Interview de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, dans "La Tribune" le 29 juin 1999, sur la nécessité de l'allongement de la durée de concession des sociétés d'autoroutes et sur l'augmentation du budget destiné au transport combiné en 2000, dans le cadre de la priorité donnée au chemin de fer.

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Média : La Tribune

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La Tribune
La Cour des comptes vient de dénoncer le risque de crise financière qui menace les sociétés d'autoroutes. Estimez-vous que le système actuel a raté son objectif ?

Jean-Claude Gayssot
La Cour des comptes vient de terminer un travail très important concernant la politique autoroutière française. Pour autant, parler de « crise financière » me semble inapproprié. Aujourd'hui, l'endettement des 6 Semca (sociétés d'économie mixte de concessionnaires d'autoroutes) est d'environ 130 milliards de francs et culminera à 154 milliards en 2003-2004. Ce montant ne devrait pas nous étonner, et il est contrôle. Il est normal que les grandes infrastructures (autoroutes, lignes à grande vitesse, ponts, tunnels... ), dont la durée de vie se compte par dizaines d'années, soient financées par l'emprunt, de manière à ce que les générations futures participent également à leur fonctionnement.
Le système de l'adossement – c'est-à-dire le financement d'une autoroute nouvelle par les péages d'une plus ancienne – n'a pas « raté » son objectif, au contraire, puisque, sur plus de 8 400 km, 7 000 ont été financés dans le cadre de la concession et de l'adossement. Bien sûr, ce système ne peut plus fonctionner comme avant du fait notamment des directives communautaires. De toute manière, il fallait le faire évoluer dès lors qu'il avait tendance à biaiser les choix d'investissements, et à faire passer le mode de financement devant le choix techniques.

La Tribune
Oùen est le projet de réforme à l'étude à Bruxelles ?

Jean-Claude Gayssot
La réforme en cours de finalisation a pour principal objectif de redonner de l'équilibre au systme de construction, d'entretien et de financement du réseau routier national. Cela signifie tout à la fois restaurer le niveau d'entretien qui avait été négligé, voire abandonné sur certaines portions du réseau non concédé, et retrouver une plus grande neutralité des choix d'investissement neufs : à mes yeux, la facilité d'un financement par concession ne doit pas conduire à choisir une autoroute quand un aménagement à deux fois 1 ou 2 voies peut suffire. Ces objectifs devront être atteints, bien sûr, dans le respect du droit communautaire dont mes prédécesseurs avaient tardé à tenir compte.
Cette réforme est donc une étape qu'il nous appartient de réussir. Cela nécessite un ensemble de mesures fiscales et comptables qui doit mettre les Semca dans des situations proches du droit commun, y compris par le renforcement de leurs fonds propres. L'allongement de la durée des concessions existantes aura pour but de la rapprocher de celle attribuée à des sociétés privées. Je ne vois pas pourquoi, en effet, les sociétés publiques aux quelles on demande beaucoup ne bénéficieraient pas des mmes règles de gestion que les sociétés de droit privé, quand ces règles sont plus favorables à l'investissement et au développement. L'allongement de la durée des concessions est en effet une condition de la faisabilité de la réforme. Elle nécessite un examen particulier au regard des textes communautaires. Cela m'a conduit à engager – dès juillet 1998 – une concertation-négociation avec les services de la commission de Bruxelles. Celle-ci, qui a été retardée du fait de la démission des commissaires, devrait s'achever dans les semaines qui viennent. Un avant-projet de la loi est en cours de réaction, de manière à être déposé au Parlement dans le courant du second semestre 1999.

La Tribune
L'Etat envisagerait-il de renforcer le budget routier au risque d'alourdir la dette publique ?

Jean-Claude Gayssot
Nous disposons aujourd'hui, grâce à notre système de concession, d'un réseau autoroutier de grande qualité. Pour autant, on ne peut dire que le réseau routier national ne nécessite plus de financement ou de crédits budgétaires : d'ailleurs, la préparation des futurs contrats de plan montre bien toute l'importance que les élus régionaux accordent au volet routier, pour des raisons de sécurité, de maillage, de désenclavement ou de désengorgement, et là je pense autant aux agglomérations qu'aux zones d'aménagement du territoire. La sécurisation des infrastructures et la lutte contre les nuisances, sonores ou environnementale, vont constituer pour les années à venir des demandes fortes de nos concitoyens et des élus, qui seront nécessairement facteurs d'investissements et de dépenses budgétaires.
La catastrophe récente du tunnel du Mont-Blanc est là pour nous le rappeler.

La Tribune
S'agit-il de donner une priorité au chemin de fer ?

Jean-Claude Gayssot
Le Gouvernement a donné, avec ses décisions du 4 février 1998, des orientations claires en matière de priorité au chemin de fer, notamment l'affectation d'une part croissante des ressources de l'Etat au transport ferroviaire (2,3 milliards de francs en moyenne annuelle, à l'horizon du XIIe plan), le lancement du TGV est-européen et la préparation d'un programme d'investissements de l'ordre de 120 milliards de francs dans les dix ans à venir.

La Tribune
Pourquoi favoriser le chemin de fer dans la mesure oùl'activité de fret ferroviaire ne rentre pas dans les missions de service public de la SNCF ?

Jean-Claude Gayssot
Le fret constitue aujourd'hui un des enjeux majeurs du développement du transport ferroviaire dans l'espace européen. C'est d'ailleurs à l'aune du transport du fret que sera jugée la capacité de la SNCF à relever les défis de l'intermodalité, du développement et de la préservation de l'environnement qui, tous, sont partie prenante de l'intért général. Le fret fait partie de ces secteurs où l'on voit bien que l'on ne peut appliquer les seules règles du marché. C'est pourquoi il existe dans mon budget des aides au transport combiné, et elles seront augmentées significativement en 2000. En effet, sans sous-estimer les atouts du transport routier, on mesure bien que la société rejette l'hypothèse d'un développement du « tout routier ». J'ai fixé un objectif de doublement du trafic fret ferroviaire dans les dix ans qui viennent. C'est tout à fait réaliste sur la base du trafic actuel et a fortiori sur la base des prévisions de croissance à dix ans. C'est absolument indispensable.