Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Maires,
Chaque élu, chaque citoyen construit sa propre géographie de la France, celle des espaces qui lui sont chers et des lieux qui lui sont familiers. En réunissant par l'esprit les communes que vous représentez ici, que nous représentons allais-je dire car la commune que j'administre est à peine plus grande que les vôtres, apparaît le tracé d'une autre France que celle que l'on a coutume d'évoquer, à la fois semblable et différente. Ce ne sont plus Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse ou Strasbourg qui en dessinent les contours. Ce ne sont plus les grandes agglomérations, les vedettes de l'aménagement du territoire, mais d'autres pays, d'autres localités, au centre desquels se dressent nos petites villes qui offrent leurs services, leurs valeurs et qui proposent un cadre où chacun trouve sa place, où l'on se connaît et se reconnaît. Une addition souvent de l'urbanisme et de l'urbanité, une communauté au sens propre, à l'échelle humaine.
Énumérer les lieux où se sont tenues vos assises constitue d'ailleurs un symbolique voyage. Chinon, Nuits-Saint-Georges, Figeac, aujourd'hui Saverne qui nous accueille et j'en remercie nos hôtes. Des vignobles et des places, des industries et des champs, qu'elle soit née il y a deux mille ans ou grandie voici vingt ans, chacune de vos cités du cuir et du textile, chacune de vos villes de l'électronique et de l'informatique exprime, à sa façon, un peu de notre pays, sa diversité, sa richesse et son patrimoine, une part de nous-mêmes, que défend avec talent notre président Martin Malvy.
On en parle peu, car les trains qui arrivent à l'heure attirent peu les médias. Mais que serait notre République sans les élus des petites villes qui représentent 50 % des communes de France et plus de 16 millions de nos concitoyens, soit près d'un Français sur trois ? Combien de révoltes, d'incompréhensions supplémentaires se produiraient sans ce maillage qui n'est pas seulement territorial, mais humain. On décrit parfois nos 500 000 élus comme un anachronisme ou comme un boulet. C'est absurde, il s'agit au contraire d'une force, la force de médiateurs irremplaçables dans un pays qui en est par ailleurs trop dépourvu. C'est donc la démocratie et la République que vous faites vivre au quotidien. Vous l'incarnez par vos actes, vos paroles et vos responsabilités. Vous êtes là où les autres ne sont plus. D’une certaine façon policiers quand le commissariat est fermé, enseignants quand il n’y a pas école, médiateurs sociaux, vos engagements compensent - on en abuse parfois d'ailleurs ! - les défaillances de la société et de l’État. Je n'en suis que plus heureux de pouvoir m'exprimer devant vous. Et j'ajouterai, pour être maire d'une ville qui est votre sœur, « avec » vous.
Une image convenue voudrait que le progrès se nourrisse de gigantisme. Il ne resterait à ce qui est petit que les vertus de l'enracinement et le passé ! C'est totalement inexact. De même que la nouvelle économie fondera sa croissance au moins autant sur les PME et les PMI que sur les grandes structures industrielles, vous représentez la partie sans doute la plus dynamique de l'armature urbaine française. Votre population est plus jeune. Vos emplois - même s'il existe une grande diversité de situations - résistent souvent mieux. En périphérie urbaine, c’est là qu'on trouve le plus de jeunes, le plus d'enfants, de nouveaux logements et d'accédants à la propriété.
Les futurologues ont l'habitude de découper notre territoire en nœuds métropolitains et en diagonales arides : d'un côté plusieurs petits Paris, et de l'autre un grand désert qui avance. Nous sommes là pour inverser celle tendance. L'affirmation de pôles locaux forts est indispensable. Si elles se tournent vers l'avenir, je suis convaincu que nos petites villes auront leur place dans la France du nouveau siècle. A condition que soient opérés trois choix. Celui de la solidarité des territoires par l’intercommunalité. Celui du développement local au service des habitants. Celui de l'ouverture pour mieux préparer l'avenir.
I - La solidarité des territoires
Nous le savons tous, mes chers collègues, que nous vivions dans une logique entièrement urbaine ou dans le milieu rural, pas d'avenir efficace sans intercommunalité. C'est dans l'union de nos collectivités territoriales que se construit leur solidarité, leur force. Mais l’intercommunalité ne doit pas être brutale. Une coopération voulue, une coopération solidaire, une coopération démocratique : voilà ce à quoi personnellement je crois.
Une coopération voulue. La coopération implique une adhésion. La liberté est essentielle. Pour cela, il faut que l’État n'oblige pas la France entière à un seul modèle de coopération, valable pour la plus petite des communautés de communes comme pour de grandes agglomérations. Autour d'un socle qui intègre les compétences les plus importantes et les choix financiers majeurs, je pense qu'il faut laisser à chaque commune le choix de son intercommunalité, la possibilité de traduire ses projets et son histoire. A contrario il faut donner à chaque communauté de communes, si elle le souhaite, un certain pouvoir de subsidiarité par rapport à la région ou au département en lui confiant des pouvoirs, des compétences, des financements qui prennent acte de ce regroupement et de cette volonté de « vivre, travailler, administrer ensemble ». Le rythme d'approfondissement de la coopération intercommunale doit être déterminé par chaque structure : pourquoi empêcherait-on celles qui le veulent d'avancer plus vite et ne pas tolérer que d'autres privilégient un mouvement plus prudent ? Il n'y a aucune raison ni sur ce sujet ni sur les autres d'être dogmatique.
Une coopération solidaire ensuite. Si je crois à la coopération libre, je sais aussi comme vous que la solidarité fiscale est le plus fort des liens. Le non-aménagement de la dotation de solidarité urbaine et la stabilisation de la dotation de solidarité rurale pèsent sur les comptes des petites villes. Les différences excessives entre communes dans les taux de fiscalité alimentent une concurrence elle aussi excessive, favorisent les entreprises attirées par telle ou telle « carotte ». A ce jeu des rivalités, on sait qui sont les perdants. Je suis convaincu que l'idée d'une taxe professionnelle d'agglomération avancera. Contribuables, élus, salariés, investisseurs, chacun y gagne.
Une coopération démocratique. Il existe dans la démocratie une règle simple ! Pas de pouvoir sans contrôle démocratique. Dans le schéma de coopération intercommunale que j'évoque, les communes conservent leur rôle irremplaçable. Elles sont le lieu des services de proximité, des échanges sociaux et de tout ce qui concerne la vie locale. Elles servent de relais aux aspirations de la population. Mais, pour reprendre l'intitulé d'une de vos tables rondes, elles ne sont plus solitaires : elles deviennent solidaires. A l’État de proposer des formules juridiques adaptées, le cas échéant expérimentales, au Parlement de décider, aux communes de s'en saisir.
Ainsi la relance de la coopération intercommunale s'intégrera-t-elle dans un processus plus vaste : celui de la rénovation de la vie publique. Approfondissement de la décentralisation, renforcement des pouvoirs du Parlement et organisation de la gestion locale ne sont que les différents aspects d'un seul et même projet : l'adaptation aux exigences du monde nouveau d'un système politique et institutionnel forgé au siècle dernier, bref la rénovation de notre vie publique.
Je dirai un mot à cet égard sur un sujet d'actualité, la limitation du cumul des mandats. En faisant voter un texte en 1985, j'avais contribué à faire avancer la législation. Je suis de ceux qui souhaitent que la vie publique se rénove. Je souhaite donc qu'on limite les cumuls de mandats et de fonctions, et qu'on le fasse dans des proportions raisonnables. Il existe à cet égard des évidences. Par exemple aucun ministre ne devrait détenir une autre fonction exécutive. De même on ne devrait pas pouvoir, à mon sens, être maire de Paris, de Lyon, de Marseille ou d'une grande ville et parlementaire. De même pour les parlementaires à la fois nationaux et européens : ce n'est pratiquement pas cumulable. Je ne vais pas dresser une liste exhaustive. Il faudra en même temps veiller à ne pas aboutir au contraire de l'effet souhaité : moins de présents dans l’hémicycle et des dossiers locaux qui seraient plus mal suivis. Si on hésite, revenons aux principes qui justifient une limitation des cumuls : veiller à ce que les élus puissent consacrer suffisamment de temps à leurs tâches, éviter les « conflits d'intérêts » entre fonctions diverses, tout en permettant aux élus de rester en contact étroit avec « le terrain ». Voilà à mon avis ce qui devra nous guider. Bien évidemment, cela impliquera de traiter une autre question, pas vraiment résolue : le statut de l'élu.
II - Le développement local
La question institutionnelle n'est évidemment pas la seule qui soit posée. Un développement local au service des habitants suppose pour nos petites villes plusieurs choix : conserver ou acquérir de réels moyens administratifs ; maintenir et réorganiser les services publics ; affirmer et redéfinir l'action de l’État.
De réels moyens administratifs. Beaucoup de petites villes, souvent situées en marge des agglomérations, connaissent une expansion rapide sans disposer des équipements, des structures et de l'encadrement nécessaires. Les besoins sont considérables. Pour y faire face, le redéploiement de la fonction publique territoriale s'imposera. Vous prônez, dans votre association, des solutions pragmatiques visant à réduire les obstacles réglementaires : modification des statuts des secrétaires généraux des petites villes afin de stabiliser leurs postes, simplification du recrutement pour certaines catégories de fonctionnaires territoriaux, assouplissement des règles de recrutement des saisonniers, préservation de la CNRACL et de ses bases financières. Ces pistes me paraissent bonnes.
Les emplois jeunes permettront, nous l'espérons, de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens. Ils peuvent apporter un véritable surcroît de qualité de vie. Il serait dommage que des petites villes en soient privées faute de moyens financiers. Or 20 % d'un SMIC pour certaines communes, parmi les moins riches, c’est parfois au dessus de leurs moyens. Nous devons éviter que leur population soit doublement pénalisée et, parce que déjà pauvre, un peu plus privée d'emplois. Peut être les régions et les départements pourront-ils aider ces communes. Ou bien encore faudra-t-il compléter le dispositif lorsque nous dresserons un premier bilan de la loi.
Maintenir et réorganiser les services publics. Nous le savons, certaines petites villes, isolées et fragilisées, craignent de perdre leurs services publics, leurs hôpitaux, leurs collèges quand ce n'est pas déjà fait. Le désengagement de l’État les amputerait gravement. Les moratoires successifs ne sont pas une solution suffisante : c'est en effet une approche de l'encadrement territorial qui sous entend qu'il n'y a de choix qu'entre maintien du statu quo et abandon progressif.
En fait, beaucoup a déjà été entrepris pour rationaliser les services publics : dans certaines petites villes, les agences postales ont testé avec succès la polyactivité et la complémentarité : la SNCF et d'autres opérateurs ont parfois développé des réseaux d'autobus, souvent des taxis collectifs performants. Dans un esprit de solidarité locale, les solutions s'appellent notamment mise en réseau et mobilité. Dans certaines petites villes, les services publics peuvent se spécialiser et, au sein d'une région donnée, devenir complémentaires. Appliqué au domaine de la santé, c'est par exemple conserver un hôpital autour de sa spécialité, sans prétention à assurer la totalité des soins, mais relié à la fois aux autres établissements identiques et au principal hôpital de la région. L'exemple vaudrait aussi pour les universités. C'est un choix de politique publique.
Il s'agit en réalité d'affirmer et de redéfinir l'action de l’État. Son objectif doit être de conforter des dynamiques locales, de valoriser l'existant, pas de confisquer l'initiative ou de se défausser de ses missions. Je pense en particulier à la politique d'aménagement du territoire. Ce qui compte, ce sont les potentialités du terrain d'accueil et du « pays » d'accueil. Ce qui vaut, c'est l'impact sur l'emploi local. La réussite économique exige désormais des modèles de coopération souple entre les entreprises, les services, les décideurs et les collectivités locales. L'action de l’État devrait favoriser l'émergence de ces nouvelles formes de partenariat, afin de créer des réseaux locaux de croissance et d'innovation. C'est ce que j'appelle l’« économie partenaire ». Chaque région a son savoir faire, ses traditions, ses préférences, il s'agit de consolider des pôles artisanaux ou industriels d'excellence. Les petites villes ne sont pas des bourgs dortoirs. Elles ont vocation à devenir des centres d'animation d'espaces économiques cohérents et performants. Sur leur capital culturel, historique ou géographique, elles doivent permettre de dégager des résultats économiques et un mieux être social.
III - Les choix de l'avenir
Pour conclure, j'aimerais me tourner avec vous vers l'avenir. C'est l'un des enjeux de vos assises. L'avenir par définition bouscule nos cadres de pensée et nos schémas. A trois ans de l'an 2000, nous devons nous y préparer.
Les processus de transformation en cours peuvent parfaitement être favorables aux petites villes. Les hommes sont désormais moins prisonniers de leur espace qu'ils ne l'étaient il y a vingt ou trente ans. Auparavant, si une collectivité n'était pas située à côté d'une source de matières premières, si elle ne se trouvait pas sur un axe central de communications, ses chances de développement étaient limitées. Aujourd'hui, la richesse se fonde avant tout sur l'intelligence, les réseaux de compétence et le savoir-faire ; les territoires se recomposent selon des axes de communication matériels et immatériels. Les petites villes peuvent être le laboratoire de la ville de demain. A condition d'opérer concrètement deux grands choix :
Le choix des nouvelles technologies. Aujourd'hui, il faut miser sur elles, sur le nombre de connexions à l'Internet. Dans ce domaine, il faut éviter la création de nouvelles inégalités entre les territoires, entre info-riches et info-pauvres. La société de l'information est un tout : pour les habitants des petites villes, rester à l'écart de ce mouvement entraînerait de graves conséquences non seulement dans le domaine de la culture, de la connaissance et du temps libéré, mais aussi en terme d'emplois. Dans nos communes, des espaces multimédias apparaissent. Ces initiatives parmi d'autres vont dans le bon sens : nous devrons les développer, ce qui suppose de les financer, et l’État, je l'espère, aidera nos communes à le faire. C'est une demande forte que je traduis auprès des pouvoirs publics.
Le choix de l'Europe est lui aussi complémentaire d'une décentralisation relancée. L'Europe doit constituer une véritable chance pour les petites villes. Celles qui longent nos frontières le savent : ces territoires jalousés, disputés et repris sont devenus des zones d'échange, de dialogue et de mobilité. L'histoire de Saverne et ses conscrits de 1913 en témoigne Adrien Zeller qui nous accueille aujourd'hui, connaît bien cette réalité.
Pour les petites villes qui animent l'intérieur de notre territoire, l'ouverture à l'Europe, ce peut être la multiplication des passages, des jumelages ou la recherche de nouveaux débouchés pour leurs productions. C'est la venue de touristes qui savent qu'une grande part de la richesse de la France est là. L'Europe, une Europe réorientée vers la dimension humaine, peut former un rempart contre les excès d'une mondialisation sauvage qui, sinon, bousculera les hommes et les territoires.
Mes chers amis, je ne voulais prononcer que quelques mots, vous dire le plaisir que j'avais à partager ces moments avec vous, je suis allé un peu plus loin. Pourquoi ? Parce que les petites villes sont un grand sujet. Parce qu'un vrai aménagement du territoire appelle les petites villes à un vrai avenir. Vive Saverne ; Vive les petites villes ; Vive la République et Vive la France.