Texte intégral
RMC : jeudi 5 février 1998
La CGT a dit, qu'elle était opposée à la fermeture de Superphénix. C'est aussi votre avis ?
– « Force ouvrière a une position très pro-nucléaire et nous considérons que c'est une erreur. Il faudrait laisser aller le cycle complet, si l'on veut faire de l'atome et de l'énergie atomique jusqu'au bout. Donc, avec les éléments, l'indépendance énergétique de la France, avec le fait que le nucléaire est beaucoup moins dangereux, par exemple, que les 200, 300, 400, 500 000 silicosés que j'ai connus pour ma part – dans la limite où je suis du Pas-de-Calais, en plein pays des mines, ce qui veut donc dire que tout le temps on dominait l'opération –, je crois que c'est une erreur d'arrêter le cycle, voilà c'est tout. »
Je voudrais votre appréciation sur la décision prise hier par la Cour de cassation déclarant illégales les grèves par roulements dans la fonction publique, « y compris – dit la Cour de cassation – dans le secteur des transports ».
– « Je vais lire dans le détail cette décision. Généralement ça n'a que peu d'influence sur la réalité des choses, parce que quand ça part en grève, on ne regarde pas le code, en définitive pour savoir si on répond exactement aux obligations légales. Vous savez, la grève, c'est que les gens sont mécontents, donc ils s'expriment, ils s'arrêtent de travailler. On leur dit : « Tu peux pas maintenant, il faut attendre demain matin 9 heures ». Cela est tout à fait secondaire. Si la grève doit partir l'après-midi à 17 heures ou à 16 heures pour ensuite être reconduite, eh bien elle partira. Et puis si elle part par roulements, c'est-à-dire par services successifs – et c'est d'ailleurs généralement ce qui se passe –, eh bien elle partira par services successifs. C'est une question d'organisation, je dis même d'organisation du travail. Il y a des secteurs d'activité, comme les transports par exemple, où l'on sait très bien que lorsqu'on reprend, le travail, tout le monde, ne reprend pas en même temps. Il y a des roulements de services. C'est la même chose pour déclencher la grève : elle part progressivement et non pas d'un seul coup. »
En gros, tant pis pour la loi ?
– « Pas la loi. Pour l'instant c'est une décision de justice. »
C'est la Cour de cassation.
– « Oui, c'est la Cour de cassation, c'est une décision de justice. Mais en tout cas, je suis persuadé que ça n'aura aucun effet sur les grèves dans l'éventualité où nous lancerions des mouvements de grève. »
Est-ce que FO soutenait les grèves des enseignants contre, la méthode ou les méthodes de C. Allègre ?
– « Je n'aime pas beaucoup ce genre de choses, je n'aime pas beaucoup que les expressions de mécontentement soient contre les façons de faire ou d'agir. J'aime mieux les résultats concrets. Or avec M. Allègre, il y a un problème, et nous en avons déjà je crois parlé sur cette antenne : je lui, avais demandé – au nom des organisations syndicales FO et notamment des organisations d'enseignants –, de mettre un terme à ce qu'on appelait « la cogestion entre le syndicat et le ministre », ce qui a été pratiqué pendant des années, par notamment la Fédération de l'éducation nationale. Je lui avais demandé : pour autant, il faut que vous regardiez les organisations syndicales et discutiez avec elles, dans des formes adaptées. Il m'avait dit oui. Je dois la vérité de dire que, de temps en temps, il l'oublie. Et il a une certaine tendance à décider les choses absolument tout seul et ensuite il essaye de les faire avaler par les organisations syndicales. Ça passe mal, c'est aussi simple que ça. Ça mériterait généralement des discussions, des dialogues – même si la décision n'est pas conjointe, c'est le ministre qui prend la décision –, mais il vaudrait mieux qu'il consulte, et qu'il consulte toutes les organisations syndicales, y compris Force ouvrière. »
Est-ce que ce que vous venez de dire de C. Allègre s'applique à Mme Aubry ?
– « Ça n'est pas tout à fait le même postulat. Disons que M. Allègre, je crois que c'est une question de comportement personnel. Mme Aubry serait plutôt ouverte à la consultation, même si elle est aussi déterminée. »
Consultation ou concertation ?
– « C'est un peu sémantique en ce qui concerne concertation, dialogue, ou négociation. Mais Mme Aubry serait beaucoup plus ouverte au contact avec les organisations syndicales. Seulement j'ai l'impression qu'elle court toujours après le train. C'est-à-dire qu'en définitive, elle lance les choses et après la vitesse l'emporte, et elle n'a plus le temps de nous voir. Elle a fait quelques bêtises, elle le sait d'ailleurs, je le lui ai reproché. J'ai même été, paraît-il, assez méchant et elle-même m'a dit : « C'était quand même dur ! » Par exemple, nous avons demandé, le 10 octobre, que soit revue – c'est délibérément que j'en parle – l'Allocation de solidarité, c'est-à-dire la dernière quand on n'a plus rien, et qu'on est chômeur. Vous savez le mouvement des chômeurs là, qui a monté, et qui disparaît maintenant, parce qu'il y a les élections et parce qu'il y a eu les accords qu'il fallait. Car quand même, c'est ça la vérité ! Quand on entend Mme Voynet qui dit : « Eh bien ça serait un casus belli si Mme Blandin n'était pas la tête de liste » etc., etc., moi je dis : tiens, voilà la finalité du mouvement des chômeurs. Bon, enfin. Revenons sur… »
Vous ne croyez pas que vous avez des lunettes un peu ?
– « J'ai peut-être des lunettes, c'est pour ça que je vois clair. Ceci étant, revenons à Mme Aubry : le 10 octobre, nous demandons la revalorisation et elle décide, le 18 décembre, de nous donner satisfaction – le Premier ministre avait dit qu'il était d'accord –, et elle le fait sans, discussion, sans concertation. C'est elle qui fixe le niveau, c'est l'État. Seulement on aurait pu en converser. Et elle donne 3 %, et il y avait 10 % de perte de pouvoir d'achat. Le problème vient après : les chômeurs se fâchent, ils ont raison. Et c'est toujours en suspens. Et je suis toujours demandeur, justement, d'une discussion pour qu'on essaie de modifier ça. »
Alors les 35 heures : vous êtes même allé au Parlement assister au débat sur les 35 heures qui est en cours actuellement. Et il y a cette affaire décidée par Mme Aubry le 27 janvier de la création d'un double Smic pour permettre à la loi de passer et éviter que le Smic augmente de plus de 11 % en quelques semaines, à la fin de l'année 1999. Est-ce que c'est possible que vous acceptiez ce double Smic ? Est-ce que c'est une bonne idée ?
– « Attendez. Vous me demandez : est-ce possible de l'accepter ? Je rappelle que la fixation du Smic, c'est une décision de l'État, y compris son niveau. C'est la seule intervention de l'État dans les salaires du privé, c'est une garantie. À partir du moment où il y a deux Smic, il y a antinomie, ce n'est plus une garantie. C'est aussi simple que ça. Il va y avoir un bon et un mauvais Smic. Le bon Smic ça sera le plus bas, bien entendu. L'autre, ça devient un accessoire. Et à terme, bien entendu, il disparaîtra. Ce qui veut donc dire, en termes clairs, que c'est une mauvaise opération. D'abord, parce que personne ne va s'y retrouver, ensuite parce que qu'allons-nous faire quand quelqu'un va être embauché, après justement la réduction de la durée du travail ? Est-ce qu'on va le payer à 39, à 35 ? Est-ce qu'on va payer le premier Smic, le second Smic ? Deuxièmement, affaire de circonstance : le patronat ne semble pas disposé à négocier malgré toutes les pressions qu'on peut faire pour essayer d'adapter l'application de la loi. Il faudra bien d'ailleurs qu'on fasse quelque chose. Je vous rappelle que la loi de 1936 sur les 40 heures a donné lieu à des décrets, les décrets de 37, qui sont d'ailleurs contestés ; que notamment les banquiers sont en train de foutre en l'air en dénonçant leur convention collective. Il y aura certainement des décrets sectoriels parce que c'est vrai que la loi du travail, ça ne s'applique pas partout de la même façon. Donc il y aura des négociations. En principe il faudrait qu'on négocie avec le patronat Et c'est le produit de ces négociations qui devrait être projeté en décret. »
Est-ce que le principe du double Smic est impossible ? Car c'est ça la question.
– « Mais tout est possible, on peut toujours rêver, on peut toujours faire des beaux états. Le problème c'est de savoir si c'est applicable. Et dans les faits, je considère que ça sera très difficilement applicable. Je pense même qu'il faudra réviser la question. Ce n'est pas possible de nous orienter vers ça parce que les conséquences, avec le patronat qui ne veut pas discuter, c'est qu'on n'aura plus de négociations salariales pendant « x » temps avec ce vrai et ce faux Smic. Et comme certains le disent, généralement la mauvaise monnaie chasse la bonne. Et dans le cas d'espèce, le Smic le plus bas risque de chasser justement l'autre Smic. C'est contradictoire, deux Smic, ce n'est pas possible. Puisqu'il s'agit du salaire minimum. Il y a un salaire minimum, il ne peut pas y avoir un salaire minimum à d'autres niveaux. »
Que va-t-il se passer dans le secteur des banques, en deux mots ?
– « Je crois qu'il va y avoir une mobilisation. Il est bien entendu que c'est un secteur qui donne lieu à beaucoup d'inquiétudes, y compris de la part des organisations syndicales et y compris de ma part, parce que je crois que c'est un secteur où pour faire face à la concurrence on peut risquer de grandes opérations de concentration, voire de disparition d'organismes bancaires. C'est à ce moment-là que les patrons trouvent intelligent de remettre en cause la convention collective, c'est-à-dire qu'ils mettent en turbulence, à la place de garder un minimum de stabilisation. À mon avis ça aura des conséquences, vraisemblablement quelques mouvements avant peu. »
Les Échos : 6 février 1998
Votre cheminement sur les 35 heures est étonnant : avant le 10 octobre, vous demandiez « une loi-cadre », le 10 octobre, vous vous êtes montré globalement satisfait, et maintenant vous déclarez « ne pas croire à la loi Aubry ».
Il n'y a pas de contradiction. Les 35 heures sont bien une de nos revendications, mais pas la seule. Car elles suscitent un grand nombre d'interrogations, notamment autour de la création d'emplois. Les 35 heures ne sont pas créatrices d'emplois en elles-mêmes, elles doivent être accompagnées de mesures supplémentaires : négociations pour augmenter les salaires minima, départ en préretraite des salariés ayant travaillé depuis l'âge de 14 ans… Dire qu'une diminution de 10 % du temps de travail créera automatiquement 10 %, ou même 6 % d'emplois, comme le prévoit le gouvernement, est un calcul technocratique. Prenons un grand magasin qui compte 500 vendeuses ; si vous passez à 35 heures, vous pouvez avoir besoin non pas de 30 vendeuses supplémentaires, mais de plus de vendeuses d'appoint. Il y a alors un danger : faire passer tout le monde à temps partiel, une moitié des salariés assurant 20 heures par exemple, l'autre moitié 15 heures.
Quelles garanties faudrait-il ?
Outre la loi-cadre qui définit la durée légale, il faudrait laisser une marge à la négociation de branche, et compléter la législation nationale par des décrets sectoriels, comme cela a toujours été le cas, d'ailleurs (décrets de 1937 dans la banque).
Est-ce que l'article premier de la loi, qui fixe une date butoir pour les 35 heures, fausse le jeu de la négociation ?
Non. Cet article premier était nécessaire. La durée légale n'a jamais été la même chose que la durée effective de travail. C'est pour cela que je ne comprends pas l'attitude du patronat. Si les entreprises choisissent de rester à 39 heures en l'an 2000, cela ne fera qu'accroître de 4 le nombre d'heures supplémentaires, et donc de renchérir de 2,86 % les salaires. À l'exception du Smic qui serait théoriquement renchéri de 11,4 %. Il est vrai que c'est une difficulté.
Que préconisez-vous pour régler ce problème du Smic ?
La question n'est pas facile, notamment en période de faible inflation. Ce que je sais, c'est que le Gouvernement s'y prend mal. La perspective d'un double Smic émise par Martine Aubry serait désastreuse, car ce serait le niveau le moins avantageux des deux qui finirait par l'emporter. Il faut que le Gouvernement ouvre une négociation officielle sur cette question dans les plus brefs délais.
D'où vient le blocage entre le CNPF et le Gouvernement ?
Les conditions qui environnent la baisse de la durée légale sont totalement différentes de celles de 1936 ou de 1968. Léon Blum dans le premier cas, Jacques Chirac dans le second, comme membre du gouvernement, sont intervenus sous la pression des évènements, en pleine période de grève. Le patronat n'a pu faire autrement qu'accepter.
Lionel Jospin devrait-il alors y renoncer ?
Non. Mais il est un peu tombé dans le piège. Il aurait dû faire davantage de pédagogie et aller plus vite : la conférence du 10 octobre était trop tardive.
Que préconisez-vous face au blocage du patronat : passer en force ou apporter des contreparties qui améliorent la compétitivité des entreprises ?
Quelles contreparties ? Une négociation, ça n'est pas du donnant-donnant : c'est pour un syndicat, essayer d'obtenir le plus possible. Je suis pas exemple opposé à la notion d'annualisation du temps de travail : la logique intrinsèques du calcul des horaires sur l'année, c'est d'éviter d'embaucher. Il me semble que c'est le but inverse que poursuivent les 35 heures. Au total, je me demande si l'on ne s'est pas trompé de manoeuvre : peut-être aurait-il fallu faire la semaine de quatre jours et non pas les 35 heures.
Quel mot d'ordre donnez-vous aux délégués d'entreprise ?
Nous sommes en train de rédiger un vade-mecum de la négociation sur la réduction du temps de travail. Puis nous allons organiser des réunions sur ces questions, afin d'armer nos délégués. Notre objectif n'est pas de provoquer les discussions, mais de savoir y répondre : nous ne comptons pas, comme la CFDT, nous appuyer sur les 35 heures pour organiser notre développement syndical.
Vous dites qu'il manque à cette baisse du temps de travail un contexte de crise sociale. C'est ce qu'a essayé de faire la CGT en organisant des manifestations, le 27 janvier dernier. Pourquoi ne pas l'avoir rejointe ?
L'objectif de Louis Viannet était de récupérer « ses enfants » avec le mouvement des chômeurs, pas autre chose. Pour le reste, je tente actuellement de ramener le patronat à la raison. M. Seillière est apparu encore plus dur que M. Gandois parce qu'il n'avait pas le prétexte de la colère face à un gouvernement qui l'aurait « berné ». Il faut que le président du CNPF sache qu'il a un rôle immense à jouer dans une démocratie, celui d'un vice-Premier ministre. Bloquer trop longtemps les négociations, c'est s'empêcher de jouer ce rôle. J'ai vu récemment M. Seillière et ses conseillers, et il me semble qu'il commence à prendre la mesure de cette affaire. Ce que je crois savoir, c'est que le CNPF commence à réfléchir à des succédanés de discussions.
Au niveau interprofessionnel ou dans les branches ?
Partout sans doute. Je connais des branches qui seraient très intéressées de négocier sur le départ en préretraite des personnes ayant travaillé depuis l'âge de 14 ans. Cela pourrait inciter les autres – branches et niveau interprofessionnel – à revenir dans le jeu contractuel. J'ai demandé par exemple au CNPF que des négociations soient ouvertes pour redéfinir le paritarisme. C'est en bonne voie. Il me semble que M. Seillière n'est pas obligatoirement l'homme de ses déclarations ; il est beaucoup plus nuancé.
Qui paiera ces départs en préretraite ?
Le gouvernement a déjà dit qu'il était prêt à donner 40 000 francs par départ, soit le tiers du coût total. Je fais pression actuellement sur Bercy, avec bon espoir d'obtenir satisfaction, pour que ce montant augmente. La part restante pourrait être assurée par une cotisation sur les entreprises et les salariés des secteurs intéressés.
N'est-ce pas gênant, syndicalement parlant, d'ouvrir des droits à certains salariés et pas à d'autres ?
Si. Mais si on ne peut avancer sur ce thème au niveau interprofessionnel, il faudra bien avancer sectoriellement. Et puis, cela créera un effet d'entraînement.
Vous reprochez au projet de loi sur les 35 heures de ne pas garantir la création d'emplois et, en même temps, vous poussez dans la fonction publique à ouvrir la perspective des 35 heures sans aucune garantie sur l'emploi.
C'est vrai que FO a joué un rôle central dans la négociation salariale dans la fonction publique. Notamment sur les 35 heures. Les analyses de productivité ne sont pas les mêmes. Les pompiers doivent être présents, en souhaitant qu'ils n'aient pas à intervenir. Pour l'emploi. Il faudrait bien desserrer la contrainte budgétaire.
Votre principal opposant interne, Jacques Mairé, vient de quitter FO pour l'Unsa, assurant que d'autres le suivront. À combien de départs vous attendez-vous et qu'avez-vous envie de dire à ceux qui hésitent encore ?
Il est très difficile de donner des chiffres. Pour l'instant, seul son entourage proche a rejoint Jacques Mairé. Il dit que le débat n'est pas libre à FO, qu'on y manque de tolérance : je prétends exactement le contraire. Je n'exclus d'ailleurs pas d'organiser prochainement un débat sur le mouvement syndical dans la société moderne et démocratique.
En mai, au moment où l'Unsa envisage aussi d'organiser un débat public ?
Pourquoi pas ?
La tribune : 9 février 1998
Le débat sur le projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction de la durée du travail a débuté à l'Assemblée nationale le 27 janvier. Les déclarations concernant le Smic sont révélatrices de l'état d'esprit du Gouvernement qui navigue entre le respect d'une promesse électorale et le souci de ne pas porter d'atteinte à la compétitivité par un alourdissement du coût du travail.
Ainsi les travailleurs payés au Smic (ils sont 2,3 millions) auraient une situation différenciée selon l'horaire qu'ils effectueront. Ceux qui passeraient à 35 heures n'auraient plus comme référence le taux horaire du Smic, mais une nouvelle référence mensuelle appelée rémunération mensuelle minimale (RMM) correspondant aujourd'hui à la valeur mensuelle du Smic (3 664 francs bruts).
Pour l'avenir, leur rémunération évoluerait moins que le Smic actuel puisque la rémunération en question pourrait être indexée sur les prix. Si l'on prend le cas de 1997, la rémunération mensuelle minimale aurait évolué de 1,1 % au lieu de 4 %. Il n'y aurait donc plus de coup de pouce. Si l'on prend comme hypothèse une augmentation du Smic de 3 % par an et une rémunération mensuelle minimale indexée de 1,1 % par an, au bout de cinq ans, le salarié concerné perdrait chaque mois 700 francs. Tout cela veut dire que c'est le salarié qui, dans le temps, paiera la réduction de la durée du travail. Quant à l'employeur, il sera aidé par l'État à raison, la première année, de 9 000 francs par salarié, plus s'il s'agit de temps partiel, encore plus si le secteur est reconnu à bas salaires et ce sans parler de l'accélération vraisemblable des gains de productivité.
Nombreuse inconnues. Pour les smicards sui resteraient à 39 heures, le taux horaire du Smic continuerait-il à bénéficier de coups de pouce, l'employeur ne bénéficiant d'aucune nouvelle aide ? L'objectif serait alors de rendre financièrement insupportable pour l'entreprise les 39 heures.
Par ailleurs, de nombreux éléments demeurent inconnus :
– Quel Smic pour les temps partiels ?
– Quel sera le taux des heures supplémentaires ?
– Que se passera-t-il dans les entreprises de moins de 20 salariés ?
– Ne crée-t-on pas un nouvel effet de seuil ?
– Quel Smic pour les nouveaux embauchés à 35 heures ?
– La RMM introduit-elle l'annualisation ?
– Quelles conséquences sur l'exonération de charges ?
– Quel impact sur les recettes de la Sécurité sociale sont le déficit, selon l'Acoss, continue à dériver ?
Enfin, il est à craindre qu'un tel dispositif ne rende plus que difficiles les négociations de salaires, tant au niveau des entreprises que des branches où une renégociation des minima conventionnels est nécessaire. On risquerait ainsi d'ouvrir une nouvelle trappe à salaires. Nous avons toujours expliqué qu'il était plus que délicat de « toucher » au Smic. Or la mécanique proposée devrait se traduire par une modification de la législation relative au Smic.
C'est pour toutes ces raisons que Force ouvrière a immédiatement réagi et que nous demandons à en discuter rapidement avec le Gouvernement.
Quant à l'effet emploi de la réduction telle qu'elle est prévue, les modèles économiques donnent comme toujours des fourchettes très larges. De fait, comme cela a déjà été démontré par le passé, ils ne sont guère fiables en la matière. Tout dépend des hypothèses retenues.
Payer deux fois. En tout cas si le pouvoir d'achat des salaires, retraites, pensions, allocations et minima sociaux n'augmente pas, l'activité et la consommation piétineront et le chômage continuera à s'alourdir.
Tout cela pour dire que si la réduction de la durée du travail s'inscrit dans le maintien des coûts de production pour les entreprises, les salariés la paieront deux fois : sur leurs fiches de paye et dur leurs feuilles d'impôt pour financer les aides. Il est de ce point de vue significatif d'écouter le gouverneur de la Banque de France sur les 35 heures : « Nous insistons sur quatre points : annualisation, souplesse suffisamment grande pour les heures supplémentaires tant en coût qu'en qualité, prêter attention aux cadres (…) et maintenir les coûts de production ».
Du côté patronal, il semble que le vrai débat est occulté au profit d'autres considérations. Dire, par exemple, que les 39 heures payées 35 conduisent à un surcoût de 11,44 % est inexact compte tenu des aides financières accordées, nonobstant les embauches réalisées et les gains de productivité envisagés. N'oublions pas non plus que toute loi en la matière se traduira également par des décrets d'application qui préciseront les choses, y compris en fonction des secteurs.
Ce que ce dossier révèle, c'est surtout la volonté patronale en matière de contrats collectifs. En d'autres termes, le patronat entend-t-il utiliser les 35 heures pour mettre à bas les niveaux nationaux de négociation, niveaux indispensables pour réguler la concurrence ?
On touche ici à un autre problème ; le patronat plaide-t-il pour un système de négociation à l'anglo-saxonne ce qui conduira, qu'on le veuille ou non, à conduire les organisations syndicales à reporter leurs revendications vers le politique et les pouvoirs publics ?
Ce serait là une des contradictions côté patronal : en vertu du libéralisme, on aboutirait à solliciter plus l'interventionnisme de l'État. Le débat est donc ouvert et FO se fera entendre bien entendu. Le 11 février, nous faisons une conférence avec des chômeurs FO. En particulier, nous revendiquons haut et fort la possibilité pour les salariés ayant commencé à travailler dès 14-15 ans de cesser leur activité. Cent cinquante mille chômeurs au moins trouveraient rapidement un emploi et ceux qui en ont assez de travailler pourraient s'arrêter. Ce qui satisferait au moins 300 000 personnes.