Interview de Mme Martine Aubry, membre du bureau national du PS, à RTL le 10 octobre 1996, sur l'avant-projet de loi sur l'immigration, l'évolution des dépenses de santé, et les relations entre le gouvernement et les mouvements nationalistes en Corse.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

M. Cotta : Deux projets de loi à l’ordre du jour, qui vous concernent est vous intéressent. L’immigration, d’abord : les lois Pasqua vont être aménagées. Dix articles dans le but de rendre plus difficiles les certificats d’hébergement. Ces mesures répressives s’imposaient-elles ?

M. Aubry : Il faut dire deux choses : dans ce projet de loi, on voit que les sans-papiers avaient raison puisque le Gouvernement reconnaît l’incohérence des lois Pasqua dans certaines situations, notamment les parents d’enfants français, les époux de Français, les jeunes qui sont rentrés tôt, en dehors de la disposition du regroupement familial. Ce que je regrette, c’est que le Gouvernement ait attendu cinq mois de conflit, beaucoup de désespoir, des gens qui ont mis en cause leur santé avec la violence que l’on sait, pour reconnaître que la loi Pasqua était inapplicable, était inéquitable, était incohérente. Sur ce point-là, on ne peut que se réjouir mais tout le monde l’avait dit : il n’y avait que le Gouvernement qui ne s’en rendait pas compte on qui ne voulait pas s’en rendre compte. Pour le reste, on en profite pour resserrer encore un peu les verrous autour de l’immigration dans des conditions qui, à mon avis, ne sont pas les bonnes.

Je crois que tout le monde est d’accord aujourd’hui pour dire qu’on ne peut pas ouvrir les frontières à tout-va, qu’il faut effectivement faire en sorte de maîtriser les flux migratoires, mais ce qui est très important, c’est d’afficher les règles extérieures : Qui reçoit-on ? Dans quelles conditions ? Et ce, sans montrer les étrangers comme des coupables. Or là, avec le certificat d’hébergement, les hommes et les femmes qui habitent sur le territoire, français ou non, qui accepteront d’héberger les immigrés, vont être fichés, vont devoir aller à la police pour prévenir quand la personne hébergée va bouger : vraiment, dans un pays démocratique, doit-on faire un fichier des personnes qui acceptent d’héberger des personnes qui, pour beaucoup, viennent essentiellement en vacances on en séjour ? Deuxièmement, et ça, ça m’inquiète beaucoup : on repousse le pouvoir du juge. Le Gouvernement n’a pas accepté que le juge annule un certain nombre de dispositions d’expulsion pour les sans-papiers de Saint-Bernard parce que le Gouvernement n’avait pas respecté la loi. Or, nous sommes dans un pays de droit. Par exemple, les avocats n’avaient pas pu venir. On avait expulsé des gens qui rentraient dans les conditions de la régularisation. Là, on repousse le pouvoir du juge.

M. Cotta : Ils interviendront au bout de 48 heures, et non de 24.

M. Aubry : Oui. Cela permet effectivement d’expulser avant que le juge ne puisse intervenir. Ça ne me paraît pas sain. Je crois que, pour qu’une loi soit bien appliquée, il faut que les critères soient clairs, transparents, contrôlés pin le juge. Un pays de droit, c’est on Parlement qui vote les lois et c’est la justice qui peut les contrôler. Tout ce qui limite le pouvoir de la justice est anti-démocratique.

M. Cotta : Deuxième projet de loi, celui pour contrôler le financement de la sécurité sociale. Il a été adopté hier en conseil des ministres. Les dépenses ne doivent pas progresser de plus de 1,7 % en 1997. Est-ce une bonne ou mauvaise chose ? Partagez-vous ce point de vue ?

M. Aubry : Je pense qu’on ne réglera pas le problème de la sécurité sociale – c’est d’ailleurs ce que la gauche et les Français qui étaient dans la rue ont dit au Gouvernement en décembre dernier – par une simple vision comptable. Alors, afficher des chiffres, c’est très bien : ça donne l’impression qu’on est extrêmement volontariste. Mais si on ne donne pas les moyens aux professions, aux Français, aux hôpitaux de limiter les dépenses, ça ne sert à rien. Or c’est, aujourd’hui, exactement ce qui est en train de se passer. D’ailleurs, le Gouvernement a échoué : vous savez qu’on nous avait prévu 16 milliards de déficit en 1996 : on en a 52. L’équilibre était prévu en 1997 : on en aura 47 qu’on essaie de ramener à 30. Le Gouvernement n’a qu’une vision comptable de la sécurité sociale, comme d’ailleurs de l’ensemble de notre société aujourd’hui. Ce qui conviendrait, c’est un grand débat national pour maîtriser les dépenses de santé, pour un meilleur accès aux soins, pour discuter avec les médecins. Les médecins sont des gens responsables.

M. Cotta : On ne peut pas dire que les concertations n’ont pas eu lieu, depuis un an.

M. Aubry : Je regrette, moi aussi, que la profession médicale, contrairement à ce qui se passe à l’étranger, ne se soit pas mieux organisée précédemment. Mais aujourd’hui, on fait pression, on donne des obligations mais on ne leur donne pas les moyens. Je trouve que le processus de discussion que la CNAM a lancé avec les médecins est un bon processus. Les médecins sont responsables. Ils savent très bien qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Laissons-les négocier avec la CNAM. Donnons les moyens au président de la CNAM – non pas, comme vient de le faire le Gouvernement, en revenant en arrière sur des propositions, notamment sur les horaires de nuit. Peut-être ne faut-il pas le faire, mais laissons-les négocier.

M. Cotta : Vous parlez des horaires de nuit : la CNAM proposait une limitation des horaires de nuit majorés pour les médecins. Devant les protestations des médecins, le Premier ministre a reculé. Quel est votre commentaire ? C’est la CFDT, qui dirige la CNAM, qui demande maintenant des économies et le Gouvernement est réticent ?

M. Aubry : La CFDT a le courage d’essayer de prendre le problème de front et de vouloir négocier. Le Gouvernement, que fait-il ? Des discours fermes, pression sur les gens en mettant des pourcentages d’augmentation ; et puis, dès que ça crie un peu, il recule. Décidément, le Gouvernement ne sait pas faire les changements dons notre pays. Il faut un vrai débat public. Il faut prendre les gens au sérieux. Il faut négocier avec eux. Laissons faire la CNAM. Les médecins sont responsables. Ils savent qu’on est aujourd’hui au bout du bout. Laissons-les négocier.

M. Cotta : On s’est quand même heurté depuis des années à une dérive. Donc, tout le monde n’est pas aussi responsable que ça.

M. Aubry : Encore une fois, je regrette qu’on n’ait pas pris ces mesures avant et que la profession médicale ne se soit pas organisée. Mais maintenant, je pense que ce n’est pas par une simple vision comptable qu’on le fera : c’est en donnant chacun les moyens de véritablement maîtriser les dépenses de santé et pas en faisant des oukazes, en mettant des chiffres d’augmentation dont on sait pertinemment qu’on n’a pas les moyens de les appliquer. D’ailleurs, vous voyez les chiffres cette année : c’est ce que nous avions dit et, malheureusement, nous avions raison.

M. Cotta : L’attentat contre la mairie de Bordeaux a été revendiqué par le FLNC-Canal historique. Que faire en Corse ? Dialogue ou répression ?

M. Aubry : Je pense que c’est le résultat de la politique menée par le Gouvernement qui a commencé par négocier avec une fraction des nationalistes pour la monter contre d’autres. Ceci a entraîné d’ailleurs ensuite des bagarres entre eux, y compris des meurtres et maintenant, une espèce de flou. Je trouve que, quand on ne dit pas très clairement les choses, les gens n’ont plus de repères, ils ne savent pas exactement ce que voulait le Gouvernement. Il n’y a pas vraiment de projet pour la Corse aujourd’hui. Par exemple, la zone franche : c’est très bien de mettre une zone franche mais quand il n’y a pas de climat apaisé, tant qu’on n’a pas valorisé véritablement les ressources de la Corse – et elles sont nombreuses – à quoi sert une zone franche ? Je pense que le Gouvernement n’a pas fait preuve de fermeté, a laissé des hommes cagoulés en armes la télévision, ce qui est inacceptable dans une démocratie. Il y a des choses qu’on ne fait pas. Il faut être à la fois ferme et ouvert sur le développement économique. Et ouvert sur le développement économique, ce n’est pas donner des primes aux entreprises : c’est aussi faire en sorte que la Corse soit à nouveau dans un climat apaisé qui permette aux entreprises de s’y installer.

M. Cotta : Le RPR a dit non à l’unanimité à la modification du scrutin législatif et à l’introduction d’une part de proportionnelle. Est-ce l’enterrement du projet ?

M. Aubry : Je crois. Mais de, toute façon, je n’y ai jamais cru. Donc, ça ne m’étonne pas vraiment.