Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, le 1er septembre et interview dans "Le Parisien" du 11 septembre 1997, sur la mise en place d'une politique de sécurité de proximité prévoyant le recrutement de 35 000 jeunes au titre du plan Aubry, sur la réforme de la police et les relations entre la police et la justice.

Prononcé le 1er septembre 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de presse de M. J-P Chevènement sur la sécurité le 1° septembre 1997.

Média : Le Parisien

Texte intégral

Conférence de presse - lundi 1er septembre

Mesdames, Messieurs,

La sûreté est pour l'édifice de la République, le socle nécessaire à l'exercice de toutes les libertés. C'est le premier droit du citoyen. C'est la mission première de l'État. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 reconnaissait déjà dans, son article 2, « la sûreté » parmi les droits « naturels et imprescriptibles de l'homme ».
Il ne peut en effet y avoir de libertés pour nos concitoyens, individuelles ou collectives, si leur sécurité n'est pas garantie. La sécurité des personnes et des biens doit être assurée pour tous et partout.
La sécurité ne peut pas être l'affaire de la seule police. C'est aussi et d'abord une question d'état d'esprit et d'attitude, d'hommes et de femmes pleinement conscients de faire partie d'une collectivité et désireux de respecter les règles d'une société libre et démocratique, une société régie par des règles de vie en société, consenties et acceptées par tous.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, le ministère de l'intérieur doit être le ministère de l'intégration républicaine. Par-là, j'entends non seulement l'intégration à la nation des immigrés ou des jeunes d'origine étrangère, mais aussi l'intégration de tous les Français à la République. La sûreté est un facteur primordial de cette intégration car l'insécurité aujourd'hui nait de la multiplication des incivilités dont nous sommes tous témoins quotidiennement et qui, avant même la délinquance caractérisée, la commission de délits ou de crimes, sont la preuve de l'affaiblissement du « pacte républicain » dans l'esprit de nos compatriotes. Les inégalités sociales, le chômage, la pauvreté sapent l'édifice républicain. Ils mettent en cause l'idée française de la nation, comprise non pas comme communauté ethnique, mais comme communauté de citoyens. Ils alimentent une crise d'identité qui se traduit par la montée simultanée des communautarismes ethniques ou religieux et d'une extrême-droite qui entend bâtir, par rapport aux dernières vagues de l'immigration, une communauté de « Français de souche » qui ne correspond ni à notre tradition, ni à notre histoire, la France s'étant faite par apports migratoires successifs. Cette idéologie d'exclusion qui nous ramène plus d'un siècle en arrière, ne se développe pas par hasard aujourd'hui : la crise économique n'a pas que des conséquences sociales. Elle a aussi des conséquences morales. Le chômage et la stagnation économique sont, à proprement parler, démoralisants.
C'est ce courant qu'il faut remonter pour renouer les fils du pacte républicain. C'est dire l'ampleur de la tâche qui incombe au gouvernement.
Pour ce qui concerne la compétence du ministre de l’intérieur, qui est d'abord la sécurité, voyons les choses en face : il existe des faits objectifs, des tendances incontestables. Les faits délictueux ont été multipliés par 7 durant ces 30 dernières années, passant de 500 000 à 3 560 000 en 1996. Encore ne s'agit-il que des faits connus. Il n'est donc pas étonnant que la sécurité soit l'un des domaines où l'écart entre les attentes légitimes des citoyens et l'action publique est le plus fort.
C'est pourquoi, le Premier ministre a fait, dans sa déclaration de politique générale, le 19 juin dernier, de la sécurité une priorité gouvernementale essentielle : « Toute personne vivant sur le territoire de la République a droit à la sécurité. »
Il ne faut pas que l'insécurité introduise dans notre société une discrimination supplémentaire entre ceux qui vivent en sécurité et ceux qui en seraient privés par la défaillance de l'État. Comme l'a dit Lionel Jospin : « On ne peut accepter une société dans laquelle il y aurait d'un côté des quartiers protégés et de l'autre des zones de non-droit. »
Or il n'est de bonne police que dans une société dont les principes sont clairs. Notre société repose sur des principes républicains, conçus pour des citoyens conscients et responsables, aptes à prendre pleinement en main leur destin. Le pacte républicain peut et doit fonder des relations confiantes entre la nation et ceux qui ont en charge les missions de sécurité, policiers et gendarmes. Ils seront d'autant plus efficaces que ces missions seront acceptées par tous dans leurs objectifs fondamentaux.
Mais la politique de sécurité n'est qu'un pan de l'action des pouvoirs publics dans un système républicain, il faut d'abord que la République soit partout chez elle. Pour cela, il est indispensable de rétablir quelques codes simples de conduite et de rappeler ce qu'est véritablement la citoyenneté, ensemble indissociable de droits et de devoirs.
La répression des crimes et délits est indispensable, leur prévention nécessaire, mais répression et prévention n'atteindront pas leur but, si dans l'immense majorité de la population, dès l'enfance, dès l'adolescence, on n'a pas su faire naître et vivre durablement un profond sentiment d'attachement aux valeurs de la République, le respect de la chose publique, le sens de l'intérêt général ; bref l'adhésion à une citoyenneté active et responsable.
Interrogeons-nous : qui aujourd’hui, parle aux jeunes comme à de vrais citoyens ?
À ceux d'entre eux qui sont issus des milieux aisés, on propose volontiers l'horizon planétaire de l'internet ; mais au même moment, ceux des milieux défavorisés ont pour tout horizon les murs de leurs quartiers. Et le repli sur soi, la tentation du ghetto nourrit l'indifférence, l'incompréhension, finalement l'obscurantisme, incompatible avec le bon fonctionnement de la République, contradictoire avec l'épanouissement de la vie démocratique.
C'est au premier chef le rôle de l'éducation civique, de la morale civique dont le Premier ministre a rappelé récemment la nécessité, depuis l'école primaire jusqu'à l'université, que de faire comprendre à chacun, dès le plus jeune âge, le sens de la liberté républicaine : ce n'est pas seulement la liberté individuelle, c'est aussi la liberté collective de maîtriser son destin, par l'exercice en commun des droits civiques. Cette compréhension de la liberté républicaine peut seule élargir l'horizon des jeunes de nos cités et leur donner à la fois le désir et la volonté de s'intégrer dans une société qu'ils doivent aussi contribuer à changer. En contrepartie, l'éducation civique doit aussi leur faire comprendre que la liberté ne va pas sans le respect de quelques règles simples de vie commune, de sorte que le sens civique imprègne l'attitude de chacun dans sa vie de tous les jours.
C'est toute la société qui doit être mobilisée pour faire droit à chacun, étant entendu que le devoir de chacun, c'est de respecter les autres. Les idéaux de la citoyenneté ont pour but de relier les hommes entre eux, de leur faire prendre conscience de ce qu'ils ont en commun dans le cadre de la cité. Une société plus civique devient également plus sûre et la délinquance y prend moins de place.
Dans ces conditions, j'ai souhaité organiser un colloque, qui se déroulera à Villepinte en Seine-Saint-Denis les 24 et 25 octobre prochains, pour réfléchir sereinement, ensemble, aux causes profondes de l'insécurité et aux remèdes qu'on peut y apporter.
Le débat sera organisé autour de trois grands thèmes discutés et débattus simultanément au sein de trois ateliers différents.
Le premier atelier devra répondre à cette question : qui parle aujourd'hui de la citoyenneté ? Les parents, l'école, les élus locaux, les associations ?
Il s'agit en tout premier lieu de refonder une citoyenneté sûre d'elle, avec des citoyens respectueux les uns des autres. Cela passe d'abord par la responsabilisation des familles : on commence à reconnaître que l'affaiblissement, voire la disparition de l'autorité parentale laisse les professeurs, les éducateurs sociaux et les policiers eux-mêmes désemparés devant l'extrême rajeunissement de la délinquance. Cela passe aussi par un rôle toujours plus affirmé de l'école et par l'action des élus locaux et des réseaux associatifs, dans le cadre d'une politique de la ville structurée par les idéaux de la citoyenneté.
Le deuxième atelier de réflexion s'attachera à une deuxième question : que peut être aujourd'hui une politique de sécurité de proximité ? Il nous faut réfléchir aux moyens à mettre en œuvre, aux méthodes à utiliser par la police et la gendarmerie pour mieux s'adapter aux attentes des citoyens. Une réflexion de fond doit s'engager pour aboutir à une meilleure protection des commerces, des zones d'habitat social, des établissements scolaires et des transports urbains.
Comme vous le savez, parmi les engagements pris par Monsieur Lionel Jospin, lors de la campagne des élections législatives du mois de juin 1997, figuraient la création de 350 000 vrais emplois pour les jeunes dans le secteur public et la priorité donnée à la sécurité.
Cet engagement va trouver pour une part sa réalisation avec la création de 35 000 emplois de jeunes affectés dans les services de sécurité de proximité.
Le rattachement de quelque vingt mille d'entre eux dans la police nationale permettra d'assurer de nouvelles missions dans les villes les plus sensibles tout en se donnant le temps d'envisager la possibilité de rechercher des voies d'intégration pour ces jeunes dans les métiers de la sécurité. Ces nouvelles fonctions auront préalablement été recensées, notamment dans le rapport que doit me remettre prochainement M. Bruno LE ROUX, député de Seine Saint-Denis, maire d'Épinay-sur-Seine.
D'ici à la fin de 1998, je compte recruter 8 250 adjoints de sécurité qui, insérés au sein des services de la police nationale, seront chargés de missions d'accueil et de sécurisation, à l'exclusion du maintien de l'ordre et de la police judiciaire. Leur seront notamment confiées des tâches de surveillance générale, d'ilotage et de relations avec les victimes.
D'autre part, le gouvernement proposera aux communes des contrats locaux de sécurité. Ces contrats qui pourront relayer, là où ils existent, les plans locaux ou départementaux de sécurité, seront élaborés par des groupes de travail associant à chaque fois le maire, le procureur et le commissaire de police ou le commandant de compagnie de gendarmerie. Ils feront travailler ensemble les représentants des services de l'État, de la justice, des associations. Ils pourront s'appliquer à l'amélioration de l'accueil dans les commissariats, à l'accélération des interventions, à l'information des victimes, à la prévention et, en vérité, à toute autre question qui pourra contribuer à relever le niveau de la sécurité des personnes et des biens dans une commune ou une agglomération urbaine. Ils prévoiront, à cet effet, la création d'emplois d'agents locaux de médiation dont le financement sera assuré à 80 % par l'État et à 20 % par les collectivités locales, les bailleurs de logements sociaux, etc.
Le troisième atelier traitera une troisième question : comment améliorer l'efficacité de la chaîne pénale ? C’est évidemment la question des relations entre la police et la justice qui est ainsi posée. C'est aussi l'affaire des médias. Le temps souvent trop long qui s'écoule entre le délit et sa sanction rend cette dernière incompréhensible au jeune délinquant. L'absence de toute sanction avant de multiples récidives renforce le sentiment d'impunité, qui alimente à son tour celui de l'insécurité.
Je souhaite que ce colloque soit largement ouvert aux expériences et aux idées de tous. C'est pourquoi il sera fait appel à des personnalités de tous horizons politiques, sociaux, professionnels et culturels.
Le choix des présidences des ateliers reflète cet état d'esprit, puisque vous y retrouverez toutes les tendances de l'échiquier politique ; dans le choix des intervenants auxquels il sera fait appel, on privilégiera ceux qui ont mené à bien des projets, œuvré concrètement et réfléchi, sur le terrain, pour que nos concitoyens vivent dans un minimum de tranquillité civile.
Ce débat qui, je l'espère, va ouvrir une vaste réflexion dans tout le pays, est bien entendu, l'affaire de tout le gouvernement et non du seul ministre de l'intérieur. C'est là le sens qu'il convient de donner à la présence du Premier ministre, qui s'exprimera en clôture de ce colloque, le samedi 25 octobre, mais aussi à la présence effective de plusieurs membres du gouvernement qui ont souhaité participer et s'exprimer à travers les trois ateliers de réflexion que je viens d'évoquer.
Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.


Le Parisien - 11 septembre 1997

Le Parisien : Dans une communication au dernier conseil des ministres vous avez fait état d'une stabilisation de la délinquance tout en jugeant la situation préoccupante. Pourquoi ?

Jean-Pierre Chevènement : La situation reste préoccupante car la délinquance a beaucoup augmenté dans notre pays sur une trentaine d'années, même s'il y a une légère diminution depuis 1995, voire dans les premiers mois de cette année. Ce qui m'inquiète, c'est particulièrement la progression de la délinquance des mineurs qui est de 10,26 % sur les premiers mois de l'année 1997 par rapport à la même période de 1996. De même, les atteintes aux personnes sont plus nombreuses. Mais ce qui me frappe le plus, c'est que de véritables « zones de non-droit » tendent à se former dans certaines agglomérations ou plutôt dans leurs banlieues. Quand on me dit que dans tel quartier, depuis le début de l'année, il y a plus de 700 automobiles incendiées, je dis que cette situation n'est plus vivable et n'est pas acceptable. La République ne peut tolérer que se constituent des « ghettos » sur son territoire.

Le Parisien : Vous souhaitez rétablir partout le « droit à la sûreté ». Quel est votre plan pour les banlieues ?

Jean-Pierre Chevènement : L'outil principal en sera le contrat local de sécurité. Ce contrat devra associer les maires, le préfet ou le sous-préfet, le procureur de la République, l'éducation nationale, les services sociaux et tous les acteurs locaux de la sécurité, de telle manière que celle-ci soit effectivement garantie dans les zones aujourd'hui les plus sensibles, à commencer par les abords des établissements scolaires. Ce dernier point est une priorité. Nous ferons une analyse précise, non seulement de la délinquance, mais des attentes des gens afin de nouer le dialogue et de cerner les problèmes réels pour y apporter des solutions. Développer la police de proximité, voilà mon axe de travail.

Le Parisien : Concrètement, police de proximité, qu’est-ce que ça signifie ?

Jean-Pierre Chevènement : Cela signifie par exemple des commissariats ouverts 24 heures sur 24. C’est déjà une réalité à Paris depuis le mois de juin, mais cela doit l'être aussi dans les régions. Cela veut dire une présence visible sur le terrain. Une police qui consacre plus d'efforts à la surveillance, à l'îlotage.

Le Parisien : Pour mettre plus de policiers sur le terrain, vous allez restructurer la police ou engager de nouveaux effectifs ?

Jean-Pierre Chevènement : Il faut faire l'un et l'autre. D'une part, nous allons pouvoir déployer 35 000 jeunes recrutés au titre du plan Aubry, dont 20 000 adjoints de sécurité auprès des fonctionnaires de la police nationale et 15 000 agents locaux de médiation, notamment auprès des collectivités locales, des offices HLM, des compagnies de transports publics. Ces agents locaux de médiation seront financés par ces partenaires de l'État, à hauteur de 20 %. S'agissant des adjoints de sécurité, ils seront intégralement pris en charge par l'État. Nous allons déployer ces moyens nouveaux dans les zones les plus sensibles. Les adjoints de sécurité seront naturellement bien encadrés et il y aura aussi des redéploiements au sein de la police nationale elle-même.

Le Parisien : Que feront précisément ces agents de sécurité ?

Jean-Pierre Chevènement : Ces jeunes pourront d'abord accueillir les victimes. Beaucoup de gens se plaignent qu'on ne leur répond pas quand ils appellent la police. J'ai souhaité que les commissariats puissent enregistrer des plaintes en permanence. Par ailleurs, ils devront surtout être sur le terrain participer à des tâches de surveillance, d'îlotage au contact des quartiers et de leurs habitants. Ces jeunes vont permettre les redéploiements nécessaires vers ces quartiers difficiles qui, potentiellement, sont des zones de non-droit. Cet effort concernera très largement la région parisienne.

Le Parisien : Comment ces agents de sécurité seront-ils recrutés et formés ?

Jean-Pierre Chevènement : Ils devront être recrutés sans discrimination et sur des bases objectives par des jurys départementaux. Les policiers auxiliaires (*), qui sont en voie de libération, manifestent pour beaucoup d’entre eux leur intérêt pour ces emplois d'adjoints de sécurité d'une durée de cinq ans. Quant à la formation, elle durera deux mois. Elle sera assurée dans les écoles de la police nationale, autant que possible assez près du lieu où ces jeunes exerceront leur activité. Bien entendu, les modalités de leur formation et de leur emploi feront l'objet d'une concertation avec les organisations syndicales des fonctionnaires de la police nationale.

Le Parisien : Pour en revenir à la police nationale, est-ce qu’il y aura des réformes de structure, une décentralisation ?

Jean-Pierre Chevènement : Il y aura des réformes de structure visant à développer la police de proximité, aussi bien à Paris que dans les régions. Je n’emploierai pas le mot de décentralisation. Je préfère utiliser celui de déconcentration. Je pense qu’une gestion au plus près des réalités est souhaitable. Mais il faut que la police nationale, qui est confrontée à des défis majeurs sur toute l’étendue du territoire, reste cohérente, efficace et assume ses responsabilités. Chaque citoyen a droit à un sécurité égale. C’est cela la République.

Le Parisien : Cette réforme touchera donc aussi la préfecture de police de Paris…

Jean-Pierre Chevènement : J'ai donné mon accord au préfet de police de Paris pour engager une grande réforme visant à développer la police de proximité. Je viens de lui demander de me faire des propositions dans un laps de temps assez rapide, après toutes les concertations nécessaires, bien entendu, parce que je veux qu’à Paris comme ailleurs on affecte davantage de moyens pour lutter contre la délinquance au quotidien. Il faut donc établir une première évaluation des besoins. Ensuite, il faut que les concertations s'engagent, non seulement au niveau des services mais avec les organisations syndicales. Je pense qu’une nouvelle organisation pourrait prendre forme d’ici à la fin de l’année prochaine.

Le Parisien : Vous préparez par ailleurs un projet de loi sur les polices municipales…

Jean-Pierre Chevènement : Il va être-déposé très prochainement et viendra en discussion au Parlement au printemps 1998. Il s'agit de bien cadrer l'action de polices municipales. Actuellement, par exemple, la police municipale n'a pas la possibilité de verbaliser. Elle pourrait l'obtenir pour ce qui concerne la circulation, les contraventions au code de la route. En revanche, la police municipale ne devrait pas avoir la possibilité de procéder à des fouilles ou à des contrôles d'identité préventifs. Ce sont des prérogatives de la police nationale. Il y a mieux à faire ailleurs : il faut se rapprocher des gens. Certaines municipalités devront donc réorienter leurs polices municipales quand elles ont la tentation du maintien de l'ordre vers des tâches de présence, de proximité et de médiation.

Le Parisien : Pour en revenir à la délinquance, vous souhaitez que soient améliorés les rapports entre la police et la justice. Qu’est-ce qui ne va pas aujourd’hui ?

Jean-Pierre Chevènement : Madame Guigou a entrepris de réorienter l’action du ministère de la justice pour que celle-ci répond davantage aux attentes de nos concitoyens. Je ressens que le travail de la police ne sera pleinement efficace que s’il est relayé rapidement par les actions de justice. Il faut une meilleure coordination au niveau local pour que, par exemple, les phénomènes de délinquance soient rapidement et visiblement sanctionnés. On ne doit pas voir les auteurs d'actes délictueux revenir parader sur le lieu de leurs forfaits quelques jours seulement après qu'ils les ont commis. Tout doit être fait pour la prévention, mais, dans la mesure où la prévention ne suffit pas, il faut que la répression soit efficace.
Mon but, c'est de faire en sorte que, partout nos concitoyens aient le sentiment de vivre en République, c'est-à-dire dans un pays où l'on se parle et où les règles sont les mêmes pour tous, dans un pays où il n'y a pas des quartiers protégés d'une part et d'autre part des cités interdites. La République c'est le refus des ghettos : aujourd'hui, toutes nos banlieues sont à reconstruire. Il nous faudra peut-être trente ou quarante ans, car des zones entières doivent être remodelées ; sinon, nous irons vers une société à l'américaine, avec des zones où l'on n'osera plus s'aventurer. Un travail de fond est nécessaire. Il implique notamment l'éducation civique, une politique du logement, de sécurité de proximité, une coopération efficace entre la police et la justice. Et que l'on se place clairement dans une perspective qui est la refondation de la République. Pour mieux définir cette tâche immense, pour mobiliser les acteurs concernés, je compte beaucoup sur le colloque que j'organise à Villepinte, en Seine-Saint-Denis, les 24 et 25 octobre prochain, et qui sera conclu par le Premier ministre. Tant il est vrai que la sûreté n'est pas seulement l'affaire de la police mais celle de tout le gouvernement et, ajouterai-je, de chaque citoyen.

(*) Neuf mille appelés du contingent effectuent leur service au sein de la police nationale. Avec la suppression du service militaire ces policiers auxiliaires sont appelés à disparaître.