Déclaration de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, sur le pacte de stabilité entre les collectivités locales et l'Etat et sur la maîtrise des dépenses publiques et des prélèvements locaux, Paris le 21 novembre 1996.

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Circonstance : 79ème congrès de l'Association des maires de France (AMF) du 18 au 21 novembre 1996 à Paris

Texte intégral

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs les maires,

Je suis heureux de vous saluer à l’occasion de votre congrès. Vous êtes venus nombreux pour confronter vos expériences, exposer vos satisfactions et vos difficultés, exprimer vos attentes.

Les communes, au même titre que l’État, doivent aujourd’hui s’adapter aux circonstances nouvelles et faire face aux exigences de la réforme.

Pendant de nombreuses années, les pouvoirs publics ont accrédité l’idée qu’ils pouvaient satisfaire toutes les demandes sans trop se préoccuper de leur financement global. En quinze ans, le pourcentage des dépenses publiques par rapport au produit intérieur brut est passé de 46 % à près de 55 %.

Dans le même temps, le poids des prélèvements obligatoires n’a cessé de progresser, passant de 42 % à près de 45 % générant ainsi un déficit global alarmant. Corrélativement l’endettement public a pris des proportions préoccupantes.

Pouvions-nous continuer ainsi ? À l’évidence non.

Je voudrais revenir un instant sur la situation des finances de l’État. Pour mieux en rendre compte, j’ai choisi de présenter désormais le budget comme vous le faites dans vos communes, en distinguant bien les recettes et les dépenses de fonctionnement de celles qui relèvent de l’investissement. Cet exercice nous a livré deux enseignements :
     - le premier est que le déficit de fonctionnement en 1996, s’élève à 109 milliards de francs, c’est-à-dire que l’on doit emprunter pour faire face à une partie des charges courantes, des frais de personnel, des pensions, des intérêts de la dette ;
     - le second enseignement est que les ressources courantes, au niveau de déficit que je viens d’indiquer, ne couvrent en aucune façon les besoins de remboursement des emprunts conclus antérieurement, venant à échéance dans l’année. Dans ces conditions, les emprunts sont remboursés par la souscription de nouveaux emprunts.

Il fallait mettre un terme à cette dérive. Le projet de loi de finances en cours d’examen devant le Parlement va dans ce sens, en répondant à trois objectifs essentiels :
     - maîtriser l’évolution des dépenses publiques ;
     - réduire le déficit ;
     - alléger l’impôt.

Ainsi, nous redonnons des marges de liberté à nos concitoyens, notamment à ceux qui travaillent, aux salariés, aux travailleurs indépendants, à ceux qui entreprennent et qui investissent. C’est à ce prix que nous fortifions la croissance et les chances de créer des emplois.

Tel est le cadre du pacte de stabilité entre les collectivités locales et l’État. En dépit du recul global des crédits, en francs constants, nous avons pu maintenir la progression des transferts entre l’État et les collectivités locales. C’est naturellement par un effort commun que nous réussirons et nous devons veiller à ne pas opposer l’État et les collectivités locales.

L’un des premiers effets mesurables de cette orientation, c’est la baisse sans précédent des taux d’intérêt. Dès 1997, elle entraînera pour l’ensemble des collectivités locales, une économie nette de l’ordre de 6,5 milliards.

La mission des gestionnaires publics n’a jamais été aussi délicate à accomplir. Nos concitoyens expriment des demandes en matière de services, de sécurité et de solidarité, mais contestent le poids de l’impôt.

Nous devons surmonter ce conflit et nous mobiliser pour faire reculer l’impôt.

D’abord parce que trop d’impôt tue l’impôt. Atteignant des niveaux excessifs, il neutralise les marges de liberté et tue l’initiative. En outre, dans une économie qui se globalise, qui s’internationalise, la fiscalité, lorsqu’elle est trop lourde, encourage la délocalisation d’activités, le déplacement des assiettes fiscales. On voit bien que de telles tendances hypothèqueraient l’avenir si elles n’étaient pas corrigées.

Ainsi donc, la fiscalité doit être équitable dans ses modalités de répartition des contributions, elle doit en outre rendre notre pays globalement compétitif.

Alléger le poids des impôts est aujourd’hui le meilleur service que nous puissions rendre à nos concitoyens et à l’économie de notre pays. Cet allégement doit, bien sûr, reposer sur des réductions de dépenses, et non pas sur des déficits supplémentaires : c’est une nécessité pour qu’il soit durable.

L’État a ouvert la voie. Conformément aux orientations du Premier ministre, j’ai mis en chantier cet été, une réforme de l’impôt sur le revenu. Elle a été inscrite dans le projet de loi de finances pour 1997, voté hier par l’Assemblée nationale, et qui sera soumis dès cet après-midi au Sénat.

L’impôt sur le revenu baisse d’un quart. C’est pour tous les contribuables, 75 Mds de francs d’impôt en moins. Cette baisse est programmée sur cinq ans. Mais elle sera inscrite dans la loi, et donc de droit, dès le vote de cette loi de finances. Pour la première année, c’est-à-dire pour l’impôt sur les revenus perçus en 1996, la baisse est d’ores et déjà de 25 Mds de francs.

Nous avons donc tiré, dans le domaine des impôts d’État, les conséquences d’un diagnostic qui s’imposait à tous depuis des années : le poids excessif de notre impôt sur le revenu, particulièrement sur les revenus d’activité qui représentent plus des trois quarts de son assiette, menaçait d’étouffer notre économie.

Nous ne devons pas en rester là.

Par son poids global, par le nombre de foyers qu’elle concerne, la fiscalité locale occupe une place aussi importante, voire plus grande, que la fiscalité d’État pour les contribuables.

La maîtrise des prélèvements locaux doit maintenant être une priorité des responsables nationaux et locaux.

Ces prélèvements sont élevés. La fiscalité directe locale, pour m’en tenir aux « quatre vieilles » (TH, TFB, TFNB, TP), représente près de 4,5 % de la richesse nationale : c’est, en 1996, un montant de 339 Mds de francs, soit sensiblement plus que l’impôt sur le revenu.

Ces impôts ont très fortement crû puisque leur augmentation a été de 50 % en francs courants entre 1990 et 1996.

Dans ce total, les communes et leurs groupements, que vous représentez, occupent, de très loin, la première place puisqu’ils ont perçu en 1995, 189 Mds de francs, la part des départements dans la fiscalité directe locale s’élevant à 74 Mds de francs et celle des régions à 22 Mds de francs.

Je suis sûr que vous ressentez comme moi, quotidiennement cet impératif de la maîtrise de l’impôt local : une attente qui s’exprime chez les particuliers, notamment lorsqu’ayant perdu le bénéfice du plafonnement de la taxe d’habitation en fonction du revenu, ils ressentent directement le niveau élevé de l’impôt local. Nous l’entendons aussi monter des entreprises pour qui la taxe professionnelle constitue maintenant une charge bien supérieure à l’impôt sur les sociétés.

Devant vous, praticiens de la gestion locale et confrontés aux réalités du terrain, je me garderai d’incantations qui vous paraîtraient, à juste titre, aussi vaines que déplacées.

Je voudrais simplement vous adresser trois messages.

1. N’attendons pas pour freiner le poids de l’impôt local d’hypothétiques réformes miracles.

Bien sûr, je m’attache à améliorer le système fiscal dans son ensemble et notamment la fiscalité locale. À titre d’exemple, le conseil des impôts poursuit en ce moment une étude sur la taxe professionnelle dont j’entends bien tirer les conséquences, si des propositions intéressantes s’en dégagent.

Dans ce contexte, je voudrais vous lancer un appel, M. le président, Mesdames et Messieurs les maires. Depuis près de vingt ans, la taxe professionnelle c’est, comme on dit, un sujet qui fâche. Il altère les bonnes relations entre les élus et les chefs d’entreprises. De nombreux textes législatifs sont venus corriger les effets les plus contestables au risque d’en susciter d’autres.

Les dispositions sont devenues si complexes et les masses financières si déterminantes que se profile un risque d’enlisement. Je souhaite donc vous convier à une réflexion commune afin d’explorer les voies de la réforme et de statuer sur ce qui est possible, ce qui est faisable.

Nous avons le devoir d’éclairer notre chemin. L’année qui vient devrait nous permettre de formuler des propositions. Je vous propose donc de constituer un groupe de travail.

Mais je ne crois pas aux grandes réformes d’assiette qui permettraient, d’un coup de baguette magique, de rendre l’impôt indolore sans en réduire pour autant le rendement.

Cessons également d’imaginer des mécanismes de plafonnement de toute sorte. Nous avons aujourd’hui la démonstration, tant en matière de taxe d’habitation que de taxe professionnelle, que ces dispositifs brouillent la compréhension de l’impôt et déresponsabilisent les décideurs.

L’État a pris en charge, au fil des années, par le biais des compensations, une part de plus en plus importante de la fiscalité directe locale. Alors qu’en 1990, le montant des dégrèvements ou des compensations d’exonérations, y compris les admissions en non-valeur, atteignaient 44 milliards de francs, il s’est élevé en 1995 à 71 milliards de francs.

L’État est donc de plus en plus le premier contribuable local. C’est ce que j’appelle la confusion des genres.

2. Il faut donc maintenant s’attaquer aux taux des impôts dont nous, élus locaux, avons la maîtrise. Il faut le faire par des mesures visibles. Les Français ont besoin d’un signal fort sur ce point.

3. Dans cet effort, qui est difficile, je le sais, le ministre de l’économie et des finances est prêt à vous aider. J’entends le faire sur trois points en particulier :

a) J’insisterais tout d’abord sur la transparence des règles du jeu. C’est dans cet esprit que nous avons conclu le pacte de stabilité.

Plus récemment, le gouvernement, vous le savez, avait envisagé de modifier les règles de compensation de la réduction pour embauche et investissement, la REI, à l’occasion du projet de loi de finances pour 1997.

Cette modification a été jugée trop complexe et n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale. Le gouvernement en a pris acte et je voulais vous indiquer qu’il n’avait pas l’intention de réintroduire cette disposition à l’occasion du débat au Sénat. Je crois pouvoir dire qu’il s’y serait opposé en sa qualité de grand conseil des communes de France.

b) On ne peut pas, en second lieu, demander aux collectivités locales de maîtriser leurs taux et dans le même temps affaiblir l’assiette des impôts qu’elles prélèvent.

Il nous faut à cet égard, mener un effort de cohérence et d’honnêteté.

Cet effort trouve à se manifester sur deux points :
     - d’abord, le gouvernement vient d’accepter la revalorisation de 1 % des bases foncières des impôts locaux ;
     - je place sur le même plan la révision des valeurs cadastrales que le gouvernement entend poursuivre. Un projet de loi sera déposé au début de l’an prochain. Il tiendra compte des suggestions du comité des finances locales, qui a émis en juillet 1996 un avis favorable à cette révision.

Compte tenu des contraintes législatives et techniques, notamment informatiques, cette révision ne pourra s’appliquer avant 1999.

c) J’entends également vous aider à éviter que les collectivités locales ne se voient infliger de nouvelles charges, du fait de décisions prises par d’autres autorités.

À cet égard, nous devons contenir l’inflation normative. À chaque fois que de nouveaux standards sont promulgués, nous générons des charges nouvelles. Cette évolution n’est plus supportable compte tenu des moyens financiers dont nous disposons.

C’est en agissant de la sorte, dans la concertation, que nous pourrons œuvrer ensemble à une fiscalité locale plus juste et économiquement plus neutre, sans mettre en péril les ressources des collectivités.

Pour conclure, je voudrais vous faire partager ma conviction. Sans se départir de ses missions, l’État doit dépenser mieux. Il n’y parviendra qu’en déconcentrant aussi largement que possible son action.

Nous devons faire preuve de pragmatisme et rechercher tous les partenariats imaginables entre l’État et les collectivités locales. Ce constat doit, bien sûr, exclure tout transfert masqué de charges. La transparence et la clarté sont de bons atouts pour progresser ensemble en pleine confiance.

Je voudrais rendre hommage à votre action, à votre courage et à votre ténacité. Votre présence sur l’ensemble du territoire et votre dévouement sont les meilleurs remparts contre le centralisme et l’opacité.

La gestion locale est une gestion responsable. Elle ne laisse place ni au laxisme, ni au gâchis. Oui, Mesdames et Messieurs les maires, votre gestion constitue le meilleur et le plus sur contrôle du bon usage des fonds publics.

Je vous remercie de votre attention.