Texte intégral
La Tribune. – Près de trois ans après le lancement de l'expérimentation dans cette région, quel bilan peut-on faire de la régionalisation ?
Jean-Claude Gayssot. – À partir des premiers éléments dont on dispose, on peut d'ores et déjà dire qu'elle est positive. Je n'ai pas encore les chiffres pour l'année 1999 mais, concernant 1998, les sept régions expérimentales ont enregistré une hausse de 1,5 % par rapport au trafic global moyen, toute régions confondues. Plus intéressant encore, les élus, les usagers et les cheminots ont tous une appréciation positive sur la décentralisation.
La Tribune. – Certaines régions s'inquiètent cependant du coût de la régionalisation.
Le coût des services régionaux dans les comptes de la SNCF est de l'ordre de 6,2 milliards de francs dont un peu plus de 3 milliards pour les sept régions expérimentales. Évidemment la question que se posent les régions porte sur la clarification financière. Dans la mesure où la décentralisation favorise un transfert de compétences, c'est-à-dire donner aux régions le pouvoir de devenir des autorités organisatrices des transports régionaux de voyageurs, elle s'accompagnera de manière concomitante d'une dotation de décentralisation de telle sorte qu'il n'y ait pas de transfert de charges.
La Tribune. – Considérez-vous que la maîtrise financière est assurée, tant en ce qui concerne le matériel roulant et l'infrastructure que le fonctionnement ?
Au regard des comptes, aujourd'hui, on peut dire qu'il existe un déficit. Mais la loi sur la décentralisation rend obligatoire le transfert de moyens correspondants aux régions. Donc, on comblera ce déficit. De plus, on ajoutera une dotation de renouvellement du matériel roulant. Les comptes de la SNCF pour l'exercice 2000 seront certifiés par les commissaires aux comptes. C'est une nouveauté. Une commission consultative d'évaluation des charges (CCEC) va d'ailleurs travailler sur la base de ces comptes pour mieux étudier la situation financière. En fonction de cela, on ajustera, si nécessaire, la dotation de décentralisation dans le collectif budgétaire de l'année 2001. Nous pourrons ainsi répondre pleinement à la demande légitime des régions sur la clarification financière.
La Tribune. – Pouvez-vous préciser quel sera le niveau du concours financier de l'État ?
D'ores et déjà, je peux dire, selon les évaluations sur le complément du déficit et le renouvellement du matériel roulant, qu'on va dépasser largement le milliard de francs.
La Tribune. – À quel rythme souhaitez-vous enclencher la généralisation de la régionalisation ?
Comme j'ai prolongé le processus d'expérimentation des sept régions jusqu'au 1er janvier 2001, je souhaite fixer la date butoir de la généralisation de la régionalisation au 1er janvier 2002. En fait, je prévois deux échéances. La première fixée au 1er janvier 2001 où les régions qui souhaitent entrer dans la régionalisation pourront se joindre aux régions expérimentées. Trois ou quatre régions de France se sont déclarés intéressées, notamment la Picardie, l'Aquitaine et Midi-Pyrénées. La régionalisation concernerait alors près de la moitié des régions. Pour les autres, la deuxième échéance est fixée au 1er janvier 2002.
La Tribune. – Quand comptez-vous présenter ce projet de décentralisation des services de transports régionaux de voyageurs au Parlement et aux régions ?
Je compte l'intégrer dans le cadre de la loi d'orientation pour des villes équilibrées et solidaires (Loves) qui sera présentée au Parlement en janvier, et vraisemblablement adoptée durant le premier semestre 2000. Parallèlement à cette loi, un premier bilan de l'expérimentation des sept régions sera réalisé, un rapport sera présenté au Parlement avant l'été 2000. Je vais aussi demander un avis du conseil supérieur du service public ferroviaire sur l'ensemble de l'expérimentation et sur les besoins de cohérence du système, notamment sur la tarification et sur les priorités accordées au trafic voyageur et fret. Enfin, je souhaite qu'une évaluation du dispositif sur la généralisation de la régionalisation soit diligentée à la fois par l'État et les régions au bout de cinq ans. Un nouveau rapport sera alors présenté au Parlement. Et s'il le faut, on ajustera encore les équilibres financiers. C'est de tout cela que je vais discuter avec les partenaires intéressés.
La Tribune. – Pensez-vous que toutes les régions souhaitent entrer dans le processus ?
Je n'ai pas eu vraiment de refus de la part des régions. Au regard de notre contrat de plan 2000-2006, le ferroviaire et le combiné (hors TGV), par rapport à ce qui a été réalisé dans le précédent contrat de plan, a été multiplié par dix. Le transport en commun en Île-de-France l'a été par près de deux. Les voies navigables par huit, la partie port et littoral (hors Port 2000) par quatre. Et les routes sont en augmentation de 30 % par rapport à ce qui a été réalisé puisqu'on va dépasser les 33 milliards de francs. Dans le ferroviaire, il se passe indiscutablement quelque chose. Et je tiens à faire avancer la question des financements européens concernant les goulets d'étranglement. Autrement dit, on veut faire converger à la fois les efforts de l'État, ceux des régions et de la Commission européenne en faveur du système de transport ferroviaire.
La Tribune. – Comment envisagez-vous le partage des responsabilités entre les régions, la SNCF, RFF et l'État ? Qu'en sera-t-il, par exemple, des financements des péages ?
L'augmentation des péages en 1999 a été entièrement compensée pour les régions. L'évaluation des comptes 2000 de la SNCF, qui seront certifiés, va nous permettre de mieux appréhender les équilibres financiers qui sont en jeu et dont font partie les péages. Si l'on décidait de multiplier par deux les péages, on ajusterait alors la dotation de décentralisation. Les régions bénéficient de cette garantie en conformité avec la loi sur la décentralisation. En revanche, plus les régions augmenteront leur offre, plus elles devront payer de péages. Ce qui est normal. La SNCF et RFF jouent déjà le jeu.
La Tribune. – Qu'est-ce qui va changer fondamentalement au niveau de l'organisation ?
En devenant l'autorité organisatrice, la région est plus à même de répondre aux besoins corégionaux qui s'expriment. Cela étant dit, des compromis devront être trouvés entre les trafics grandes lignes, trafics régionaux de voyageurs et le trafic fret. S'il y a conflit entre les différentes activités ferroviaires, un comité d'arbitrage sous ma responsabilité devra trancher en dernier recours.
La Tribune. – La question va forcément se poser avec la volonté du gouvernement de doubler le trafic fret sur le réseau classique dans les dix ans à venir...
La vraie réponse à cette difficulté qui répond à la tradition du contrat de plan État-région, c'est l'investissement. Dans les zones périurbaines souvent saturées, on va privilégier les investissements de désaturation des goulets d'étranglement.
La Tribune. – Envisagez-vous d'augmenter les péages dans cette nouvelle configuration ?
Je fais en sorte que le péage le plus conforme soit proposé, en ayant comme objectif de favoriser la circulation là où il y a encore de la place et de faire payer le coût de saturation là où la circulation est excessive. Et à l'échelle européenne, je me bats pour une harmonisation des péages sur le réseau de fret européen. J'ai demandé aussi à la commission de redéfinir le niveau du concours européen pour financer de nouvelles lignes en zone sensible comme dans les Alpes afin de pouvoir éliminer les goulets d'étranglement. Notamment dans des pays de transit comme la France qui ne peut, à elle seule, financer les infrastructures profitant aux pays périphériques. L'Europe pour l'instant ne participe qu'au financement de projets européens de lignes à grande vitesse de transport de voyageurs.