Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France-Inter le 1er mai 1996, sur le thème "La Politique sociale : ce qui doit changer", les leçons du mouvement de grèves de l'automne 1995, le syndicalisme de la CFDT, l'inefficacité des aides pour l'emploi et la proposition d'une réduction "massive" du temps de travail.

Prononcé le 1er mai 1996

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

M. Denoyan : Bonsoir.

Parti des États-Unis en 1886, le 1er mai, journée de manifestation ouvrière, devra attendre 1889, date du Congrès de la Deuxième Internationale Socialiste, pour devenir une Journée Internationale du Travail. 
Devenue une Journée symbole de la revendication sociale depuis plus d'un siècle, il n'en demeure pas moins vrai qu'au fil du temps la division du monde syndical a fini par faire du 1er mai, plutôt la Fête du Muguet.

Finis les grands défilés, les grandes kermesses, seule reste la déclaration des leaders syndicaux. Au moment où l'insatisfaction dans nos sociétés est grande, les réponses sont peut-être un peu faibles sur les questions difficiles, c'est vrai, du chômage ou de la protection sociale.

Invitée d'OBJECTIONS, ce soir, Madame Nicole Notat, Secrétaire générale de la CFDT.

Madame Notat, bonsoir.

Mme Notat : Bonsoir.

M. Denoyan : Nous allons, bien entendu, vous interroger sur l'état des forces sociales aujourd'hui en France : Comment vous percevez la demande de nos concitoyens ? Votre appréciation sur la manière dont le Gouvernement Juppé répond à l'inquiétude des Français.

Pour vous interroger : Annette Ardisson, Pierre Le Marc, Brigitte Jeanperrin de France-Inter ; Jean-Michel Aphatie et Caroline Brun du Parisien-Aujourd'hui.

Tout à l'heure, dans le Journal de Patrice Bertin, il était indiqué que les défilés syndicaux n'avaient pas fait tellement recette. Or, 60 ans après, tout de même, le Front populaire, les syndicats ont donc célébré le 1er mai en ordre dispersé et, paradoxe, vous l'avez également entendu dans le Journal de Bertin, c'est Jean-Marie Le Pen qui faisait appel aux salariés. Est-ce que la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui ne vous paraît pas extravagante ?

Mme Notat : Oui, que le 1er mai soit occupé par Jean-Marie Le Pen, c'est extravagant. Mais que le 1er mai ne soit plus aujourd'hui ce qu'il était en 1896, ce qu'il était au XIXe siècle, ça, ce n'est pas extravagant, c'est l'évolution de l'Histoire, des faits. Et je suis toujours frappée d'entendre, effectivement, beaucoup de commentaires sur le fait que le 1er mai, ce n'est plus l'unité. Mais je crois tout simplement, c'est parce que les salariés, aujourd'hui, ont envie de faire vraiment ce qu'est le 1er mai, c'est-à-dire la Fête du Travail, la fête. Ils ont envie de s'arrêter, ils ont envie de souffler et, sans doute, de célébrer, chacun dans leur famille, le 1er mai d'une autre manière.

En tout cas, pour nous, c'est ce que nous essayons de faire, nous respectons. Il y a des endroits où des gens défilent dans les rues, c'est une manière de fêter le 1er mai. À Paris, aujourd'hui, nous avons voulu le fêter – je dirais dans la convivialité – en associant des formes de détente, des formes de débats, des formes d'exposition, de stands culturels, de chansons. Bref, une journée qui donne plaisir à ceux qui désirent être ensemble.

M. Denoyan : Nous sommes loin des grands 1er mai, tout de même ...

Mme Notat : ... On est très loin des grands ·1er mai, parce que tout simplement les questions sociales ...

M. Denoyan : ... Qui sont pourtant toujours aussi aiguës.

Mme Notat : Ah ! elles sont toujours aussi aiguës ! Elles ont pris d'autres formes, me semble-t-il. Et peut-être que ceux qui sont les plus victimes, les plus vulnérables aujourd'hui sur les questions sociales, je pense aux chômeurs, je pense aux exclus ...

M. Denoyan : ... Jamais, la France n'a eu autant de chômeurs depuis la guerre.

Mme Notat : Ces gens-là, aujourd'hui, ne sont malheureusement pas ceux· qui peuvent porter le plus fortement le drapeau de la lutte contre le chômage et la lutte pour les solidarités.

M. Aphatie : Plus brutalement, n'habillez-vous pas sous les parures de la fête une véritable désaffection pour les organisations syndicales ? Les gens ne viennent plus parce qu'au fond ils n'ont plus envie d'être avec vous, de passer du temps avec vous, de consacrer du temps à la revendication, à l'expression des salariés, comme on pouvait le dire avant.

Mme Notat : En 1995, pour la sixième année consécutive, la CFDT progresse en adhérents de près de 6 %.

M. Aphatie : C'est formidable, tout va bien.

Mme Notat : Ce n'est pas ce que je veux vous dire, mais il faut regarder les faits. Aux élections professionnelles, depuis novembre-décembre qui a été une période de l'hiver dont on a beaucoup parlé, la CFDT a des résultats aux élections professionnelles tout à fait honorables.

Je pense que ces salariés qui viennent chez nous ou qui votent pour nous ne sont pas des salariés égarés, ne sont pas des gens qui viennent avec les yeux bandés. Je pense qu'ils viennent parce qu'ils trouvent à la CFDT, peut-être, je l'espère en tout cas, quelque chose qui leur donne une nouvelle idée de ce que peut être le syndicalisme aujourd'hui et demain. En tout cas, c'est ce que nous tentons de faire. Je pense que le syndicalisme, aujourd'hui, doit à nouveau être utile, faire la preuve de son efficacité, de sa combativité, mais avec des revendications et des formes d'actions adaptées à ce que sont les salariés d'aujourd'hui, avec leurs aspirations diversifiées. Bref, il faut être de son temps.

M. Denoyan : Peut-on vous demander de préciser ce point, Madame Notat, sur ce que sont les salariés d'aujourd'hui ? Sont-ils tellement différents de ceux d'hier ?

Mme Notat : Oui, je crois. Hier, il y avait une certaine ... enfin, hier, tout dépend jusqu'où on remonte ... une certaine unité du salariat.

M. Denoyan : Vous remontez jusqu'à quand ?

Mme Notat : Vous avez parlé de 36, alors parlons de 36. Il y avait une certaine unité du salariat, c'était le monde industriel qui dominait, les grandes entreprises, masculines ...

M. Denoyan : ... Le monde ouvrier, en gros.

Mme Notat : Oui, beaucoup d'ouvriers. Les grèves, à ce moment-là, les actions, le sentiment d'appartenance à une classe était beaucoup plus important qu'il ne l'est aujourd'hui. Aujourd'hui, le salariat est très diversifié. Quelle différence entre un cheminot, un homme de la mine, un homme du nettoyage industriel, une employée de maison, une travailleuse à temps partiel dans un petit magasin. Il faut reconstruire avec ces gens ce sentiment d'appartenance, reconstruire avec eux l'idée qu'il y a encore des intérêts communs à défendre dans le salariat d'aujourd'hui, mais ils ne sont plus spontanés.

M. Le Marc : On a l'impression que les syndicats n'ont pas réussi à faire le bilan de la crise sociale de cet hiver, qu'ils n'en ont pas tiré les leçons, qu'ils sont un peu en expectative devant l'état de cette société que cette crise a révélé. On a l'impression d'une certaine paralysie, d'une certaine hésitation à tirer les conclusions de cette crise ?

M. Denoyan : Frilosité.

Mme Notat : Je n'ai pas ce sentiment. Pour ma part, en tout cas, dans la CFDT, nous avons, pour ce qui nous concerne, fait l'analyse de cette crise. Que s'est-il passé au moment de novembre-décembre ? Il s'est passé quelque chose de très simple : quand le Gouvernement fait une grosse bêtise et que cette grosse bêtise, a fortiori, s'adresse à des fonctionnaires et s'adresse à des salariés des entreprises publiques, en général, la réaction ne se fait pas attendre.

Donc, ce Gouvernement a fait deux grosses bêtises :

Une première au moment de l'annonce du gel des salaires des fonctionnaires, d'une manière, en plus, très maladroite et voire provocante à l'égard des salariés.

Une deuxième au moment où le Premier ministre a fait l'annonce de son Plan, où, à nouveau, il a récidivé à l'égard de cette même population par rapport à l'avenir de leurs régimes spéciaux, d'une manière maladroite, d'une manière arbitraire, unilatérale, mauvaise, qui a fait que trop, c'est trop. Donc, cela a réagi. Et quand les employés de la SNCF se mettent en grève, cela se voit dans le pays. Quand les employés d'EDF se mettent en grève, cela se voit moins parce qu'ils coupent moins le courant, mais cela peut tout de même être violent.

Et puis alors se sont agrégés sur ce mouvement, qui était un mouvement lié à ces points tout à fait particuliers, tout à fait légitimes dans ces catégories, qui se sont vus plus dans des manifestations que dans des grèves ...

M. Denoyan : ... On ne va pas refaire, Madame Notat ...

Mme Notat : ... Non, mais je réponds à la question.

M. Denoyan : La question n'est pas de refaire l'histoire du conflit de décembre ...

Mme Notat : ... Tirer les conséquences.

M. Denoyan : C'était de savoir si vous en aviez tiré des leçons et, notamment, vous, Madame Notat.

Mme Notat : Pas seulement refaire l'histoire, c'est une analyse.

M. Le Marc : Est-ce que vous apportez des réponses aux questions ?

M. Denoyan : Et je dirais : « notamment vous, Madame Notat, qui n'a pas toujours été compris, et de vos adhérents, on y reviendra tout à l'heure puisqu'un certain nombre a quitté la CFDT, et des non syndiqués ».

Mme Notat : Je ne sais pas ...

M. Denoyan : ... Vous avez lu la presse comme tout le monde.

Mme Notat : Les sondages, aujourd'hui, ne me semblent pas moins favorables par rapport à l'image de la CFDT qu'avant...

M. Denoyan : ... Oui, mais cela a dû vous amener quelques réflexions, tout de même, Madame Notat ?

Mme Notat : Bien sûr, des réflexions. La spécificité de la CFDT, au moment de novembre, a été de dire : « oui, à une réforme pour l'assurance-maladie » à des moments où les autres organisations disaient « non ». Et, ça, ce fut une énorme transgression dans le paysage syndical français. De surcroît, les militants de la CFDT, et comme je les comprends, si j'avais été en bas avec eux, peut-être que j'aurais fait la même chose ? ... m'entendre dire qu'une réforme venant d'un Gouvernement de droite qui, tout de même, dans le passé, ne nous a pas habitués à faire des réformes sociales que l'on attendait, allait aller au bout des orientations qu'il avait prises le 15, et que j'ose dire que « ces orientations étaient les bonnes », écoutez, il y avait de quoi un peu tournebouler la tête de quelques militants CFDT, voire d'autres.

Je crois qu'aujourd'hui la réponse est là : il y avait, à l'époque, des orientations pour une réforme dont je persiste à dire qu'elle était nécessaire pour défendre ...

M. Denoyan : Vous persistez ?

Mme Notat : Ah ! oui.

M. Denoyan : Et vous pensez que la manière dont Juppé l'a conduite a été bonne ?

Mme Notat : Je ne peux pas répondre à deux questions à la fois. Il fallait une réforme de la Sécurité Sociale pour l'intérêt de la Sécurité Sociale, pas pour l'intérêt du Gouvernement Juppé. Il la fallait, nous l'avions demandé, nous avions donné les bases et nous nous sommes battus. Nous avons fait notre travail de syndicat pour que nos propositions soient entendues. La question était de savoir si, une fois ces orientations reprises et entendues par le Gouvernement, il irait au bout ? Or, aujourd'hui, les trois premières ordonnances marquent que les orientations, qui ont été prises le 15, redonnent à l'Assurance-maladie des fondements qui remettent la solidarité et la justice sociale, l'égalité d'accès aux soins, au premier plan alors que c'était la dérive dans la Sécurité sociale, que c'était des dysfonctionnements qui mettaient la Sécurité sociale en jeu.

M. Denoyan : Donc, vous êtes satisfaite en gros ?

Mme Notat : Je suis satisfaite au jour d'aujourd'hui mais, vous savez, rien n'est jamais acquis. Cela ne fait que commencer maintenant parce qu'il va falloir la mettre en oeuvre sur le terrain.

Mme Jeanperrin : Justement, l'avenir, aussi, c'est la dernière partie, c'est le plus gros morceau, c'est l'assurance universelle. Cela veut dire la réforme du financement, la CSG, et une taxe sur la valeur ajoutée des entreprises. Vous croyez vraiment que le Gouvernement va aller jusqu'au bout ?

Mme Notat : Je peux vous dire que je veille à ce qu'il aille jusqu'au bout sur ces deux lois, de la même façon que nous avons veillée, avec le Comité de vigilance qui rassemblait plusieurs organisations, sur les trois premières ordonnances.

Mme Jeanperrin : Et vous négociez ?

Mme Notat : En tout cas, je fais pression.

Je n'ai pas, aujourd'hui, de raison de dire qu'il y a péril en la demeure sur le fait que ces deux lois verront le jour. Et je peux vous dire que la CFDT ne changera pas d'option là-dessus. Si le Gouvernement, par hasard, s'avisait à se réviser, il ferait une très grande erreur, et je pense que Juppé ne peut pas le faire.

Mme Ardisson : Justement, est-ce que la position que vous avez prise en novembre-décembre vous donne un statut différent, privilégié, par rapport à d'autres syndicalistes pour pouvoir réellement négocier, poser sur les décisions prises par le Gouvernement, voire le surveiller quand il s'agira de prendre des décrets d'application ?

Mme Notat : À la CFDT, on nous pose cette question depuis de nombreuses années, pas seulement depuis l'intervention du Plan Juppé. Je pense qu'une organisation syndicale pèse par le poids qu'elle représente, elle pèse par sa capacité à résister, à dire « non » à certaines orientations quand elles sont mauvaises et, en l'occurrence, or refusait à la Sécurité sociale la voie de la privatisation – c'est pour cela qu'on a défendu ce qui s'est passé – et elle pèse aussi par sa capacité de propositions. Mais ceci est le travail normal que les responsables ont à faire, comme les responsables dans une entreprise vis-à-vis de leur patron, comme nous vis-à-vis du Gouvernement ou du patronat. Mais cela ne suffit pas, il faut le poids des salariés. Il faut que les adhérents, il faut que les salariés sentent qu'une organisation a des gens derrière elle et qu'ils adhèrent à ce qu'elle veut.

Nous reparlerons peut-être de la durée du travail tout à l'heure ? C'est pourquoi, le 23 mai, à la CFDT, nous avons voulu une journée forte, combative, où le rapport de forces sur la durée du travail ne soit pas un mot, un voeu pieux.

M. Le Marc : Vous avez vu le Président la semaine dernière, l'avez-vous senti à l'écoute de vos propositions ? Pensez-vous que vous avez en lui un soutien ?

Mme Notat : Oh ! je n'attends pas un soutien du Président de la République – là, vraiment, chacun son rôle – pas plus, je pense qu'il n'en attend de moi. Et je crois savoir que, sur ce point, il n'y a pas d'ambiguïté. Chacun son rôle. Donc, quand nous rencontrons le Président de la République, quel est l'objectif ? L'objectif, pour nous, est de lui dire la manière dont nous voyons les choses, la manière dont nous souhaitons que les questions qui nous semblent clé, la question du chômage, la question de l'emploi des jeunes, la question des problèmes d'exclusion, la question, la dernière fois que nous l'avons vu, de ces propositions, rapport Debré, rapport parlementaire sur l'immigration, etc. je constate au demeurant que nous avons attiré son attention ...

M. Le Marc : ... Y a-t-il concordance sur tous ces points ?

Mme Notat : Il m'a dit qu'il n'y aurait pas de suite. Cela a été précisé par le Premier ministre le lendemain en ce qui concerne ces rapports.

M. Le Marc : Sur les autres points, y a-t-il concordance ?

Mme Notat : Non, il n'y a pas concordance spontanée puisque le Président de la République – le Premier ministre aussi – souhaite entendre nos propositions. Pour ceux qui le connaissent un peu, tout le monde sait que sa liberté de ton fait que, quand il n'est pas d'accord avec quelque chose, il le fait savoir et que, quand nous ne sommes pas d'accord avec ce qu'il dit, nous lui faisons savoir aussi.

Mme Brun : N'est-ce pas un peu paradoxal, Nicole Notat, de vous entendre dire que la journée du 23 mai pourrait être unitaire autour du thème de la réduction du temps de travail et que vous ayez autant de mal, ne serait-ce que pour faire la fête puisque vous dites que « le 1er mai est une fête », à vous retrouver tous ensemble ? Les salariés ne sont-ils pas un peu désemparés de ça ?

Mme Notat : Beaucoup de vos confrères – excusez-moi de vous le dire – sont frappés par ça, mais tous les sondages montrent que les salariés, le 1er mai, ne sont pas désemparés par ça. Il ne faut pas tout confondre. Je pense que le 1er mai devient une journée que les gens ont envie de célébrer. Les gens savent que c'est une journée historique, symbolique, de par ce qu'elle représente, de par le passé, mais ils ont envie, pour ceux qui ont envie de la célébrer, ce n'est pas tout le monde, de la célébrer de manière différente, – je l'ai dit, en famille – et, de ce point de vue, chacun doit le faire comme il l'entend.

Pourquoi le 1er mai devrait-il être le symbole de l'unité ? L'unité pour l'unité n'est pas un objectif ...

M. Denoyan : ... Dieu sait qu'on a entendu des discours là-dessus, Madame Notat, dans les dernières décades.

Mme Notat : Oui, mais permettez-moi de ne pas forcément considérer qu'aujourd'hui ce sont des propos qui séduisent les salariés. Les salariés ont envie que les syndicats s'entendent, à condition qu'ils s'entendent sur des objectifs dans lesquels ils se reconnaissent. Ils ont envie que les syndicats s'entendent sur des revendications qui vont véritablement correspondre aux problèmes qu'ils vivent au quotidien.

Les gens qui sont à temps partiel ont envie de nous entendre sur le fait qu'ils ne font pas avoir des contrats précaires et qu'ils ne seront pas des sous-emplois ...

M. Denoyan : ... Puisque vous insistez sur les rapports de forces, Madame Notat, vous seriez d'autant mieux en rapport de forces avec vos interlocuteurs si vous étiez tous ensemble puisque l'on sait que le poids individuel de chaque syndicat est relativement faible dans la société française ?

Mme Notat : Ensemble, à condition de ne pas duper les salariés sur ce qui fait qu'on est ensemble. Si on est ensemble en revendiquant chacun des choses complètement différentes, je vais vous donner un exemple la veille de l'annonce du Plan Juppé, à l'initiative de la CFDT, nous avons appelé à une manifestation commune, tous les syndicats confondus, qui avait pour titre : « Défense de la Sécurité Sociale », c'était un bel habillage, nous étions tous derrière et pourtant nous savions déjà que nous n'étions pas d'accord sur les conditions dans lesquelles nous allions défendre la Sécurité Sociale. Et les salariés ce qu'ils attendent, ce n'est pas seulement qu'on leur dise qu'on veut défendre la Sécurité Sociale, c'est comment on va la défendre et quel va être le résultat de cette défense.

Donc, je crois que c'est globalement ça, sur tous les sujets : sur le chômage, sur le temps de travail en général, sur la question des jeunes. Je crois que les salariés en ont assez qu'on joue avec eux.

Mme Brun : Sur la réduction du temps de travail, vous pensez que vous pouvez tous vous entendre pour le même objectif et pour les mêmes revendications ?

M. Denoyan : Ou êtes-vous encore seule, là ?

Mme Notat : Non, nous ferons une journée nationale de manifestation avec des débrayages dans certains secteurs professionnels là où les négociations se montreront particulièrement frileuses, avec la CGT, avec l'UNSA, qui ont déjà donné leur accord, avec le soutien de la CFTC et de la CGC, qui pourra prendre des formes différentes que celle de la manifestation. Ce qui prouve bien que ce n'est pas parce que, à un 1er mai, nous ne sommes pas ensemble, que nous ne pouvons pas, ponctuellement et sur d'autres thèmes, être ensemble.

M. Denoyan : J'observe que vous n'avez pas cité Force Ouvrière ?

Mme Notat : Vous avez bien observé. Bien entendu, je ne l'ai pas citée parce que, bien qu'invitée, Force Ouvrière ne nous a pas répondu, mais Force Ouvrière fera comme elle pense devoir faire le 23 mai.

M. Denoyan : Vous vous reparlez avec Monsieur Blondel ?

Mme Notat : Oui, bien sûr.

M. Le Marc : Ce n'est pas un élément de blocage pour l'avance de ce dossier avec les réticences du patronat ?  FO, plus le patronat.

Mme Notat : Force Ouvrière n'a jamais été une organisation qui a vraiment occupé la rue souvent. C'était un peu exceptionnel en novembre-décembre. L'histoire ne nous a pas vraiment habitués à ça.

M. Aphatie : Au mois de mars, le chômage a enregistré une très légère décrue, est-ce qu'il vous semble que ce mouvement peut être continu ? Ou craignez-vous au contraire que la courbe s'inverse à nouveau ?

Mme Notat : Je ne suis pas conjoncturiste, je ne suis pas économiste, je ne suis pas expert en je ne sais quoi, qui fait qu'à partir d'un chiffre mensuel qui monte de 0,2, qui descend de 0,3, on fait des plans sur la comète qui laissent penser qu'on va fondamentalement changer le problème du chômage. Non, il faut qu'on arrête ! Tous les mois, il faudrait qu'on s'arrête de commenter les chiffres du chômage.

M. Aphatie : Ah ! bon.

Mme Notat : Il faut, aujourd'hui, arrêter de commenter et s'attaquer au problème du chômage.

M. Aphatie : Quand Jacques Barrot les commente, il dit que « le Gouvernement s'attaque au problème du chômage et que si la décrue est constatée en mars, très légère d'ailleurs, c'est grâce à la politique du Gouvernement, aux aides qui sont mises en oeuvre ». Est-ce un discours qui vous semble pertinent ou pas ?

M. Denoyan : Partagez-vous cet enthousiasme de Jacques Barrot ?

Mme Notat : Vous connaissez un Gouvernement qui n'a pas dit une seule fois que, lorsque les choses allaient mieux, c'était grâce à lui et que, si elles allaient mal, c'était sûrement de la faute de quelqu'un d'autre. De ce point de vue, ce Gouvernement fait comme tout le monde. Quand ça va un tout petit peu mieux, c'est sûrement qu'il a fait quelque chose de bien. Bon, mais, enfin, regardons les choses, aujourd'hui, de face.

Je voudrais dire que, pour ma part, et en tout cas à la CFDT, nous pensons qu'il faut cesser de considérer peut-être que des problèmes aussi complexes que ceux du chômage sont de la responsabilité d'un Gouvernement. Il faudrait qu'un Gouvernement ait le courage de dire : « J'ai des moyens d'actions, j'ai des possibilités qui peuvent aider ceux qui sont véritablement en capacité de changer les choses ». Enfin, qui embauche ? Ce sont tout de même les employeurs. Qui est-ce qui fait qu'on laisse les employeurs faire n'importe quoi ? Ce sont les syndicats et les salariés, je nous mets dedans. Cela veut dire que, si nous ne sommes pas assez combatifs, si nous ne sommes pas assez forts, si nous ne sommes pas en situation d'inverser les logiques d'entreprise qui, aujourd'hui, font que, pour se moderniser, pour être compétitifs, c'est éternellement les effectifs qu'on réduit, c'est éternellement une réduction de la masse des salaires dans le chiffre d'affaires des entreprises, cela continuera comme ça.

M. Denoyan : Fort de ce raisonnement, que proposez-vous ?

Mme Notat : C'est la raison pour laquelle nous proposons que nous nous attaquions sérieusement à la réduction du temps de travail, non pas une réduction du temps de travail – je l'entends tellement dire – qui soit un partage de la misère, mais une réduction du temps de travail qui permette aux entreprises – elles n'ont pas arrêté de le demander – de changer radicalement leur organisation, que l'organisation du travail change.

S'il y a des pointes d'activité en juillet et en août dans certains secteurs, il faut travailler plus en juillet et août dans certains secteurs. OK, a-t-on dit au patronat.

Certains nous ont dit : il faut annualiser le temps de travail. OK, avons-nous dit au patronat. Mais, cher monsieur, si vous voulez améliorer la santé économique de votre entreprise, nous, nous vous disons en échange : « Nous voulons une autre répartition du temps de travail pour qu'il y ait plus de gens qui travaillent dans les entreprises, dans des entreprises qui doivent continuer à prospérer et à se développer bien entendu. »

Mme Jeanperrin : Cela, Nicole Notat, c'est le discours idéal mais, malheureusement, le patronat n'est plus d'accord : il pense que la réduction du temps de travail ne va pas créer d'emplois et que c'est surtout la baisse du poids de l'État sur les entreprises, c'est-à-dire les charges, qui créera de l'emploi ... et, du coup, la négociation est bloquée avec le CNPF, alors vous êtes contente ? ...

Mme Notat : N'allons pas si vite. Il y a plus de 100 négociations qui se sont ouvertes, c'est inédit. Cela ne s'est jamais vu dans les branches professionnelles.

Il y a déjà des endroits où nous faisons sauter le verrou des 39 heures. Mais je ne peux pas vous dire que je suis satisfaite de ces négociations parce qu'effectivement le patronat, aujourd'hui, a l'impression de revenir sur un engagement qu'il a donné.

Mais, vous savez, je ne suis pas étonnée, je n'ai jamais pensé que les patrons étaient convertis à la réduction de la durée du travail. Monsieur Gandois, Président du CNPF, a fait que l'on a pu signer un accord qui est celui que l'on a signé le 31 octobre et qui disait : « On modifie l'organisation du travail, alors on discute sur les heures supplémentaires qui n'ont pas éternellement à être employées ». C'est un scandale les heures supplémentaires !

Mais, enfin, si les patrons utilisent des heures supplémentaires, c'est qu'il y a du travail en plus dans les entreprises, qu'on ne nous dise pas qu'il y en a en moins ! Alors, à ce moment-là, réduisons les heures supplémentaires, trouvons des modalités d'organisation du travail qui réduisent la précarité de petits contrats, etc., et, en même temps, réduisons le temps de travail, c'est cela qui est écrit dans l'accord.

De deux choses l'une, ou bien le patronat aujourd'hui est en capacité de faire la démonstration que, quand il prend un engagement, il le tient, pas seulement au niveau de son État-Major ...

M. Denoyan : ... mais à sa base.

Mme Notat : ... dans ses branches patronales et dans les entreprises. Son crédit sera assuré. Ou bien il fait la démonstration qu'il n'en est pas capable. Donc, j'en conclus qu'il n'y a pas d'organisation patronale. Et à ce moment-là que se passe-t-il ? Eh bien, il y aura de la pression en direction des chefs d'entreprise. Parce que je connais beaucoup de chefs d'entreprise qui s'arrangent pour limiter les mandats dans les négociations en ce moment.

Et deuxième évidence, cela va se retourner sur le Gouvernement, donc sur une loi.

Alors, moi, Je vais vous dire, en plus la CFDT souhaite une loi, car derrière un mouvement comme cela, il faut une loi qui oriente.

Je peux vous dire que si les négociations sont insuffisantes, que si elles ne correspondent pas à l'équilibre qui a été trouvé au mois d'octobre 1995 avec le patronat, alors, là, on nous entendra, dans les pressions, pour qu'une loi aille jusque nous pensions pouvoir aller dans la négociation.

Mme Ardisson : Vous parliez des heures supplémentaires, s'il y a des heures supplémentaires, c'est effectivement parce que les patrons ne veulent pas embaucher mais c'est aussi parce qu'il y a des salariés qui veulent bien les faire. S'ils veulent bien les faire, c'est aussi parce que ça leur rapporte de l'argent.

Est-ce que finalement le débat, le vrai débat sur la réduction du temps de travail ne se confond pas avec celui sur le pouvoir d'achat ? Avez-vous résolu ce noeud de contradictions ?

Mme Notat : Oui. Vous savez quand on propose à quelqu'un de faire une heure supplémentaire et d'avoir quelque chose en plus pour arrondir ses fins de mois, en général il la prend.

Mais j'observe qu'il y a aussi de plus en plus de salariés qui préfèrent non pas être payés quand ils font des heures supplémentaires, mais prendre leur récupération en temps, et que cela, ça progresse ...

Mme Ardisson : ... ils seraient peut-être moins d'accord si on leur proposait de baisser leur salaire ?

Mme Notat : Ah, non ! Pour des heures supplémentaires, ce serait un comble !

Mme Ardisson : ... pardon, pour une réduction du temps de travail ...

Mme Notat : ... et on les ferait travailler plus !

Donc, ce que je veux dire, c'est que, de plus en plus, les salariés ont envie d'un autre équilibre entre leur temps au travail et leur temps en dehors du travail. Ils ont envie de plus de temps de repos, de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie de travail.

Donc, ils sont, je crois, prêts à de nouveaux échanges et à de nouvelles formes, de nouveaux horaires de travail.

Mais le financement de la réduction de la durée du travail, si c'est cela que vous me posez, moi je vous dis : « Les entreprises ne peuvent pas la payer seules si elle est massive ». Il faut qu'elle soit massive pour qu'il y ait des effets sur l'emploi.

Les salariés ne peuvent pas se la payer tout seuls, surtout ceux qui ont des bas salaires.

Et l'État-providence ne va pas financer cela tout seul.

Eh bien, mutualisons. Que les entreprises payent un petit peu, que les salariés, à partir d'un certain niveau de revenus, ... et à chaque fois qu'il y a un débat dans une entreprise où les salariés sont témoins d'une chose, que ce qu'on leur propose c'est une réduction du temps de travail, avec des gens en plus, visibles, qu'ils les voient, qu'ils ne sont pas dupes, alors ils acceptent non pas de diminuer leur pouvoir d'achat, parfois cela leur arrive, mais ils acceptent qu'on l'augmente moins ! Ils acceptent de contribuer positivement à l'emploi d'un certain nombre d'autres personnes.

OBJECTIONS

M. Denoyan : Objections de Monsieur Henri Vaquin qui est sociologue, qui est sans doute l'un de vos partenaires ...

Mme Notat : Brave Henri Vaquin, bonsoir.

M. Vaquin : Bonsoir Nicole. Bonsoir à tous.

M. Denoyan : L'objecteur, que vous êtes dans cette émission, s'adresse donc à Nicole Notat sur ce qu'elle a déjà dit.

M. Vaquin : Oui, j'ai entendu, en partie, ...

Mme Notat : En partie seulement, eh bien, alors !

M. Vaquin : ... les questions que vous lui avez posées.

Monsieur Denoyan et Monsieur Le Marc ont déjà posé une des questions qui me préoccupaient et que je vais quand même argumenter : je voudrais savoir si, six mois après, Nicole Notat tire toujours les mêmes leçons du conflit, même si la question lui a déjà été posée parce que ce conflit ne se réduisait pas au Plan Juppé, bien évidemment. Il a été aussi porteur d'un très fort refus, d'une certaine manière, d'être dirigé, que vous avez en partie évoqué.

Mais il a été fort d'un front du refus, qui n'est pas le refus du changement, qui était une espèce de front du refus du changement fuite en avant, qui ne dit pas où cela va.

J'ai craint un moment que la CFDT ne voie aussi dans la demande de statu-quo qu'une espèce de demande d'immobilisme, il y a aussi là-dedans quelque chose d'une espèce de moratoire, c'est-à-dire de temps d'arrêt pour comprendre quelque chose quand on a perdu le nord.

Faites-vous toujours la même analyse là-dessus ?

Ensuite, j'ai deux autres objections : quand vous avez pris position sur le Plan Juppé, vous étiez très CFDT comme l'a été Chérèque et comme l'a été Edmond Maire à une autre époque quand, par exemple, sur le perron de l'Élysée ...

Mme Notat : ... je suis à la CFDT ..., je m'excuse, je ne suis pas ailleurs.

M. Vaquin : ... Je suis bien d'accord, mais on a fait une « affaire Notat », en tait je crois que c'est une affaire CFDT ?

Mme Notat : Ah, merci.

M. Vaquin : ... quand Edmond Maire, sur le perron de l'Élysée, disait que 10% de SMIC en plus, c'était être payé en monnaie de singe, il s'était déjà attiré de Monsieur Bergeron la critique que vous étiez un Parti syndical. Alors, tous comptes faits. Marc Blondel vous a fait la même chose !

Mais la question que je me pose, c'est la suivante : en fait, cela fait très longtemps que l'État-Major de la CFDT est sur cette ligne.

Vous avez vécu des tensions fortes avec un certain nombre de vos militants, et pas simplement parce qu'ils sont de gauche et que c'est un gouvernement de droite qui a pris ces positions.

Un gros problème est peut-être posé chez vous, c'est : quelle pédagogie, de l'État-Major à l'ensemble des militants, pour qu'une grande plus cohérence existe et que ce ne soit pas les événements qui la révèlent. Et cela, c'est une affaire de management. Mais comme vous êtes la patronne, je vous adresse la question.

Et, enfin, en deuxième lieu...

M. Denoyan : Vous ne voulez pas déjà qu'on réponde à ces deux-là parce qu'elles me paraissent importantes, et il ne faudrait pas qu'on perde le fil.

M. Vaquin : Je vous en prie ! Mais il m'en reste une.

M. Denoyan : On ne l'oublie pas.

Mme Notat : J'en étais restée, Henri Vaquin, aux mots de sympathie que vous m'aviez faits au moment de nos prises de position de novembre-décembre ...

M. Vaquin : ... que je confirme aujourd'hui.

Mme Notat : Ensuite, je voulais vous dire que par rapport à la question interne, si c'est un problème de management, est-ce que cela veut dire qu'il faut que l'on fasse appel à un cabinet de consultants, on se reverra s'il le faut ! Écoutez, je crois vraiment que les choses sont beaucoup plus complexes que cela !

Je vais vous dire : les militants CFDT, je l'ai dit, c'est vrai, vous avez raison, n'ont pas seulement été choqués parce que c'était un gouvernement de Droite qui faisait une réforme qu'on approuvait, encore que, je peux vous dire, dans la culture CFDT, c'est quelque chose de très important ! Les militants CFDT ont été choqués d'une chose, c'est qu'à une manifestation qui était annoncée par la CGT et Force Ouvrière, sur le retrait du Plan Juppé, c'est-à-dire pas seulement sur les mesures négatives du Plan Juppé, mais sur tout le plan Juppé, incluant l'assurance-maladie, à la CFDT, l'État-Major, comme vous dites, nous avons osé dire Non : dans cette action, nous ne serons pas. Car nous ne serons pas dans une action qui va contre les intérêts des assurés sociaux, c'est-à-dire qui vise à jeter le bébé, qui était un beau, gros bébé de l'assurance-maladie réformée, avec l'eau du bain qui était les mesures négatives du Plan Juppé.

Et cela, c'est très difficile pour les militants CFDT parce qu'ils n'ont pas l'habitude de regarder les manifestations passer et de ne pas être dedans. Et c'est normal qu'il y ait eu du débat dans la CFDT, justement, pour se demander si la CFDT ne devait pas entrer dans ce mouvement pour lui donner un sens pour l'orienter vers autre chose que ce qui était le chemin qu'il prenait, c'est-à-dire de mettre l'assurance-maladie au panier.

Je peux vous dire, et je l'ai dit, nous nous sommes expliqués à l'intérieur sur ces questions-là, nous avons -fait de nombreux échanges, toujours aussi positifs, constructifs, même s'ils sont vifs dans la CFDT ... je peux vous dire que nous n'aurions pas hésité un instant si nous avions pensé qu'en mettant les forces de la CFDT du côté de ceux qui voulaient entraîner les gens dans l'impasse, c'est-à-dire renvoyer l'assurance-maladie aux orties, on aurait pu la sauver et, en même temps, peut-être, poser les vrais problèmes qui étaient ceux qu'exprimaient les gens, c'est-à-dire un ras-le-bol par rapport à des prélèvements inutiles, etc.

Mais je peux vous dire que Je pense très intimement aujourd'hui, et je le dis aussi aux militants CFDT ... ils m'entendent leur dire à chaque fois que je me déplace, que l'action de la CFDT en novembre-décembre, sur l'assurance-maladie, je le répète, car, sur la SNCF, sur les autres sujets, nous étions avec les manifestants et avec les grévistes, mais sur ce slogan du retrait du Plan Juppé, je dis effectivement aux militants « N'ayons pas de regrets, c'est parce que nous avons tenu cette position que la réforme de l'assurance-maladie a été sauvée ».

M. Denoyan : Votre troisième point, rapidement, monsieur Vaquin.

M. Vaquin : Je pense effectivement que si la réforme a été sauvée, c'est grâce à la CFDT.

L'autre question, c'est la suivante : de temps en temps, je ne sais plus bien où est la CFDT. Le syndicalisme français a deux grands courants, c'est celui du contre-pouvoir qui se monte sur un projet alternatif de Société et puis c'est la stratégie du contrepoids, c'est-à-dire ceux qui défendent, type FO, les intérêts de leurs mandants sans réinterroger le projet de Société.

J'aimerais que vous me disiez un peu, Nicole Notat, si vous vous placez dans le contre-pouvoir ou dans le contrepoids ? Parce qu'il y a beaucoup d'ambiguïtés là-dessus.

Mme Notat : Ah, bon !

M. Vaquin : L'une des inquiétudes que l'on peut avoir à votre propos, c'est : la CFDT, un temps, nous a fait rêver. Elle était porteuse d'utopie. N'êtes-vous pas redevenue un tout petit peu trop gestionnaire, simplement ?

M. Denoyan : Merci, Monsieur Vaquin d'avoir été avec nous.

Nicole Notat ? Ne développez pas trop parce que c'est une vaste question.

Mme Notat : Je réponds sans état d'âme : la CFDT est un contre-pouvoir. Qu'est-ce que cela veut dire un contre-pouvoir ? C'est une force qui considère qu'entre les gouvernants et les gouvernés, il y a besoin d'un contre-pouvoir. Il y a besoin de forces organisées qui font que ce n'est pas le pot de fer contre le pot de terre, entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, et que c'est la même chose entre le patronat et les salariés, entre le patronat qui détient le contrat de travail, entre ses mains, du salarié et que, tout seul, le salarié face au patronat a besoin d'un syndicat qui le défende.

Quant à l'utopie, écoutez, franchement, dire aujourd'hui, dans la société française, que nous voulons véritablement aller vers un syndicalisme de transformation sociale, c'est-à-dire qui garantit, qui ne soit pas seulement des voeux pieux, qui prenne les moyens de garantir le droit au travail pour tous, demain, dans la société française, eh bien, écoutez, je suis désolée, le travail, cela ne faisait pas rêver les gens il y a 50 ans, malheureusement, aujourd'hui, je crois que pour un bon nombre de Français, de jeunes en particulier, le travail, c'est, malheureusement, ce qui les fait rêver. Parce que, quand on en a un, je crois qu'on aime le tenir et quand on n'en a pas, on se dit : « Mince, qu'est-ce que ce serait bien si l'on pouvait en avoir un ! ».

Mme Jeanperrin : En Allemagne, le Gouvernement et les syndicats, enfin surtout quand le Gouvernement fait une chasse aux gaspis sociaux très forte, et c'est ce qui nous « pend au nez », si j'ai bien compris, dans le budget, l'année prochaine. Mais en Allemagne, on négocie, à marche forcée, mais on négocie. Comment voyez-vous cela ? Êtes-vous admirative, et comment cela va se passer en France ?

Mme Notat : On va encore me dire une fois de plus que Je suis une adepte des modes de relations sociales en Allemagne, mais c'est vrai ! Je ne peux que constater que, quand il y a des syndicats forts, il n'y en a qu'un, ce n'est pas notre cas, quand il y a un patronat qui assume ses responsabilités, quand il y a des relations sociales régulières, de la confrontation régulière, même vive, parce qu'en Allemagne les grèves, c'est quelque chose ! Mais on ne les déclenche pas n'importe quand et n'importe comment. Et, en France, aujourd'hui, écoutez, moi, je m'excuse, pour négocier, il faut être deux ...

Mme Jeanperrin : Cela veut dire qu'il y a une panne sociale ?

Mme Notat : Ce n'est pas une panne sociale ! Cela veut dire que je veux être sûre aujourd'hui que j'ai un patronat en face de moi, en face du syndicat que je suis.

M. Aphatie : Les dépenses sociales, c'est le gouvernement qui annonce plutôt qu'il va les réduire, et ce n'est pas un problème de patronat, là !

Mme Notat : Oh ! attendez, écoutez, le patronat comme rôle de lobbying sur « s'il vous plaît, Monsieur le Premier ministre, réduisez-moi les charges sociales ? » « S'il vous plaît, Monsieur le Premier ministre, créez-moi une prime pour embaucher les jeunes dans telle et telle condition ... ». Non. En la matière, s'il y a un bon lobbying, c'est quand même le patronat.

M. Aphatie : ... c'est quand même le Gouvernement qui va prendre les décisions ?

Mme Notat : ... c'est le Gouvernement qui va prendre les décisions.

M. Le Marc : Mais vous comprenez ces décisions ou pas ?

Mme Notat : De qui ?

M. Le Marc : ... de la part du Gouvernement ? Cette baisse de dépenses de 40 milliards à peu près, est-ce que vous trouvez cela logique ? Est-ce que vous comprenez ces mesures ?

Mme Notat : Ce que je ne conteste pas, c'est le fait qu'un pays comme la France doive réduire ses déficits publics. Cela me semble taire partie des choses tout à fait nécessaires, pas forcément agréables. On serait mieux si l'on avait un peu de marge de manoeuvre financière.

Mais, moi, ce que je dis au Gouvernement : « Attention ! Quelles dépenses va-t-il réduire ? »

Donc, les dépenses qu'il met aujourd'hui sur l'emploi, je suis sûr, effectivement, qu'il y en a pour qui ce sont des gâchis ... je suis sûre qu'elles ne servent à rien. Que c'est de l'argent donné aux entreprises, qui n'amène pas de résultats ou que, si cela en amène, de toute façon on le saurait !

M. Denoyan : Vous pensez à quelques-unes de précises ?

M. Le Marc : Lesquelles ?

Mme Notat : Oui. Je l'ai déjà dit : vous savez cette prime qui a été instaurée à la fin du conflit sur le CIP, sous Balladur, qui fait que l'État verse 1 000 F, 2 000 F si l'on embauche un jeune ... Mais, enfin, quoi ? Les entreprises, aujourd'hui ont besoin qu'on leur donne une « carotte » pour embaucher des jeunes ? Mais c'est une honte ! Donc, il n'y a plus besoin de cette prime à l'embauche des jeunes. Elles ont déjà des primes dans les contrats d'apprentissage. Elles ont des exonérations sur les contrats de qualification. Cela n'augmente pas le nombre de contrats d'apprentissage et de contrats de qualification. Alors, ce n'est pas une question d'argent !

Donc, je dis au Gouvernement : « Attention, oui mettons à plat les aides à l'emploi ». Mais cela ne veut pas dire fusillons les aides à l'emploi, cela veut dire redéployons les aides à l'emploi dans des orientations qui sont plus productives en matière d'emploi.

Ce qu'on nous a demandé souvent, à l'UNEDIC, c'est de transformer des dépenses qu'on appelait passives, abusivement, parce que les chômeurs ont besoin de leurs indemnisations, en dépenses actives, c'est-à-dire des dépenses qui offraient aux chômeurs un emploi, une réorientation. Eh bien, moi, Je dis au Gouvernement : Faites la même chose. Utilisez l'argent de l'État : 1 franc bien employé au service de l'emploi ...

M. Denoyan : ... en fait, c'est comme Chirac pendant sa campagne électorale !

Mme Brun : On parle de redéployer les dépenses, mais on parle aussi de les diminuer. Or, on ne voit jamais où l'on peut les diminuer ! Donc, vous, vous avez déclaré récemment qu'il y avait overdose de prélèvements, donc vous partagez un petit peu le sentiment général aujourd'hui, autant parmi les économistes qu'au Gouvernement, mais comment diminue-t-on les dépenses et où coupe-t-on ? Puisque vous dites vous-même que, sur les aides à l'emploi, on ne les fusille pas, on les redéploye, on les améliore. Alors où coupe-t-on ?

Mme Notat : Sur les charges sociales. Il y a eu depuis plusieurs années une erreur des gouvernements successifs qui a consisté à penser que parce qu'on allait réduire les charges sociales, comme cela, sans engagement, sans être sûr qu'elles allaient produire des effets sur l'emploi, il y aurait des effets sur l'emploi ! Et le nombre d'exonérations ! Et la réduction des charges sociales, des allocations familiales, etc., et la réduction des impôts sur les sociétés ! Je ne dis pas qu'à un moment donné il n'était pas nécessaire pour les entreprises, au moment où elles n'avaient plus de fonds propres, au moment où il y avait des problèmes d'investissement, etc., de le faire, qu'il ne fallait pas les aider ! Mais au moment où elles ont retrouvé des capacités de fonds propres et d'investissement, peut-être qu'il faut qu'elles renvoient l'ascenseur !

Donc, moi, je dis : gel des charges sociales. Je pense même que le Gouvernement serait fondé de demander un peu de restitution de charges sociales qu'il a données ces derniers temps, plutôt que d'en redistribuer, alors qu'elles n'ont pas fait la preuve de leur efficacité sur l'emploi.

Mme Brun : Mais cela, ça va dans la logique de la hausse des prélèvements, c'est-à-dire prélevons sur ceux qui auraient dû payer plus !

Mme Notat : Non. La baisse des charges sociales, cela va dans le sens de la baisse des prélèvements, qui s'est opérée depuis plusieurs années en direction des entreprises.

Les entreprises ont vu des prélèvements baisser, pendant que les ménages ont vu des prélèvements monter, cela s'appelle du transfert de ce que payaient les entreprises vers ce que paient les ménages aujourd'hui.

Vous savez, quand on augmente la TVA, quand on augmente la taxe sur les produits pétroliers, quand on augmente la taxe sur l'alcool et le tabac, cela n'a l'air de rien, mais c'est du RMIste au PDG. Et cela, ce sont des impôts qui sont injustes.

Donc, je pense que, là, il y a une redistribution à faire, un rééquilibre à trouver entre ce qu'ont supporté les ménages et les entreprises, qui doit être trouvé.

M. Le Marc : Le Premier ministre reçoit les syndicats, les élus, les associations lundi prochain à Matignon pour parler de la famille, avec quelles propositions la CFDT se rend à cette réunion ?

Mme Notat : Je crois que cette réunion est d'abord une réunion de mise à plat, une réunion d'information réciproque sur les positions, les propositions des uns et des autres.

Nous, nous tiendrons un discours qui n'est pas tellement nouveau mais qui ne s'entend peut-être pas souvent : aujourd'hui il faut s'orienter vers une politique familiale moderne, c'est-à-dire qu'il y a de grosses injustices aujourd'hui dans la politique familiale, vous savez, par exemple, que l'existence du quotient familial qui tait que, en fonction du nombre d'enfants, on a des impôts qui sont réduits. C'est une aide pour les Allocations familiales que pour les gens qui paient des impôts ... plus on a de revenus, plus on a de réductions. Donc, il y a des injustices.

Il y a là question de savoir aussi si, aujourd'hui, c'est uniquement en termes d'allocations qu'il faut concevoir la politique familiale.

Il faut maintenir les allocations.

Cela, c'est la réforme de la fiscalité, donc c'est un débat qui sera plus long, on en parlera une autre fois ! Mais je pense qu'il faut trouver les moyens de permettre aux familles, quelles qu'elles soient aujourd'hui, monoparentales, familles décomposées, familles très diversifiées, de pouvoir trouver les moyens d'éducation de leurs enfants, de revivre dans les familles comme elles sont, avec des conditions qui concilient cette donnée complètement nouvelle du travail des femmes avec la politique familles.

M. Denoyan : On va peut-être rester sur ce constat, Madame Notat.

Je vous remercie.

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