Texte intégral
Q - Après la destruction de documents concernant l'église de Scientologie au tribunal de Marseille, est-il légitime de redouter que cette secte se soit installée au coeur même du fonctionnement de l'État ?
- « On ne peut tirer cette conclusion de ce qui vient de se passer à Marseille. Il faut attendre de voir ce que donne l'enquête. C'est de toute façon un événement grave que de voir des documents qui sont destinés à un procès, qui sont placés sous scellés, détruits avant ce procès. Je veux la vérité, je veux savoir ce qui s'est passé. L'opinion du procureur est que c'est une erreur. Vous savez que les scellés sont conservés un certain temps : trois ans. Ils doivent être détruits au bout de trois ans. On ne peut pas conserver des masses de choses. C'est même dangereux, parce qu'il peut y avoir de la drogue... Là, il semble que le greffe de Marseille ait cru que le procès avait déjà été jugé. Bon, il faudra faire la lumière sur tout ça. Je ne veux pas qu'il subsiste le moindre doute. Si c'est une erreur, c'est une erreur regrettable parce que c'est quand même un dysfonctionnement - mais, enfin, c'est une erreur ! De toute façon, l'inspection des greffes est là-bas aujourd'hui. J'aurai un rapport. Le procureur qui - je le souligne - a tenu à faire savoir aux parties civiles qu'une partie des pièces était perdue a joué - et il a bien fait - le jeu de la transparence. Il restera aussi à déterminer si les pièces qui ont disparu sont gênantes pour la tenue du procès. Voilà les deux questions qui se posent aujourd'hui. »
(Question inaudible)
- « Je pense que je devrais avoir ces conclusions assez rapidement. »
Q - Avant le procès, qui a lieu le 20 septembre ?
- « Oui, il faudra qu'on les ait déjà. »
Q - Vous publierez les conclusions ?
- « Bien sûr je les ferai connaître ! Quand on fait une enquête on ne peut jamais savoir ce que l'on va trouver. Il est possible d'avoir besoin d'autres éléments d'investigation. Enfin, je souhaite en avoir le coeur net le plus vite possible. »
Q - Des élus de gauche comme de droite, notamment R. Forni, vice-président de l'Assemblée nationale, disent : « Cela ne peut pas être une erreur ; il y a des coïncidences qui ne trompent pas. » Car, lorsque ces événements se sont produits à Marseille, à l'automne dernier - même si on le sait seulement maintenant -, il y a eu également, à Paris, disparition de documents concernant l'église de Scientologie.
- « Ce n'est pas la même chose. A Marseille, c'est la disparition de scellés qui sont destinés à un procès. A Paris, c'est la disparition de documents utilisés par le juge d'instruction. Ce ne sont pas les mêmes circonstances. A Paris, il ne peut pas s'agir d'une erreur : c'est une disparition, ce n'est pas une destruction. »
Q - Et l'enquête ne donne rien pour l'instant.
- « Pour l'instant, j'ai un rapport d'étape de l'inspection générale des services judiciaires que j'ai envoyée sur cette affaire, car, là encore, c'est très préoccupant. Il n'y a pas de conclusions absolument définitives, j'attends le rapport définitif. La chambre d'accusation doit dire à la fin du mois dans quelles conditions doit se tenir le procès. »
Q - A. Vivien qui est le président de la mission interministérielle de lutte contre les sectes dit : « La Scientologie est une secte totalitaire qui devrait être interdite. Elle s'en prend aux rouages mêmes de l'État !
- « Je suis très attentive. C'est la mission sur les sectes, que préside A. Vivien, qui doit fournir au Gouvernement son analyse. Je crois, en effet, que l'on peut se poser cette question. »
Q - On peut être fonctionnaire et membre de l'église de Scientologie ?
- « Écoutez, il y a certainement des gens qui se sont laissés abuser. Je n'ai pas d'indications, mais M. Vivien et la mission interministérielle doivent communiquer au Gouvernement des analyses plus précises et des propositions. On sait que ces sectes, celle-ci en particulier, sont extrêmement puissantes. Elles sont fondées sur des réseaux économiques et d'argent qui leur donnent des moyens d'action considérables. Elles abusent des gens faibles, crédules, qui sont en situation d'infériorité ou de fragilité pour des, raisons personnelles, professionnelles, familiales. Je pense, en effet, qu'il faut les empêcher de nuire. »
Q - Donc, la question de l'interdiction est ouverte ?
- « En tout cas, je comprends que M. Vivien, qui travaille sur ces questions-là depuis longtemps, pose cette question. »
Q - Un projet de loi qui va être débattu à l'Assemblée nationale, concerne la publication de photos. Ce projet de loi prévoit qu'on ne pourra, plus publier de photos dès lors qu'elles portent atteinte à la dignité humaine. Les professionnels photographes s'inquiètent. Ils se disent : on ne pourra plus publier des photos du Kosovo, du Timor, parce qu'on voit des victimes qui sont atteintes dans leur dignité, au même titre qu'on ne pourra plus publier, par exemple, comme on l'a fait dans les années 90, des photos d'attentats commis à Paris ?
- « Il ne faut pas tout mélanger. Pardonnez-moi, mais quand on cite un texte de loi il faut le citer entièrement. Les photos de crimes et de délits qui portent atteinte à la dignité des victimes, ça ne concerne ni les images de guerre, ni les images de catastrophes naturelles. On dit n'importe quoi en ce moment. »
Q - Le terrorisme c'est de la guerre ou de la catastrophe naturelle ?
- « Par exemple le Kosovo, par exemple le tremblement de terre en Turquie, j'ai pu lire, ici ou là, qu'on allait interdire ces images. C'est évidemment absurde. Ce serait grave si c'était le cas. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a des cas, par exemple des crimes ou des délits - un attentat c'est un crime, c'est clair ! - dans lesquels vous avez des victimes anonymes qui sont projetées du jour au lendemain dans l'actualité, qu'on photographie souvent dans des postures ou dans des conditions assez dégradantes - en tout cas jugées par elles dégradantes - qui sont projetées dans l'actualité, auxquelles ces images colleront toute leur vie et qui, le lendemain même, tomberont dans l'anonymat pour les gens qui ne les connaissent pas. Mais pour tout leur entourage - leur famille, leurs amis - on verra toujours ces images de gens qui auront été menottés et menés en laisse. Moi, ce que je dis, c'est que ces personnes-là - qui n'ont rien demandé à personne, qui ne sont pas des personnes publiques - eh bien, il faut en effet que la loi les protège. Ce qu'il faut savoir aussi c'est qu'actuellement la loi sur la presse est rédigée de façon extrêmement large et qu'elle permet aux tribunaux de condamner toutes les images reproduisant les... »
Q - Alors pourquoi une nouvelle loi ?
- « Mais pour restreindre justement ! Et pour dire que c'est uniquement les images de crimes et délits, qui portent atteinte à la dignité des personnes qui, dorénavant, pourront être soumises à une amende - non pas interdites par une censure, mais soumises à une amende. Il appartiendra aux tribunaux de juger naturellement. Ce que je souhaite moi, c'est que, bien entendu, on évite les dérives. Il est hors de question, et il n'est absolument pas dans mes objectifs et dans mon esprit de faire une quelconque censure aux images. Je trouve même qu'on a besoin dans notre société d'images violentes pour dénoncer des choses. »
Q - Alors comment concilier cette contradiction ?
- « Il y a justement une différence entre des images qui dénoncent des situations inadmissibles et des images qui, malheureusement, qui font des dégâts terribles ! »
Q - C'est le juge qui va décider et qui met les photographes sous tutelle ?
- « Non, il ne les met pas sous tutelle. Le juge dira : « Attention aux images sur des personnes anonymes, des victimes qui n'ont rien demandé à personne et à qui l'on attente à leur dignité. » C'est vrai que ce je souhaite - et je fais tout un travail d'ailleurs avec les spécialistes - c'est que l'on évite les possibles dérives. Et donc s'il faut encore préciser le texte du projet de loi, moi je suis tout à fait ouverte à ce qu'on améliore ce texte. Je ne souhaite pas ces dérives. Mais encore une fois, on ne me fera pas admettre que toutes les images, en particulier lorsqu'elles sont prises sur des gens - encore une fois qui sont anonymes - que toutes ces images peuvent être publiées. Ça fait trop de dégâts dans des vies personnelles. Il y a des gens qui sont marqués à vie par ça ! »