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La Tribune : Quel bilan dressez-vous des premières années d’application de la directive ?
Jean-François Trogrlic : Les situations sont diverses, reflétant les disparités des moyens donnés aux partenaires sociaux. Mais de grands progrès ont été accomplis ces dernières années. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer l’affaire Hoover à celle de Renault Vilvorde. Hoover, c’était au début des années 90. La section CFDT de Dijon a appris par fax envoyé à un journaliste anglais au local syndical le projet de la direction de délocaliser Hoover France en Ecosse. Nous n’avons rien pu faire en amont de la décision. Dans le cas de Renault Vilvorde, le comité d’entreprise européen, que la direction avait créé sans attendre la directive européenne, a été immédiatement le lieu de réaction. Il a regardé les textes et a estimé que la direction n’avait pas respecté l’obligation d’information et de consultation de cette instance, en cas de restructuration. L’existence du CE a permis à tous les syndicats européens des sites Renault de se manifester le même jour à travers une première « eurogrève ». Les actions en justice, tant auprès de la justice française que de la justice belge, ont donné lieu à deux arrêts qui fixent plus précisément les conditions dans lesquelles les CE européens doivent être consultés en cas de restructuration. Vilvorde a quand même fermé, mais les délais et les recours ont permis de reclasser les salariés dans de meilleurs conditions.
La Tribune : Le CE européen est-il une instance adaptée à la mondialisation ?
Jean-François Trogrlic : La directive a instauré dans toute l’Europe un droit à l’information et à la consultation pour tous les salariés des grandes entreprises concernées. La dynamique créée constitue un grand atout pour le projet de directive en cours de discussion sur l’information et la consultation des travailleurs. Les CE européens sont la locomotive d’un droit social fondamental en Europe qui est le droit pour tout salarié, quelle que soit la structure dans laquelle il travailler, d’être informé et consulté sur les questions conditionnant l’avenir de son entreprise, donc de son emploi. La directive sur les CE européens a permis de généraliser le débat. C’est un acquis.
La Tribune : Faut-il aller plus loin ?
Jean-François Trogrlic : La directive montre la nécessité d’avoir aujourd’hui des structures mondiales. Les Européens sont enviés à travers le monde. Une entreprise américaine, présente dans plusieurs pays européens et implantée au Guatemala et au Mexique par exemple, est obligée d’installer un CE européen. Les salariés européens de cette entreprise américaine ont un droit qu’aucun autre salarié du groupe ne possède à travers le monde. L’idée germe d’étendre progressivement ces structures au niveau mondial. Une entreprise française le fait déjà, Danone. Par ailleurs, les CE européens seront le lieu où vont s’élaborer les comparaisons sur les conditions de travail entre les pays. Ces comparaisons seront facilitées par l’arrivée de l’euro. Cela peut changer la donne.
La Tribune : Comment jugez-vous l’affaire Michelin dans ce débat ?
Jean-François Trogrlic : La négociation pour la constitution d’un comité de groupe européen est en voie de conclusion chez Michelin. S’il avait existé, aurait-il été informé ? Difficile de répondre. Certes, une instance européenne aurait été préférable. Mais n’oubliez pas que Michelin, c’est le degré zéro du social. Le CE européen peut aider à une amélioration des relations sociales car il impose à une multinationale une contrainte minimale d’information et de consultation dans ses implantations européennes. Mais l’existence d’une telle structure n’aurait pas forcément amélioré les relations sociales chez Michelin. C’est un outil supplémentaire, mais in n’impose pas une gestion différente de ce type de conflits.
La Tribune : Les CE européens devraient-ils avoir un rôle plus large que l’information et la consultation ?
Jean-François Trogrlic : Certes, il serait nécessaire de mieux préciser la notion d’information et de consultation. N’oublions pas que c’est le premier outil international. Mais c’est un outil difficile. Car les pays n’ont pas toujours des intérêts convergents. Le pari, c’est de régler ces problèmes dans la transparence et non pas dans l’opacité.
La Tribune : Les « euroconflits », vont-ils se développer avec la mondialisation ?
Jean-François Trogrlic : C’est probable car des réflexes de solidarité de groupes s’installent. Mais ils ne se développeront pas forcément sous les formes classiques de la « grande grève ». Les euroconflits vont modifier les formes de l’action syndicale. Ils prendront à témoin les opinions publiques et les politiques commerciales des entreprises. Ils joueront des effets marques. Une entreprise mondialisée finira par payer, en chiffres d’affaires, une politique sociale déplorable. Les syndicats piloteront des actions mettant en évidence la relation de l’entreprise à la société.