité sociale se précise. On est loin des 17 milliards de francs prévus. Peut-on s'attendre à un tour de vis supplémentaire ?
J. Barrot : Là-dedans, il faut expliquer. Dans un ménage, on gagne une certaine somme et puis on dépense une certaine somme. C'est vrai que momentanément, les recettes faiblissent. Cela ne durera pas, un jour ou l'autre les recettes reviendront au rendez-vous. Mais entre-temps, il faut que nous ayons modéré la progression de la dépense, car c'est le seul moyen que les déficits ne s'accumulent pas d'années en années et puis qu'un jour l'assurance-maladie et la Sécurité sociale en général soient menacées. C'est ça, le fond du problème. Alors, nous allons voir, il est trop tôt pour faire des prévisions. Mais c'est vrai qu'il y aura peut-être des recettes qui manqueront au rendez-vous. Mais si nous avons, tout en soignant bien, maîtrisé une progression des dépenses qui ne doit pas déraper, eh bien, un jour ou l'autre nous arriverons à trouver l'équilibre. Mais l'équilibre se fait dans la durée. Ce qu'il ne faut pas, c'est qu'un jour, la Sécurité sociale soit remise en cause.
B. Masure : Les syndicats qui ont fait grève ont proposé d'appliquer des mesures restrictives sur les arrêts de travail, les certificats médicaux et les prescriptions de soins non urgents. N'est-ce pas prendre en otage les malades ?
C. Maffioli : Non, c'est simplement vouloir, dans les semaines qui viennent, montrer grandeur nature aux Français ce qui risque de leur arriver si on fait passer les impératifs administratifs et budgétaires devant les impératifs médicaux.
B. Masure : Vous allez proposer quoi à vos mandants ?
C. Maffioli : Quand un patient aura besoin d'un arrêt de travail, nous proposerons l'arrêt de travail mais nous demanderons à ce que le médecin conseil décide vraiment si cet arrêt doit se faire ou pas. Voilà un exemple de ce qui va se passer dans les semaines qui viennent et qui risque de se passer dans l'avenir si le système se met en place. J'ai entendu M. Barrot parler avec des arguments que je suis tout à fait quand il parle de « maîtrise médicalisée » et quand il parle de respect du « juste soin ». Tout cela est très bien et c'est la maîtrise médicalisée que nous avons essayée de mettre en place depuis deux ans. Nous avons parfaitement bien enclenché ce processus. Le problème, c'est que l'ordonnance qui vient de sortir change les règles du jeu. On définit, comme cette année, un objectif d'augmentation des dépenses mais en prenant comme référence l'inflation, pas les besoins sanitaires de la population, et on va sanctionner les médecins non pas parce qu'ils n'auront pas respecté le juste soin mais parce qu'ils auront dépassé ce taux. Donc, c'est vraiment un dispositif qui met les impératifs budgétaires avant les impératifs médicaux.
B. Masure : C'est un dialogue de sourds qui continue ?
J. Barrot : Je suis confiant. Je ne pense pas que le docteur Maffioli prendra le risque de détruire la réforme qui est la dernière chance de la médecine libérale. Je connais le sens des responsabilités qu'il a démontré à certains moments et il nous aidera à mettre au point le juste soin d'autant plus que l'exemple qu'il a pris, celui des arrêts de travail, nous allons aider les médecins. Les médecins ne sont pas des boucs émissaires. Nous allons mettre ce carnet de santé entre les mains de l'assuré social et nous allons aider le médecin parce que nous allons demander à l'assuré social de faire confiance en son médecin et de ne pas faire pression sur lui pour avoir ses arrêts de congés de complaisance, que parfois le médecin est obligé de lâcher à force de pressions de l'assuré social. Non, docteur Maffioli, nous avons besoin de vous pour réussir la réforme. Et ce n'est pas en tournant le dos ou en mettant la tête sous le sable que nous résoudrons ensemble les problèmes. Car, dans le même temps, nous avons demandé à l'hôpital un effort parallèle très exigeant donc le médecin libéral ne peut pas se sentir comme un assiégé. En fait, nous sommes engagés dans cette réforme inéluctable. Ce n'est pas la peine, me semble-t-il, de chercher à la contrarier.
C. Maffioli : C'est bien parce que nous avons le sens des responsabilités que nous avons, depuis deux ans, enclenché le processus de la maîtrise médicalisée. Mais c'est parce qu'aussi nous sommes responsables, que nous pensons qu'en France il faut que nous conservions un but premier à la qualité des soins et non pas un but premier à l'équilibre budgétaire. C'est notre devoir de médecin de vous le dire, de le dire aux Français et aujourd'hui, ce qui s'est passé – où il y a une large mobilisation des professionnels de santé et des médecins – ça prouve bien que les médecins libéraux souhaitent qu'il y ait une réforme mais ne sont pas d'accord avec ce dispositif. Là, je crois que c'est un changement fondamental que vous êtes en train d'introduire en France et je crois qu'il y a des risques pervers pour l'avenir et que nous ne pouvons pas nous permettre aujourd'hui d'aller dans ce sens. Quand vous parlez de la culpabilisation des médecins, il est évident depuis quelques mois que nous assistons à une culpabilisation outrancière des médecins libéraux. Or, vous savez bien, on nous a dit « pas plus de 2,1 % en 96 », et l'État aura un trou de la Sécu à 17 milliards. Et aujourd'hui, on vient nous dire « avec le 2,1 %, on sera à 46 milliards ». Alors vous voyez bien que ce n'est pas en culpabilisant les médecins libéraux, en chargeant la barque et en mettant en place une maîtrise budgétaire, que vous réglerez le problème du trou de la Sécu.
J. Barrot : Il n'y a pas de bouc émissaire. Nous sommes tous responsables, mais ne dites pas des choses inexactes. Le Parlement, avant d'établir chaque année le taux de progression de la dépense, aura un débat sur la santé des Français. Alors, ne cachez pas cela aux médecins et aux Français. Nous choisirons chaque année, c'est le Parlement qui le choisira, ce taux de progression en fonction des besoins sanitaires et pas seulement budgétaires. Je fais confiance sur le souci de vérité des médecins. Nous avons besoin d'eux pour réussir la réforme et nous ne la ferons pas contre eux.
Europe 1 : jeudi 25 avril 1996
S. Sounier : Voilà des semaines que vous appelez les médecins au calme, que vous leur demandez de comprendre les enjeux de la réforme et visiblement, ça ne marche pas. Que pouvez-vous proposer de plus ce matin ?
J. Barrot : N'exagérons rien. Il y a bien des médecins qui comprennent que le juste soin, le souci de conjuguer le meilleur soin possible avec la dépense la plus utile possible, ça fait partie des lignes de conduite raisonnable ...
S. Sounier : Il y en a beaucoup qui ne comprennent pas votre réforme.
J. Barrot : Il y a d'abord des malentendus qu'il faut dissiper. Par exemple, l'idée que chaque médecin aura une petite enveloppe financière dans laquelle il serait enfermé pour ses prescriptions, ça ne tient pas debout. Ça fait partie de la désinformation. Là, je vais être extrêmement énergique vis-à-vis de tous ceux qui répandent ces faux bruits. Pour le reste, je mets en garde les quelques médecins qui voudraient pousser la grève du zèle jusqu'à refuser les arrêts de travail. S'ils ne sont pas justifiés, oui, mais s'ils sont justifiés, ça fait partie de ce devoir de soigner qui est un devoir qui s'impose et qui, d'ailleurs, me fait dire aux médecins : on respecte votre tâche, elle est difficile, mais on s'adresse aussi aux assurés sociaux, on s'adresse aux hôpitaux tout de même. Toute la France est mobilisée. Vous n'allez pas, vous-mêmes, vous mettre en marge de toute une société française qui veut préserver sa Sécurité sociale.