Interview de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, à France-Inter le 13 janvier 1997, sur la proposition de loi sur les fonds de pension et le financement de la retraite, sur la flexibilité du travail, sur la baisse de l'impôt sur le revenu et sur l'euro.

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Média : France Inter

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J. Dorville : La France aime beaucoup les grands débats idéologiques. Il y en a au moins deux en ce début d’année qui agitent le pays. Il s’agit de la flexibilité et de la retraite. Prenons ce débat sur la retraite. Tout le monde, que ce soit la majorité, l’opposition et vous-même, le gouvernement, semblez être pris de cours ?

J. Arthuis : La retraite est très certainement populaire et il est normal qu’au terme d’une vie de labeur, un homme puisse paisiblement jouir de sa retraite. La question qui se pose est de savoir comment on finance cette retraite. Nous sommes là au cœur d’une exigence de solidarité entre des générations qui travaillent et celles qui ont travaillé et auquel nous devons reconnaissance. Donc, alors que l’espérance de vie ne cesse de progresser – ce qui est excellent et qui nous réjouit tous –, nous devons être prudents et il ne me paraît pas vraisemblable que l’on puisse, sans limite, abaisser l’âge de la retraite. Il y a des professions dont la pénibilité, dont les caractéristiques sont telles qu’on justifie ainsi un âge plus précoce de retraite. Mais je crois que nous devons nous préparer à équilibrer. Il ne serait pas concevable qu’une grande majorité bénéficie d’une retraite qui serait payée par une minorité d’actifs. Je crois que ça ne serait pas réaliste, ça ne serait pas responsable.

J. Dorville : Mais n’avez-vous pas mis le doigt dans l’engrenage en accordant cette retraite à 55 ans aux routiers pour résoudre ce conflit en décembre dernier ?

J. Arthuis : Puis-je vous faire observer que la profession elle-même a pris en charge la fraction d’abaissement la plus significative. C’est donc une convention entre les employeurs et leurs salariés. C’est cette corporation qui s’organise de façon responsable et qui assume elle-même cette exigence. Il serait, pour le reste, – me semble-t-il – imprudent d’aller au-delà sans considération de la pénibilité des caractéristiques des professions concernées.

J. Dorville : N’empêche qu’il y a en France une grande inégalité des régimes de retraite, notamment entre le secteur public et le secteur privé. Beaucoup de gens annoncent la faillite de bien des systèmes de retraite pour le début du siècle prochain. Est-ce que quelqu’un aura un jour le courage politique de s’attaquer à ce dossier ?

J. Arthuis : Je crois que sur tous ces problèmes, quels qu’ils soient, on a besoin d’une plus grande transparence. Il faut, sereinement, ensemble, s’interroger sur l’avenir et mettre en perspective les financements et les besoins de financement. Je note qu’en matière de retraite, la France avait un déficit par rapport à tous les grands pays modernes. Nous n’avions pas de système d’épargne-retraite – ce que les Anglo-saxons appellent les fonds de pension. Eh bien, après demain, se discutera en deuxième lecture une proposition de loi instituant en France l’épargne-retraite. J’ai été frappé par les interrogations et parfois les critiques suscitées ça et là, comme si l’épargne-retraite était de nature à concurrencer, à porter préjudice à ce qui est le socle de notre retraite, c'est-à-dire la répartition. Nous avons en France deux piliers de répartition : le régime général de la Sécurité sociale qui est la base et il n’est pas question d’y toucher ; il y a les régimes complémentaires par répartition. Nous avons besoin d’un troisième pilier et je me suis étonné des interrogations critiques de certains syndicats.

J. Dorville : Quasiment tous les syndicats, à l’exception de la CFDT.

J. Arthuis : Lorsque ce texte est venu devant le Sénat, au mois de décembre, le gouvernement a tenu compte des préoccupations exprimées aussi bien par Force ouvrière, la CGT, la CFTC et également la Confédération générale des cadres, qui avaient souhaité limiter la déductibilité et l’exonération en cotisations sociales sur ces versements, ces abondements d’épargne-retraite, aux conditions de droit commun. C’est ce qu’a fait le gouvernement. Et aujourd’hui j’entends des interrogations critiques, pour m’en étonner. Nous avons besoin, vraiment, de recréer de l’emploi, et la seule façon de préserver la retraite demain, et en particulier la répartition à laquelle nous sommes tous attachés et le gouvernement en particulier, c’est de créer des entreprises, de susciter des vocations d’entrepreneur. Ce sont eux qui créeront des emplois et qui, dans dix ans, vingt ans, gageront le versement des retraites.

J. Dorville : L’autre débat à la mode, c’est la flexibilité du travail. On sait que Jacques Chirac n’aime pas ce mot mais il n’empêche que les réalités s’imposent. Et dans la majorité, certaines voix se font entendre comme celles d’Édouard Balladur ou de Raymond Barre, qui vous pressent d’aller plus vite et plus loin pour assouplir les règles de l’emploi. Qu’est-ce que vous préparez ?

J. Arthuis : Là encore, je crois que le dialogue avec les partenaires sociaux doit définir le cadre. Sans doute y a-t-il des lois conçues hier qui avaient pour objet de protéger les salariés, mais il faut aujourd’hui se demander si toutes les lois protègent l’emploi et si certaines d’entre elles ne sont pas des facteurs qui restreignent les possibilités de recrutement et qui, dans certains cas, conduisent les entreprises à faire l’économie d’emplois supplémentaires, ce qui naturellement irait à l’encontre de nos préoccupations.

J. Dorville : Que vous inspire ce qui se passe en ce moment en Corée du Sud, ce conflit social dont on nous dit que c’est finalement un conflit contre la flexibilité ?

J. Arthuis : Je connais mal ce qui se passe en Corée du Sud. J’observe que nous sommes entrés dans une économie qui se veut globalisée et nous devons démontrer qu’en ouvrant notre économie au monde, nous sommes capables de préserver la cohésion sociale, le lien communautaire entre tous les Français.

J. Dorville : Plus vite et plus loin, c’est aussi ce que vous demandait Jacques Chirac et une partie de la majorité à propos de la baisse de la fiscalité. Est-ce que vous avez les moyens de cette ambition ?

J. Arthuis : Nous avons cette préoccupation. C’est une priorité gouvernementale : baisser les impôts. Sans qu’on s’en soit rendu compte, la France est allée dans une sorte d’embardée. On a dépassé les seuils qui rendaient tolérable l’impôt. Et vous voyez qu’en 1997, nous avons substantiellement allégé l’impôt : - 25 milliards d’impôts sur le revenu des personnes physiques. Ceux qui sont mensualisés viennent de recevoir leur avis de versement. Ils ont constaté que les premiers versements de 1997 seront allégés de 6 % par rapport à ce qu’ils auraient dû être. C’est donc une préoccupation fondamentale du gouvernement. Mais pour baisser les impôts, il faut tenir les dépenses, ce qui jusqu’à présent n’avait pas été démontré et c’est ce que fait le gouvernement d’Alain Juppé. Il faut aussi de la croissance.

J. Dorville : Un mot sur la monnaie unique. Est-ce que ce qui se passe en Allemagne vous inquiète ? La crise économique qui s’aggrave, le chômage qui s’amplifie et puis une opinion publique allemande de plus en plus sceptique à l’égard des bienfaits de la monnaie unique.

J. Arthuis : Ce n’est pas démontré. Il y a de la part des Allemands quelques hésitations à abandonner le deutschemark qui symbolise la réussite économique de l’Allemagne au lendemain de la guerre. Je crois qu’il y a en Allemagne un partage, selon les sondages d’opinion, entre ceux qui sont favorables à l’euro et ceux qui hésitent à abandonner le deutschemark. Il y a un dialogue en Allemagne, il y a des autorités qui sont déterminées autour du Chancelier. Je fais confiance aux autorités allemandes. Quant à la France, dès aujourd’hui, je vais réunir un jury qui va choisir parmi près de 2 000 dessins ce que sera la face commune de la pièce euro. Il y aura deux faces, une face européenne et une face nationale portant douze étoiles et la mention de la République française.