Interviews de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, dans "La Dépêche du Midi" du 9 avril 1997, à France-Inter et dans "L'Express" le 10, et dans "Le Figaro" du 11, sur les objectifs du futur schéma national d'aménagement et de développement du territoire notamment concernant l'emploi.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du CIAT à Auch (Gers) le 10 avril 1997

Média : Emission Forum RMC L'Express - Emission Forum RMC Le Figaro - France Inter - L'Express - La Dépêche du Midi - Le Figaro - Presse régionale

Texte intégral

Date : mercredi 9 avril 1997
Source : La Dépêche du Midi

La Dépêche du Midi : Depuis trente ans, l'aménagement du territoire en France combat en vain le déséquilibre Paris-province. Or, ce déséquilibre se répercute désormais dans les régions entre des métropoles régionales qui se développent au détriment des campagnes et aussi des petites villes de leur arrière-pays.

En Midi-Pyrénées, par exemple, si le bonheur est dans le Gers, le développement est à Toulouse. Comment espérer stopper le déséquilibre ?

Jean-Claude Gaudin : Cette question fait l'objet d'un large développement dans l'avant-projet de schéma national qui sera approuvé demain à l'occasion du CIADT d'Auch.

Il y a quelques mois, l'urgence prescrivait de venir en aide aux banlieues en difficulté. C'est aujourd'hui chose faite avec le pacte de relance pour la ville et notamment la mise en œuvre, depuis le début de l'année, des zones franches urbaines.

Aujourd'hui, j'accorde une priorité absolue au développement du monde rural et à la correction du déséquilibre entre la ville et la campagne, que vous venez de décrire. Pour cela, la voie à suivre me semble être celle du développement de tous les territoires el non plus seulement celle de la redistribution de la croissance des territoires riches vers les plus pauvres.

Le développement doit, en outre, s’appuyer sur les petites villes et les bourgs qui forment l’armature des espaces ruraux.

Enfin, il convient de mettre en œuvre un ensemble coordonné de moyens engageant tous les acteurs socio-économiques et reposant sur le partenariat entre tous les niveaux de responsabilité.

La Dépêche du Midi : Après la France des sept grands chantiers préconisés par la DATAR en 1993, voilà que la France des cinq cents « pays » avancée par votre ministère semble embourbée dans l'hostilité des départements en particulier. Alors, l'aménagement du territoire revient-il désormais à un simple volontarisme local ?

Jean-Claude Gaudin : Les pays qui s'organisent autour d'une ou deux villes centres peuvent offrir un cadre adapté au développement cohérent que je viens d'évoquer. J'insiste sur le fait que ces pays ne forment pas un nouvel échelon administratif qui viendrait rivaliser avec les collectivités locales existantes. C'est simplement le cadre d'un projet commun de développement associant tous les acteurs locaux, élus, socio-professionnels, membres d'associations et reposant effectivement sur le volontariat. C'est également un territoire de cohérence pour toutes les interventions de l'État et des collectivités locales dans le domaine de l'aménagement du territoire. La politique des pays a déjà fait ses preuves.

La Dépêche du Midi : En Midi-Pyrénées, État, région, conseils généraux bâtissent, vaille que vaille, une politique de contrat de terroir.

Mais les communautés de communes marquent le pas. L'État peut-il aider financièrement pour accélérer le processus ?

Jean-Claude Gaudin : Il est vrai que l'intercommunalité à fiscalité propre est assez peu développée en Midi-Pyrénées. Mais sachez que sur l'ensemble de notre territoire, les structures intercommunales à fiscalité propre n'ont cessé de se multiplier depuis 1992, date de leur création par le législateur. Elles couvrent aujourd'hui trente-deux millions d'habitants.

Le terroir et le pays sont deux démarches très proches. Ils participent de la même idée de coopération des acteurs sur un même territoire cohérent. Un terroir, de même qu'un pays, peut être porté par une structure intercommunale. L'État aide d'ores et déjà le processus d'intercommunalité par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

La Dépêche du Midi : Lors du CIA T de Mende, des engagements avaient été pris sur le maintien des services publics en milieu rural. Or, bureaux de poste, lignes de chemin de fer continuent à fermer.

Jean-Claude Gaudin : Le maintien de services collectifs de qualité en milieu rural est une de mes principales préoccupations car la vie locale en dépend.

Un moratoire sur la suppression des services publics a été décidé en 1993. Il est toujours applicable et avant qu'il ne soit levé, des règles claires devront être établies dans le respect du principe d'égalité d'accès aux services publics et en fonction des besoins des usagers de chaque territoire rural. Je vous rappellerai seulement que l'ensemble du dispositif d'exonérations fiscales et sociales prévu dans les zones de revitalisation rurale est en vigueur depuis quelques mois ce qui représente un milliard de francs dans les territoires ruraux de développement prioritaire et un milliard dans les zones de revitalisation rurale.

 

Date : jeudi 10 avril 1997
Source : France Inter

A. Ardisson : Le gouvernement se réunit à Auch au grand complet pour réunir ce qu'on appelle un CIADT, à quoi ça sert ?

J.-C. Gaudin : Ça sert à beaucoup de choses, d'abord c'est un événement. Je pense que ça fera plaisir aux habitants du Gers, les CIADT. Il y en a eu deux d'importants ces dernières années, un s'était tenu à Troyes et l'autre à Mende, c'est l'occasion pour le gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, avec comme avocat un peu, le ministre de l'aménagement du territoire, de prendre toute une série de décisions qui concernent l'aménagement du territoire, c'est-à-dire la vie de nos compatriotes.

A. Ardisson : Celui-ci est plus important que les autres puisque l'objectif est de dessiner le visage qu'offrira la France à l'horizon 2015. C'est le visage rêvé de la France ou ce schéma aura-t-il un caractère directif, contraignant ?

J.-C. Gaudin : Bien sûr, il n'est pas interdit de rêver, cela fait partie des choses mais ce schéma est pragmatique. Et voyez-vous dans ce CIADT, le Premier ministre souhaite que l'on prenne environ 80 décisions, c'est important. La première consiste, comme vous venez excellemment de le souligner, à prévoir le schéma d'aménagement et de développement du territoire, une vision de la France jusqu'en 2015 avec comme objectif de faire en sorte que le territoire soit compétitif pour favoriser le développement économique et surtout la création d'emplois, que le territoire soit équilibré pour assurer l'égalité des chances et la cohésion nationale et qu'il soit aussi préservé pour offrir aux futures générations un cadre de vie de qualité. Voilà ce schéma. Mais ce schéma, ce n'est pas le gouvernement tout seul qui le fait. Maintenant que les ministres l'ont préparé, que nous allons l'adopter aujourd'hui même, ce schéma va partir dans les régions, pour les régions, pour les départements, pour les grandes villes et pendant quatre mois, les élus vont nous faire des remarques sur cc schéma. Après quoi, il reviendra, je le réécrirai ù nouveau en tenant compte des observations et après quoi le Premier ministre décidera du moment où il arrivera devant le Parlement.

A. Ardisson : Quand on veut rééquilibrer les territoires, on a quelque fois à déshabiller Pierre pour rhabiller Paul. Est-ce qu'il va y avoir des délocalisations ?

J.-C. Gaudin : Les délocalisations avaient déjà été décidées par les deux CIADT précédents, ils avaient décidé de délocaliser de Paris et de la région parisienne 23 000 emplois. Deux tiers de ces emplois effectivement ont été délocalisés et amenés vers la province. Cela représente environ 16 000 emplois dont la moitié a été décidée et réalisée sous le gouvernement d'A. Juppé.

A. Ardisson : Mais il y en aura de nouvelles ?

J.-C. Gaudin : Oui, il y en aura à peu près 3 000, 5 500 de plus. Je peux vous donner deux exemples : l'école normale supérieur de Fontenay/Saint-Cloud qui va être délocalisée à Lyon, ou la création d'une antenne de l'Agence nationale des fréquences qui ira à Brest si le gouvernement l'approuve aujourd'hui même.

A. Ardisson : J'ai vu aussi que vous aviez l'intention de regrouper certaines régions pour qu'elles soient plus efficaces.

J.-C. Gaudin : Non, il ne s'agit pas de regrouper les régions mais de faciliter et d'encourager la coopération interrégionale. Il y a par exemple trois propositions, à l’initiative du Premier ministre, qui sont formulées. Une pour le bassin parisien où sera créé un établissement public, une pour le grand Sud-Est avec Marseille, Lyon et Montpellier et une pour le grand Sud-Ouest avec Bordeaux, Agen et Toulouse. Mais en même temps par exemple, la ville de Strasbourg ne va pas être oubliée puisque nous allons décider aujourd'hui le programme de contrat triennal de Strasbourg pour conforter le siège du Parlement européen. Le montant de ce contrat s'élève à 980 millions de francs, financés à parts égales par l'État et les collectivités territoriales. Voilà quelques exemples significatifs.

A. Ardisson : Pour qu'il y ait équilibre de territoire, il faut qu'il y ait des emplois partout. C'est prioritaire. Comment fait-on pour fixer des entreprises là où elles n'ont pas encore disparu ou pour en créer ?

J.-C. Gaudin : Effectivement, l'État essaie, par l'intermédiaire de la Datar, par l'intermédiaire d'un commissariat à l'industrialisation, d'abord de suppléer les difficultés des restructurations militaires et de défense qui ont été décidées et ensuite aide aux investissements. Par exemple, les investissements étrangers ont donné cette année plus de 20 000 emplois et par conséquent, c'est très important aussi. Mais là, une des décisions de la journée, ce sera de décider que 500 millions de francs de pré-projets ruraux, financés par la Caisse des dépôts et consignations, seront mis en œuvre. Tout cela est pour l'emploi et tout cela est pour un équilibre.

A. Ardisson : Il y a aussi un Fonds national de développement des entreprises, qu'est-ce que cela va être ?

J.-C. Gaudin : C'est un fonds qui avait été prévu par la loi du 5 février 1995 dite loi Pasqua, ce fonds n'était pas jusqu'à présent abondé, alors je laisse le soin au Premier ministre d'en indiquer le montant mais je puis vous dire que le montant sera très substantiel, qu'il ne sera pas pris sur les finances de l'État mais sur le produit des privatisations. Ce qui fait que c'est une somme importante qui va aider l'implantation et le développement des entreprises dans notre pays.

A. Ardisson : Mais qui va les aider ? Comment ?

J.-C. Gaudin : Vous savez, quand une entreprise veut s'installer, généralement, le maire de la commune offre le terrain ; le conseil général, le conseil régional abondent financièrement et l'État également Et vous savez, cela réussit. Il y a de cela à peu près dix ans, j’ai un jour aidé dans les environs de Marseille une entreprise, aujourd'hui cette entreprise est le numéro un de la carte à puce dans le monde. Donc, les initiatives que nous prenons sur l'ensemble du territoire, c'est toujours avec un maître-mot, c'est-à-dire les indications voulues, données par le Président de la République et que j'exécute sous les ordres du Premier ministre : créer des emplois.

A. Ardisson : Avant, l'aménagement du territoire, c'était surtout créer des routes, aujourd'hui la priorité n'est-elle pas aux autoroutes de l'information pour reprendre l'expression des Américains même si on sait qu'elle n'est pas tout à fait adaptée ?

J.-C. Gaudin : Cela existe, 3RT2, c'est l'autoroute de l'information dans la région marseillaise. Je connais bien ça. Oui, nous allons décider au CIADT d'aujourd'hui, qu'après l'an 2 000, plus aucun jeune ne devra quitter le système éducatif sans savoir utiliser un micro-ordinateur. La modernité est telle que nous devons faire cet effort. L'État en a conscience, il aidera les collectivités territoriales à faire ces équipements pour notre jeunesse. C'est une décision du CIADT aujourd'hui. De la même manière que nous prenons aussi comme décision aujourd'hui d'aider les universités qui ont moins de 50 000 étudiants afin qu'elles se développent et que tout ne soit pas concentré que dans quelques grandes villes métropoles françaises mais également qu'en province, on puisse avoir des universités qui fonctionnent bien. Allez, c'est un bel enjeu aujourd'hui pour le CIADT.

 

Date : 10 avril 1997
Source : L’Express

L’Express : Comment se portent les zones franches ?

Jean-Claude Gaudin : Elles démarrent plutôt bien. Depuis le 18 décembre 1996, plus de 10 000 entreprises ont établi des contacts. Si 300 s’installent, ce sera déjà cela de pris. Notre numéro de téléphone spécial reçoit plus de 70 appels par jour, dont la moitié pour la région Île-de-France, qui devance la mienne, Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il s’agit essentiellement d’entreprises de 1 à 10 salariés, notamment des sociétés de services et de commerces. Je me suis engagé devant le Parlement à présenter un bilan annuel.

L’Express : Pour arrêter les périmètres de chaque zone, n’avez-vous pas eu de problèmes avec les maires ?

Jean-Claude Gaudin : Éric Raoult, ministre délégué à la ville, et moi-même avons rencontré tous les maires concernés, de droite et de gauche. Ils sont d’ailleurs plus nombreux de gauche que de droite. Sur 44 zones franches, nous n’avons eu que deux problèmes, à Montpellier et à Strasbourg. Georges Frêche avait déclaré que les zones franches étaient un gadget. Quant à Strasbourg, je n’ai pas pu inclure une rue dans la zone franche, pour éviter des distorsions de concurrence : cela aurait été injuste. Je ne suis pas chargé de faire des zones industrielles, mais de trouver des terrains au pied des tours où attirer des entreprises. Comme on dit chez moi, ce ne sont pas des figues du même panier. Attendons de voir si les zones franches marchent, et il sera toujours possible de demander des dérogations au Conseil d’État pour en changer le périmètre.

L’Express : Des maires se disent choqués par l’étendu de la zone franche de Bordeaux, ville d’Alain Juppé.

Jean-Claude Gaudin : La zone franche dite de Bordeaux est située en fait sur les communes de Cenon, de Floirac et de Lormont, avec un tout petit morceau sur Bordeaux. Et c’est Pierre Garmendia, député-maire socialiste de Floirac, et non Alain Juppé, qui se plaint de son étroitesse.

L’Express : Des commerces récemment installés déplorent l’insécurité.

Jean-Claude Gaudin : 2 000 policiers supplémentaires sont en train d’être affectés à ces quartiers : il faut un peu de temps. Et, à la fin du mois de mars, j’ai signé un protocole avec les principaux assureurs que les entreprises installées dans ces quartiers aient de meilleures conditions, notamment de remboursement.

 

Date : 11 avril 1997
Source : Le Figaro

Le Figaro : À quels impératifs sera soumise l’évolution du territoire français dans les vingt prochaines années ?

Jean-Claude Gaudin : La construction européenne et la mondialisation de l’économie d’une part, et, d’autre part, le développement des techniques d’information et de communication, ainsi que la concentration des activités dans quelques grandes régions urbaines me paraissent être les grandes évolutions qui modèleront notre territoire dans les années à venir. De ces évolutions, découlent trois impératifs. D’abord un impératif de compétitivité. Si nous voulons rester performants au plan international, nous devons plus que jamais ancrer la France au cœur de l’Europe et développer à tout prix l’innovation, les réseaux et les services de télécommunications.

Ensuite, un impératif d’équilibre de notre territoire, car le développement n’a de sens que s’il profite à tous. Il nous faut donc absolument revitaliser les espaces ruraux menacés de désertification et favoriser une répartition plus harmonieuse des hommes et des activités.

Enfin, troisième impératif, le développement de notre territoire doit être plus respectueux de l’environnement, du cadre et de la qualité de vie. Notre ambition est que la France reste une grande puissance économique moderne sans pour autant renier notre identité, liée depuis des siècles à la vie des hommes sur des terroirs contrastés.

Le Figaro : Quelles sont les mesures indispensables pour remédier aux dysfonctionnements urbains et à la désertification rurale ?

Jean-Claude Gaudin : L’étalement des villes qui se traduit par la juxtaposition de grands ensembles, de lotissements uniformes, de zones d’activités banalisées, nuisibles à l’environnement autant qu’à la cohésion sociale, exigent des solutions qui, à mon sens, ne relèvent plus du seul échelon communal. Aussi, pour remédier aux dysfonctionnements que soient coordonnées les compétences s’exerçant dans les villes. C’est pourquoi le schéma national prévoit que l’État incitera les villes de plus de 200 000 habitants à se constituer en communautés urbaines, sur la base du volontariat.

De même, dans les campagnes pour susciter le développement qui est le meilleur rempart contre la désertification. Il faut mettre en œuvre un ensemble coordonné de moyens engageant tous les acteurs socio-économiques et reposant sur le partenariat entre tous les niveaux de responsabilités. Les « pays » qu’encourage le schéma national peuvent offrir ce cadre de développement cohérent permettant de mettre en valeur les richesses d’un territoire, d’accroître son attractivité et de stimuler l’emploi.

Le Figaro : Comment concevez-vous la solidarité en matière économique et sociale ?

Jean-Claude Gaudin : Nos principes républicains s’opposent à ce que des régions favorisées continuent de s’enrichir tandis que d’autres stagneraient ou dépériraient. C’est dans cet esprit de solidarité qu’il nous faut restaurer les grands équilibres territoriaux entre la ville et la campagne, entre les quartiers urbains, entre Paris et la province. C’est dans cet esprit également qu’il nous faut promouvoir une meilleure solidarité financière entre les différents territoires. Les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales ont, au cours de ces dernières années, fait l’objet de nombreuses modifications qui ont eu pour effet de corriger les écarts de richesse séparant les collectivités. Cet effort doit être poursuivi.

Le Figaro : Quand passera-t-on du projet à la réalisation ?

Jean-Claude Gaudin : Après concertation avec les régions, les départements et les associations représentatives des communes, le gouvernement soumettra le projet définitif au Parlement à l’automne. Le schéma national est un acte politique majeur. Il dessine les contours d’une France plus compétitive et plus harmonieuse pour 2015. Tout en s’appuyant sur notre culture et notre héritage millénaire, il doit faire entrer notre pays dans l’ère des nouvelles technologies et assurer l’avenir des générations futures.