Texte intégral
Mme Chabot : Bonsoir
M. Duhamel : Bonsoir, Madame Notat
Mme Notat : Bonsoir
Mme Chabot : Bonsoir, Nicole Notat. Merci d'avoir accepté de parler franchement avec nous ce soir. Nous reviendrons sur votre itinéraire, sur votre engagement syndical, sur vos prises de position qui, souvent, dérangent.
M. Duhamel : Et comme toujours vous avez pu choisir un thème auquel vous tenez particulièrement. Vous aurez un contradicteur que vous ne connaissez pas, qui est déjà là, que les téléspectateurs voient mais que vous ne voyez évidemment pas, et le thème que vous avez choisi est ?
Mme Notat : Il est possible de réduire le chômage.
Mme Chabot : Nous parlerons aussi de ce que vous faites, quand vous ne faites pas de syndicalisme, c'est-à-dire quand vous avez un petit peu de temps libre, avec un autre invité-surprise qui lui aussi vient d'arriver et qui est en train de vous écouter pour l'instant.
Mais tout de suite commençons par un portrait de vous. Des témoignages recueillis par Nathalie Saint-Cricq, le Service Economique de France 2, Nicole Notat vue par certains qui l'aiment et d'autres qui l'aiment un peu moins.
Portrait
M. Gandois : Femme redoutable, séduction, intelligence, courage mais une volonté de puissance extraordinaire. Alors, je me dis : « Toi-même sois vigilant, tu déploies ta séduction. »
M. Edmond Maire : Derrière les apparences de Nicole qui est quelqu'un de réservé, il y a des qualités de coeur que j'ai découvertes tout de suite.
M. Marc Blondel : Je dis qu'elle a un look très agréable et puis je vais peut-être dire qu'elle ne fait pas le syndicalisme qui est le mien.
M. Michel Rocard : Cela reste un syndicat très combatif mais sur une ligne de négociations sociales et en s'interdisant de conduire des batailles revendicatives sur des revendications impossibles à satisfaire, en s'interdisant une démagogie de base.
M. Arthuis : Je pense qu'elle assume ses responsabilités avec lucidité, avec courage.
M. Viannet : C'est une femme qui n'a vraiment pas les mêmes conceptions que moi du syndicalisme, mais dont je suis bien obligé de reconnaître qu'elle a le courage de ses convictions.
M. Julien Dray : Elle ne joue pas, ce qui devrait, pour moi, être le rôle essentiel des organisations syndicales, c'est préserver les acquis sociaux qui ont été durablement conquis et qui sont remis en cause par une logique libérale.
Mme Ségolène Royal : Sans doute trop complaisante à l'égard de mauvaises réformes qui ont lieu actuellement.
M. Michel Barrot : Il n'y a pas de complicité mais il y a, par contre, sur les grands problèmes de l'avenir, un vrai dialogue.
M. Barre : Une nouvelle race de syndicalistes.
M. Poniatowski : C'est une femme qui assume bien les responsabilités qui sont les siennes.
M. François Bayrou : Elle est en train de réinventer, je crois, un syndicalisme de responsabilité, de coresponsabilité, sinon de cogestion.
M. André Santini : Une personne lisse, rigoureuse, exigeante.
M. Chevènement : C'est une Lorraine, et venant d'un Francomtois, vous comprenez que, dans ma bouche, cette qualification n'a rien de péjoratif. Ce sont des gens robustes, donc elle ne peut pas être fondamentalement mauvaise !
M. Duhamel : On a quand même l'impression, Madame Notat, que les gens de Gauche ont plus de mal à être chaleureux que ceux de Droite quand ils parlent de vous, non ?
Mme Notat : Figurez-vous, c'est ce que je me disais. Je me disais : « La Gauche du Parti Socialiste, je n'ai pas l'air de leur plaire vraiment ! ».
Mme Chabot : C'est un peu gênant, non ?
Mme Notat : Pourquoi ?
Mme Chabot : Non, je ne sais pas !...
Mme Notat : Non, cela ne me gêne pas. Je n'ai pas à plaire ou à déplaire à qui que ce soit. Les gens pensent ce qu'ils ont envie de penser en fonction de ce que je suis, en fonction de ce que nous faisons, mais je respecte tout à fait la liberté des autres de penser ce qu'ils pensent.
Mme Chabot : L'institut IPSOS, lui, a sondé aussi les Français sur ce qu'ils pensent de vous et d'abord votre crédibilité de responsable syndicale au regard des autres responsables des Confédérations.
On regarde le résultat sur votre crédibilité :
M. Duhamel : Maintenant on va voir une autre question du même sondage, qui est une question à laquelle les gens interrogés répondent spontanément, et là c'est votre portrait personnel.
Le chiffre positif est relativement élevé : 35 %
On vous trouve : Courageuse, compétente, battante et déterminée, enfin le caractère compte visiblement.
Il y a 20 % qui sont négatifs. Vous voyez les thèmes : Traître, au patronat, incompétente, antipathique et désagréable.
Il y a peu de gens qui sont neutres (8 %), ce qui est d'ailleurs rare dans les portraits. Vous faites réagir les gens, ça, c'est clair.
Et puis il y en a qui ne vous connaissent pas mais on ne les voit pas.
Mme Chabot : Qu'est-ce qui vous gêne ?
M. Duhamel : Qu'est-ce qui vous fait plaisir ?
Mme Chabot : Et qu'est-ce qui vous gêne moins ?
Mme Notat : Je pense qu'il est assez normal que quelqu'un qui est en situation de Fonction Publique, qui prend des positions, c'est assez normal que certaines positions plaisent, attirent la sympathie et que pour d'autres, on attire au contraire de l'antipathie.
Donc, cela, je crois que cela fait partie de la fonction. Cela ne me choque pas. Cela ne m'empêche pas de dormir.
Mme Chabot : On dit souvent de vous : courageuse. Mais, alors, je me demande parfois si vous n'avez pas envie de tout laisser tomber en disant : « C'est dur ».
Mme Notat : Ah ! Non, cela ne me vient jamais à l'idée quand je me lève le matin. J'ai l'impression que je me lève le matin en ayant toujours envie de bien démarrer ma journée.
M. Duhamel : Et c'est un sentiment que vous avez depuis longtemps de faire réagir fortement les gens à votre sujet, positivement ou négativement ?
Mme Notat : Jamais dans les conditions de celles de maintenant, parce que les conditions en ce moment, ce sont aussi les circonstances qui ont fait que je suis exposée, avant…
Je ne sais pas, on m'a toujours décrite comme ayant une personnalité plutôt forte. Mais je crois qu'il ne faut pas que je nie cela. Et puis, après tout, pourquoi pas ? Ce n'est pas mal !
Mme Chabot : Vous allez voir, d'ailleurs, dans le reste de l'émission que vous aurez du mal à le nier, en attendant revenons sur des questions d'actualité.
Actualité
Mme Chabot : Vous avez parlé tout à l'heure dans le Journal de 20 heures avec Daniel Bilalian déjà du conflit des routiers. J'aimerais quand même que nous y revenions, et d'abord pour vous demander ce soir, alors que la négociation continue : quel est l'élément qui, selon vous, peut maintenant débloquer cette discussion ?
Mme Notat : Je crois que c'est finalement à la fois simple et difficile, c'est-à-dire qu'il faut que le patronat des Transports routiers donne satisfaction à des revendications qui m'apparaissent comme étant des revendications vraiment justes, vraiment légitimes, à des gens qui ont l'impression de recommencer les mêmes conflits avec les mêmes revendications depuis maintenant plus de 6 ou 7 ans, parce que, finalement, même quand on a un accord, il n'est pas appliqué.
Donc je pense que ce soir ils vont avoir envie d'avoir plus que des revendications satisfaites, ils vont aussi avoir envie que ce soit appliqué, donc qu'il y ait des conditions de suivi et de contrôle.
M. Duhamel : C'est propre à ce secteur-là le fait que les accords sont mal appliqués ?
Mme Notat : Non. Mais à ce point-là, oui, quand même ! Vous avez vu les chiffres, c'est entre 5 et 25 % d'entreprises qui appliquent. Là, c'est quand même faible.
M. Duhamel : Alors, il y a trois partenaires, si j'ose dire, en tout cas, il y a trois acteurs : il y a le patronat, il y a les syndicats et puis il y a le Gouvernement.
Finalement qui joue le jeu et qui ne le joue pas ?
Mme Notat : Je crois qu'il faut être franc aujourd'hui puisque c'est le titre de l'émission. Je crois qu'à chaque fois que l'on a eu un conflit de ce genre, jamais les partenaires sociaux n'ont pu s'en sortir sans l'intervention de l'Etat, parce que je crois que c'est un monde patronal tout à fait atypique, dans lequel il règne encore des conceptions qui sont un peu d'un autre âge et qui veut bien voir satisfaites les revendications des salariés, mais à condition que ce soit l'Etat qui paie.
M. Duhamel : Et l'Etat joue le jeu ?
Mme Notat : Je pense que l'Etat n'a peut-être pas complètement envie de payer tout à fait la facture de ce qui est quand même de la responsabilité du patronat aussi.
Mme Chabot : On disait : « Il y a beaucoup d'accords. Ces accords ne sont pas appliqués. » Avez-vous une idée d'une décision qui pourrait permettre de vraiment contrôler, par exemple, l'application des horaires et le respect des horaires ?
Mme Notat : La profession de chauffeur routier, c'est conduire un camion. Le temps où l'on conduit, on est en temps de travail. Il y a des temps de pause pour la sécurité. Le minimum, c'est que ces pauses soient respectées et qu'on ne mette pas les gens dehors quand ils les respectent.
Le deuxième élément, c'est que, parfois, ils sont contraints d'attendre que les camions soient chargés, etc. ; cela, c'est du temps contraint, ce sont des astreintes, comme l'on dirait à E.D.F. ou dans les hôpitaux. Les temps d'astreinte ne sont pas des temps qui comptent zéro. Donc, il faut trouver les conditions de rémunération de ces temps contraints, de ces astreintes ou, au contraire, de récupération en repos. Mais voilà des revendications qu'il faut satisfaire !
Et je crois qu'aujourd'hui les routiers en ont tellement assez d'avoir eu des conditions rudes, que cette revendication de la retraite à 55 ans, c'est un peu le sentiment : « on en a fait suffisamment, on en a bavé toute notre vie, on a le droit de s'arrêter à 55 ans. » Voilà, ce que cela veut dire !
M. Duhamel : Aussi bien la C.G.T. d'un côté que Force Ouvrière de l'autre cherchent à étendre le conflit. Pour trouver une solution à ce conflit et pour les chauffeurs routiers eux-mêmes, est-ce plutôt, à votre avis, une bonne chose ou une mauvaise chose ?
Mme Notat : Tout dépend ce qu'on appelle « étendre » ! Je souhaite et j'espère encore que les négociations qui sont en train de se dérouler, aboutissent. S'il y avait aujourd'hui un constat d'échec, je suis sûre d'une chose, c'est que les routiers n'accepteraient pas cet échec et qu'ils auront tendance – et j'ai du mal à ne pas leur donner raison – à durcir leur mouvement. Cela, c'est une chose. Cela peut être un élargissement, une extension de leur propre mouvement. Je crois, d'ailleurs, que c'est la seule condition pour que leurs revendications soient préservées, que leurs satisfactions puissent leur être données.
S'il s'agit d'englober dans un mouvement avec d'autres professions, de noyer les revendications des routiers avec celles des autres, je pense que ce seront les routiers qui seront les dindons de la farce.
Mme Chabot : Je vous propose, avant de continuer sur ces questions d'actualité, de retrouver Yannick Letranchant qui suit pour nous, pour France 2 les discussions qui sont en cours dans une annexe du Ministère des Transports.
Yannick, y-a-t-il du nouveau dans cette discussion ?
Yannick Letranchant : Eh bien, écoutez, non. Je dirai que les patrons et les syndicats de chauffeurs routiers sont littéralement reclus au deuxième étage de cet immeuble, vous l'avez dit, situé Place Fontenoy à Paris.
La rencontre dure maintenant depuis plus de 5 heures puisqu'elle a débuté vers 17 heures et, franchement, rien de ne filtre sur l'état de ces négociations.
Je vous rappelle que les discussions, vous l'avez un petit peu évoqué, butent sur la retraite à 55 ans et sur la rémunération à 100 % des heures travaillées.
Les syndicats font pression en arguant notamment de la mobilisation très forte sur les routes dans toute la France et en appellent à l'Etat.
Les patrons jugent, eux, comme étant inadmissibles, inacceptables les revendications salariales et réclament des aides de l'Etat.
Mme Chabot : Bien sûr, Yannick, s'il y a quelque chose de nouveau, un élément nouveau, vous intervenez, comme l'on dit, et puis de toute façon on fera le point avec vous avant la fin de cette émission.
M. Duhamel : Il y a un an, il y avait un grand mouvement social, novembre, décembre 1995.
Aujourd'hui, comment jugez-vous le climat social global et la position du Gouvernement dans l'opinion au milieu de tout cela, parce que c'est un facteur qui compte ?
Mme Notat : La situation sociale est détestable et elle est légitimement détestable : le chômage, l'exclusion, les conditions dans lesquelles les jeunes se voient sans perspective pour l'avenir – on aura l'occasion d'en reparler –, tout cela fait que les gens sont en situation d'insécurité permanente et qu'ils ont légitimement envie que les choses changent.
M. Duhamel : Comme l'année dernière, plus que l'année dernière ?
Mme Notat : Non, justement, peut-être ont-ils compris, l'année dernière que, malheureusement, avec toute cette énergie, et j'allais presque dire : quel gâchis que cette énergie déployée l'année dernière pour quel résultat ? Résultat important qui est le résultat du recul de Juppé sur les régimes spéciaux des fonctionnaires.
Mais par rapport à tout ce qui était le coeur des problèmes de cette Société, ce que les gens ont au ventre, ils n'y ont pas trouvé de réponse.
C'est la raison pour laquelle je crois qu'il ne faut pas que l'on soit des semeurs d'illusions dans l'action syndicale. Il faut que l'on entreprenne des actions qui redonnent confiance, des actions qui permettent aux gens de voir que l'action syndicale, ce n'est pas seulement attiser les mécontentements, il faut se faire l'écho des mécontentements, mais il faut si possible leur donner un débouché.
M. Duhamel : Et le Gouvernement là-dedans ?
Mme Notat : Le Gouvernement a un rôle à jouer.
M. Duhamel : Vous le jugez dans quelle situation ?
Mme Notat : Le Gouvernement, celui-là comme beaucoup d'autres avant lui, souffre de quoi ? Il souffre d'une situation qui fait que c'est tellement le grand écart entre ce que l'on promet quand on aspire à exercer le pouvoir et puis ce que l'on fait dans la réalité, ce sont tellement, trop souvent, des effets d'affichage et pas assez de solutions efficaces que l'on recherche, que les gens finissent à chaque fois par se désintéresser un peu plus, à désespérer de l'efficacité de l'action politique. Mais c'est dramatique !
Mme Chabot : Un Gouvernement qui est très impopulaire peut-il continuer à gouverner, à votre avis, ou il est vraiment handicapé ?
Mme Notat : Je considère que les sondages ne doivent pas être le baromètre d'une situation sociale, d'ailleurs, comme politique. Je crois que le Gouvernement peut gouverner si le Président de la République décide que le Gouvernement peut gouverner.
Mme Chabot : Justement, on attend une intervention du Président de la République – certains pensent que le Président pourrait parler –, souhaitez-vous que le Président intervienne et quelles questions avez-vous envie de lui poser ou à quelles questions souhaitez-vous qu'il réponde ?
Mme Notat : Que je souhaite ou que je ne souhaite pas, je crois que cela n'a pas tellement d'importance. Il ne me conseille pas sur ces choses-là. Mais, enfin, s'il devait parler, je crois qu'il y a une chose qui préoccupe aujourd'hui les Français : c'est où le Président de République veut-il conduire notre pays, veut-il conduire notre Société ? Quelles réformes préconise-t-il ? Quel sens donne-t-il à l'action du Gouvernement qu'il veut voir mener ? Et je crois qu'à partir de ce moment-là la confiance peut revenir.
M. Duhamel : Il y a eu, hier, le second tour de l'élection municipale de Dreux. Le Front National a été battu, mais il a obtenu presque 40 %, est-ce que les adhérents de la CFDT eux-mêmes échappent complètement, quelque fois, à certains des thèmes du Front National ou pas ?
Mme Notat : Ah ! Je voudrais bien vous répondre oui qu'ils y échappent…
M. Duhamel : Et en réalité ?
Mme Notat : Mais, franchement, je pense que je dois être plus prudente. La réalité est telle que nous nous sommes dit que, dans certaines villes, il y a des scores tellement importants, avec des scores CFDT tellement importants, que sans doute le vote Front National, cela n'arrive pas qu'aux autres !
Nous avons engagé une étude « action », une recherche avec Michel Vivortin, un sociologue, auprès d'équipes de la CFDT, qui ont accepté, ce qui est très courageux pour elles, parce que leur première réaction a été de dire que cela n'arrive pas chez nous, de regarder quels étaient les mécanismes générateurs du racisme ? Est-ce que cela existait dans telle ou telle entreprise ? En interrogeant, en libérant la parole, on s'aperçoit que le racisme, que les thèses de Le Pen finissent par séduire des gens qui, bien évidemment, devraient être aux antipodes des thèses de Le Pen mais qui se laissent séduire quand même.
Mme Chabot : Dernière question d'actualité, tout à fait autre chose : quand l'ancien Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, parle implicitement d'une dévaluation du franc par rapport au mark, avant de réfléchir aux futurs rapports entre l'euro et le dollar, que répondez-vous ? Pose-t-il un vrai problème ? Le pose-t-il bien ? Apporte-t-il une solution ?
Mme Notat : Je crois vraiment que c'est affligeant et impardonnable, et qu'un élève de Sciences-Po parlerait comme cela, je pense qu'on lui mettrait un avertissement. Parce que Valéry Giscard d'Estaing, ce n'est pas n'importe qui, c'est un homme averti, qui a été Président de la République, européen s'il en est, qui sait combien les rapports franco-allemands sont au centre de ce que sera ou ne sera pas l'Europe de demain. Donc, faire de la « petite politique », parce que je ne comprends pas cela autrement, de sa part, c'est vraiment consternant.
Et je dirai même que la seule vraie question qu'il est susceptible de bien poser, c'est finalement la parité qu'aura l'euro avec le dollar, cela, c'est la vraie question. Mais à force de continuer la « guéguerre » franco-allemande, de faire croire que c'est entre la France et l'Allemagne qu'il y a un problème, je pense que les Américains doivent être contents, parce que c'est vraiment assurer la domination du dollar sur les marchés financiers pendant longtemps encore !
Mme Chabot : Deux autres questions posées par deux confrères de presse écrite :
M. Zemmour : (Le Figaro) Bonjour, il y a 30 ans, le secrétaire général de Force Ouvrière, André Bergeron, était l'interlocuteur privilégié de tous les gouvernements. Aujourd'hui vous avez conduit la CFDT a endossé les habits de Bergeron mais, à l'époque, les salaires augmentaient, il y avait du grain à moudre. Ne craignez-vous pas d'avoir fait, avec Alain Juppé, un marché de dupes ?
M. Duhamel : Alors ?
Mme Notat : Oh ! non rassurez-vous ! J'espère que cet homme est un homme provocateur mais qu'il est un bon observateur et qu'il connaît la CFDT. La CFDT ne sera jamais un syndicat interlocuteur privilégié. Un interlocuteur déterminant, oui. Un interlocuteur qui compte oui. Sinon on n'est pas un syndicat. Si l'on est un syndicat pour ne pas changer le cours des choses, pour ne pas faire en sorte que cela change, il faut aller faire autre chose dans la vie. Donc, non.
La CFDT a l'intention d'être, oui, un interlocuteur exigeant, pas complaisant.
Et puis je ne sais pas si vous avez remarqué, au moment où il y a eu les histoires autour de la Présidence UNEDIC, dans le patronat j'entendais dire : « Ah ! la CFDT, certes, ce n'était pas mal de temps en temps mais, enfin, ce n'est pas si accommodant que d'autres ne pouvaient l'être ! Ils sont exigeants. En plus, ils ont des revendications qui ne sont pas complètement idiotes. Ils accrochent plus l'Europe. » Je pense à ce que disait Jean Gandois tout à l'heure, il n'a pas tout à fait tort.
M. Duhamel : En clair, vous voulez dire que vous êtes un interlocuteur plus difficile que, par exemple, le leader de FO, pour le patronat ?
Mme Notat : Il parlait de l'ancien FO…
M. Duhamel : Oui, mais je vous demande ?
Mme Notat : Je pense que c'est ce que pense tout bas le patronat oui !
Mme Chabot : N'êtes-vous pas un petit peu à contre-courant, parce que vous pratiquez ou vous essayez de pratiquer un syndicalisme à l'allemande, comme l'on dit, concertation, partenariat, dans un pays où tout le monde dit : « Ce n'est pas la culture chez nous. Cela passe par l'épreuve de force, et puis, après, on discute et l'on trouve une solution. » Alors, vous n'êtes pas un peu décalée ?
Mme Notat : Mais pourquoi je serais décalée ? Ce qui m'importe, ce n'est pas d'être calée ou décalée, c'est de savoir si l'action syndicale que la CFDT veut mener est une action qui est adaptée à son temps, est une action qui permet, effectivement, que les problèmes qui sont au coeur de la Société, le chômage, l'exclusion, l'avenir des jeunes, etc., sur toutes ces questions, sommes-nous capables d'influencer le cours des choses, par l'action, par la protestation par la négociation, mais par, aussi, le résultat, par l'efficacité de l'action syndicale ?
Mme Chabot : Donc pas la culture privilégiée de Juppé, comme on l'a dit ?
Mme Notat : Ma foi, non, cela ferait rire Juppé lui-même.
Mme Chabot : Avant la deuxième question, je vous propose de revoir des images que l'on a beaucoup commentées, c'est vous dans la manifestation du 17 octobre dernier, bousculée par certains participants à cette manifestation, comme vous aviez été bousculée dans un autre défilé, un an plus tôt, le 24 novembre 1995, qui nous amène à la deuxième question.
Mme Françoise Berger : Vous êtes dans un milieu misogyne mais, quand même, il paraît qu'on vous appelle « La Tsarine », ce qui n'est pas mal, et Lady Macbeth, ce qui n'est pas mal non plus ! Est-ce que vous ne seriez pas pire qu'un homme ?
Mme Notat : Ah ! Venant d'une femme, Madame, cela fait vraiment drôle de l'entendre ! Je crois qu'être une femme dans une situation de responsabilité comme la mienne, cela amplifie tout. Cela amplifie ce qui est bon mais cela amplifie aussi ce qui est un peu difficile à vivre, c'est-à-dire les réactions de sympathie comme les réactions d'antipathie, les réactions de séduction comme les réactions de rejet, et il faut supporter que le sexisme soit une réalité, quand on dérange bien sûr, quand on passe inaperçu, on ne s'en aperçoit pas, mais quand on existe, quand on dérange, quand d'autres peuvent avoir le sentiment qu'on leur fait concurrence – je crois que c'est malheureusement ce que pense trop un certain nombre ou une partie des militants de la CGT ou de Force Ouvrière –, ils en arrivent à ces extrêmes, je trouve que ce n'est pas très honorable pour personne.
Mme Chabot : Mais quand même, bon, ce qualificatif « Tsarine », c'est vrai que c'est un de vos surnoms…
Mme Notat : C'est un ami qui me l'a attribué…
Mme Chabot : Donc, c'était gentil !
Mme Notat : C'était gentil dans son esprit.
M. Duhamel : Ce sont les pires !
Q : Est-ce que vous n'êtes pas un peu dure quand même ! Vous savez que vous êtes une femme et qu'effectivement en fonction de ce que vous êtes, votre action sera interprétée différemment, vous dites : tout est amplifiée, mais n'êtes-vous pas un peu plus dure qu'il ne le faudrait parfois ?
Mme Notat : Je ne sais pas si je suis plus dure ou pas assez dure, je ne crois pas ! Tout à l'heure j'ai bien entendu ce qu'a dit Edmond Maire, il me connaît bien. Je crois qu'il faut entendre ce qu'il a dit.
M. Duhamel : Diriez-vous sincèrement qu'à la CFDT on est moins sexiste qu'à la CGT ou à Force Ouvrière ?
Mme Notat : Oh ! Je me garderai bien de dire cela encore ! Mais en même temps je dois vous dire qu'à la CFDT s'il y a aussi des phénomènes sexistes, des phénomènes de gens qui, après tout, ne m'aiment pas comme leader syndical, ils en ont bien le droit.
Il y a aussi vraiment des gens très bien, très proches, très chaleureux et qui, franchement, me réconfortent souvent à la CFDT.
Mme Chabot : Nous allons revenir sur quelques temps forts de votre vie, et j'allais dire le passé du passé, c'est-à-dire votre famille. Vous êtes originaire d'une famille d'agriculteurs installés dans la Marne. Vous êtes l'aînée de 4 enfants, c'est-à-dire que vous avez deux frères et une soeur.
Nathalie Saint Cricq et Bernard Ronflet sont partis à la recherche de Nicole Notat, toute petite déjà.
Repères
Mme Notat (mère) : La seule chose qu'elle nous disait toujours : elle voulait être institutrice. Et toute petite, elle avait toujours un papier et un crayon. Elle écrivait. Elle ne jouait pas beaucoup à la poupée.
Elle était quand même déjà autoritaire, enfin, plus grande, pas toute petite.
Jean Notat : Je me souviens bien, quand il y avait une bête de sauvée, ce n'était pas sur elle qu'on pouvait trop compter pour la rentrer, quoi, en quelque sorte !
Mme Notat (mère) : Je n'aurais jamais pensé qu'elle serait arrivée jusque-là finalement. Quand elle va passer, on met la télé tout de suite pour la voir.
Jean Notat : Quand on l'a vue prendre une position aussi marquée, on s'est dit : que se passe-t-il ? A-t-elle assurée ses arrières ? C'était quand même assez choquant, et puis je pense qu'il y a beaucoup de monde assez choqué.
Je me dis : elle va vivre des moments assez difficiles derrière cela. Finalement, il s'avère qu'elle n'avait peut-être pas complètement tort.
Mme Notat (mère) : C'est vrai qu'on ne se rend pas compte comment elle est en famille, quand on la voit comme cela à son travail.
Jean Notat : On est une famille où l'on est assez proche. Il n'y a pas de différends dans la famille. On aime bien se retrouver, on fait des bonnes « chouilles », elle en fait partie. Elle fait partie intégrante…
Mme Notat (mère) : Elle aime bien que l'on se retrouve tous ensemble. Elle aime beaucoup.
Jean Notat : C'est le côté convivial. A mon sens, elle en a besoin.
Mme Notat (mère) : Elle montait sur la table, elle chantait quand elle était toute petite. Maintenant beaucoup moins, elle ne chanterait plus. Oh, quoique !
Mme Vigour : Qu'elle rencontre Juppé ou pas, elle reste toujours notre soeur. Vis-à-vis de ses nièces, de ces neveux, c'est pareil ! C'est leur tata et puis c'est tout. Le reste, ma foi, cela fait partie de sa vie professionnelle.
M. Duhamel : Quand on entend tout cela, on a l'impression – bien que vous soyez née dans une ferme – que vous avez plutôt ressenti l'appel de la ville que l'appel de la terre ?
Mme Notat : Oui, ça, c'est vrai ! Je ne conteste pas du tout cette interprétation.
Mme Chabot : Vous précisez d'ailleurs que votre frère exerce des responsabilités syndicales à la FDSA– Fédération départementale des services agricoles –. Vous souhaitiez toute petite devenir institutrice. Vous l'êtes devenue. Vous avez fait l'école Normale. Et vous avez choisi de vous occuper d'enfants en difficulté, pourquoi ?
Mme Notat : Peut-être parce que, assez tôt, j'ai été plus sensible à des gens qui ne ressemblaient pas à la norme ou j'avais envie de comprendre ce qui faisait qu'untel ne réussissait pas à l'école, pourquoi il était dans une famille qui avait tant de problèmes !
Je me suis effectivement orientée plutôt vers ceux que j'avais envie de découvrir, plutôt que ceux qui se comprenaient à travers un seul regard.
M. Duhamel : Qu'est-ce qui fait qu'au bout de dix ans à peu près, vous avez choisi de devenir ou vous avez accepté de devenir : permanent syndical, c'est-à-dire qu'au fond vous avez vraiment une vocation d'institutrice…
Mme Notat : Oui.
M. Duhamel : … Et puis au bout de dix ans, vous faites quelque chose qui est très important mais qui est complètement différent ?
Mme Notat : Oui, mais parce que, pendant que j'étais institutrice – c'est un métier que j'adore, c'est vrai –, j'ai en même temps été, j'allais presque dire un peu embarquée dans la vie syndicale. J'ai fait 68 à l'Ecole Normale de Bar-le-Duc, je dis toujours que ce n'était pas le Quartier Latin, mais, enfin…
M. Duhamel : Et c'est comment 68 à Bar-le-Duc ?
Mme Notat : On a fait une ou deux manifs. On ne voulait pas non plus être en reste ! Et puis, là, j'ai rencontré des personnes vraiment très attachantes, des discours qui m'ont plu. Et puis voilà, ce sont les circonstances. Je suis, pour ma part, très attentive. Les gens ont de l'importance pour moi. Il y a des gens qui expriment des causes que j'ai envie de soutenir avec eux, et, voilà, comme cela, je suis devenue sensible à la vie syndicale.
Mme Chabot : Alors, ce sont des syndicalistes qui vous ont entraînée, jamais d'hommes politiques ? Vous n'avez jamais eu envie de faire de la politique, de militer dans un Parti ?
Mme Notat : Non. Je n'ai jamais eu de carte politique, au grand dam de mes amis du PSU de l'époque, au grand dam de quelques amis du parti Socialiste, ensuite. Pas parce que je pense qu'avoir une carte politique n'est pas un acte citoyen important, mais parce que je pense justement que la fonction syndicale que j'exerce me suffit à remplir, à m'occuper, à développer mon énergie, et que je ne me vois pas avec une carte politique sans militer ou sans apporter quelque chose à ce Parti, et là ce serait trop !
Mme Chabot : Vous n'avez jamais travaillé dans une entreprise. C'est l'un des reproches que certains vous adressent. Ils disent : « Ah ! quelqu'un qui n'a pas travaillé dans une entreprise, qui ne sait pas ce que c'est qu'un affrontement avec un patron, est bien mal placé pour défendre les salariés » ?
Mme Notat : Ce sont des arguments de gens qui n'en n'ont plus beaucoup d'autres.
J'ai été presque élevée en syndicaliste en Lorraine, c'est-à-dire au milieu des sidérurgistes, au milieu des mineurs, au milieu de gens qui se sont battus. Je me rappelle de la lutte de la Sidérurgie, c'est quelque chose qui me prenait aussi au ventre. C'est quelque chose auquel j'ai participé. Et puis si tous les responsables de ce pays devaient tous avoir, je ne sais pas moi, fait trois mois de grève de la faim dans leur vie ou une grève générale, etc., il n'y aurait pas beaucoup de responsables, quand même !
Mme Chabot : Deuxième temps fort de votre vie, c'est la prise du pouvoir à la tête de la CFDT, objet de controverses et de polémiques.
Rappel en trois temps.
- 1988 : départ d'Edmond Maire
M. Bilalian : A l'occasion de son Congrès de Strasbourg, la CFDT vient de changer de responsable au plus haut niveau. Edmond Maire qui dirigeait ce syndicat depuis 17 ans maintenant, a laissé sa place à son successeur désigné, Jean Kaspar.
- 1992 : élection de Jean Kaspar
Journaliste : Début aujourd'hui du Congrès de la CFDT, c'est le 42ème du nom. Jean Kaspar sera réélu sans problème pour un deuxième mandant de trois ans.
- 6 mois plus tard
Bruno Masure : Coup de tonnerre dans le monde syndical, la démission surprise du Secrétaire Général de la CFDT, Jean Kaspar, pourtant réélu au tout dernier Congrès en avril.
Jean Kaspar : Dans l'intérêt de l'organisation et de la CFDT, il fallait que je démissionne, c'est ce que j'ai fait. Mon destin personnel est secondaire par rapport au destin de la CFDT. C'est le destin de la CFDT qui me préoccupe.
M. Bougerolles : Je pense que c'était un peu mal venu de « se débarquer » ou d'être « débarqué » à l'heure actuelle. Je pense qu'il y a autre chose à faire.
M. Malbet : La démocratie a pris un petit coup dans les gencives, peut-être que cela ne servira pas à Nicole Notat, on verra !
Nicole Notat est élue en octobre 1992 et réélue en 1995.
M. Duhamel : On a l'impression que cette prise de pouvoir, c'est un petit peu le péché originel que certains vous ressortent, au fond, à chaque occasion ? Qu'à la limite ils regardent tout ce que vous faites aujourd'hui à travers cela ?
Mme Notat : Oui, il y a un peu de vrai, je pense ! C'est assez, peut-être, normal ! Mais c'est un sujet sur lequel vraiment aujourd'hui je n'ai aucun nouveau commentaire à faire.
M. Duhamel : Cela vous fait souffrir ?
Mme Notat : Ah ! non, plus maintenant. J'ai souffert à l'époque, mais plus maintenant. Mais je pense que tout ce qui a été dit, tout ce qui a été montré là est conforme à la réalité, de ce qu'a été ce moment un peu difficile à vivre dans la Maison.
Mme Chabot : Si Jean Kaspar nous regarde ce soir, vous avez un mot à lui dire pour oublier cela ?
Mme Notat : J'espère qu'il a déjà oublié et qu'il a retrouvé de quoi retrouver intérêt et motivation dans la vie. Mais de ce point de vue-là je lui fais tout à fait confiance.
M. Duhamel : Tout le monde dit, ceux qui travaillent avec vous, les Français même quand on les interroge dans le sondage, que vous êtes quelqu'un qui aime commander.
Finalement, êtes-vous plutôt du genre, sincèrement, despote éclairé ou plutôt du genre leader vraiment démocratique ? Comment cela se passe-t-il quand vous voulez prendre une décision ?
Mme Notat : D'abord, je dois vous dire que, quand on est à la tête d'une organisation syndicale, et en particulier de la CFDT, on n'est pas chef d'entreprise, c'est-à-dire qu'une décision ne se prend pas comme cela en disant : « Clac, j'ai décidé aujourd'hui, tout le monde l'applique. » Je ne sais pas si vous avez remarqué, cela ne se passe pas vraiment comme ça à la CFDT, et je crois, d'ailleurs, que c'est bien que cela ne se passe pas comme ça ! Nous sommes une équipe. Et je pense que c'est normal, c'est bien qu'une équipe fonctionne en collégialité, etc.
Maintenant, Secrétaire Général, cela veut dire animer, orienter, cela veut dire, le cas échéant, quand les débats tournent, s'enlisent…
M. Duhamel : Trancher ?
Mme Notat : … faire une proposition de synthèse…
M. Duhamel : Trancher ou pas trancher ?
Mme Notat : Et trancher quand il faut trancher, si, ma foi, on n'arrive vraiment pas à trancher. Mais vous savez si vraiment il y a quelque chose de très controversé, c'est tranché par un vote, c'est-à-dire que la Secrétaire Générale n'a pas de voix prépondérante. Elle est contestée, vous me l'avez dit tout à l'heure, mais elle a bien évidemment, et c'est normal comme tout Secrétaire Générale, une autorité.
Je ne me sens pas tellement autoritaire. Avoir de l'autorité, oui.
Mme Chabot : Dans la série des propositions tranchées, c'était le 15 novembre 1995, l'après-midi Alain Juppé avait présenté son projet de réforme de la Sécurité Sociale à l'Assemblée et le soir tous les responsables syndicaux et quelques membres du Gouvernement étaient réunis autour de Jean-Marie Cavada pour une Marche du siècle. Regardez !
Mme Notat : Je défends la Sécurité Sociale et je suis très triste que nous donnions autour de cette table une image du syndicalisme qui ne regarde pas les choses en face et qui ne regarde pas l'avenir.
Je dis cela pour mes deux prédécesseurs mais je leur donne le droit de ne pas être d'accord avec moi, mais de ne pas falsifier les réalités et les faits.
Alors vraiment non ! Osons défendre la Sécurité Sociale, ne l'enterrons pas ce soir par des actes syndicaux qui sont d'arrière garde.
Mme Chabot : Ce soir-là, n'avez-vous pas commis, au fond, une petite erreur tactique en approuvant trop vite le plan Juppé ?
Mme Notat : Je n'ai pas de regret ! Je n'ai pas de regret parce que je crois que, ce soir-là, ce qui était en jeu, on le voit bien d'ailleurs un an après la réforme, c'était effectivement de savoir si l'on sauvait la Sécu, l'assurance-maladie ou si, au contraire on assurait son naufrage.
Donc, je n'ai pas de regret. Au-delà de la forme, je veux bien comprendre qu'Untel ou Untel ait pu penser que j'étais un peu abrupte dans mon propos, mais, sur le fond, que j'ai eu envie de dire à mes deux collègues qu'effectivement je ne pouvais pas les suivre dans la manière dont ils jugeaient cette réforme, non !
Qu'on me dise que j'ai fait un pari, le pari que ce Gouvernement qui est un Gouvernement de Droite qui ne nous habituait pas à faire des réformes progressistes, était un pari risqué ! Ça oui, je voulais bien l'entendre à l'époque.
Mais, aujourd'hui, je crois que justement la force du soutien qu'on m'a apporté à l'époque avec vigilance, avec un comité de vigilance, avec la FNMF qui nous a beaucoup aidés dans cette affaire et d'autres, fait qu'aujourd'hui nous continuons à peser dans le sens où nous voulons faire avancer la réforme.
M. Duhamel : Est-ce qu'aujourd'hui vous considérez, un an après, que la réforme est en train de réussir ?
Mme Notat : La réforme arrive à son point décisif, et tout le monde en est tellement persuadé que, regardez, Monsieur Bébéar, l'assureur, remonte au créneau sur le terrain de l'assurance…
M. Duhamel : Le Président d'AXA…
Mme Notat : … privée. Donc, je pense qu'il a compris que ce n'était pas cela qui s'était passé il y a un an. On avait écarté la privatisation de la Sécurité Sociale.
Regardez aussi la manière dont, finalement, les médecins sont en train de résister ! Ils résistent parce qu'ils n'ont pas compris, parce qu'ils sont mal informés, car cette réforme n'est pas faite contre les médecins…
M. Duhamel : … pourquoi seraient-ils mal informés ?
Mme Notat : Parce que je crois qu'il y a un peu d'intoxication de la part d'un certain nombre de leurs leaders… Il y a aussi un manque d'information, un manque d'appropriation du sens de la réforme. Cela montre que les médecins ont compris que, peut-être, on n'allait pas continuer exactement comme avant, c'est-à-dire boucher les trous en augmentant les cotisations et en diminuant les remboursements des gens.
Mme Chabot : Quand le Gouvernement recule sur un ou deux points et est en désaccord avec le nouveau Président de la Caisse Nationale d'Assurance-Maladie, qui est de la CFDT, Monsieur Spaeth, êtes-vous inquiète ?
Mme Notat : Ce n'est pas seulement qu'on est inquiets, vous avez vu, on pique un peu une rage et l'on dit : « Stop, cela ne va pas dans le bon sens », et puis on va voir Juppé avec le comité de vigilance, et puis on se remet sur les rails, et puis la réforme continue.
Mme Chabot : On va faire avec vous un premier Bilan de votre action. On a effleuré un certain nombre de thèmes ou de critiques qui vous sont opposées, et ce qui qui peut être considéré comme un échec au fond, c'est la division syndicale.
Bilan
Mme Chabot : Division syndicale à l'extérieur et à l'intérieur de votre syndicat :
Manifestation à Paris pour le retrait du Plan Juppé
Mme Coupe : Nicole Notat condamnant un mouvement social de l'ampleur qu'il a eu dans notre pays, cela, c'est pour moi incompréhensible, et quelque part je me dis que ce n'est plus du syndicalisme.
Journaliste : C'était quoi ?
Mme Coupe : C'est se poser en interlocuteur du Gouvernement et du Pouvoir, et ce n'est plus être là pour être le porte-parole des salariés, des syndiqués.
Mars 1995 – Montpellier – Congrès de la CFDT
Mme Giraud-Eyraud : On a l'impression qu'elle a peur des militants, qu'elle a peur du débat. Une organisation syndicale, c'est une organisation de gens qui adhèrent à l'organisation syndicale, qui paient une cotisation, donc qui en sont complètement partie prenante. Donc, ils ont leur mot à dire par rapport aux accords qui se signent. Donc, il n'y a pas à faire une espèce d'OPA sur la CFDT.
M. Duhamel : Bon, évidemment, ce ne sont pas vos amis, là, qui s'expriment, ce ne sont pas vos supporters, en tout cas !
Mme Notat : Ca n'a pas l'air !
M. Duhamel : Mais il n'empêche qu'il y a un problème qui ressort toujours, qui est celui de la division : division à l'intérieur, division à l'extérieur.
Pourquoi y-a-t-il ces divisions syndicales, même dans des grands mouvements ? Vous pensez de temps en temps avoir une responsabilité personnelle, là, ou pas ?
Mme Notat : Oh ! personnelle, non. Franchement non.
M. Duhamel : Alors pourquoi ?
Mme Notat : Parce que vraiment la division syndicale existait avant que j'arrive.
M. Duhamel : Oui ! Mais, enfin, disons qu'elle se porte bien en ce moment.
Mme Notat : En France, la coopération entre les organisations syndicales n'a jamais été bonne, elle a même été souvent conflictuelle, très conflictuelle. Les rapports entre FO et la CFDT ont toujours été quasi inexistants. Les rapports avec la CGT ont été, quand il y en avait, très conflictuels, même dans les moments de coopération.
Aujourd'hui, ils en arrivent, effectivement, à un paroxysme qui est détestable et dont je pense qu'il faut en sortir.
Je ne fais pas mon deuil, je ne prends pas partie de cette division syndicale, et c'est pour cela que je propose une méthode aux autres confédérations…
M. Duhamel : C'est-à-dire ?
Mme Notat : … bien que l'on ait des désaccords, il ne faut pas les nier. Les Français, les salariés ne nous le pardonneraient pas, ils le savent.
Eh bien, que l'on se voie, que l'on se rencontre, que l'on se parle et que l'on approfondisse ce qui fait nos désaccords, qu'au moins nous puissions, si possible, peut-être avancer et les comprendre, et qu'en même temps on ne fasse pas, du fait qu'on soit à ce point divisés, une raison de ne jamais rien faire ensemble, et que, s'il y a une opportunité à saisir sur un objectif qui est crédible pour les gens, parce que les gens ne nous pardonneraient pas de faire semblant, il faut la saisir.
Et c'est pour cela que nous avons proposé vendredi dernier, à la sortie de notre Bureau national, une journée nationale d'action à toutes les autres confédérations, nous attendons qu'elles nous répondent, sur un point précis : la généralisation du départ, après 40 années de cotisations, à 60 ans, mais on aura l'occasion d'en reparler.
Mme Chabot : Ce soir, vous pouvez dire, effectivement, à Louis Viannet, à Marc Blondel que vous êtes prête à les rencontrer dans les jours qui viennent, à discuter de cela ?
Mme Notat : Je n'ai cessé de leur dire. Je vois Louis Viannet et nous savons à quoi nous en tenir l'un et l'autre, mais nous sommes capables de nous parler et de nous rencontrer.
M. Duhamel : Et Marc Blondel ?
Mme Notat : Avec Marc Blondel, c'est plus aléatoire mais cela existe aussi.
Marc Blondel m'a téléphoné il y a une quinzaine de jours par exemple pour me parler de la manière dont j'allais me situer, au sein de la Commission Européenne des Syndicats, sur l'entrée de la CGT.
Voilà ! Nous nous sommes parlés. Et j'ai tenu une position commune d'ailleurs à Force Ouvrière et à la CFDT. Donc, vous voyez, ce n'est pas complètement perdu !
Mme Chabot : Dernière petite question sur le fonctionnement de la CFDT, parce qu'il y a eu beaucoup de questions de militants de la CFDT, de responsables… beaucoup de critiques…
M. Duhamel : Il y a eu beaucoup de questions sur Minitel.
Mme Chabot : Il y a eu beaucoup de questions sur Minitel qui ont été posées. Avez-vous eu peur de la base ?
Mme Notat : Croyez-vous que j'irais rencontrer les routiers qui sont sur un barrage à Rouen, vendredi, si j'avais peur de la base ?
Croyez-vous que j'ai peur de la base si, en allant dans les manifestations, je sais que, parfois, je peux y avoir un accueil mitigé ?
Non, je n'ai pas peur de la base, j'ai même beaucoup besoin de la base et j'adore rencontrer la base.
Mme Chabot : Et vous l'écoutez ?
Mme Notat : Je l'écoute, oui.
Mme Chabot : Alors, maintenant vous allez avoir la possibilité de développer une idée de votre choix.
Idée
M. Duhamel : Vous nous expliquez la substance de votre thèse là-dessus.
Mme Chabot : Sur « réduire le chômage ».
Mme Notat : Il est possible de réduire le chômage. C'est effectivement ce que je veux démontrer, pourquoi ? Parce que je crois qu'il faut se dire que la lutte contre le chômage est dans la bouche de tous les prétendants à l'exercice du pouvoir. C'est au nom de la lutte contre le chômage que toutes les actions des gouvernements successifs ont été menées. Bilan : pas jobard, comme on dirait. Donc, cette affaire-là ne peut pas durer. Pourquoi est-ce que cela ne peut pas durer ? Parce que, aujourd'hui, c'est du chômage que la société est minée, c'est le chômage qui provoque l'exclusion, c'est le chômage qui provoque la déprime individuelle ou collective, les peurs sur l'avenir, le désarroi, la révolte ou le repli sur soi, mais ce n'est pas fondamentalement mieux. Et donc, au total, il y a des gens, aujourd'hui je crois, qui finissent par avoir du doute sur le fait de savoir si, finalement, il ne faut pas s'habituer à vivre avec 3 millions de chômeurs.
Ceci est pire que tout, c'est désastreux. C'est désastreux pour la société de demain, c'est désastreux pour notre démocratie. Pourquoi pensez-vous que Le Pen fait de tels scores, que les thèses populistes et démagogiques font de tels scores ? Parce que la société ne sait plus s'il est possible de devenir meilleur. Eh bien, il faut qu'elle devienne meilleure, il faut combattre le chômage.
M. Duhamel : Il y a un certain nombre de mesures possibles ?
Mme Notat : Il y a des mesures possibles. J'en ai choisi seulement trois. Il y en a d'autres mais trois pour ce soir.
La première, c'est la réduction du temps de travail. Pourquoi la réduction de la durée de travail ? Parce que je crois que c'est une solution qui n'a jamais été vraiment expérimentée sérieusement et à fond et qu'en tout cas le passage des 40 aux 39 heures a été un coup raté.
M. Duhamel : C'était sous Pierre Mauroy, ça.
Mme Chabot : Pourquoi était-ce un coup raté ?
Mme Notat : Parce qu'on est passé sans négociations, en décidant qu'il n'y avait pas d'organisation du travail à changer, enfin, la compensation salariale intégrale. Je crois qu'à l'époque Edmond Maire…
M. Duhamel : Pour vous, cela est raté.
Mme Notat : … Edmond Maire a rappelé que ce n'était pas la bonne solution. Et cela a raté en termes de créations d'emplois. Donc, il ne faut pas recommencer les mêmes erreurs.
M. Duhamel : Aujourd'hui ?
Mme Notat : Aujourd'hui pour que la réduction de la durée du travail soit efficace pour l'emploi, sans dire que c'est une panacée, il faut trois conditions :
- Il faut qu'elle soit massive. Il faut oser y aller.
- Il faut qu'elle soit articulée à de vrais changements dans l'entreprise. Les patrons n'arrêtent pas de demander des adaptations, de la flexibilité. Eh bien, chiche !
- Et articulons ces changements à la réduction du temps de travail et alors il y aura du temps libéré par ceux qui vont réduire leur temps de travail et du temps pour d'autres. Voilà ce que je crois devoir aujourd'hui expérimenter à fond et la loi de Robien.
M. Duhamel : Justement, ça passe par la loi de Robien ou c'est autre chose ?
Mme Notat : La loi de Robien n'est peut-être pas la panacée non plus, mais en tout cas, c'est aujourd'hui un levier qui va nous permettre de pousser la réduction de la durée du travail et je vois au moins deux avantages à la loi de Robien :
- Le premier est que, pour la première fois, l'Etat va consentir des aides aux entreprises mais seulement preuve à l'appui, c'est-à-dire quand elles auront réduit le temps de travail et quand elles auront véritablement créé des emplois. Pas autrement.
- Le deuxième concerne la négociation. Sans négociation, il n'y a pas de possibilité et elle permet de faire du sur-mesure, c'est-à-dire de généraliser massivement la réduction de la durée du travail dans une entreprise tout en adaptant les formes de la réduction aux conditions de l'entreprise, aux besoins des salariés.
M. Duhamel : Plusieurs patrons disent…
Mme Chabot : … Le Président du CNPF même.
M. Duhamel : Par exemple…
Mme Notat : … Oui, beaucoup, vous pouvez le dire.
M. Duhamel : Certains sont hostiles aux critiques au sein du patronat en disant, soit que cela va coûter des sommes faramineuses, soit que cela crée – ce sont eux qui le disent – des emplois artificiels.
Mme Notat : C'est cela ! C'est cela !
M. Duhamel : Vous entendez cela aussi ?
Mme Notat : J'entends cela. Rendez-vous compte, ce monsieur Calvet, ce monsieur Schweitzer qui vont faire appel à l'Etat pour embaucher des jeunes et pour demander quel qu'argent à l'Etat pour libérer des emplois au-dessus de 55 ans. Comment sont ces emplois, c'est naturel ou artificiel ? Quand une entreprise comme le textile va demander des fortes baisses de charges pour les aider à passer un cap difficile, c'est naturel ou artificiel ? Non, allez, arrêtons ces faux débats.
Mme Chabot : Deuxième mesure que vous avez évoquée tout à l'heure avec nous, c'est-à-dire sur la possibilité de gens qui ont cotisé 40 ans de partir plus tôt.
Mme Notat : Il s'agit effectivement de l'ARPE, c'est-à-dire l'Allocation de Remplacement Pour l'Emploi, qui a été décidée par un accord entre le patronat et les syndicats en 1995 et qui permet quoi ? C'est une idée simple pour une cause juste.
L'idée simple, c'est que des gens qui ont travaillé 40 années, donc qui ont payé 40 années de cotisations, ce sont des gens qui sont rentrés jeunes dans la vie active, qui ont souvent eu des travaux pénibles, eh bien, il est juste, il est normal qu'avant 60 ans ils puissent cesser leur activité, à condition qu'on embauche un jeune.
Mme Chabot : Nous avons été voir comment cet accord est appliqué dans une entreprise, c'est ELF ATOKEM, c'est dans le sud de la France.
Reportage
Journaliste : ELF ATOKEM est la troisième entreprise de la région PACA en personnel : 900 employés se relaient aux commandes de l'usine de Saint-Auban spécialisée dans la chimie. Particularité : l'application d'un plan pour l'emploi qui a satisfait tout le monde. Mise en place en 1996, l'ARPE a permis de stopper une vague de licenciements en cours depuis 1992. Mieux, il a permis d'embaucher du personnel.
M. Seyre : L'application de ce dispositif a permis de multiplier par quatre le nombre d'embauche sur l'année 1996 par rapport à une année où il n'y aurait pas eu la possibilité d'appliquer ce dispositif.
Journaliste : Quelles sont les prévisions pour 1997 ?
M. Seyre : Si le dispositif est reconduit dans les mêmes principes, on devrait avoir le même pourcentage et on pense que cela devrait conduire à une trentaine d'embauche supplémentaires.
Journaliste : L'Allocation de Remplacement pour l'Emploi bénéficie aux employés âgés de 58 ans et demi, à condition qu'ils aient cotisé 40 ans à la Sécurité sociale. Chaque départ est compensé par l'arrivée d'un jeune. A Saint-Auban, toutes les personnes visées par ce dispositif en ont fait la demande. Mais aujourd'hui, pour certains, ce plan a atteint ses limites, il faudrait aller encore plus loin.
M. Rambaud : Il y a une limite d'âge. On a des salariés à Saint-Auban qui ont 56 ans et 40 ans de cotisations et qui ne sont pas concernés par ce dispositif. C'est dommage ! Nous pensons qu'avec 40 ans de cotisations, quel que soit l'âge, le salarié devrait partir et bénéficier de ce plan.
M. Movirem : Cet accord plaît. Il plaît d'abord aux anciens qui ont passé, pour certains, près de 40 ans en poste au détriment quelquefois de leur santé et ils aspirent maintenant à une retraite anticipée. Et puis il plaît aussi aux jeunes qui, dans la région, à 24, 25 ou même 26 ans, sont nombreux à la recherche d'un premier emploi. Alors, on ne comprendrait pas que cet accord qui a été une réplique concrète et immédiate au chômage des jeunes ne soit pas reconduit, même amélioré.
Journaliste : La Direction de l'usine se réjouit de l'avoir mis en place. Les syndicats le soutiennent. Tous souhaiteraient donc voir ce plan reconduit, mais la décision ne leur appartient pas.
M. Duhamel : On a eu sur cette question, l'ARPE, énormément d'interrogations à travers le Minitel. Visiblement, c'est un sujet qui est ultra-sensible.
Mme Notat : D'interrogations ?
M. Duhamel : D'interrogations pour vous aussi.
Mme Chabot : Avec demandes éventuellement de l'élargir.
M. Duhamel : Justement, ce qui revient tout le temps – c'est ce que disait votre délégué syndical –…
Mme Notat : Norbert, salut !
M. Duhamel : … c'est : peut-on le maintenir et l'étendre ? Quelles sont les chances d'y arriver ?
Mme Notat : La position de la CFDT est la généralisation pour tous ceux qui ont 40 années de cotisations, qu'ils soient salariés ou qu'ils soient chômeurs, de pouvoir cesser leur activité et, quand ils sont salariés, d'être remplacés par un jeune.
M. Duhamel : Quel que soit l'âge ?
Mme Notat : Quel que soit l'âge du moment qu'ils ont les 40 années de cotisations, bien sûr. Nous souhaitons faire un pas de plus dans le négociation UNEDIC aujourd'hui puisque c'est entre partenaires sociaux que nous l'avons créée. J'ai bon espoir que les résistances patronales tombent. Parce que, quand on entend ce qu'on vient d'entendre, l'entreprise en a besoin, elle est pour ; les salariés en profitent, ils sont contents et il y a des jeunes qui rentrent dans l'entreprise. Ecoutez, franchement, c'est une bonne idée, c'est une idée qui marche, on serait fous de ne pas la poursuivre et de ne pas la développer.
Mme Chabot : Les patrons disent que cela coûte cher. C'est cela leurs réticences.
Mme Notat : Oui, c'est cela ! Parce que le chômage ne coûte pas cher pour les patrons ! les indemnités chômage sont gratuites ! la baisse des charges sociales ne coûte pas cher à l'Etat ! Non, là encore, employons des arguments sérieux.
Mme Chabot : Et cela permettrait effectivement d'embaucher des jeunes. C'est d'ailleurs la troisième partie de vos propositions, l'ARPE est une des possibilités pour employer des jeunes ?
Mme Notat : C'est une des possibilités, mais il y en a d'autres parce que les jeunes, aujourd'hui, galèrent. J'ai proposé à Stéphane qui est le fils d'un ami de venir à cette émission. Il est de cette catégorie des surdiplômés, cela existe. Mais c'est un surdiplômé qui galère beaucoup aujourd'hui pour trouver un job et je me suis dit que, finalement, il était peut-être le mieux placé pour expliquer la difficulté de trouver un emploi quand on est dans son cas.
Mme Chabot : Alors, Stéphane ?
M. Magal : Comme Nicole Notat l'a dit, je suis dans cette catégorie de surdiplômé, c'est-à-dire que j'ai réalisé des études universitaires à Bac+5, un DEA de chimie, puis ensuite un DESS de gestion pour essayer justement d'appréhender un peu mieux tout ce qui est les mécanismes de l'entreprise et puis de pouvoir rentrer plus facilement dans l'entreprise. Problème, c'est que, dans ma recherche d'emploi, après un envoi d'une centaine de lettres, je n'ai pu avoir que 4 rendez-vous.
Si je reprends le dernier rendez-vous que j'ai eu, je pense qu'il est assez symptomatique, en fait la demande de l'employeur était avant tout d'avoir quelqu'un qui ait une expérience professionnelle plutôt qu'une qualification. Evidemment, étant jeune diplômé, je n'ai pas d'expérience. Mais, cette chose-là, je l'avais déjà rencontrée lors de ma formation de mon DESS ou quand j'avais recherché un stage, je m'étais déjà retrouvé dans les mêmes difficultés où je n'arrivais pas à trouver les entreprises qui acceptent de me recevoir alors que mon stage était obligatoire.
Je pense que c'est cela aujourd'hui ma plus grande incompréhension par rapport au monde du travail, c'est qu'on me demande d'y être déjà dedans alors que je n'en suis qu'à la porte et que j'ai besoin d'avoir une opportunité.
Mme Chabot : Que fait-on…
M. Duhamel : … devant des situations de ce genre ?
Mme Chabot : On peut peut-être dire aux entreprises qui chercheraient un jeune diplômé qu'il y a quelqu'un qui a très envie de travailler et que, ce soir, elles se bougent un peu pour Stéphane. Que peut-on faire, en règle générale, pour tous ces jeunes et que dites-vous aux entreprises ?
Mme Notat : Je dis que ce n'est franchement pas possible. On a demandé aux jeunes de se former, de se qualifier pour être embauchés. Aujourd'hui, qu'ils se sont formés et qu'ils se sont qualifiés, on leur demande d'avoir une expérience professionnelle avant même d'avoir eu l'occasion de pouvoir en avoir une. Donc, on marche vraiment sur la tête. Je crois qu'aujourd'hui il y a vraiment urgence. Une urgence que les jeunes trouvent une place dans l'entreprise.
Nous, à la CFDT, nous avons mis en avant l'objectif de 400 000 jeunes dans un délai rapide.
M. Duhamel : Un délai rapide, c'est combien ?
Mme Notat : Six mois. C'est possible s'il y a la volonté politique, s'il y a une espèce de pacte pour l'emploi des jeunes qui via toutes les cordes qui existent aujourd'hui pour faire rentrer des jeunes dans les entreprises sont utilisées.
Par exemple, nous avons au Sommet social de décembre 1995, il y a bientôt un an, donné comme orientation que toutes les entreprises qui embauchaient fassent l'effort d'embaucher un jeune quand elles embauchaient deux personnes. Déjà, rien que ça, les jeunes pourront rentrer. Ensuite nous pensons que l'ARPE – nous en avons parlé – est une possibilité. Et puis il y a tellement de modalités d'insertion des jeunes dans les entreprises et d'embauches possibles que nous disons qu'il faut un engagement. Pas un engagement moral, pas un engagement…
Mme Chabot : … Faut-il que l'Etat intervienne ? Faut-il légiférer ?
Mme Notat : Si l'Etat légifère pour l'embauche des jeunes, cela veut vraiment dire qu'on est mal parti dans ce pays. Cela veut dire que les entreprises n'ont même plus conscience qu'elles ont besoin d'embaucher des jeunes pour assurer leur avenir.
M. Duhamel : Et le patronat réagit comment ?
Mme Notat : Je n'arrive pas à comprendre le patronat…
M. Duhamel : … Comment le jugez-vous ?
Mme Notat : Timoré.
M. Duhamel : Est-il homogène ? Pas homogène ? Evolue-t-il ? N'évolue-t-il pas ?
Mme Notat : Il y a de belles expériences dans la vitrine patronale sur l'embauche et sur l'insertion des jeunes. Nous connaissons tous les des grands groupes, des gens qui se sont mobilisés, mais malheureusement c'est un désert autour d'eux, donc il faut des gens qui tirent, des gens qui entraînent, pas qui entraînent derrière un engagement moral, comme je le disais, pas un effet d'affichage, mais derrière un engagement concret, un nombre de jeunes, quitte à payer des VRP auprès des entreprises pour leur expliquer les conditions dans lesquelles elles peuvent embaucher des jeunes. Mais comme le cas de Stéphane, dans six mois qu'on ne se dise pas qu'il y en a encore 560 000 qui sont dans ce cas-là.
Mme Chabot : L'institut IPSOS a aussi interrogé des Français sur la nécessité ou non de légiférer pour favoriser l'embauche des jeunes :
- 63 % des Français disent : « l'Etat doit légiférer »
- 33 % disent : « l'Etat doit laisser les entreprises jouer seules »
Ce qui nous amène au débat suivant puisque votre contradicteur-interlocuteur surprise va entrer. Cette proposition de légiférer sur l'embauche des jeunes est inscrite dans le programme du Parti socialiste.
Voilà donc votre interlocutrice, Ségolène Royal qui est député socialiste des Deux-Sèvres et qui va discuter avec vous…
Mme Notat : On va essayer de ne pas faire un débat complaisant.
Mme Chabot : … et réagir sur ce qu'elle a entendu.
M. Duhamel : La première chose que vous nous disiez est que vous avez entendu Nicole Notat, vous étiez là. Vous avez entendu les mesures qu'elle proposait. Est-ce que cela correspond à ce que vous pensez ? Pensez-vous que c'est suffisant ? Pensez-vous que c'est dans le bon ordre ? Votre réaction ?
Mme Royal : D'abord, je voudrais que, dans ce pays, il y a un grand principe qui est celui de l'autonomie syndicale, quelles que soient les forces politiques qui sont au Pouvoir, et que l'objectif que vous avez dessiné, même si on peut se rejoindre sur cet objectif, il y a le mouvement syndical, il y a le mouvement social qui peut y contribuer, et puis il y a les Pouvoirs publics. Si, demain, en effet, les Français nous redonnent la responsabilité de la direction de ce pays, l'autonomie syndicale sera respectée.
Je dis cela parce que je crois que, s'il y a des convergences, c'est parce que la politique s'inscrit aussi dans un projet global de société et que, aujourd'hui, le Parti socialiste fait le constat que cela va mal.
Mme Notat : Il n'est pas le seul.
Mme Royal : Vous disiez à l'instant, Nicole Notat, « s'il faut une loi, c'est que vraiment les choses vont mal ». Eh bien, oui, nous pensons que les choses vont si mal qu'il faut maintenant passer à la vitesse supérieure, en fixant une méthode, en fixant des objectifs et en retenant ce que le Parti socialiste vient de retenir, c'est-à-dire cinq piliers d'action.
M. Duhamel : Que pensez-vous des recettes, des propositions précises de Nicole Notat ?
Mme Royal : Sur les trois mesures qui ont été évoquées, sur l'ARPE, nous pensons en effet que la CFDT a raison et qu'il faut aller jusqu'au bout de cette logique-là. Vous ne l'avez pas dit à l'instant, mais vous aviez dit, il y a quelques jours, qu'il fallait aussi étendre le dispositif non pas de l'ARPE, mais ouvrir les mêmes avantages, aussi, aux chômeurs.
Mme Notat : Si, si, je l'ai dit.
Mme Royal : Ah ! bon, vous l'avez dit à l'instant.
M. Duhamel : Nous sommes obligés quelquefois d'aller un peu vite, mais cela a été dit.
Mme Notat : J'ai reçu de nombreuses lettres de chômeurs en ce sens et je les ai rassurés sur ce que la CFDT porterait dans la future négociation en la matière.
Mme Royal : Oui, nous pensons en effet que c'est important, même si cela n'aboutit pas à l'emploi de jeunes en tant que tel, mais que, là, c'est une mesure de justice sociale.
M. Duhamel : Sur les deux autres points ?
Mme Royal : En ce qui concerne la loi de Robien, je voudrais vraiment, Nicole Notat, que vous ayez raison dans ce que vous dites parce que nous pourrions nous réjouir ensemble, en effet, du fait que le Parlement n'ait pas perdu son temps. Et quand je vois ici dans la « lettre de la CFDT » : « la loi de Robien, un vrai levier pour l'emploi », comme vous le savez, les socialistes n'ont pas voté cette loi parce que nous sommes inquiets et nous pensons que ce dispositif, qui a été voté, est un nouveau transfert financier pour le patronat sans contrepartie d'emplois durables… Je voudrais mettre le doigt sur quelques dispositifs de cette loi qui nous inquiète beaucoup.
D'abord les allègements de charges sociales sont donnés au patronat pour 7 ans alors que les emplois ne doivent être maintenus que pendant deux ans. Autrement dit, le gain pour l'entreprise, en termes d'avantages sociaux et d'avantages financiers, est supérieur au coût même des embauches qui sont imposés par la loi.
Ensuite, ce qui nous choque, c'est que les nouvelles embauches peuvent être faites sur des emplois précaires, c'est-à-dire non seulement sur deux ans seulement, mais pas en plus sur des emplois précaires auxquels il pourra être mis fin au bout des deux années en question.
Enfin, la réduction de la durée du travail porte sur la durée initiale du travail et n'écarte pas les heures supplémentaires. Donc, les salariés risquent, là aussi, de payer chèrement un dispositif trop flou. Et, enfin, rien n'est dit sur le maintien du niveau des salaires.
Ce qui m'inquiète aujourd'hui, c'est que, lorsque l'n regarde quelles sont les entreprises qui demandent l'application de la loi de Robien, on voit Moulinex qui vient d'annoncer un plan social, enfin, ce qu'on appelle « un plan social », il y aurait beaucoup à dire sur le vocabulaire utilisé, disons « un dégraissage social d'ampleur », le GIAT, le Crédit Lyonnais et, sans doute, Thomson qui a aujourd'hui annoncé plusieurs milliers de suppressions d'emplois. Et donc ce que nous craignons, c'est que la loi de Robien ne soit pas utilisée –comme vous le souhaitiez sans doute et nous le souhaitions– comme un moyen de partager le travail et de créer des emplois durables, mais simplement comme un moyen d'atténuer les dégraissages sociaux dans les plans de licenciements qui s'annoncent…
Mme Chabot : … En un mot, elle vous accuse de vous contenter de peu avec la loi de Robien.
Mme Notat : Oui, d'être finalement un peu naïfs sur ce que nous pensons faire avec la loi de Robien.
Mme Royal : D'être trop optimistes.
Mme Notat : Je pense que la loi de Robien est un moyen entre les mains de l'action syndicale et qu'aucune loi ne s'applique comme ça, de haut en bas, sans qu'il y ait des gens qui s'occupent de la faire appliquer, sinon il y a même des bonnes lois, des très bonnes lois qui n'ont jamais été appliquées, donc il faut s'en servir, il faut utiliser. Et les syndicalistes sont là pour que la loi de Robien aille dans le sens de l'intérêt des salariés, de la réduction de la durée du travail et de la création d'emploi.
Je vais vous dire quelque chose qui m'étonne toujours quand j'entends ce genre de critiques, en plus venant du Parti Socialiste : qu'est-ce qui fait que vous ne comptez pas, à un moment donné, sur la dynamique sociale ? Tout à l'heure, vous avez dit : « il y aura de l'autonomie, il y aura du contractuel », heureusement, parce que je ne pense pas que le Parti socialiste nous reconduise dans une économie administrée. Je ne crois pas que ce soit son objectif…
Mme Royal : … Je ne l'ai jamais fait.
Mme Notat : Je ne suis pas là-dessus inquiète. Mais, avec la loi de Robien, je ne dis pas qu'elle est parfaite, je dis : on va s'en servir pour créer un mouvement de réduction de la durée du travail qui va, à un moment donné, devenir tellement important, parce que nous allons nous en occuper, que le mouvement va devenir irréversible. Et, après, il y aura des effets secondaires car il y a toujours des effets secondaires à une loi, Ségolène Royal. Il y a toujours des effets secondaires, il y a toujours des choses qui se passent autrement qu'on l'avait prévu. Et puis il y a des gens qui s'attachent à ce que ce soit contourné, à ce que soit dévoyé, évidemment on n'a pas les mêmes intérêts entre les chefs d'entreprise, les salariés, les responsables syndicaux. Mais, nous, nous pensons que nous devons encore avoir confiance en notre action et nous pensons, je vous le dis, peut-être il s'agira de la généraliser parce que, derrière, il faudra assurer le mouvement de généralisation de cette loi, quand le mouvement sera parti, qu'il faudra à ce moment-là ajuster les choses qui doivent l'être, éventuellement de modifier ce qui doit l'être.
Mme Chabot : Sur la réduction du temps de travail, le Parti socialiste veut aller beaucoup plus loin…
Mme Royal : Oui.
Mme Chabot : … 35 heures payées 39. Alors, là, d'accord ? Pas d'accord ?
M. Duhamel : Dans un premier temps…
Mme Royal : … Dans 35 heures dans un délai de deux ans sans diminution de salaire et par une loi-cadre qui n'étouffe pas les négociations par branches.
Mme Notat : Je vais vous dire : 35 heures pour toutes les entreprises décidées de manière rigide, cela va moins loin que ce que j'espère nous allons pouvoir aller avec la loi de Robien puisqu'on peut aller jusqu'à 32 heures. Et j'ai peur que, dans certains cas, même les 35 heures que nous avons défendues longtemps, par les gains de productivité, ne permettent pas la création d'emplois.
Et puis je vais vous dire quelque chose, c'est vraiment gentiment parce que je souhaite vraiment que, qui que ce soit est au Pouvoir, ce soit l'efficacité pour le chômage qui gagne. Si vous nous dites : « vous négociez 35 heures sans perte de salaire », c'est comme en 1982, de 40 heures à 39 heures, c'est-à-dire qu'on n'a plus d'espace de négociation, vous avez décidé par avance de la manière dont il fallait qu'on conclut. Je trouve que c'est dommage, je trouve que cela casse la dynamique de la négociation.
Mme Royal : Je ne le crois pas…
Mme Notat : Je ne dis pas que c'est votre intention.
M. Duhamel : Qu'est-ce qui vous fait penser le contraire, alors ?
Mme Royal : C'est vrai que la loi qui a créé les 39 heures n'ouvrait pas de perspectives. Aujourd'hui, la loi que nous prévoyons, c'est-à-dire qui prévoit les 35 heures sur une durée de deux ans sans diminutions de salaire puisqu'on cassera un peu plus la croissance, et que ce que nous voulons faire, c'est faire converger toute une série de mesures, 5 mesures essentiellement, parce que nous pensons à la fois qu'il y a urgence, qu'il faut des mesures qui aient un effet rapide, un effet massif et c'est en faisant converger ces mesures-là que nous y parviendrons.
Mme Notat : Avec cela, je suis d'accord.
Mme Royal : Et, dans ces mesures, il y a la loi pour l'emploi des jeunes, 700 000 emplois pour les jeunes, il y a la relance salariale, il y a la diminution du temps de travail sans baisse de salaire et sans fermer la perspective aux 32 heures et sans étouffer les négociations par branches, il y a la réforme fiscale qui transfère les charges fiscales du capital vers le travail et surtout qui baisse la TVA sur les produits de grande consommation et il y a enfin la réorientation de la politique budgétaire vers les priorités qu'elle n'aurait jamais dû perdre : l'Education, la Recherche, la Culture, le logement, la formation professionnelle.
Mme Chabot : Ségolène Royal, sur cette réduction du temps de travail sans perte de salaire, là aussi, deux questions posées aux Français :
1. Est-ce que la réduction du temps de travail à 35 heures va réduire le chômage ?
- Oui : 51 %
- Non : 47 %
Vous voyez que les Français sont partagés.
2. Semaine de 35 heures avec salaire maintenu, est-ce réaliste ?
- Réaliste : 57 %
- Irréaliste : 39 %
- Sans opinion : 4 %
Nicole Notat, ils sont peut-être plus optimistes que vous là-dessus ?
Mme Notat : C'est normal qu'ils soient partagés. Par exemple, sur le fait de savoir s'il faut que les salariés contribuent, bien évidemment pas seuls mais en partie, au coût de la réduction de la durée du travail, c'est évident qu'un salarié qui est au Smic ne participera pas. Par contre, un salarié qui a un revenu décent, correct, ne lésine pas et, nous, nous avons tous les jours l'expérience du débat avec les salariés où les situations sont diverses sur ce sujet-là.
Mme Chabot : En gros, vous accusez presque les socialistes de faire rêver trop les Français ?
Mme Notat : Je ne les accuse pas mais, lors de la dernière rencontre entre le Parti socialiste et la CFDT, j'ai attiré l'attention, c'est vrai, de Lionel Jospin sur les risques qu'il pourrait y avoir, c'est ce que je disais tout à l'heure, à trop rester dans des effets d'affichage ou des choses qui seront difficiles, derrière, à mettre en application telles qu'elles auront été énoncées et qui, je crois, risquent de pas être…
M. Duhamel : … Pour demander les choses carrément : ayant vu, pour ce qui concerne la lutte contre le chômage, le projet socialiste, est-ce qu'il vous paraît réaliste ou pas ?
Mme Notat : Je ne dirais pas « réaliste ou pas » parce que ma question est, sur les 700 000 jeunes, comment y parvient-on ? J'ai cru comprendre que c'était 700 000 jeunes payés par les collectivités publiques, donc des emplois de fonctionnaires en plus.
Mme Royal : Et 350 000 par les entreprises.
Mme Notat : Ce sont des emplois de fonctionnaires en plus, là où on en a besoin. Pourquoi pas aussi des emplois de fonctionnaires…
Mme Royal : … Il y a aussi 350 000 jeunes dans les entreprises…
Mme Notat : … Comment ?
Mme Royal : Par des contrats de premier emploi. Par contre, l'Etat et les entreprises, l'Etat prenant en charge le coût de la formation professionnelle. En un mot, je crois qu'il faut refaire de l'emploi des jeunes une grande cause nationale. Si vous le permettez, je voudrais faire une comparaison avec ce qui s'est fait en 1971 par Jacques Delors sur la formation professionnelle. Je crois que c'est la même chose qu'il faut refaire aujourd'hui pour l'emploi des jeunes. Je crois qu'une Société –là-dessus, je pense que nous nous rejoignons– qui claque la porte au nez des jeunes entraîne une désespérance de laquelle nous ne sortirons pas si nous ne débloquons pas ce système-là.
En 1971, Jacques Delors a décidé de consacrer 1 % de la masse salariale à la formation professionnelle. On changeait de système de valeur, c'est-à-dire que, tout d'un coup, on disait : « C'est non seulement important d'investir dans la machine, mais il faut aussi investir dans la valeur humaine. » Aujourd'hui, nous disons : « il faut faire de la même grande cause nationale l'emploi des jeunes. Et on le fera par une loi de création du premier emploi pour les jeunes, 350 000 dans les entreprises, par une prise en charge par l'Etat de cette formation des jeunes, parce qu'il y a des besoins de proximité.
Mme Notat : C'est difficile de parler quand Ségolène Royal est partie.
M. Duhamel : Vous n'allez pas vous laisser démonter.
Mme Royal : Les socialistes y croient, c'est pour cela que c'est difficile.
Mme Notat : Ne laissez pas sous-entendre que je ne crois pas à ce que je viens d'exprimer dans cette émission.
Mme Royal : Non, pas du tout.
Mme Notat : Sur l'objectif, sur la désespérance, sur la priorité jeunes, à fond, d'accord. Mais vous dites : « un contrat de premier emploi », c'est à nouveau une mesure technique, il en faut peut-être ! Vous dites : « L'Etat va payer la formation », mais vous allez encore…
Mme Royal : … S'il n'y a pas d'objectif, il ne se passera jamais rien.
Mme Notat : Vous allez donner de l'argent aux entreprises alors qu'aujourd'hui elles en ont déjà.
Mme Royal : L'argent sera donné aux jeunes.
Mme Notat : Elles en ont plus qu'elles en ont besoin et elles n'embauchent pas les jeunes. Donc, je pense qu'il y a assez d'argent entre les mains des entreprises…
Mme Royal : … Non, non, on donnera les salaires aux jeunes, pas aux entreprises.
Mme Chabot : Que, dans l'indépendance de chacun, le débat, syndicat-parti politique, peut continuer. Je vous propose, pour en terminer cette séquence, de regarder une dernière question posée aux Français sur :
- Le Parti socialiste au Pouvoir aujourd'hui ferait-il mieux, moins bien ou pareil ?
- 62 % des personnes interrogées pensent que le parti socialiste ne ferait pas mieux.
- 18 % mieux
- 17 % moins bien
Ce résultat est semblable à celui que nous avions il y a un mois lorsque nous avons reçu Jack Lang.
Mme Royal : Nous avons un an et demi pour convaincre. Et ce qui est positif…
M. Duhamel : 15 mois.
Mme Royal : … c'est que les mesures que nous avons présentées tout à l'heure, comme vous l'avez vu, les Français y croient. A nous de poursuivre cette espérance et cette reconquête.
Mme Chabot : Merci, Ségolène Royal.
Mme Notat : Bon courage, sincèrement.
Mme Royal : Nous y arriverons.
Mme Chabot : Et nous allons continuer avec l'autre versant du bilan de Nicole Notat. Après l'échec, peut-être le succès.
Bilan
M. Duhamel : Là, c'est vous qui choisissez. A vos yeux, de quoi êtes-vous le plus fière ? êtes-vous le plus contente ?
Mme Notat : J'ai l'impression que plus j'avance dans la vie et plus je me sens bien dedans.
M. Duhamel : C'est une réponse.
Mme Notat : Et que ce n'est pas mal.
Mme Chabot : J'ai eu Yannick Letranchant en ligne tout à l'heure, il ne se passe rien de plus à la négociation entre les responsables du patronat et les chauffeurs routiers.
Yannick, d'un mot, vous nous le confirmez ?
M. Letranchant : Oui, c'est vrai, rien ne filtre sur cette rencontre. La réunion entre les patrons, les syndicats de chauffeurs routiers et le médiateur a commencé depuis maintenant 7 heures puisqu'elle a débuté à 17 heures. Pour l'instant, aucune nouvelle, aucun accord, aucun désaccord non plus.
Mme Chabot : Ce n'est pas qu'il ne se passe rien, mais c'est qu'on ne sait pas ce qui se passe à l'intérieur. En tout cas, la négociation continue.
Pour terminer cette émission, je vous propose de parler avec vous de ce que vous faites lorsque le syndicalisme vous laisse un petit peu de temps libre.
Ailleurs
Mme Chabot : Qu'aimez-vous dans la vie quand vous sortez du Siège de la CFDT ? Que faites-vous ? Musique, chanson ?
Mme Notat : Oui, j'aime écouter de la chanson, de la musique classique. J'aime aller au cinéma. J'avoue que je n'y vais pas autant que je pourrais avoir envie d'y aller. J'aime aussi me mettre dans mon fauteuil pour regarder la télévision quand il y a quelque chose d'intéressant à voir. J'aime faire un peu de marche, un peu de vélo, pas assez. Finalement, je fais des choses très diverses.
Mme Chabot : Si je vous dis « Barbara » ?
Mme Notat : J'adore
Mme Chabot : C'est vrai ?
Mme Notat : Oui
Mme Chabot : Je vous propose d'écouter « Barbara » tout de suite. Ce n'est pas son nouvel album…
Mme Notat : Je l'ai déjà
Mme Chabot : … Que vous avez acheté.
M. Duhamel : C'est une chanson que vous reconnaîtrez en revanche.
Mme Chabot : Très facilement. C'est un « Barbara » ancien, mais c'est un très grand succès de « Barbara ». 1968, c'est un extrait d'un « Discorama » de Denise Glazer.
Chanson de Barbara
Mme Chabot : Vous chantez ? Votre maman disait tout à l'heure que vous chantiez, alors cela vous arrive de chanter quand même ?
Mme Notat : Je chante encore avec mon frère que l'on a vu tout à l'heure ?
Mme Chabot : A la CFDT par exemple
Mme Notat : Oh ! La CFDT, de temps en temps, si, il y a des bons moments, beaucoup de convivialité.
M. Duhamel : Et avec votre frère ?
Mme Notat : Oui, avec mon frère que vous avez vu tout à l'heure, on est les deux grands chanteurs de la famille.
M. Duhamel : Vous chantez à deux voix ?
Mme Notat : Cela nous arrive.
Mme Chabot : La chanson, le rôle de la chanson aussi dans le mouvement social, la chanson française. Nous avons demandé à un grand défenseur de la chanson française, Pascal Sevran, de venir vous rejoindre pour parler un petit peu avec vous de la chanson… Lui aussi, évidemment, aime Barbara et puis, Pascal ?
M. Sevran : Et puis la chanson en général. Cela m'a fait plaisir d'entendre Nicole Notat, qui défend les acquis sociaux, se préoccuper aussi de la chanson. J'essaie modestement de défendre les acquis de mémoire de la chanson.
Vous aimez Barbara, je l'écoutais avec émotion, comme vous, à l'instant, et je me disais que, dans ce grand désert qu'est la chanson française actuelle, où il y a beaucoup de chômage également, pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer, il est très significatif que toutes les générations aujourd'hui se retrouvent dans Barbara. Et je regardais les grands succès de vente de disques actuels : ce sont Barbara et Charles Aznavour.
C'est réconfortant d'un certain côté parce qu'évidemment c'est le patrimoine, ce sont les racines de la chanson, c'est magnifique, sans commentaire. Et puis à côté un désert formidable parce qu'on ne sait plus faire ces chansons-là, et puis, sans doute, parce que, aussi, on ne donne pas assez l'occasion aux jeunes gens de pouvoir s'exprimer dans des lieux. Enfin, ce serait très compliqué, on ne va pas faire un discours là-dessus. Mais quand on m'a demandé de venir, j'ai été content de savoir qu'un leader syndical, qui a des préoccupations sociales difficiles, se détend aussi avec la chanson et de voir que vous ne considérez pas cela comme quantité négligeable.
Je remarque que, dans les défilés syndicaux, on chante…
Mme Notat : … c'est un grand moyen d'expression…
M. Sevran : … des comptines ou des refrains populaires sur lesquels on adapte quelques mots d'ordre.
On voit que le Front Populaire a été accompagné par des chansons de Trenet.
Trenet disait en chanson le Front Populaire.
Je crois que tout cela est lié, c'est pour cela que j'ai été très ému d'être là devant vous ce soir.
Mme Notat : Je voudrais dire que je crois cela tout à fait vrai, et que c'est peut-être dommage qu'il n'y ait plus en ce moment de nouvelles générations de chanteurs qui chantent des choses identiques à ceux qui chantaient les grands moments de l'Histoire sociale, les grands moments de l'Histoire populaire, de l'Histoire politiques française, et ce n'est peut-être pas un bon signe !
M. Duhamel : Vous voulez dire qu'aujourd'hui il n'y a pas un groupe ou un chanteur qui incarne une partie du mouvement social ?
Mme Notat : Ces chanteurs dont on parlait, c'étaient des gens qui se faisaient l'écho de la révolte, du mécontentement mais qui, en même temps, étaient formidables d'émotion, d'abord, qu'ils transmettaient mais aussi d'espoir qu'ils transmettaient.
Or aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'effectivement on se retourne plutôt vers les anciens que de trouver des nouveaux.
Renaud, peut-être, un petit peu ! Mais il n'est déjà plus tout jeune…
M. Sevran : Oh ! Ce n'est pas un centenaire ! Et puis, c'est très bien parce qu'il a eu le langage de la rue avec une poésie d'aujourd'hui. C'est un exemple qui me touche beaucoup.
En effet, c'est l'un des derniers dans cette génération qui a dit quelque chose, qui a chanté comme chante la rue, et il est très en prise avec la rue.
Il y en a quelques autres aujourd'hui. Mais il y a une très grande difficulté à exprimer la vie de tous les jours en chanson. Ils font des choses compliquées, ce ne sont plus des chansons. C'est un long débat…
Quelles sont les premières chansons qui vous ont marquée dans votre enfance ?
Mme Notat : Les premières chansons qui m'ont marquée, peut-être que c'étaient les chansons que mon père chantait, c'était Tino Rossi…
M. Sevran : C'est toujours comme cela !
Mme Notat : C'était cette époque.
M. Sevran : Ce qui explique sans doute qu'aujourd'hui les jeunes gens chantent les chansons de Barbara, de Brassens ou les années 60, c'est toujours le même phénomène. Sauf qu'aujourd'hui il n'y a plus de pépinière du tout et le chômage est très grand dans la chanson.
Mme Chabot : Il y a la chanson. Il y a la danse.
C'est un petit extrait d'une émission que Pascal connaît bien. Je crois que vous aimez bien danser, votre maman le disait ?
Mme Notat : Oui.
M. Sevran : Les Français aiment beaucoup danser.
Extrait d'une émission de Pascal Sevran sur la danse (le Tango)
M. Sevran : …et ils ont 20 Ans. Et vous voyez que la danse, c'est une grande fraternité. Il y a toutes les danses… mais ils sont très jeunes, ces danseurs. Ils n'ont pas appris exprès pour l'émission. Et partout, en France, on danse aussi comme cela. Il y a les lycéens qui dansent sur les musiques du jour, ce qui est tout à fait normal, mais le Tango, je me suis aperçu d'abord à l'écoute, que cela fidélise finalement un public très large. C'est immortel, parce que c'est beau.
A 15 ans, on peut s'en amuser, parce que c'est naturel, mais très vite cela change et cela reprend…
Mme Notat : Et je vous dirai que ma grande fierté – c'est vrai que j'adore les danses traditionnelles, j'ai aussi fait des danses folkloriques dans ma jeunesse –, c'est que j'ai eu un frère qui était allergique – un beau-frère aussi – à la danse pendant très longtemps. Vous savez, les hommes, parfois il leur faut un peu de temps pour s'y mettre…
M. Sevran : Oui, oui, ils sont timides.
Mme Notat : … et puis ils ont eu envie de faire une kermesse, d'animer des fêtes de village – je suis sûre qu'ils sont en train de se marrer mais ils savent que je dis vrai – et ils ont appris à danser. Et, aujourd'hui, ils valsent admirablement bien. Et ils ont transmis le goût de la danse à leurs enfants, à leurs filles et garçons, et je trouve cela formidable !
M. Sevran : Je suis très étonné, c'est la seule télévision en Europe, France 2, qui fait de la danse un peu comme cela, de temps en temps, et le succès est formidable. Il y a un grand besoin de cela, je crois.
Mme Chabot : Le rendez-vous, Pascal Sevran, faut-il le rappeler ?
M. Sevran : Entre 16h et 17h et puis bientôt, le 21 décembre, en soirée.
Mme Chabot : Voilà ! Et sur France 2, bien sûr !
Pour terminer, si vous avez encore un mot, Nicole Notat, c'est maintenant.
Mme Notat : Non, parce que j'ai tout dit.
Mme Chabot : Vous avez tout dit ?
Merci. Bonsoir.
M. Duhamel : Bonsoir.