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Le Figaro : Que vous inspire la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Hervé de Charrette : Un sentiment d’humiliation pour la France, évidemment. Voir la patrie des droits de l’homme condamnée pour « torture » ne conduit pas à pavoiser. Cela dit, de quoi, ou de qui faut-il avoir honte ? La décision de la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas humiliante en elle-même. Ce sont les faits qui sont humiliants. Or, quels sont ces faits ? Quelques policiers, qui déshonorent le corps d’élite auquel ils appartiennent, ont matraqué un détenu.
L’administration française a cru devoir couvrir ces méfaits, tandis que notre justice faisait traîner pendant huit ans la procédure engagée par le plaignant. C’est cet ensemble de faits que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné. Je crois qu’elle a eu raison. Notre pays, qui a toujours eu l’ambition d’être le premier de la classe en matière de droits de l’homme, doit accepter cette décision parce qu’elle est juste. Elle contribue assurément au progrès de l’État de droit, en France comme en Europe. Le code de déontologie de la police ne prévoit pas, que je sache, le matraquage des prévenus.
Le Figaro : Votre avis n’est pas partagé par tout le monde…
Hervé de Charrette : J’entends d’ici les pleurnicheries des souverainistes. Je les trouve déplacées. Je rappelle que la convention européenne des droits de l’homme a été signée en 1959, c’est-à-dire du temps du général de Gaulle, et qu’elle a été ratifiée en 1974. Il est un peu tard pour se réveiller. Je rappelle également que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu d’éminents services à l’État de droit. C’est elle qui est intervenue contre les abus des écoutes téléphoniques, contribuant ainsi à faire cesser des dérives scandaleuses. C’est encore elle qui a pris les premières décisions concernant l’indemnisation des hémophiles contaminés. Faut-il s’en plaindre ? Je ne le crois pas. Il faut désormais admettre que la France n’est plus seule. Les souverainistes – qui, au fond, rêvent d’un monde qui n’a jamais existé – refusent de se rendre à l’évidence.
Le Figaro : Ce type de décision judiciaire s’impose-t-il aux États membres de l’Union ?
Hervé de Charrette : Oui. Aux États, mais pas aux juges. La condamnation s’impose. L’État devra verser 500 000 francs au plaignant qui est, je le dis au passage, quelqu’un de peu intéressant. Mais la justice française, qui est saisie du cas des policiers concernés, reste libre de ses décisions. La Cour européenne des droits de l’homme n’est pas une instance d’appel. Si elle a sanctionné notre pays en l’espèce, c’est parce qu’elle a estimé que la justice française faisait durer la procédure au-delà du raisonnable. Ce coup de tonnerre dans le ciel d’été aura des conséquences importantes. Il confirme qu’un droit européen est en train de voir le jour.
Le Figaro : Ne peut-on toutefois craindre une dérive vers un « gouvernement européen des juges » ?
Hervé de Charrette : En quoi cette affaire nous menace-t-elle ? Une convention européenne des droits de l’homme existe, qui expose un certain nombre de règles et de principes que les pays signataires se sont engagés à respecter. La Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à Strasbourg, a été créée pour faire appliquer ces principes. Elle juge donc les actes des États et, je le répète, cela est bon. Il est vrai que nous sommes habitués, en France, à voir l’État échapper aux juges et au droit commun. Cette façon de considérer la justice est périmée. L’État, qui a trop longtemps bénéficié chez nous d’un droit exorbitant, doit être soumis aux mêmes règles que les individus – et je dirais même à des règles plus strictes. Que l’État français soit jugé à l’échelon européen prouve que nous ne sommes plus seuls, et que notre destin est lié à celui de nos voisins. C’est le signe des temps nouveaux.
Le Figaro : Comment expliquez-vous l’absence de réactions politiques à cette décision de justice ?
Hervé de Charrette : J’ai surtout observé les contradictions dans lesquelles s’empêtre le Gouvernement. Le garde des Sceaux se tait et refuse de commenter. Le ministre de l’intérieur critique la décision de la Cour et affirme qu’elle ne s’impose pas au juge français, montrant ainsi qu’il ne connait pas le sujet. Tandis que le Quai d’Orsay indique que l’État français se conformera à la décision de la Cour de Strasbourg. En réalité, le gouvernement est embarrassé. Car il est divisé, lui aussi, entre souverainistes et européens.