Texte intégral
EUROPE 1 : jeudi 22 juillet 1999
Q - Que l'on approuve ou que l'on condamne la baisse des rémunérations des taux du Livret A, il y a au moins une chose sur laquelle tout le monde est d'accord, c'est pour regretter la date choisie par le gouvernement. Les mauvais coups, les décisions impopulaires, on attend l'été pour les prendre.
- « Il faut bien les prendre un jour. Il n'y a jamais de bon jour pour prendre une décision difficile. C'est toujours une décision difficile de baisser le taux du Livret A parce que ça touche tous les Français. Chacun a un livret, certains en ont même plusieurs. Qu'est-ce qui peut justifier une telle décision ? C'est ça, la question qu'il faut se poser. Lorsque l'inflation baisse – et elle baisse : elle a, aujourd'hui, quasiment disparu dans notre pays, il n'y a plus de hausse des prix : 0,3 % pour l'année -, lorsque les taux d'intérêt baissent partout en France, et quels que soient les crédits, il n'est pas anormal qu'il y ait aussi une baisse du taux du Livret A. Néanmoins, cette mesure n'est acceptable que s'il y a des compensations. La première, c'est qu'il fallait – je l'ai demandé – qu'il y ait une augmentation du plafond du Livret d'Epargne Populaire qui concerne les épargnants les plus modestes. Deuxièmement, il fallait que cette mesure soit utile et, notamment, au logement social et c'est le cas puisque les loyers HLM vont être gelés pendant deux ans et un investissement important sera fait dans le logement social et donc, ça profitera précisément aux épargnants modestes qui sont aussi des résidents dans beaucoup de ces logements HLM.
Et enfin, il faut qu'il y ait une baisse du taux des crédits pour tout le monde et, là, il faut faire la pression nécessaire sur les banques parce qu'on sent bien qu'elles pourraient être tentées de ne pas baisser leur taux de crédit. Or, il n'y a pas de raison. Si l'épargne est moins rémunérée, il faut que le crédit soit également plus bas. J'insiste aussi sur un point : le taux du Livret A a été baissé mais du même montant que l'inflation, ce qui fait, et là Strauss-Kahn a eu raison de le rappeler, que la rémunération nette, une fois l'inflation finalement ôtée de la rémunération, eh bien la rémunération nette, elle est constante. Les prix ont baissé, c'est normal que le taux du Livret A baisse également. »
Q - Donc, vous dites « C'est juste et courageux » mais vous avez quand même attendu le lendemain des élections européennes pour l'annoncer.
- « Pas tout à fait le lendemain. La preuve, c'est qu'on est déjà un mois après mais on l'aurait fait avant les élections, vous nous auriez dit « Mais pourquoi vous le faites maintenant ? ». En tout cas, moi, je l'aurais dit. »
Q - On aurait dit « C'est courageux » parce que c'est la gauche qui proteste quand même aujourd'hui, vous voyez bien, c'est le Parti Communiste, c'est la CGT, c'est Sud, c'est Force Ouvrière.
- « Oui mais avec des nuances en disant : c'est vrai que l'inflation a diminué. Chacun est obligé de le constater. C'est vrai que la rémunération nette du Livret A va demeurer constante : 2 % de pouvoir d'achat, ce n'est quand même pas si mal. Ca pourrait être mieux si on avait gardé le taux inchangé mais ça reste constant compte tenu de la réduction de l'inflation. Mais ce qui doit compter, en tout cas c'est la position du Parti Socialiste – c'est une décision difficile parce que ça touche quand même tous les épargnants. »
Q - Vous avez dû recevoir des coups de téléphone au Parti Socialiste.
- « C'est normal, oui parce que ça touche nos électeurs, même si on leur explique : c'est normal que comme les prix n'ont pas augmenté, le taux du Livret A, lui, soit corrigé ; en même temps, il faut que ce soit une mesure utile, utile pour le logement social, utile pour l'emploi et utile pour l'économie par la baisse du crédit bancaire. Et enfin, je dois dire qu'il faudrait aussi qu'il y ait une meilleure appréhension de l'épargne spéculative, c'est-à-dire qu'il ne faudrait pas que ce soit l'épargne populaire qui fasse le sacrifice pour relancer l'économie, pour favoriser le logement social et que l'épargne spéculative, elle, reste intacte. »
Q - Alors justement, comment on fait parce qu'il y en a beaucoup, à gauche, qui disent « Il vaut mieux avoir beaucoup d'argent, avoir des valeurs boursières… que d'avoir un Livret d'Epargne Populaire.
- « Eh bien, pour ça, il faut avoir un système fiscal qui soit plus adapté à la lutte contre la spéculation. J'insiste quand même sur le fait que l'épargne dite populaire, celle du Livret A, a enfin un pouvoir d'achat positif. Ce n'était pas le cas ces dernières années. Donc, il faut protéger l'épargne populaire mais il faudrait aussi que, lorsque les taux de rémunération du Livret A baissent, eh bien il y ait une meilleure appréhension de la spéculation. »
Q - Il y avait un dîner des responsables des partis de la majorité hier à Matignon. Cette histoire du Livret A a donné lieu à des échanges un peu vifs. Robert HUE a protesté.
- « Non, pas vifs mais à des échanges, c'est normal. Je vous l'ai dit, c'est une décision qui est difficile, qui touche beaucoup de Français et qui doit être expliquée. Je le fais, d'autres le feront et donc chacun a insisté sur le fait que nous prenons une décision, non pas pour faire de la peine aux épargnants puisque, au contraire, nous voulons les protéger, mais nous prenons cette décision pour qu'elle soit utile à tous ceux qui ont vocation à bénéficier du logement social, tous ceux qui ont vocation à avoir les interventions les meilleurs en terme d'équipement collectif. »
Q - A ce dîner, vous deviez parler du remaniement du gouvernement…
- « Non. »
Q - …justifié, mais vous n'en avez pas parlé. Pourquoi ? Parce que, sinon, ce dîner aurait été irrespirable, insupportable ou n'aurait pas pu avoir lieu jusqu'au dessert ?
- « Mais parce que cet ordre du jour n'avait pas de sens. Je ne sais pas si, un jour, il y aura un remaniement mais… »
Q - Il y en aura un, il est obligé, Bernard KOUCHNER est parti.
- « Oui, il y aura des remplacements ou un remplacement mais ce n'est pas collectivement que l'on en délibère. Chacun peut avoir sa position mais ce qui était utile dans ce dîner, ce n'était pas de savoir comment on allait s'arranger entre nous parce que nous étions dirigeants de nos partis, c'est de savoir comment on pouvait, sur les trois ans qui restent dans la législature, travailler encore plus utilement pour les Français. Ca a été ça, notre seul sujet de conversation. Et j'insiste sur un point aussi, c'est que nous avons eu la même conclusion que le Président de la République, finalement, après les élections européennes, c'est-à-dire que ça va durer jusqu'au bout, trois ans. Nous, nous fonctionnons dans des institutions qui sont connues avec des dates de scrutin qui sont également connues. Le seul qui pouvait éventuellement brusquer la marche, anticiper sur tel ou tel rendez-vous électoral, c'était le Président de la République. Il a compris que ce n'était pas, ni son intérêt, ni sans doute le souhait des Français. Donc… »
Q - Et vous êtes contents, vous aussi ?
- « Nous, nous avions toujours voulu travailler sur la durée d'une législature. Nous en avons maintenant confirmation. Il faut être prudent parce qu'on peut toujours changer d'avis mais, en tout cas, nous devons nous installer dans cette perspective, travailler encore trois ans pour les Français et peut-être davantage s'ils nous redonnent leur confiance lorsque les scrutins majeurs interviendront. »
Q - Précision quand même : le remaniement aura lieu en septembre ou très vite ?
- « Je ne sais pas et je ne suis pas sûr qu'il y ait une urgence particulière. Je crois qu'il faut remplacer qui doit être remplacé puisque Bernard KOUCHNER est parti. Les équilibres n'ont pas à être modifiés puisqu'il ne s'agit que d'un remplacement et la vie d'un gouvernement ne se mesure pas simplement à l'aune des remaniements espérés, craints ou, finalement, techniquement nécessaires. »
Q - On parle beaucoup, ce matin, de la robe de Dominique VOYNET à franges longues. Elle vous a séduit - Dominique VOYNET ou la robe – ou elle vous a intéressé quand elle a fait part des demandes des Verts pour que l'on prenne en considération leurs résultats aux élections européennes ? La robe a aidé à faire passer le message ?
- « Je ne crois pas qu'elle avait mis une robe pour être plus convaincante et elle n'a pas utilisé sa robe pour obtenir des concessions que nous ne pouvions pas lui faire parce que nous ne raisonnons pas comme ça. Nous sommes vraiment cinq composantes de la majorité plurielle et nous essayons de travailler utilement pour le pays et pas simplement pour nos propres organisations… »
Q - Mais c'est vrai que vous avez dit à Dominique VOYNET…
- « On peut effectivement changer mais c'est la réalité. »
Q - C'est vrai que vous avez dit à Dominique VOYNET quand même que ses demandes n'étaient pas illégitimes. Ils ont un poids électoral plus lourd depuis ces européennes. On peut en tenir compte ?
- « Je ne lui ai demandé ni de changer de robe, ni de changer de position, si je puis dire. »
Q - Mais est-ce que ce serait anormal, selon vous, qu'elle ait un ministère plus important, par exemple ?
- « Mais nous n'avons pas parlé de ça et… »
Q - Je ne dis pas que vous en avez parlé, vous, personnellement…
« Mais je crois que ce qui est important, c'est que chaque composante apporte sa contribution. Les Verts ont, mais nous l'avons aussi cette préoccupation, une thématique liée à l'environnement, à la qualité de la vie et c'est important que cette dimension-là figure dans le programme gouvernemental pour les trois ans qui viennent. Voilà le sens de ce qu'elle a dit et ce que nous avons-nous-mêmes… »
Q - On a quand même l'impression que vous préférez Robert HUE aux Verts ?
- « Mais non, je préfère tous ceux qui travaillent dans la majorité plurielle, quelle que soit leur tenue vestimentaire. »
Q - Vous évoquez le programme du gouvernement pour les trois ans qui viennent. C'est vrai que L. Jospin va rencontrer ses ministres. On a l'impression que vous cherchez des idées. Quelles doivent être, à votre avis, les priorités ?
- « Mais heureusement que ce gouvernement ne s'installe pas dans une durée qui lui serait acquise aujourd'hui et dans des habitudes qui ne seraient pas forcément bien comprises par les Français. Il faut que ce gouvernement continue de réformer ce qui doit être réformé dans ce pays et, par exemple, les socialistes insistent beaucoup sur la nécessité de continuer à réformer notre fiscalité, baisser la TVA. Puisqu'il y a des gestes qui sont demandés aux épargnants, il serait aussi souhaitable qu'on donne une incitation plus forte à la consommation et c'est pour ça que je plaide, au nom du Parti Socialiste, pour la baisse de la TVA et, notamment, sur les produits liés au logement. Toujours le logement parce que c'est une deuxième priorité. Il faut améliorer le cadre de vie des Français. Troisièmement, il y a tout ce qui a trait à l'environnement, à la lutte contre toutes les nuisances. Et, enfin, toujours l'emploi et, parmi les mesures en faveur de l'emploi, nous, nous plaidons pour un grand programme de formation professionnelle, de seconde chance qui doit être donnée à chaque homme, chaque femme dans ce pays, quels que soient les aléas de la vie, que tout ne se joue pas à 14 ou 15 ans dans le système scolaire, qu'on puisse avoir un deuxième droit de bénéficier d'une formation et d'une éducation permanente. »
Q - Les Français regardent les grandes opérations financières au sein des banques, dans les groupes pétroliers. Vous, vous dites : le gouvernement ne doit pas intervenir, doit intervenir, doit laisser faire le marché ou regarder ?
- « Non, il doit être arbitre, c'est-à-dire qu'il y a des règles. Ce sont souvent celle des marchés, on peut les regretter, mais il y a des règles qui doivent être respectées, notamment pour la protection des personnels. Et quand j'entends un président d'une société pétrolière, qui, pour faire surenchère à une offre qui a été présentée pour acquérir sa société, dit « Moi, je vais faire encore plus de licenciements, plus de suppressions d'emploi, donc actionnaires, faites-moi confiance », je me dis qu'il n'a rien compris à ce qu'est l'économie de demain. Si les actionnaires font des choix qui sont au détriment des personnels qui vivent dans les entreprises, eh bien, un jour, les actionnaires se rendront compte qu'ils sont aussi salariés ou employés d'une entreprise et qu'il doit y avoir, et ça c'est le rôle d'un gouvernement… »
Q - C'est P. Jaffré que vous visez, il faut…
- « Oui, directement. Mais le rôle d'un gouvernement, le rôle d'une majorité, c'est de faire comprendre qu'il peut y avoir, certes, des actionnaires qui trouvent rendement pour leur investissement mais qui doivent le faire dans une économie prospère, ce qui suppose de l'emploi. Ca, c'est le rôle d'un arbitre et le rôle de l'Etat. »
Q - Rapidement. Martine AUBRY annonce une révision du taux de remboursement d'un certain nombre de médicaments. C'est un nouveau mauvais coup de l'été qu'on nous prépare ?
- « Non. Je crois qu'il faut mieux rembourser les médicaments qui sont utiles, qui soignent et moins rembourser ceux qui n'ont pas de valeur thérapeutique et il y en a. La Sécurité sociale, c'est fait pour soigner, ce n'est pas fait pour entretenir les profits des laboratoires pharmaceutiques.
Q - On a l'impression que c'est la gauche gestionnaire à nouveau qui est vraiment au pouvoir. Ca inquiète le responsable du Parti Socialiste ?
- « Non, je suis content que la gauche gère bien le pays, même si, quelquefois, ce sont des choix difficiles mais il faut qu'elle le gère dans la justice, dans la modernité et dans la réforme. Et donc, la gauche ne doit surtout pas s'endormir. On est là pour la réveiller de toute façon. »