Interviews de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, dans "Le Figaro" du 13 mars 1997 et "La Tribune" du 20 mars 1997, sur les décrets obligeant les chaînes de télévision à consacrer 75 % de leurs investissements cinématographiques à la production indépendante, et sur les grandes lignes du projet de loi sur l'audiovisuel.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - La Tribune - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro - 13 mars 1997

Le Figaro : Est-il nécessaire d’adopter un décret qui renforce le cinéma indépendant ?

Philippe Douste-Blazy : Je crois qu’effectivement ces dispositions obligeant les chaînes de télévision à maintenir une part largement majoritaire de leur investissement dans la production cinématographique indépendante sont une garantie importante pour l’avenir de notre cinéma. C’est pourquoi j’ai décidé de présenter un décret qui fixera des règles dans ce domaine, et je crois profondément qu’il s’agit d’un enjeu essentiel pour le cinéma français.

Ce dernier connaît un véritable succès en salle, puisque sa part de marché a progressé pour atteindre 36 % l’année dernière. Or je crois que la réussite de notre cinéma s’explique par sa formidable diversité où tous les films de genres, de la comédie au film plus intimiste comme « Y aura-t-il de la neige à Noël », sont représentés. Cette diversité, ces prises de risques qui accompagnent la découverte de nouveaux talents, nous les devons pour une large part à la production cinématographique indépendante.

Le Figaro : Ce rôle ne revenait-il pas au CSA ?

Philippe Douste-Blazy : Pour ma part, j’ai indiqué en septembre dernier que cette question me semblait prioritaire et essentielle pour notre cinéma.

J’ai donc demandé aux responsables des chaînes de télé et à ceux de la production cinématographique d’entamer des discussions sur ce sujet. Ces discussions ont permis d’avancer, je tiens à souligner l’esprit constructif dont les deux parties ont fait preuve à cette occasion. Constatant toutefois la difficulté à trouver un accord formel et la différence d’appréciation qui demeuraient aux termes de ces négociations, j’ai décidé de débloquer la situation en fixant la part de production indépendante que toutes les chaînes devront respecter dans leur investissement dans le cinéma.

Le Figaro : Avez-vous décidé très précisément du pourcentage que les télévisions doivent consacrer au cinéma indépendant ?

Philippe Douste-Blazy : Oui. Après avoir entendu toutes les parties concernées, j’ai décidé d’arrêter à 75 % le pourcentage des investissements et achats que les chaînes hertziennes en clair de télévision devront consacrer au cinéma indépendant. Je crois que ce pourcentage est raisonnable. Il n’interdit pas aux chaînes de se diversifier en prenant des positions directes dans la production cinématographique, mais limite celle-ci. Il réserve à la production indépendante les trois quarts des investissements des chaînes, ce qui constitue, je crois, une garantie importante pour l’avenir de cette production. S’agissant de Canal +, je demande qu’une négociation soit ouverte très rapidement avec les représentants de la production cinématographique et, comme pour les chaînes hertziennes en clair, sur la base de ces discussions, le gouvernement arrêtera sa position.

Le Figaro : Ne craignez-vous pas que ce pourcentage plus élevé que celui de la production audiovisuelle ne conduise les professionnels de ce secteur à demander à bénéficier de ce même pourcentage ?

Philippe Douste-Blazy : Non, je crois que la production audiovisuelle a toujours été plus intégrée aux chaînes de télévision. C’était naturellement le cas avant l’apparition des chaînes commerciales. Cela l’est demeuré depuis.

Les économies en jeu pour la production audiovisuelle – le pourcentage d’investissements obligatoire des chaînes est de 15 % alors qu’il n’est que de 3 % pour le cinéma, la situation existante (la production cinématographique jusqu’à présent n’était quasiment pas intégrée aux chaînes) comme les règles en matière de concentration qui seront fixées –, sont tout à fait différentes. Dès lors un traitement identique n’est pas justifié.

 

La Tribune - 20 mars 1997

La Tribune : Dans l’intérêt général, France 2 et France 3 doivent-elles être diffusées en exclusivité dans un bouquet numérique, en l’occurrence TPS, ne serait-ce que pendant deux ou trois ans comme le suggère le projet de loi ?

Philippe Douste-Blazy : Dans cette affaire, l’État n’est pas partial. L’exclusivité s’arrêtera dans deux ou trois ans, ce délai devant permettre à TPS de démarrer et de se développer. Bien entendu, on ne peut pas penser que demain les chaînes publiques soient sur un bouquet et pas un autre. Cependant, je souhaiterais rappeler quelques points. Pour diffuser France 2, France 3 et ses futures chaînes thématiques, le service public devait trouver un opérateur de bouquet et TPS a répondu présent. Sans cet opérateur, les chaînes publiques n’auraient pas pu participer à l’aventure numérique.
À partir du moment où le service public s’est engagé aux côtés des actionnaires de TPS, il est normal que la signature de l’accord soit respectée. Ensuite, je voudrais préciser que, sur le plan de l’intérêt général, les chaînes publiques peuvent être reçues partout en France sur le réseau hertzien et par satellite su Telecom 2. Dernière précision, la fin de l’exclusivité sur TPS ne remettra pas en cause notre participation au capital.

La Tribune : L’accord signé entre Canal-Satellite et ABSat sur la compatibilité de leurs décodeurs va-t-il dans le sens que vous souhaitez ?

Philippe Douste-Blazy : Je ne veux pas que le satellite soit un échec en France comme l’a été le câble. Ce qui m’intéresse, c’est le consommateur. S’il doit empiler les décodeurs pour recevoir l’ensemble des offres de programmes, le marché ne se développera pas. Je demande donc instamment que les bouquets puissent être décodés par un seul appareil. L’idéal c’est qu’il y ait un appareil universel. Mais il n’existe pas encore. Aujourd’hui nous avons des techniques qui permettent la compatibilité des systèmes de contrôle d’accès. C’est pourquoi le projet de loi propose une obligation de résultat dans les négociations que devront entamer les différents opérateurs. Il serait souhaitable qu’un accord intervienne le plus vite possible pour permettre au marché de la télévision numérique de se développer plus rapidement.

La Tribune : Le texte étudié et approuvé au Sénat allonge le mandat du président du futur holding France Télévision de trois à cinq ans. Cette durée ne rend-elle pas ce poste encore plus politique ?

Philippe Douste-Blazy : La seule question qui m’intéresse c’est l’efficacité du service public. Cinq ans est une période suffisante pour mettre en place des idées, une politique et une vraie action. Ça n’a rien à voir avec la politique. Nous sommes dans un secteur concurrentiel où le secteur privé est efficace. Le patron du futur holding comme l’ensemble des dirigeants de l’audiovisuel public ont besoin de la durée. Je constate aujourd’hui que le mandat à cinq ans est la règle pour toutes les entreprises publiques des autres secteurs.

La Tribune : Au sujet des décrochages locaux des chaînes nationales, pourquoi limiter l’accès au marché publicitaire local ? Michel Péricard a fait remarquer qu’il était utile de rationner les chaînes locales.

Philippe Douste-Blazy : Le pluralisme de l’information nous tient à cœur, y compris au niveau de l’information de proximité. Il est impensable d’évoquer les décrochages locaux sans prendre en compte la presse écrite et en particulier la presse quotidienne régionale. Je refuserai toute publicité locale dans un décrochage d’une chaîne nationale, toute publicité en faveur du secteur de la distribution dans un décrochage d’une chaîne nationale. Je suis favorable aux décrochages locaux à condition de diffuser de la publicité nationale.

La Tribune : À travers ce projet de loi, comment comptez-vous concilier les intérêts de tous les opérateurs de radio ?

Philippe Douste-Blazy : Il ne s’agit pas de privilégier tel ou tel groupe. Nous constatons une pénurie de fréquences. Aujourd’hui, Europe 1 et RTL ne sont pas entendues en modulation de fréquence dans le tiers sud de la France, et NRJ veut continuer de se développer. Un audit doit recenser les fréquences disponibles. Nous allons nous apercevoir que peut-être, dans certaines zones, trois ou quatre fréquences diffusent le même programme.
En outre, je demande que l’on étudie les possibilités technologiques pour libérer des fréquences supplémentaires. Je veux dire aussi que personne ne fera l’économie de fréquences, public et privé.