Interviews de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, dans "Le Figaro" du 8 août, à TF1 le 16 août et article dans "Ouest-France" du 16 août 1996 ("Faire respecter la loi"), sur la situation des sans-papiers de l'église Saint-Bernard (Paris 18ème) et sur la politique du gouvernement en matière d'immigration.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Intervention de la police pour vérification de l'état de santé des dix grévistes de la faim de l'église Saint-Bernard à Paris 18ème le 12 août 1996

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Texte intégral

Date : 8 aout 1996
Source : Le Figaro

Le Figaro : Les grévistes de la faim de l’église Saint-Bernard vous conduisent-ils dans l’impasse ?

Jean-Louis Debré : Ma position, celle du Gouvernement, est très clair. Je l’ai rappelée dans une circulaire datée du 9 juillet. Face au vide juridique, nous avons décidé de régulariser la situation des parents d’enfants français. Par conséquent, tous les étrangers qui ne se trouvent pas dans ce cas ont la certitude que nous serons extrêmement fermes. Nous n’accepterons pas de les régulariser. Cependant, j’ai donné instruction aux préfets, à titre humanitaire, d’apprécier quelques situations très exceptionnelles. Nous conseillons aux personnes dont les enfants ne sont pas français de prendre leurs dispositions pour regagner leur pays.

Le Figaro : L’affaire des sans-papiers dure depuis six mois. Certains évoquent un « pourrissement » de la situation…

Jean-Louis Debré : Il n’y a pas de « pourrissement ». Nous vivons dans un État de droit. Nous devons respecter la loi et je la ferai appliquer. Toutes celles et tous ceux qui sont dans une situation illégale devront comprendre que la démocratie doit fonctionner dans le respect des décisions du Parlement.

Le Figaro : Les sans-papiers se sont vu notifier une invitation à quitter le territoire avant le 1er août. Ce délai a expiré. Envisagez-vous un recours à la force publique ?

Jean-Louis Debré : Je ferai en sorte que le cas de parents d’enfants français soient examinés le plus rapidement possible. Il faut que les autres comprennent que la loi s’appliquera.

Le Figaro : Et s’ils ne le comprennent pas ?

Jean-Louis Debré : Eh bien, ils le comprendront…

Le Figaro : Après vous avoir rencontré, le président de SOS-Racisme Fodé Sylla a exprimé une « très grosse déception » et a indiqué qu’il était déterminé à poursuivre le « combat » des sans-papiers…

Jean-Louis Debré : Je suis moi aussi déterminé. Je défendrai l’application des textes votés par la représentation nationale, et non pas l’interprétation que veut en faire une minorité. Ceux qui pensent le contraire ont une attitude antidémocratique et antirépublicaine. Or ce matin, Fodé Sylla m’a demandé de ne pas appliquer la loi.

Le Figaro : Vous semblez plus que jamais décidé à renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière. Peut-on faire un premier bilan ?

Jean-Louis Debré : Depuis janvier, 7 352 personne ont fait l’objet d’une reconduite à la frontière, contre 5 868 pendant le premier semestre de l’année précédente, soit une augmentation de 25,28 %. Au cours des six premiers mois de 1996, nous avons notamment renvoyé 1 577 Algériens, 903 Marocains, 786 Roumains, 495 Maliens et 398 Tunisiens. Il convient de noter l’augmentation très importante des dossiers constitués par les préfets en vue de l’exécution des reconduites à la frontière : les personnes présentées à l’embarquement sont en augmentation de 18,06 %.

Le Figaro : Comment s’organisent les reconduites à la frontière ?

Jean-Louis Debré : J’ai institutionnalisé la méthode des « charters ». Vingt et un d’entre eux ont décollé depuis mon arrivée place Beauvau. Un 22e est en préparation. Ces retours s’effectuent en coopération avec un certain nombre de pays européens. Ils se déroulent dans le respect des lois et des procédures. Je notre d’ailleurs qu’aucun recours n’a été déposé depuis que j’en suis responsable.

 

Date : vendredi 16 août 1996
Source : TF1 / Édition du soir

TF1 : Vous donnez l’impression de vous arc-bouter sur une question de principe.

J.-L. Debré : Les sans-papiers qui se trouvent à l’église Saint-Bernard, que disent-ils ? Ils disent : « Nous sommes en situation illégale, mais peu importe vos lois, il ne faut pas nous les appliquer. Vous devez régulariser notre situation. » Je leur réponds : ce n’est pas parce qu’on est dans l’illégalité, même un certain temps, qu’on est au-dessus des lois. Je ne suis pas arc-bouté. Je ne suis pas entêté. Je suis responsable. Si le Gouvernement régularisait la situation des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, immédiatement, des milliers d’étrangers nous diraient « Pourquoi pas nous ? », « Pourquoi eux et pourquoi pas nous ? ». Si la loi fixe des conditions, si du jour au lendemain nous abandonnions ces critères et que n’importe qui puisse venir chez nous en France, ce serait la porte ouverte à un certain nombre d’abus et d’arbitraires. Vous en connaissez les conséquences, car souvenez-vous, entre 1981 et 1982, les socialistes ont régularisé 150 000 étrangers. Quelques jours après, quelques temps après, se rendant compte de l’irresponsabilité de cette décision, M. Rocard est intervenu en disant que la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde. Que d’espoirs déçus ! Que de déceptions ! Que d’irresponsabilité ! Alors, ne nous engageons pas dans cette voie.

TF1 : Il y a la détresse de ces familles. Avez-vous du coeur dans cette affaire ?

J.-L. Debré : Je ne suis pas ferme par plaisir. Je ne suis pas ferme pour être ferme. Si je fais preuve, dans cette affaire, d’une très grande fermeté, c’est parce que je crois que c’est l’intérêt de la France et l’intérêt des étrangers. J’ai du coeur et je ne suis pas insensible, car qui envoie tous les après-midi les médecins du SAMU pour examiner les grévistes de la faim ? C’est moi qui ai pris cette décision. C’est moi qui, il y a quelques jours, ai voulu et souhaité l’hospitalisation des grévistes de la faim pour mieux les soigner. Je ne suis pas insensible, car c’est moi qui, il y a quelques semaines, ai régularisé la situation des parents étrangers d’enfants français – situation qui n’avait pas été prévue par la loi. Enfin, je ne suis pas insensible à ces centaines de lettres que je reçois chaque jour, qui sont des lettres d’étrangers en situation régulière, qui nous disent : « Soyez ferme, parce que nous ne voulons pas d’amalgame avec ceux qui ne respectent pas les lois de la République ». Vous savez, la France a été construite au fil des siècles en agglomérant à la nation française des hommes de traditions, de civilisations, de couleurs de peau, de religions différentes. Mais tous ces hommes mettaient un point d’honneur à respecter les lois de la République.

TF1 : J. Chirac disait, il y a quelques jours, à ses interlocuteurs de SOS-Racisme qu’il fallait traiter de façon humaine et au cas par cas. Y a-t-il un langage à l’Élysée et un autre place Beauvau ?

J.-L. Debré : Non : il n’y a qu’un langage, celui du Gouvernement, le Gouvernement de la République. Il est fait pour appliquer les lois votées par le Parlement Ce n’est pas une poignée de personnes qui peut faire remettre en cause les lois votées par les députés et les sénateurs, qui sont l’expression de la volonté nationale. Alors, naturellement, j’essaie de régler ce problème avec le maximum d’humanité. Mais je ne peux pas violer les lois. Je ne peux pas dire aujourd’hui : « La République n’a plus de fondement ». À ce moment-là, c’est partir dans un cycle où c’est le règne du plus fort C’est l’arbitraire. Ça, je ne le veux pas.

TF1 : Ne craignez-vous pas qu’il y ait des morts parmi les grévistes de la faim ?

J.-L. Debré : Je fais tout pour éviter cela. J’envoie les médecins du SAMU. J’envoie d’autres observateurs. Il n’y aura pas de régularisation. Si vous me permettez, je voudrais dire à ces églises, à ces associations qui, de bonne foi, entourent ces personnes de l’église Saint-Bernard : « Ne les poussez pas dans une impasse ». Aux politiciens qui vont se faire photographier avec ces personnes sur le parvis de l’église, je leur dis : « Ce n’est pas bien de faire ce que vous faites, car on ne doit pas moralement utiliser la misère ou la détresse humaine ». Enfin, aux sans-papiers, je leur dis « Le Gouvernement ne peut pas vous régulariser. Nous appliquerons la loi. » Mais nous sommes prêts, puisqu’il faut que vous rentriez dans votre pays, à voir, si vous le voulez, avec vous, comment vous faire rentrer dans les meilleures conditions.

TF1 : Peuvent-ils craindre une expulsion rapide ?

J.-L. Debré : Je respecte la loi.

 

Date : 16 août 1996
Source : Ouest France

Jean-Louis Debré : « Faire respecter la loi »

Un certain nombre de Maliens occupent à Paris l’église Saint-Bernard. Plusieurs d’entre eux ont entamé une grève de la faim. Trop de contrevérités sont aujourd’hui complaisamment véhiculées sur cette affaire dite des sans-papiers, commencée il y a cinq mois avec l’occupation de l’église Saint-Ambroise, pour qu’il ne soit pas nécessaire de dire la réalité des choses aux Français sur ce mouvement et ses enjeux pour notre pays.

J’observe d’abord que lorsque le préfet de police fait hospitalier, à ma demande, pour examen de santé les 10 grévistes de la faim au 39e jour, les mêmes qui m’accusaient la veille de prendre le risque de laisser mourir ces personnes, changent immédiatement et radicalement de discours pour dénoncer une « soi-disant opération policière brutale ».

Où était la violence dans cette opération qui ne visait qu’à vérifier l’état physique des personnes concernées, dès lors qu’on nous en décrivait les risques et que le Code pénal sait rechercher la responsabilité de ceux qui ne portent pas assistance à personne en danger ?

Que n’aurait-on dit si ce contrôle n’avait eu lieu ? Les 10 grévistes de la faim sont revenus dès l’après-midi dans l’église Saint-Bernard, et je note seulement que le responsable de la ligne communiste révolutionnaire a largement dirigé leur retour.

Mais au-delà du tumulte médiatique, que voyons-nous dans cette affaire ? Quelques groupuscules d’extrême gauche se servent habituellement de la misère de ces familles pour tenter d’entraîner le plus de monde possible dans une agitation dont ils seraient eux-mêmes les seuls bénéficiaires. Ils cherchent aussi par la désinformation ou l’exploitation de la compassion à mobiliser les associations, les églises, les partis et l’opinion publique contre l’application de la loi.

Or, quelle est la politique du Gouvernement en matière d’immigration ? Ce n’est pas une politique d’immigration zéro comme on le répète faussement. Nous savons bien qu’un certain nombre d’étrangers doivent venir en France, dans leur propre intérêt comme dans le nôtre. Ceci est conforme à notre tradition d’accueil.

Mais ils doivent le faire dans le respect de nos lois qui tracent le cadre de leur arrivée et de leur séjour. Car c’est à cette condition que nous pourrons les intégrer pleinement à notre communauté nationale comme ceux qui sont déjà sur notre sol en situation régulière. C’est cela le fondement de notre politique de l’immigration.

Dès lors, quels sont les enjeux du conflit actuel ? C’est d’abord celui d’un État de droit qui doit choisir s’il fait appliquer la loi votée par le Parlement ou s’il laisse arracher l’exorbitante possibilité, pour l’infime minorité qui la combat, de ne pas la respecter. Où est la République ? Aurions-nous perdu la raison ?

Certains disent aujourd’hui exiger la mise en œuvre de nouveaux critères permettant de régulariser la situation d’immigrés arrivée depuis longtemps chez nous, insistant ainsi sur le fait qu’ils appellent seulement à une nouvelle interprétation de la loi.

Certes, il fallait régler le cas de parents d’enfants français. Ceci a été fait. Les préfets ont également la possibilité de donner une solution à certaines situations exceptionnelles et pour des raisons humanitaires. Mais au-delà, les autres critères que l’on veut nous imposer et qui visent notamment à admettre les déboutée du droit d’asile, les membres d’une famille arrivée en dehors de la procédure de regroupement familial… ne visent à rien d’autre, dès l’instant où ils contredisent ouvertement nos textes, qu’à faire abandonner purement et simplement tout notre dispositif légal en matière d’immigration.

On nous dit aussi que certains de ces sans-papiers sont là depuis longtemps et que pour certains ils sont arrivés régulièrement. Peut-on raisonnablement soutenir, puisqu’ils ont réussi à se dérober aux contrôles ou actions engagées à leur encontre pour les reconduire chez eux, qu’ils ont pour cela un droit identique à ceux qui sont venus légalement ? Et que le fait d’être venu parfois depuis plusieurs années avec un visa touristique de trois mois et d’avoir vécu dans l’illégalité sans se faire automatiquement régulariser leur situation. Ce n’est pas parce que l’on échappe un certain temps à la loi que l’on est au-dessus de cette loi.

Accepterons-nous par ailleurs, en créant dans l’instant même d’immenses faux espoirs dans toute l’Afrique, l’Europe centrale et l’Extrême Orient, d’accueillir des centaines de milliers de pauvres gens qui de façon tout aussi irrégulière s’engageront dans la même impasse ? Non, « la France ne peut accueillir tout la misère du monde », comme le déclarait Michel Rocard, alors Premier ministre.

Prendrons-nous parallèlement le risque d’alimenter par des mesures irresponsables la montée de la xénophobie et du racisme qui se nourrira d’une immigration non maîtrisée et de notre abandon ? Que ceux dont la générosité peut être troublée de bonne foi y pensent, pas nécessairement pour aujourd’hui, mais pour leur enfant et leur petits-enfants.

La création récente de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi des étrangers sans titre entre dans cette perspective. Nous avons obtenu depuis quinze mois des résultats remarqués et reconnus de tous. Voulons-nous anéantir tout ce travail qui, grâce à la police et à la gendarmerie, auxquelles je veux rendre hommage aujourd’hui, commence à porter ses fruits ?

Oui, régulariser les sans-papiers en dehors des situations évoquées plus haut et céder aujourd’hui au chantage constituerait une lâcheté et une décision sans doute tragique. D’abord à l’égard des immigrés eux-mêmes qui viennent ou séjournent légalement chez nous et qui souhaitent légitimement et fraternellement être intégrés ; ensuite à l’égard des Français qui veulent que l’on respecte les lois qu’ils se donnent et qui savent que le partage du travail comme la solidarité nationale ont hélas leurs limites.

Aucun pays au monde ne consent probablement de plus grands efforts que la France en direction des pays pauvres. Les commentaires méprisants ou injustes ne doivent pas masquer la vérité aux Français, pas plus que les coups de force ne doivent leur imposer ce qu’ils refusent dans leur immense majorité. Si faire respecter la loi votée par le Parlement, protéger l’intérêt national, favoriser l’intégration des immigrés en situation régulière doit m’assurer l’impopularité auprès de certains, je l’accepte sans hésiter.