Texte intégral
RMC le lundi 9 mars 1998
RMC : Hier, c’était la journée de la femme. Seriez-vous pour l’introduction dans la Constitution de la parité hommes-femmes ?
Élisabeth Guigou : Oui. Il faudrait introduire cet objectif pour être sûr qu’elle puisse être appliquée ensuite selon des modalités qui restent à déterminer par tous les partis politiques. J’ai fait dans le Vaucluse une liste entièrement paritaire : sept hommes, sept femmes.
RMC : Les avocats de Roland Dumas estiment que Roland Dumas est dans cette affaire jugé par l’opinion avant même d’avoir été entendu par les juges. Est-ce que la présomption d’innocence a été respectée ?
Élisabeth Guigou : À l’évidence, non, puisqu’on a même pu titrer « L’affaire Dumas. » Non, la présomption d’innocence n’a pas été respectée. Je rappelle à cet égard que même si Monsieur Dumas était mis en examen le 18 mars, il resterait présumé innocent. C’est cela, notre droit.
RMC : Est-ce que de cette affaire, vous allez tirer des conclusions, c’est-à-dire faire en sorte que ce type d’affaire ne puisse plus se reproduire pour aucun justiciable éventuel en France ? Est-ce que cette affaire va vous servir à l’avenir ?
Élisabeth Guigou : Personne n’est au-dessus des lois. Chaque justiciable doit être traité de la même façon, ni plus, ni moins. J’écoute beaucoup de justiciables ; on me signale ce qui ne va pas – ce qui ne veut pas dire que tout ne va pas bien, ce n’est pas vrai : sur la masse des affaires jugées en France, heureusement, les juges font preuve à la fois d’une compétence et d’un dévouement exceptionnels. Mais justement, il faudrait essayer de faire en sorte que ça aille mieux et que les dérives puissent ne plus exister. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on peut davantage protéger la présomption d’innocence – cela me paraît indispensable – ; comment on peut traiter les témoins comme des témoins, et non comme des coupables ; comment on peut faire en sorte d’éviter que la détention provisoire soit utilisée comme un moyen de pression, ce qui n’est pas toujours le cas naturellement, mais qui se produit quelquefois. Dans ma réforme de la justice, il y aura plusieurs – c’est prévu d’ailleurs depuis longtemps, depuis le début, depuis plusieurs mois – dispositions en ce sens.
RMC : Si Monsieur Dumas était mis en examen, donc présumé innocent, cela veut dire qu’il peut rester président du Conseil constitutionnel ?
Élisabeth Guigou : Là-dessus, c’est autre chose. C’est au président du Conseil constitutionnel et aux membres du Conseil constitutionnel qu’il revient d’apprécier cela. Rien dans mes fonctions ne m’autorise à porter un jugement sur cette question.
RMC : Le président du Conseil constitutionnel pense que les faits qui lui sont reprochés par le juge concernent la période pendant laquelle il était ministre et que ce n’est donc pas à la justice de s’occuper de lui, mais à la Cour de justice de la République.
Élisabeth Guigou : La règle est que pour des crimes ou des délits – c’est l’article 68 de la Constitution – qui auraient pu être commis par quelqu’un en qualité de ministre, cette personne est jugée par la Cour de justice de la République. Si cette même personne, étant ministre, a commis des crimes ou délits qui ne sont pas liés à son activité de ministre, à ce moment-là, elle est jugée par des tribunaux ordinaires. Donc, la question qui pourrait se poser – mais tout cela est au conditionnel – est de savoir si les faits qui pourraient être reprochés le cas échéant à Monsieur Dumas – je mets tout cela au conditionnel, parce que rien, absolument rien n’est avéré aujourd’hui – tomberaient dans la compétence de la Cour de justice de la République, dans le cas où ce seraient des faits liés à la fonction de ministre, ou pas. Ça, ce sont les juges d’instruction qui peuvent l’apprécier. Si les juges d’instruction estiment que les faits qu’ils ont à reprocher sont du ressort de l’activité de ministre, à ce moment-là, elles demanderont certainement à être dessaisies.
RMC : Dans la réforme de la justice que vous évoquiez juste avant, vous instaurerez un juge des libertés, c’est-à-dire que le juge d’instruction serait dessaisi de la possibilité de mettre quelqu’un en état de détention.
Élisabeth Guigou : Le juge d’instruction n’aura plus la compétence, après ma réforme, de mettre les personnes en détention. Ce sera un juge qui sera chargé de cela, qui aura une fonction importante au sein du tribunal, de façon à ce que l’on soit sûr que le contrôle des libertés soit réalisé. Ce sera le président ou le vice-président du tribunal, vraisemblablement.
RMC : On avait cru comprendre, après les déclarations du président de la République, que le lien entre la Chancellerie et le parquet serait distendu. Or, on n’a pas l’impression que ce soit le cas, que le parquet sera toujours bien lié à la Chancellerie.
Élisabeth Guigou : Il y a deux choses. Il n’y aura plus d’instructions du garde des sceaux dans les affaires individuelles, particulières. D’ailleurs, il n’y en a plus depuis que je suis là, pour ne plus dévier le cours de la justice, pour qu’il ne puisse plus y avoir manipulation de la justice. En revanche, le Gouvernement et le garde des sceaux sont responsables, d’après la Constitution, de conduire la politique du Gouvernement et donc la politique judiciaire, en ce qui me concerne. Par conséquent, là, sous forme d’instructions générales, applicables sur tout le territoire, ne serait-ce que pour préserver l’égalité de chacun devant la justice – bien entendu –, il y aura des instructions du garde des sceaux au parquet. D’autre part, dans le cas où ces instructions générales ne seraient pas appliquées, le garde des sceaux conservera un droit d’action propre. Mais ce sera un droit d’action directement devant les tribunaux, non plus par l’intermédiaire du parquet, de façon à ce que ça se fasse en toute transparence. À ce moment-là, le garde des sceaux engagera, mais au vu et au su de tout le monde, sa responsabilité s’il intervient, par exemple, si un procureur classe une affaire alors que ça paraît injustifié, ou bien si un tribunal prend une décision contre laquelle le garde des sceaux estime devoir faire appel ou engager un recours en cassation.
RMC : Vous allez rencontrer le président de la République après-demain à propos de ce projet de loi.
Élisabeth Guigou : Avec le Premier ministre, oui.
RMC : Partage-t-il le sens de votre projet ?
Élisabeth Guigou : Je n’ai pas à faire des suppositions. Tout ce que je sais, c’est que jusqu’ici, aussi bien lorsque j’ai présenté ma réforme le 29 octobre que par la suite, le président de la République a porté des appréciations positives.
RMC : Vous êtes tête de liste aux élections régionales dans le Vaucluse. Est-ce que la gauche s’est donné tous les moyens de gagner dans cette région difficile qu’est la région PACA en laissant se faire une liste dissidente à l’intérieur du Parti socialiste ?
Élisabeth Guigou : Il aurait mieux valu que ces listes dissidentes n’existent pas, c’est clair ! Mais enfin, il n’a pas été possible de l’empêcher, quels que soient les efforts que nous avons pu faire les uns et les autres. Maintenant, c’est comme ça.
RMC : Cela peut-il vous coûter la victoire ?
Élisabeth Guigou : La présidence de région, je ne pense pas, parce que les personnes qui seront élues sous la bannière de Lucien Weygand voteront pour Michel Vauzelle comme président de région.
RMC : Vous êtes candidate dans la région où le Front national est le plus fort. Pensez-vous qu’un arrangement soit possible entre la droite et l’extrême droite dans la région PACA pour empêcher la gauche d’être à la tête de la région ?
Élisabeth Guigou : C’est un risque. Je ne mets pas en doute la bonne foi de Jean-Claude Gaudin et de François Léotard lorsqu’ils disent qu’ils ne feront pas alliance avec le Front national. Le problème, c’est qu’ils ne se portent pas garants – parce que je pense qu’ils ne le peuvent pas – des gens qui seront élus avec eux. Aucun des leaders de droite, que ce soit Philippe Séguin ou François Léotard, ne peut se porter garant pour les gens qui sont avec eux. La tentation d’alliances avec le Front national est très forte : il y a depuis longtemps, en particulier dans notre région, mais pas seulement, une vraie connivence, une complicité que l’on voit tous les jours sur le terrain ; souvent, les élus RPR et UDF défendent les mêmes thèses et les mêmes thèmes que le Front national. On l’a vu au moment du débat sur la nationalité et sur l’immigration à la tribune de l’Assemblée nationale.
RMC : Dimanche prochain, ce sera un vote régional ou national ?
Élisabeth Guigou : Les deux. Les électeurs se détermineront à la fois en fonction de la situation nationale et en fonction de ce qu’ils souhaitent pour leur région. Je le vois très clairement. Je pense que la situation nationale crée pour nous un bon climat, je le sens. Mais en même temps, ils votent parce qu’ils veulent qu’il y ait à la tête des régions des gens qui fassent quelque chose, qui ne se contentent pas d’occuper des places, mais qui aient un projet. C’est ce que nous essayons de faire.
L’Événement du jeudi le 12 mars 1998
EDJ : Vous êtes tête de liste aux élections régionales dans le Vaucluse. Vous arrive-t-il de cauchemarder sur la victoire de Jean-Marie Le Pen en PACA ?
Élisabeth Guigou : Jean-Marie Le Pen ne sera jamais président de PACA. À moins que la droite ne fasse alliance avec lui. Pour elle, ce serait le baiser mortel.
EDJ : Que faites-vous si vous n’avez pas une majorité pour gouverner la région ?
Élisabeth Guigou : Si nous n’arrivons pas en tête, nous ne présenterons pas de candidat à la présidence de la région. Cela pour éviter de mettre le Front national en situation d’arbitre. Ensuite se pose la question de la gestion de la région si nous n’avons qu’une majorité relative. Il faudra bien négocier le budget avec la droite, comme Jean-Claude Gaudin l’a fait jusqu’ici avec nous.
EDJ : Pendant les régionales de 1992, Bernard Tapie vous avait incitée à poser devant les photographes au milieu de petites culottes. Chronique d’un machisme ordinaire ?
Élisabeth Guigou : Ce jour-là, Bernard Tapie s’est comporté avec muflerie et vulgarité. Il a incarné, à un moment donné, une mode de la politique spectacle qui n’a heureusement plus cours aujourd’hui.
EDJ : L’Élysée vous met des bâtons dans les roues sur la réforme de la justice. Irez-vous jusqu’au bout ?
Élisabeth Guigou : Cette réforme se fera même s’il ne fait aucun doute qu’il y a des petits tacticiens dans l’entourage de Jacques Chirac qui se disent : « On ne va pas leur rendre les choses plus faciles. »
EDJ : À gauche, Michel Charasse, Henri Emmanuelli, mais aussi Michel Vauzelle et Robert Badinter ne souhaitent pas l’indépendance du parquet, prévue par votre texte. Ce dernier explique que vous allez « désarmer l’État ».
Élisabeth Guigou : Les réactions de Michel Charasse et de Michel Vauzelle sont différentes. Le premier a un contentieux avec les juges. Quant à Michel Vauzelle, il s’est exprimé pour l’instant mezza voce. J’aimerais bien qu’il argumente un peu plus. Je me suis expliquée avec Robert Badinter car il a activement participé au débat au Sénat. Cette réforme est indispensable pour redonner aux Français confiance en la justice. Pierre Méhaignerie avait fait un premier pas dans la voie de la vertu. Il avait modifié le code de procédure pénale pour indiquer que « désormais, les instructions individuelles ne pourront plus être qu’écrites et versées au dossier ». Le problème, c’est qu’entre Méhaignerie et moi il y a eu un garde des sceaux qui a fait passer des instructions par téléphone… Il s’agit de supprimer toute instruction dans des affaires individuelles, et uniquement dans celles-ci. En revanche, la réforme que je propose prévoit de renforcer le lien entre le parquet et la chancellerie pour tout ce qui touche aux orientations de politique pénale. Le garde des sceaux aura un droit d’action propre auprès des tribunaux – ce qui n’existe pas actuellement – pour engager des poursuites ou exercer des voies de recours lorsqu’il s’agira d’une affaire d’importance nationale ou de l’application de ses directives de politique générale. Mais cela se fera dans la transparence. Le garde des sceaux saisira directement le tribunal sans donner d’instructions aux procureurs. L’État n’est pas désarmé. C’est tout le contraire. Par ailleurs, ma réforme renforce les recours des citoyens face à la justice. Une personne qui estime qu’un classement sans suite est injustifié pourra introduire un recours devant une commission placée auprès de plusieurs cours d’appel.
EDJ : Robert De Niro vous a rencontrée. Que vous a-t-il demandé ?
Élisabeth Guigou : J’ai croisé Robert De Niro, il y a deux semaines environ. Je l’ai écouté comme n’importe quel justiciable qui me parle de la justice.
EDJ : Il vous a demandé d’intervenir ?
Élisabeth Guigou : Non, pas du tout. Je l’ai écouté. Mon rôle n’est pas d’intervenir dans les affaires particulières.
EDJ : Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part du juge N’Guyen ?
Élisabeth Guigou : Je ne commente jamais les affaires en cours. Je rappelle simplement que le juge enquête sur un réseau de prostitution internationale avec des violences sur des jeunes filles mineures. Il est légitime qu’il entende celles et ceux qui peuvent faire progresser son instruction. Même s’il est un des plus grands acteurs du monde, Robert De Niro est en France un justiciable comme un autre.
EDJ : Le gouvernement semble hésiter à propos de la réforme de l’union libre. Verra-t-elle le jour ?
Élisabeth Guigou : Contrat d’union sociale ou pacte d’intérêt commun : quel que soit le nom que nous lui donnerons, nous avons pris l’engagement de créer un cadre qui permette aux personnes vivant en couple homosexuel ou hétérosexuel de ne plus se trouver dans des situations matérielles aberrantes en cas de rupture, de décès. Mais il n’est absolument pas question qu’il y ait des assimilations avec le mariage et des droits en matière de filiation.
EDJ : Les couples concubins n’auront donc pas les mêmes droits fiscaux que les couples mariés ?
Élisabeth Guigou : Non. Si l’on veut avoir les mêmes droits, on se marie. Je ne ferai rien pour fragiliser le mariage. Il reste encore dans notre société le symbole le plus fort d’un couple durable. Pour les enfants, c’est très important. Je ne dis pas pour autant que le mariage soit la garantie des couples stables. Mais j’estime qu’il faut laisser le choix à chacun.
EDJ : Peut-on avoir un engagement de votre part sur un calendrier ?
Élisabeth Guigou : Pour moi, le droit de la famille, c’est l’affaire de l’année 1999.