Texte intégral
A. Ardisson : Le Président de la République a souhaité que les ministres fassent des économies supplémentaires. C’est une nécessité comptable ou politique ?
D. Perben : C’est un acte politique, c’est un rappel sur l’objectif de notre politique qui consiste à alléger le plus possible la dépense publique afin de donner de l’air à l’économie donc de faciliter la création d’emplois. Je crois que c’est un rappel utile, qui donne son sens à l’effort que nous faisons depuis maintenant quelques mois. Nous ne réduisons pas la dépense publique pour donner des possibilités par masochisme ; nous réduisons la dépense publique pour donner des possibilités de création d’emplois dans l’économie. C’est cela que le Président a voulu dire. Et donc, il a voulu nous rappeler de continuer notre effort autant que cela sera possible y compris en cours d’année.
A. Ardisson : Ce qui est un peu bizarre, c’est que le vote du budget est à peine terminé. Alors, à ce moment-là, pourquoi ne pas le décider comme le souhaitait par exemple, E. Balladur et ses amis, dès le départ ?
D. Perben : Je crois que ce qui est important, c’est de faire des économies en continu et même en période de gestion. C’est pendant le déroulement de l’année budgétaire que l’on peut essayer de faire des économies, soit des économies simples ou de structures. Je crois que chaque ministre va faire cet effort pour essayer de donner davantage d’air et donc d’accélérer, par exemple, la baisse d’impôt si cela est possible.
A. Ardisson : Les économies toutes simples, en reste-t-il à faire ? Est-ce qu’on peut encore gratter ?
D. Perben : On peut toujours faire des efforts supplémentaires. C’est de plus en plus difficile, c’est évident.
A. Ardisson : Est-ce qu’on ne tombe pas justement là dans votre domaine qui est celui des fonctionnaires, de la masse des fonctionnaires d’une part, et de la réforme de l’Etat de l’autre ?
D. Perben : La réforme de l’Etat peut concourir effectivement à réduire le train de vie de l’Etat. Mais elle s’impose de toute façon pour d’autres raisons, pour des raisons de complexités excessives. Je crois que les Français ont le sentiment, à juste titre, que l’administration est bien compliquée. Et ceux qui ont le plus besoin de l’administration sont en général les gens en difficulté et ce sont ceux pour qui la complexité est l’obstacle le plus grand. L’administration d’Etat a également besoin de réforme pour des raisons d’efficacité. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons rapprocher la décision des administrés pour que l’administration aille plus vite et soit de plus en plus en phase avec le terrain. Ce sont les deux grandes orientations que j’ai rappelées hier en conseil des ministres : simplification et rapprocher la décision des Français.
A. Ardisson : Avec un certain nombre de mesures concrètes. Par exemple, on va pouvoir payer ses actes administratifs ou ses amendes avec la carte bleue.
D. Perben : Oui, enfin. On pouvait le faire au supermarché mais pas dans l’administration. C’était paradoxal. Maintenant, ça y est. Cette année, nous avions une quarantaine de points en province où on pouvait payer en cartes bleues, il y en aura mille l’année prochaine et, vous voyez, le rythme va très vite. Ca va devenir le cas général. Ce sont des choses apparemment modestes qui nécessitaient une volonté politique. Autre exemple qui, je crois, concerne de plus en plus de gens, c’est le changement d’adresse. Il faut penser à toutes les lettres qu’il va falloir envoyer aux différentes administrations pour ne pas avoir ensuite des difficultés avec du courrier qui ne vous seraient pas parvenus. Eh bien, au cours de cette année, nous allons pouvoir mettre un dispositif : vous préviendrez La Poste en lui donnant tout ce qu’il y a à faire et c’est La Poste qui fera suivre en quelque sorte. Une seule démarche sans frais et tout le dispositif.
A. Ardisson : Ce sera opérationnel à partir de quand ?
D. Perben : En cours d’année, nous voyons cela avec F. Fillon mais les accords sont donnés. La Poste est tout à fait allante sur ce projet et donc, d’ici quelques semaines, le système sera opérationnel. Voilà des exemples très concrets de simplification de la vie des gens.
A. Ardisson : Il y a aussi des mesures qui concernent les entreprises comme la création d’une procédure accélérée pour les entreprises à qui l’Etat doit de l’argent. Beaucoup sont intéressées mais comment y croire, depuis le temps ?
D. Perben : Pour y croire, il faudra que ça se fasse. Cela fait partie de ces choses auxquelles on ne croit plus tant que ça n’arrive pas concrètement. Le dispositif sera en place au 1er janvier. C’est une affaire extrêmement importante, car nous savons que des entreprises ont disparu parce que l’Etat ne leur avait pas payé ses dettes alors que la dette n’était pas contestée sur le fond. Le Premier ministre voulait absolument que nous arrivions à un dispositif. Nous avons mis en place une procédure qui permettra aux préfets – pour dire les choses simplement – au bout d’une quarantaine de jours, de payer, même si les crédits n’existent pas sur le chapitre budgétaire considéré. C’est un peu technique, surtout pour le matin, mais ça veut dire concrètement que les entreprises auxquelles l’Etat doit de l’argent – l’Etat ne contestant pas le bien-fondé de cette dette – seront effectivement payés. C’est un véritable scandale qui disparaît. Ca me parait aussi important.
A. Ardisson : Ce scandale existait parce que l’administration essayait de garder l’argent plus longtemps pour elle ?
D. Perben : Non c’est plus compliqué. Ca tenait au fait que quand vous êtes ordonnateur, quand vous êtes fonctionnaire avec la possibilité d’engager des dépenses pour l’Etat, vous ne pouvez le faire que si des crédits sont inscrits sur la ligne budgétaire correspondante. Si vous le faites sans qu’il y ai d’inscription de crédit sur cette ligne, vous êtes passible de la Cour de discipline budgétaire. Ce qui est quand même un peu ennuyeux ! Donc le résultat, c’est que vous pouviez avoir une dette vis-à-vis d’une entreprise, mais si les crédits n’étaient pas là, vous ne pouviez pas payer. C’était ça l’origine de la difficulté et non pas la mauvaise volonté des uns ou des autres. Et donc nous avons trouvé le moyen de contourner cette difficulté selon un mécanisme technique qui n’a pas d’intérêt en lui-même et qui permettra, effectivement, de sortir de ce scandale.
A. Ardisson : Il y a une autre mesure qui paraît de détail mais on a beaucoup parlé de rapatriés d’Algérie avec le procès Roseau, ça concerne la régularisation des numéros de sécurité social.
D. Perben : C’était une affaire politiquement, psychologiquement et humainement délicate puisque les rapatriés d’Algérie se trouvaient avec des numéros d’immatriculation de la Sécurité sociale, comme s’ils étaient étrangers, comme s’ils étaient nés sur un territoire étranger. Ce qu’ils vivaient extrêmement mal. R. Romani a donc souhaité mettre en place un dispositif qui leur permettra de se voir attribuer un numéro de Sécurité sociale classique, métropolitain, sans difficulté alors que jusque-là, c’était considéré comme une affaire impossible. Vous voyez, l’impossible n’est pas français.
A. Ardisson : Il reste quand même l’essentiel des mesures que vous avez proposé et qui concernent la déconcentration des services centraux. C’est-à-dire mettre au regard des services décentralisés, les régions, les départements, des fonctionnaires responsables.
D. Perben : Au-delà de l’aspect simplification, il y a la transformation du fonctionnement de l’administration. D’un mot, pourquoi ? Le sens est important. Nous sommes convaincus – et c’est ce que J. Chirac a dit en particulier lors d’un voyage dans le Pas-de-Calais – que ce pays est très riche de capacité d’initiative, de changement, du mouvement. Quand on observe les choses à la base, au niveau des entreprises, petites et moyennes, au niveau des élus locaux, au niveau du milieu associatif, on s’aperçoit que ce pays est riche de mouvements, d’initiatives, d’innovations dans tous les domaines. Or l’administration de l’Etat n’est pas aujourd’hui, compte tenu de son fonctionnement, capable de transformer ce changement, ces forces de mouvement en quelque chose de positif ; au contraire, elle freine. En déconcentrant, c’est-à-dire en donnant la responsabilité aux fonctionnaires sur le terrain, nous sommes convaincus d’accompagner le changement.
A. Ardisson : Est-ce que ça veut dire que pour autant, il y aura moins de fonctionnaires à Paris ?
D. Perben : Tout à fait, nous avons mis en route et les choses sont en train de se boucler. J’ai les propositions de tous mes collègues à l’heure actuelle et je ferai les propositions au Premier ministre dans le mois de janvier. Nous avons décidé de réduire de 10 % les effectifs des ministères à Paris et de transférer ces moyens sur les services déconcentrés qui auront beaucoup de responsabilité et qui deviendront l’échelon normal d’administration à l’égard des Français. Je viens de transmettre au Conseil d’Etat un décret extrêmement général qui pose comme principe que les décisions individuelles de l’administration devront être prises dans les départements et à Paris.