Texte intégral
RTL - vendredi 18 octobre 1996
RTL : Est-ce qu'il faut parler ce soir d'évolution ou de révolution ?
F. Fillon : C'est une révolution qui se cache derrière le changement de numérotation, puisque, finalement, ce qui rend ce changement de numérotation nécessaire, c'est la libéralisation du téléphone, c'est l'explosion des usages des télécommunications qui nécessite de plus en plus de numéros, mais surtout la possibilité qui sera donnée très vite, maintenant, aux Français, de choisir leur opérateur de téléphone, et le choix se fera notamment grâce à la nouvelle numérotation.
RTL : Justement, de nouveaux opérateurs notamment étrangers pourront accéder au marché français dans deux ans. Est-ce que ça voudra dire de nouveaux changements à ce moment-là ?
F. Fillon : Ça voudra dire simplement qu'on restera à dix chiffres. Ça voudra dire simplement que pour choisir son opérateur, au lieu de faire le 01, le 02, le 03, le 04, le 05, etc..., on pourra faire le 21 ou le 32 ou le 44. La première lettre permettant d'identifier l'opérateur que l'on veut choisir, et le 0 étant le choix par défaut. C'est-à-dire qu'en faisant le 0, on aura toujours son correspondant au bout du téléphone, et si l'on veut choisir un autre opérateur que l'opérateur par défaut, qui sera en général France Télécom, à ce moment-là. On remplacera le 0 par un 2 ou par un 3, à partir de janvier 98.
RTL : Vous êtes un ministre un peu anxieux ? Vous pensez que les risques sont minimes de ce basculement en une fraction de seconde à 23 heures ?
F. Fillon : Les risques existent. La technologie, je suis payé pour le savoir, ne permet pas toujours de réussir. Mais je crois que là, tout a été fait pour que cette opération se passe de la meilleure façon qui soit, et les techniciens de France Télécom travaillent depuis des mois et des mois, ont répété le scénario, ont mis en place des dispositifs redondants, des dispositifs de secours qui devraient, je crois, faire de cette opération, une opération quasi indolore pour nos concitoyens. Mais j'ai un peu d'angoisse quand même.
RTL : Il va falloir réviser notre géographie, en tout cas pour certains départements qui sont à cheval ?
F. Fillon : Oui, bien sûr. Mais je crois qu’on le fera vite. Ce n’est pas un système très compliqué. Il n’y a finalement que cinq zones, et les cartes qui ont été distribuées par France Télécom, plus les numéros de secours qui ont été mis en place, tout cela devrait permettre de rendre cette modification très simple.
RTL : Un sondage dans Le Parisien affirmait ce matin que cette réforme était bien acceptée ?
F. Fillon : Oui, je crois que les Français ont compris qu'on avait besoin de numéros de téléphone supplémentaires. On en consomme pratiquement 2 millions de plus par an, et on estime qu'à l'horizon 2000, chaque Français aura au moins trois numéros de téléphone, compte tenu des nouveaux usages, de la multiplication des portables, de l'arrivée des services en ligne comme Internet. C'est donc une nécessité.
RTL : F. Fillon, ça va quand même coûter 2 milliards aux entreprises. Pourquoi leur faire payer la facture ?
F. Fillon : Je dois d'abord dire que c'est la tradition. Ce n'est pas la première fois qu'on change de numérotation téléphonique. On a changé en 1988, si je ne m'abuse et dans les mêmes conditions. Le code des PTT a toujours mis à la charge des usagers le changement de numéro. J'ajoute que dans le cas présent, puisque derrière la nouvelle numérotation il y a l'ouverture à Ia concurrence, l'usager va s'y retrouver, parce que les prix vont baisser. L'exemple des pays libéralisés en Europe montre qu'il faut s'attendre à une baisse de l'ordre de 40 % des tarifs moyens du téléphone en France par rapport à ce qu'ils sont ou à ce qu'ils étaient au début de 1995. Donc, c’est une réponse supplémentaire, c'est vrai, aujourd'hui, pour la mise en place de la nouvelle numérotation pour les entreprises, mais parallèlement les tarifs de téléphone sont en train de chuter, et notamment les tarifs longue distance et internationaux, qui comptent beaucoup dans les factures téléphoniques des entreprises.
RMC - mercredi 23 octobre 1996
P. Lapousterle : Il y a quand même des choses qui marchent : on a le sentiment que le passage de huit à dix chiffres s'est fait sans douleur vendredi dernier ?
F. Fillon : Oui, c'est une belle prouesse technique pour France Télécom. Ce qui marche, c'est surtout le marché des télécommunications, les nouvelles applications qui sont offertes à nos concitoyens et l'ouverture à la concurrence de ce secteur qui va à la fois créer des emplois, faire baisser les tarifs et permettre l'offre de services nouveaux.
P. Lapousterle : Est-ce qu'on avait vraiment besoin de ces dix chiffres, parce qu'il y a des tas de pays en bonne santé, économiquement sains, qui n'ont pas dix chiffres pour le téléphone ?
F. Fillon : Oui, mais qui vont devoir y venir puisque les dix chiffres ont deux avantages : d'abord, d'offrir un nombre de numéros suffisants au moment où les applications des télécommunications se multiplient. On estime qu'à l'horizon 2000, on aura tous au moins trois numéros de téléphone, en raison de l'explosion du nombre des portables mais aussi de l'arrivée des services en ligne. Et surtout, ces dix chiffres vont permettre aux usagers de choisir leur opérateur de téléphone à partir du 1er janvier 1998 puisqu'il n'y aura plus que France Télécom, il y aura des opérateurs privés et c'est grâce à cette nouvelle numérotation que l'on pourra, en fonction du prix, en fonction de la qualité du service, choisir appel par appel le transporteur que l'on veut utiliser.
P. Lapousterle : Vous annoncez cela comme un succès, il y a beaucoup de gens qui pensent qu'il s'agit là d'un abandon de souveraineté dans un service public essentiel. Que des opérateurs étrangers en France puissent véhiculer les conversations téléphoniques, c'est quand même un changement majeur ?
F. Fillon : C'est une vraie révolution mais je crois qu'il y a de moins en moins de gens qui s'inquiètent : tout le monde constate aujourd'hui que, dans les pays où cette libéralisation a déjà eu lieu, la souveraineté n'en a pas été atteinte pour autant mais qu'en revanche, les consommateurs y ont trouvé leur avantage. Nous avons un opérateur seul qui, dans une situation de monopole, ne peut pas répondre à l'explosion du marché des télécommunications. Il est dans l'impossibilité d'offrir tous les services que les Français vont pouvoir obtenir à l'avenir et au tarif où ils le souhaitent. Vous savez qu'aujourd'hui, il y a encore un écart - il est en train de se réduire - qui est de l'ordre de 40 % entre le prix de vos télécommunications et celui des pays déjà libéralisés.
P. Lapousterle : C'est-à-dire que les Français vont payer 40 % moins cher leurs télécommunications dans les deux ans qui viennent ?
F. Fillon : En moyenne, c'est l'objectif que France Télécom s'est fixé en introduisant des nouveaux services.
P. Lapousterle : Est-ce qu'on peut imaginer alors que cette déréglementation, puisque cela s'appelle comme ça lorsque le service public n'est plus seul responsable, aille jusqu'à La Poste ? C'est-à-dire que, comme le disait S. Royal dimanche à la télévision, La Poste devienne privée ?
F. Fillon : S. Royal raconte des bêtises car La Poste ne sera pas privatisée.
P. Lapousterle : Sauf s'il y a une réglementation européenne qui vous y oblige ?
F. Fillon : Nous la combattons, cette réglementation européenne, qui ne nous obligerait pas à privatiser La Poste mais qui nous obligerait à mettre en concurrence certains services de La Poste et en particulier, ce que l'on appelle le publipostage, c'est-à-dire une partie du courrier. Ma conviction, la conviction du gouvernement français, c'est que La Poste est un service d'une autre nature que les télécommunications. C'est un service qui joue un rôle très important en matière d'aménagement du territoire et qui ne peut pas être rempli par des progrès techniques, par des investissements mais qui ne peut être rempli que par des hommes sur le terrain. C'est donc un service dont la privatisation ou dont la mise en concurrence se traduirait immanquablement par un abandon d'une politique d'aménagement du territoire et par un retrait dans les secteurs difficiles ; je pense aux banlieues où La Poste joue un rôle social très important. C'est la raison pour laquelle nous sommes totalement opposés à la privatisation de La Poste et à la mise en concurrence du courrier.
P. Lapousterle : Opposés ne veut pas dire l'emporter. Si la Commission décide que c'est obligatoire, ça sera le cas.
F. Fillon : Nous nous battons pour éviter cette situation. Nous avons aujourd'hui avec nous une minorité de blocage qui est faible, c'est vrai, mais qui est suffisante pour empêcher les propositions de la Commission d'aboutir. Et nous avons récemment avec l'aide du Président de la République d'ailleurs, porté ce débat sur un plan politique car il nous semble contraire à l'esprit des institutions européennes que de vouloir obliger un ou plusieurs pays à pratiquer une réforme fondamentale d'un de leurs services publics contre leur gré.
P. Lapousterle : Une réunion se tient en ce moment à Séoul sur une charte de coopération internationale sur Internet. Est-ce que Internet sera finalement contrôlé au niveau international et qu'est-ce qui sera interdit ?
F. Fillon : C'est une initiative très importante que j'ai prise, je l'avais proposée déjà à mes partenaires européens à Bologne, il y a un an. L'idée de cette charte qui est discutée aujourd'hui à Séoul, c'est de se mettre d'accord avec tous les pays du monde, les membres de l'OCDE, d'abord sur un certain nombre de définitions communes mais surtout sur un certain nombre de règles communes pour permettre l'application des législations nationales qui existent en matière de communication. Vous, P. Lapousterle, vous ne pouvez pas dire un certain nombre de choses à votre micro, il y a quelques sujets qui sont interdits. Je pense à tout ce qui touche à l'incitation à la haine raciale, la violence sexuelle sur les enfants, etc. Sur tous ces sujets-là, dans les médias traditionnels, les règles s'appliquent, sur Internet elles ne s'appliquent pas. Donc notre souci est que les règles nationales puissent s'appliquer sur Internet et qu'il y ait une coopération entre les polices et les justices des différents pays pour que ces règles s'appliquent.
P. Lapousterle : Bien que ça ne soit pas interdit, on va parler de quelque chose qui fâche...
F. Fillon : Il y a peu de choses qui sont interdites !
P. Lapousterle : Vous êtes membre d'un gouvernement dont le chef, A. Juppé, est pratiquement le plus impopulaire depuis les débuts de la Ve République : est-ce que ce n'est pas un obstacle au gouvernement, c'est-à-dire Lorsqu'il faut prendre les décisions, est-ce que la faible popularité n'est pas un grand obstacle ?
F. Fillon : Vous savez, je crois qu'il peut difficilement en être autrement. Nous sommes dans une situation économique et financière extraordinairement difficile, qui est d'ailleurs le résultat du laxisme d'un certain nombre de Premier ministres qui ont été plus populaires qu'A. Juppé. Et aujourd'hui, si A. Juppé affronte et le si le gouvernement avec lui affronte autant de difficultés, c'est parce qu'on a laissé pendant des années courir les déficits, on a laissé pendant des années des secteurs entiers de notre économie, qui avait besoin d'être réformée, sans le faire. Cette réforme de France Télécom que j'évoquais tout à l'heure a été manquée trois fois par les gouvernements précédents, y compris d'ailleurs ceux soutenus par la majorité d'aujourd'hui. L'affaire Thomson, qui fait beaucoup de bruit, c'est un exemple extraordinaire du laxisme de gouvernements qui ont laissé se ruiner une entreprise qui était un des fleurons de la technologie française. Je crois que R. Barre a raison, aujourd'hui l'intérêt général, c'est de conduire la politique que conduit A. Juppé.
P. Lapousterle : Oui, mais on a l'impression qu'au-delà de la politique, la personne, peut-être, est contestée ?
F. Fillon : Écoutez, on le jugera sur les résultats qu'il obtiendra par rapport à cet impératif de redressement.
P. Lapousterle : Qu'est-ce que vous pensez lorsqu'on voit qu'à Gardanne par exemple, au deuxième tour, ne se trouvaient que des candidats absolument opposés à la politique du gouvernement sans que la majorité soit capable de présenter son candidat ?
F. Fillon : Je crois qu'à Gardanne, il faut dire les choses comme elles sont : nous avons fait une erreur en ne présentant pas un candidat qui soit non seulement réellement un candidat de la majorité mais surtout un candidat de terrain. Je pense que les commentateurs ont fait beaucoup d'erreurs en observant les résultats de Gardanne. J'en relèverais au moins trois : la première, le taux de participation. Depuis 30 ans, toutes les élections partielles ont des taux de participation qui sont inférieurs à 50 % et surtout je crois que personne n'a vraiment relevé – ou en tout cas peu de commentateurs ont vraiment relevé – le rejet des candidats parisiens, des candidats de la politique spectacle par rapport à des hommes de terrain. Le maire de Gardanne, c'était un homme de terrain, connu de ses concitoyens, estimé. Nous aurions eu un candidat du PPR ou de l'UDF qui aurait été un élu de terrain, je suis persuadé que le résultat aurait été différent.
P. Lapousterle : Est-ce qu'il y a un autre mot que pétaudière pour qualifier la majorité actuellement ?
F. Fillon : La majorité est un peu schizophrène, elle vote la confiance et même la guérilla sur un certain nombre de sujets, notamment sur le budget, je pense que ça n'est pas de cette manière-là que l'on remporte les batailles et en particulier les élections législatives. Il faut dire à sa décharge que nos institutions ont besoin d'un sacré coup de rajeunissement car nous n'arrivons pas à trouver le moyen de faire dialoguer le Parlement el le gouvernement dans des conditions acceptables.
P. Lapousterle : Il faudrait qu’ils se téléphonent peut-être.