Texte intégral
Mardi 24 juin 1997
Source : France Inter
A. Ardisson : C’est votre souhait d’être appelée « Madame la ministre » comme les autres femmes de ce Gouvernement. Vous formez un lobby, un groupe de pression ?
M.-G. Buffet : Non, je crois qu’il ne s’agit pas de lobby mais simplement d’une forte envie des femmes à être connues en tant que telles dans un monde politique qui s’est quand même longtemps construit au masculin.
A. Ardisson : Vous avez rencontré le week-end dernier 70 jeunes pour la plupart membres d’associations, est-ce que vous avez remarqué qu’il y avait des revendications qui revenaient comme un leitmotiv ou au contraire, avez-vous remarqué des demandes originales que vous pensiez pouvoir, d’ores et déjà, prendre en compte ?
M.-G. Buffet : J’ai voulu organiser cette rencontre avec ces jeunes, tous en responsabilité d’associations, parce que je pense que c’est avec eux que nous allons pouvoir élaborer des propositions concrètes pour répondre à leurs besoins. Je crois qu’il y a une première chose qui s’est dégagée de ce débat de trois heures et demie, c’est l’envie très forte qu’ils ont exprimés d’être reconnus et que l’on prenne réellement en compte ce qu’ils ont entrepris sur le terrain à travers la vie associative, à travers des initiatives individuelles ou collectives. Il y a aussi l’envie qu’on leur donne les moyens de s’en sortir. Ce n’était pas une réunion où l’on a pleuré mais c’était une réunion où l’on a cherché des solutions pour les aider à intervenir.
A. Ardisson : C’est une question volontairement provocante mais je me la pose souvent : à quoi sert un ministre de la Jeunesse car généralement, le ministre de la Jeunesse et des Sports commence ministre de la Jeunesse et finit ministre des Sports parce que c’est plus facilement identifiable alors que la jeunesse, par définition, c’est très interministériel ?
M.-G. Buffet : Bien sûr, la jeunesse est très interministérielle mais je crois que ce ministère pourrait se positionner comme l’interlocuteur des jeunes c’est-à-dire que les jeunes puissent trouver à travers nos services vraiment le contact qui leur permette de poser tous les problèmes qu’ils rencontrent. A nous, ensuite, de trouver les réponses dans l’interministériel. Mais je pense qu’il faut qu’ils aient un endroit où on les écoute, où on cherche ensemble des solutions, où on agisse en commun et après, eh bien à nous de travailler avec les autres ministères.
A. Ardisson : Avez-vous déjà un programme ou même un calendrier ?
M.-G. Buffet : On a un calendrier puisque l’on n’a pas voulu faire un coup médiatique avec cette rencontre de samedi dernier. On a vraiment voulu faire une demie journée de travail. On s’est donné rendez-vous au niveau départemental pour la deuxième quinzaine de septembre où l’on va, là, avancer déjà sur des mesures concrètes à partir de questions qu’ils ont posées. Et nous avons l’objectif, en octobre, de vraiment nous mettre d’accord – ministère et jeunes – sur toute une série de propositions à faire au niveau législatif mais aussi au niveau du ministère.
A. Ardisson : Je parlais d’interministériel ; alors ce n’est pas directement votre département mais cela vous concerne quand même : les allocations familiales, puisque que c’est pour les jeunes, pour les enfants. Fallait-il donner ce chiffre de 25 000 francs pour dire : après, on va discuter ?
M.-G. Buffet : Je crois qu’une concertation est engagée avec les organisations familiales. La question des allocations familiales est extrêmement importante parce que c’est le moyen pour beaucoup de familles d’assurer l’éducation des enfants. C’était à l’origine le but des allocations familiales c’est-à-dire permettre à chaque famille, quelle qu’elle soit, d’assurer le bien-être de l’enfant. Alors bien sûr, on peut trouver choquant de voir que quelqu’un qui a des très gros revenus touche les allocations. Le problème du critère de ressources, on l’a vu pour d’autres allocations comme celle pour jeunes enfants, c’est qu’il faut que ce critère soit réellement en prise avec la réalité du pouvoir d’achat et des salaires. On a maintenant des allocations pour jeune enfant où un couple qui touche pour chaque parent un peu plus que le Smic ne peut plus toucher cette allocation. Il faut donc faire attention au seuil.
A. Ardisson : J’ai l’impression que vous trouvez que celui qui a été avancé est un peu bas ? Je me trompe ?
M.-G. Buffet : Il faut examiner par rapport au nombre d’enfants. Il ne faudrait pas que le critère avancé amène la tentation que des femmes quittent leur emploi pour pouvoir continuer à bénéficier des allocations familiales. Aujourd’hui, le désir des femmes est de travailler et deux salaires…
A. Ardisson : Vous aurez votre mot à dire ?
M.-G. Buffet : Oui, dans la discussion et la concertation au niveau du Gouvernement.
A. Ardisson : Il y a un autre dossier très délicat qui vous concerne, c’est celui de la pédophilie. Le public entend parler d’éducateurs et d’instituteurs parmi les personnes arrêtées ou interpellées. Comment éviter la psychose ?
M.-G. Buffet : Je crois qu’il faut éviter les effets d’annonce et il faut faire un travail rigoureux. Le sujet est suffisamment grave pour le prendre avec toute la rigueur nécessaire. En ce qui concerne le ministère de la Jeunesse et des Sports, nous avions déjà des moyens d’intervenir extrêmement rapidement. Il y a une commission qui est prévue au ministère de la Jeunesse, qui travaille sur la maltraitance des enfants, la question de la sécurité dans les centres de loisirs. Par exemple, l’an passé, il y a eu quatre-vingt cas examinés et un tiers concernait des affaires de mœurs. J’ai moi-même la possibilité en cas d’urgence de suspendre immédiatement des animateurs ou des directeurs de centres de vacances. Nous avons renforcé ce dispositif. J’ai réuni les services concernés du ministère de la Jeunesse et des Sports pour coordonner nos efforts. Nous allons avoir une réunion des directions régionales et départementales de la Jeunesse et des Sports la semaine prochaine et nous allons en discuter avec eux et élaborer les moyens communs. Aujourd’hui, les directions départementales sont informées des personnes qui ont été suspendues par le ministère de la Jeunesse et des Sports et ils ne peuvent pas être repris dans des centres de loisirs et de vacances.
A. Ardisson : Il n’y a pas eu de laxisme auparavant en se contentant de déplacer les gens ou sans vérifier, quand quelqu’un se présentait, quel était vraiment son passé ?
M.-G. Buffet : Au niveau du ministère de la Jeunesse, il y avait déjà une très grande vigilance. Nous avons un personnel extrêmement mobilisé sur le bien-être de l’enfant donc ces questions étaient déjà traitées avec beaucoup d’attention. Mais nous allons encore renforcer le dispositif pour l’été qui vient.
A. Ardisson : Il y a eu les années précédentes, dans les quartiers difficiles, des opérations pour empêcher ce qu’on appelle « l’été chaud ». Est-ce que vous avez un dispositif comme cela de prévu ?
M.-G. Buffet : Nous allons poursuivre un dispositif qui était déjà en place et qui est le dispositif Ville-Vie-Vacances en sachant, toutefois, que c’est un dispositif qui d’année en année, s’est élargi au niveau du nombre des quartiers sans que les moyens suivent. Donc nous avons un réel problème de budget pour assurer réellement un développement d’activités sportives, culturelles, de loisir au plus près des lieux de vie des jeunes. Je pense également qu’il ne faut pas simplement prévoir des opérations pour l’été, pour les vacances scolaires, mais qu’il faut développer ces interventions tout au long de l’année. Je reviens à ce que je disais tout à l’heure : il y a beaucoup de jeunes qui sont en volonté de construire des choses, il faut les aider, il faut leur faciliter les démarches. Beaucoup de jeunes nous ont dit samedi que créer une association, obtenir une subvention, c’était vraiment un parcours du combattant et que souvent, ceux qui étaient plus habitués, bénéficiaient de ces aides alors qu’eux n’arrivaient pas à les toucher.
A. Ardisson : Il y a un besoin d’argent pour arranger ça.
M.-G. Buffet : Non, c’est pour ça, c’est une des mesures que l’on va travailler très rapidement parce que je crois que ce sont les problèmes très lourds pour les jeunes qui veulent créer des activités et qu’on peut résoudre très simplement.
A. Ardisson : Simplification des formalités légales et administratives.
M.-G. Buffet : Bien sûr parce que souvent, le contrôle se fait a priori, c’est-à-dire que ceux qui sont capables d’élaborer un beau projet pour demander une subvention peuvent avoir la subvention, mais ça demande du temps, des capacités, des conseils alors qu’il faudrait être plus souple sur l’attribution des subventions et avoir un contrôle a posteriori pour vois si réellement ces subventions sont utilisées dans l’intérêt des jeunes.
A. Ardisson : Etes-vous à l’aise comme communiste au Gouvernement ? Tous les jours, on se demande, quand est-ce que les critiques des communistes vont commencer parce qu’il y a des mesures qui sont en deçà de ce que vous espériez ?
M.-G. Buffet : Je me sens à l’aise dans le sens où je souhaite réellement, dans une démarche de concertation, contribuer de toutes mes forces à la réussite de ce Gouvernement. Je suis convaincue que nous pouvons avancer, répondre aux attentes. C’est dans cet objectif que je m’inscris donc vraiment, je suis très à l’aise.
Date : 27 juin 1997
Source : Le Monde
Le Monde : Malgré les bons résultats de ces derniers mois, le sport est loin d’avoir été le secteur le mieux traité par les précédents gouvernements. Que pouvez-vous faire avec un budget réduit ?
M.-G. Buffet : Nous aurons d’abord à redéfinir une véritable mission de service public du sport. La loi du 16 juillet 1984 sur l’organisation et la promotion des activités physiques et sportives doit être modernisée. Il faut réexaminer les rapports entre sports et économie avec l’objectif de maîtriser le poids de l’argent et les dérives que cela entraîne. Nous préciserons les rôles respectifs de l’État, des collectivités territoriales et du mouvement sportif. Nous ne pourrons pas mener une telle mission avec un budget représentant à peine 0,18% de celui de l’État. Dans l’immédiat, j’ai décidé de suspendre les suppressions de postes, notamment celles qui concernaient les cadres techniques nationaux. Après avoir estimé les besoins, j’espère obtenir les moyens de créer des emplois dans les secteurs public et associatif.
Le Monde : Le grand Prix de France est menacé par la volonté de la Fédération internationale automobile d’en réserver la couverture télévisuelle à la seule chaîne qui a acquis les droits de direct. Allez-vous faire respecter le droit à l’information ?
M.-G. Buffet : La concertation se poursuit pour que cette épreuve puisse avoir lieu normalement. Mais le problème de la liberté d’accès des journalistes se posent de façon plus générale. Les contrats d’exclusivité sont actuellement des moyens d’assurer des ressources aux clubs et aux fédérations, c’est un fait. Mais on ne peut imaginer qu’une partie de la population soit privée de la connaissance d’un évènement qui se déroule sur notre sol, a fortiori si celui-ci est organisé avec l’aide de fonds publics.
Le Monde : Dans moins d’un an, le pays accueillera la Coupe du monde de football. Parmi les partenaires de la Fédération internationale de football (FIFA), propriétaire de l’épreuve, figure une marque américaine de bière. Une dérogation à la loi Évin pourrait permettre que son nom apparaisse…
M.-G. Buffet : Je pense qu’il serait dramatique pour la jeunesse de ce pays, pour le sport, qu’à l’occasion de sa plus grande fête soit remise en cause une loi de santé publique. La question du tabagisme et celle de la consommation d’alcool chez les jeunes se posent aujourd’hui en termes cruels. Des milliers de personnes seront sur les stades et devant leur poste de télévision : ma position est ferme, il n’y aura pas de remise en cause de la loi Évin. Elle ne souffrira aucune exception.
Le Monde : La FIFA a déjà exprimé sa volonté de voir les stades accueillant les matches débarrassés de leurs grillages. Quelle est votre position ?
M.-G. Buffet : Toutes les parties prenantes sont d’accord : la Coupe du monde doit être au rendez-vous de la convivialité, de la joie. L’évènement est exceptionnel. La plupart des matches pourront se jouer sans grillages. Au Stade de France, le problème peut se résoudre facilement puisqu’il est équipé d’un système qui permet de rabattre ces installations. Ailleurs, il faudra examiner cas par cas et ne pas oublier que ces terrains serviront ensuite en championnat, en Coupe de France ou d’Europe… Nous allons vite avancer sur ce problème. Une décision sera prise début juillet en concertation avec le ministère de l’intérieur, le Comité français d’organisation et les municipalités.
Le Monde : On perçoit encore mal l’engouement populaire pour l’évènement…
M.-G. Buffet : L’intérêt pour cette compétition est très fort. On le voit bien avec la vente de billets, l’engouement des clubs et les initiatives qui se multiplient. Nous allons contribuer à ce que les initiatives soient amplifiées pour permettre que cette Coupe du monde soit appropriée par toute la population. L’épreuve doit sortir des stades. Elle doit être l’occasion de multiples rendez-vous sportifs et culturels. Nous allons agir en ce sens, il y a des envies, il faut également des moyens.
Le Monde : Le traité de concession du Stade de France contient une clause qui permettrait aux entreprises de demander d’abord une prise en charge partielle de sa gestion, puis éventuellement le rachat de l’équipement par l’État, en cas d’absence prolongée de club de football résident ?
M.-G. Buffet : Le système de financement mixte d’un tel équipement n’est pas une mauvaise solution : il a permis d’économiser sur les dépenses publiques. Cela dit, le budget de l’État ne doit plus être mis à contribution. Pour cela, notre volonté est qu’un grand club professionnel s’installe au Stade de France. Paris et sa région disposent du potentiel suffisant pour faire vivre deux grandes équipes de football. Je vais rencontrer tous les dirigeants, ceux du Paris-Saint Germain et d’autres clubs, pour tenter de trouver une solution. Il ne faut écarter aucune possibilité. N’oublions pas que le Stade de France est également conçu pour accueillir d’autres grandes épreuves après la Coupe du monde de football, comme les championnats du monde d’athlétisme et, pourquoi pas ? Les jeux olympiques de 2008.
Le Monde : La précédente législature n’avait pas permis au Parlement de débattre d’un projet sur le statut fiscal de certains sportifs. Pensez-vous qu’il soit possible d’accorder aux joueurs de football un régime particulier ?
M.-G. Buffet : La libre circulation des joueurs soulève un problème qui n’avait pas été prévu par la nouvelle réglementation européenne. L’aménagement de la fiscalité ne suffirait sans doute pas à bloquer l’hémorragie des joueurs vers les grands clubs étrangers. Je m’en suis d’ailleurs ouvert à plusieurs entraîneurs et dirigeants du football français. J’ai également fait part de ma position au ministre britannique des sports. Il apparaît évident qu’une modification du statut fiscal des joueurs et des clubs ne résoudrait pas le problème de fond, car il ne permettrait pas de rattraper l’écart considérable qui existe avec les statuts fiscaux étrangers.
La solution passera sans doute par un rapprochement avec d’autres pays de l’Union européenne pour tenter d’élargir la réglementation au contrôle des finances des clubs. Je crois également beaucoup à l’idée d’exception sportive, comme s’est imposée celle d’exception culturelle.
Le Monde : Le système de préparation olympique, dont les résultats ont été observés aux Jeux d’Atlanta, a été remis en question par votre prédécesseur …
M.-G. Buffet : C’est un dossier que j’ai examiné dès mon arrivée au ministère. Ma position est claire : le soutien financier de l’État doit se poursuivre. La préparation olympique est un outil extrêmement efficace. Il faut le conserver et en même temps redéfinir sa mission. C’est ce que nous ferons en concertation avec le Comité national olympique sportif français.