Interviews de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, dans "Le Figaro" et à Europe 1 le 6 janvier 1998, sur la politique sportive notamment la lutte contre le dopage, l'utilisation du stade de France et la sécurité des matchs lors de la Coupe du monde de football, l'application de la loi Evin, et sur le mouvement des chômeurs.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission Journal de 8h - Europe 1 - Le Figaro

Texte intégral

LE FIGARO le 6 janvier 1998

Le Figaro : Quelles ont été vos premières découvertes après votre prise de fonction ?

Marie-George Buffet : Il a d’abord fallu s’habituer au fonctionnement de l’État et aux rouages d’un ministère. J’ai toujours suivi le sport par passion, mais sans m’en occuper directement. Et je me suis aperçue très vite que c’était un atout. Car cela appelle une grande concertation et permet de prendre du recul sur les dossiers et de réagir sans esprit partisan. Pourtant, j’ai eu quelques craintes en prenant mes fonctions.

Le Figaro : Cela a-t-il été facile de se glisser dans ce costume de ministre ?

Marie-George Buffet : Au début, les gens me disaient : « Femme, communiste, non sportive de haut niveau, cela fait beaucoup de handicaps. » En fin de compte, j’ai reçu un bon accueil du mouvement sportif. Bien sûr, certains se sont demandés si j’étais capable de remplir ma nouvelle tâche. Mais tout se règle à partir du moment où l’on travaille les dossiers, où l’échange existe. Maintenant, j’ai réellement de très bons rapports de dialogue et de travail avec les acteurs du mouvement sportifs.

Le Figaro : Depuis six mois, on a souvent eu l’occasion de vous entendre. C’est presque mauvais signe. Cela prouve qu’il y avait urgence à traiter de chauds dossiers…

Marie-George Buffet : C’est vrai, j’ai été amenée à intervenir de très nombreuses fois, notamment sur le dopage. C’est un engagement qui me tient à cœur. Ce fléau pourrait s’étendre très vite et se banaliser si on n’y prend pas garde. Il serait très inquiétant que le sportif non dopé apparaisse comme celui qui n’est pas dans la norme. Le sport doit continuer d’être un facteur d’épanouissement personnel et non pas une activité où l’on se ruinerait physiquement.

Le Figaro : Vous craignez la banalisation du dopage. Mais ne se trouve-t-on pas déjà engagé dans cette phase ? Une énorme suspicion frappe actuellement tous les athlètes de haut niveau…

Marie-George Buffet : C’est vrai que le dopage est une réalité dans le sport de haut niveau. Mais il est tout aussi alarmant de constater que ces pratiques dangereuses touchent de plus en plus de jeunes. En même temps, le discours qui consiste à dire que « tout athlète de haut niveau est forcément dopé » est inexact. Heureusement, les contrôles prouvent que la majorité des sportifs ne triche pas. Et je trouve logique que ceux qui ont subi un contrôle positif utilisent les droits et recours dont ils disposent. La présomption d’innocence est insuffisamment respectée. Que des noms soient jetés en pâture avant même la contre-expertise, est absolument anormal, et c’est l’un des points que devra aborder la prochaine loi.

Le Figaro : Comment y remédier ?

Marie-George Buffet : Dans le cadre de la refonte de la loi de 1989 sur le dopage, nous travaillons sur les procédures, leur durée plus réduite et sur la mise en place d’une commission réellement indépendante afin de préserver plus longuement l’anonymat des sportifs concernés et de suivre chaque procédure jusqu’à la prise de sanction par la fédération intéressée. La confusion actuelle n’est pas saine.

Le Figaro : Que pensez-vous des arguments présentés par les défenseurs des six cas actuellement en suspens ?

Marie-George Buffet : Prétendre que la laboratoire d’analyses de Châtenay-Malabry, le seul agréé en France par le Comité international olympique, n’est pas fiable, ou que le dopage est peut-être dû à des produits de consommation courante, ce n’est pas sérieux, et cela crée un doute général, dont le dopage est seul bénéficiaire. Dans ces affaires, j’appelle à faire preuve de responsabilité. Le problème est suffisamment grave pour que l’on ne le transforme pas en jeu des petites phrases.

Le Figaro : Certaines fédérations, notamment celle de football, ont effectivement semblé gênées. Réclamez-vous de leur part, plus de sévérité et de sérénité ?

Marie-George Buffet : Après le premier cas positif, la FFF a fait une déclaration de fermeté. Je pense que les actes vont suivre les discours. Je souhaiterai surtout que les fédérations n’attendent pas le contrôle positif pour intervenir, mais qu’elles développent dès maintenant une campagne de prévention et d’information vers leurs sportifs comme vers leurs cadres. Dans ce domaine, l’État a également une responsabilité. Nous éditons actuellement une brochure en direction des plus jeunes. La plus grosse partie des moyens supplémentaires que le ministère a décidé de consacrer à cette lutte en 1998 sera affectée à l’information des sportifs et à celle de leur entourage. Lorsqu’on arrive au contrôle positif, il est déjà trop tard. Le mal est fait.

Le Figaro : Prévention d’accord mais la répression n’est-elle pas indispensable ?

Marie-George Buffet : Si, absolument. J’ai été le premier ministre des Sports à demander au garde des Sceaux d’entamer des poursuites contre ceux qui fournissent les produits dopants. On sait bien que certaines revues de culturisme vantent ces produits et que les adresses des fournisseurs se trouvent sur Internet. Il faut que ces personnes-là sachent qu’elles ne pourront plus continuer à transporter et fournir des produits interdits sans être inquiétés par la justice française.

Le Figaro : L’appât du gain est souvent déterminant, tant pour le sportif que pour son fournisseur…

Marie-George Buffet : Bien sûr, et c’est pourquoi nous allons consacrer davantage de moyens aux contrôles. Là-dessus, il ne faut pas lâcher. Mais, ce qui peut nous permettre d’éradiquer le fléau, c’est d’abord la prévention, l’éducation, et surtout une réflexion sur le sens du sport de haut niveau aujourd’hui. Veut-on garder au sport sa dimension humaine, ou transformer les athlètes en machines à compétions ? Il va donc bien falloir se poser la question du surentraînement, des calendriers démentiels et des impératifs médiatiques qui bouleversent les cycles de repos. Nous ouvrons ce débat dans le cadre de la préparation de la nouvelle loi d’orientation sur le sport. Je souhaite pouvoir la présenter à l’Assemblée nationale en 1998. Mais auparavant, la loi contre le dopage sera en débat. Il faut aller vite. D’autant que nous devons travailler aussi sur le mouvement sportif lui-même, sa cohésion, le statut des clubs.

Le Figaro : Justement, les structures du sport français, basées sur le bénévolat, ne sont-elles pas dépassées ?

Marie-George Buffet : Non. Il faut se dire que 95 % des clubs sportifs resteront sur une structure associative basée sur le bénévolat. Et c’est très bien. Notre richesse, c’est notre capacité à avoir des clubs partout en France. Les bénévoles doivent rester la force essentielle de la structure sportive dans le cadre des fédérations.
Cela dit, il est vrai que pour certaines d’entre elles, existe le besoin d’une professionnalisation. Elle doit être maîtrisée. Que de l’argent privé entre dans le sport, cela ne me gêne pas si son arrivée est contrôlée. Le meilleur exemple est donné par le football qui a connu bien des dérives avant de commencer à maîtriser cette évolution. Ce qui n’est pas le cas dans des pays voisins et explique en grande partie la concurrence déloyale que subissent les clubs français dans l’achat des joueurs, par exemple. J’ai d’ailleurs demandé à la présidence britannique une réunion des ministres des Sports pour qu’on discute de tout cela.

Le Figaro : Restent que certaines fédérations dites « amateurs » brassent des millions dans leur coin…

Marie-George Buffet : C’est un grave danger. Un jour, il se peut que cette structure fédérale éclate sous la poussée de certains clubs en fait professionnels, mais avec un statut associatif. Jusqu’à maintenant, les fédérations assurent l’équilibre et le lien entre le haut niveau et le sport pour tous. Pour préserver cette cohésion, elles doivent maîtriser les financements privés, en faisant preuve d’une gestion transparente et en respectant les lois du professionnalisme. Dans ce fonctionnement, la partie bénévole doit pouvoir, jusqu’au plus haut niveau, participer aux décisions. Mais il est vrai également qu’aujourd’hui certaines fédérations sont des PMI ou même plus. Si les présidents doivent rester bénévoles, ils doivent s’entourer de salariés qualifiés pour assurer une bonne gestion. Je prends un autre exemple. A partir du moment où les fédérations ont décidé d’embaucher 200, 300 ou 400 jeunes dans le cadre du plan gouvernemental emploi-jeunes, cela nécessite un service du personnel. A côté des bénévoles, ces grandes fédérations doivent donc développer des centres de ressources et de gestion.

Le Figaro : Comment pouvez-vous concrètement les aider ?

Marie-George Buffet : En veillant à la bonne utilisation de la subvention ministérielle. Pas de laxisme dans ce domaine si l’on veut éviter que des fédérations ne se retrouvent en redressement judiciaire. La question posée est : a-t-on la volonté que ce ministère joue un rôle public dans le sport ou est-ce qu’on estime qu’une fois donné l’argent aux fédérations, elles se débrouillent ? Je pense que le ministère à une mission à travers les cadres techniques, pour faire vivre certains objectifs du sport. Sinon, il n’y a pas besoin de subventions publiques, ni de ministère. Ce cas de figure existe dans d’autres pays avec un mouvement sportif complètement livré aux marchands. Mais ce n’est pas ma conception. Et je suis persuadée que l’État a un rôle à jouer pour que le sport garde une éthique.

Le Figaro : De quelle façon ?

Marie-George Buffet : Le mouvement sportif est indépendant. Cela, c’est l’essentiel. Mais l’État peut aider à ce qu’il se donne les structures et les moyens d’un fonctionnement sain et vigoureux.

Le Figaro : Quel est l’avenir de la loi Pasqua ?

Marie-George Buffet : Cette loi est liée à une directive européenne. Je crois qu’il faut maintenir les subventions publiques à des clubs professionnels pour des utilisations d’intérêt général. Dans le cadre d’une politique de formation de l’encadrement sportif et de création d’emplois, la directive européenne ne nous interdit pas de maintenir les subventions publiques. Et puis, nous avons une spécificité : la plupart des équipements sont du domaine public. Le rapport entre l’État et le mouvement sportif est donc évident.

Le Figaro : On parle beaucoup de l’Europe. Quelle part fait-elle au sport ?

Marie-George Buffet : Jusqu’à présent, le sport était absent de l’Europe. Une petite porte est ouverte à Amsterdam avec l’introduction d’une phrase dans le traité qui nous permet d’envisager certains dossiers en commun. Je pense au dopage, à la gestion des clubs professionnels, aux transferts, au statut des intermédiaires. Pourquoi ce retard ? Sans doute parce que l’idée que le sport n’est pas une question essentielle, quelque chose de sérieux, est encore très forte. Cette vision est une erreur. Je crois qu’à bien des égards, par ses enjeux économiques, sociaux, éthiques, le sport a pris une dimension de premier plan en Europe, et doit être considérée comme tel.

Le Figaro : Comment considérez-vous les problèmes liés à loi Evin ?

Marie-George Buffet : Dès mon entrée en fonction, s’est posé le problème avec une marque de bière, sponsor de la Coupe du monde de football. J’ai alors affirmé très clairement que la loi française ne serait pas remise en cause par un contrat signé entre une fédération internationale et un sponsor. Le problème s’est réglé. Quand on a des convictions sur des valeurs, les choses peuvent avancer. La loi Evin est une loi de santé publique. Elle a, c’est vrai, des conséquences sur certaines sources de financement du sport. Mais il serait inacceptable de la remettre en cause au nom d’intérêts financiers. Porter un coup à ce texte serait particulièrement mal venu au moment où l’on constate une montée de l’alcoolisme chez les jeunes. Le sport relève aussi d’une conception de la lutte contre toutes les dépendances.

Le Figaro : Avec le risque de voir la France privée de grandes compétitions ?

Marie-George Buffet : Le combat pour la santé publique vaut bien de prendre certains risques, et la France n’est pas seule en Europe sur cette position. Cela dit, même avec de telles législations, la France et l’Europe sont incontournables pour l’accueil des grandes compétitions. En vérité, le principal problème ne vient pas de la loi Evin. Celui des droits de retransmissions télévisées prend de plus en plus d’importance. Nous devons faire en sorte que les grands événements sportifs restent accessibles à tous. Il aurait été absurde que seules des chaînes cryptées retransmettent la Coupe du monde, alors que chaque Français l’a cofinancée par ses impôts. Pour éviter une telle situation, il existe déjà une directive européenne qui prévoit l’établissement d’une liste d’épreuves dont les droits télévisés ne peuvent être achetés en exclusivité par une chaîne non accessible à tous. Mais cela ne suffira pas. Une approche commune des grandes sociétés de télévision est nécessaire pour permettre au plus grand nombre de sports d’avoir une couverture médiatique.

Le Figaro : Le sport n’est-il pas déjà trop lié aux télés. N’est-il pas trop tard ?

Marie-George Buffet : Je ne le pense pas. Durant une certaine période, des sports ont pu vivre avec l’illusion que les droits de télévision allaient régler leurs problèmes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’un côté comme de l’autre, on prend conscience que trop de sport à la télévision peut finir par fragiliser le sport et la télévision. Ce paradoxe n’était pas évident il y a une dizaine d’années. C’est nouveau et il est temps d’y réfléchir sans passion, en évitant toute fuite en avant. J’ai une certaine confiance. Regardez ce qui se passe autour de la Coupe du monde. Avec la multiplication des animations, avec la possibilité d’installer des écrans géants dans les quartiers sensibles pour retransmettre les matches, avec les centaines d’initiatives qui se prennent au niveau des clubs, des associations, des écoles, l’aspect festif et citoyen de l’événement est en train de prendre le pas sur le côté mercantile. Même si les soucis seront présents jusqu’au coup de sifflet final ; j’ai confiance dans l’image positive que la France va donner à travers cet événement exceptionnel.

Le Figaro : Parlons du stade de France, de son avenir ?

Marie-George Buffet : C’est un très bel équipement, qui doit vivre au niveau sportif. Et pour cela, il lui faut un club résident. Dans le cas contraire, 50 à 70 millions de francs d’argent public seront versés tous les ans au consortium privé, concessionnaire du stade conformément au contrat signé en 1995.
Ce contrat fait porter tous les risques à la partie publique. Je le déplore, mais c’est le cadre qui nous est imposé. Dans ce contexte, le plus important est de favoriser l’organisation du maximum de manifestations sportives au stade de France, par des coûts de location qui soient raisonnables et non dissuasifs. En même temps, ce stade a besoin d’un club résident pour vivre régulièrement et durablement. Le seul club qui paraissait en mesure de jouer ce rôle, c’était le Paris-Saint-Germain. La direction du club en a décidé autrement. Une autre voie est à explorer parallèlement. A partir du moment où l’Ile-de-France dispose de deux grands stades, et d’un potentiel de football particulièrement riche, la perspective d’un deuxième grand club est envisageable. C’est ce qui existe dans la quasi-totalité des grandes régions capitales comme à Londres, Rome, ou Madrid. Alors pourquoi pas en région parisienne ? Si des initiatives sont prises en ce sens, je suis prête à les encourager.
Encore un mot sur le stade de France ; il marque une évolution positive dans la gestion des problèmes de sécurité, avec la possibilité d’accueillir une nouveau public, plus familial…

Le Figaro : D’où votre position pour la suppression des grillages dans les stades…

Marie-George Buffet : Notre souci premier, c’est la sécurité du public et des joueurs. On peut à la fois retirer des grilles de 4 mètres de haut et maintenir une sécurité efficace. Plusieurs villes vont vers le système anglais ; des protestions basses dissuasives qui ne gênent pas la vue. La Fifa et le CFO se sont engagés à aider financièrement les villes hôtes qui investissent dans ce sens. Dans l’option sans grillages, il faut souligner le rôle extrêmement important des stadiers (un pour 100 spectateurs) et des systèmes de vidéosurveillance. Il faut donc combiner tous ces moyens pour rendre possible l’enlèvement des grilles.
J’ajoute deux éléments : l’éducation du public et la répression des actes de violence. Avec le ministre de l’Intérieur, nous n’avons pas pris de position globale, mais avons étudié chaque situation. On ne forcera personne. Mais le dossier avance dans le bon sens.

Le Figaro : Où en êtes-vous sur les chances de voir figurer le Grand Prix de France au calendrier 1998 de la F1 ?

Marie-George Buffet : Le problème précis qui est posé est celui d’un juste équilibre entre le libre accès des journalistes à une manifestation sportive, et la signature de contrats d’exclusivité audiovisuelle par l’organisateur de cette manifestation. Ce problème n’est pas spécifique à la formule 1. Le cadre juridique actuel ne permet pas de le résoudre. Un texte doit être proposé au Parlement qui fixera les termes de cet équilibre nécessaire, dans le respect absolu de la liberté d’informer. Avec ce nouveau dispositif législatif, rien ne devrait s’opposer à la réinscription du Grand Prix de France au calendrier 1998 de la formule 1.

Le Figaro : On a beaucoup parlé de l’actualité. Mais vous, avez-vous des projets, des rêves ?

Marie-George Buffet : Si l’on construit bien ces deux lois (sur le sport et contre le dopage), ce serait une avancée considérable. Quant à la part de rêve dans le sport, je crois qu’elle est extrêmement forte chez beaucoup de jeunes. Ne la gâchons pas par les dérives du mercantilisme ou du dopage. Redonnons au sport cette par indispensable d’émotion, d’imaginaire, de construction de soi. C’est tout le sens de mon engagement.


Europe 1 le mardi 6 janvier 1998

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous trouvez légitimes les revendications des comités de chômeurs ? Est-ce que vous leur donnez raison ce matin ?

Marie-George Buffet : « Bien sûr, je trouve complètement légitime l’action de ces hommes et de ces femmes parce qu’ils vivent très difficilement. Ils demandent simplement des moyens pour pouvoir répondre aux besoins les plus urgents de leur famille. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous comprenez aussi les occupations d’antennes Assedic ?

Marie-George Buffet : « Chacun trouve les formes de son action lorsqu’il se bat et donc on n’a pas à contester les formes d’action qu’ils emploient »

Jean-Pierre Elkabbach : Et ce matin, vous ne leur demandez pas d’évacuer les antennes ?

Marie-George Buffet : « Non, je crois que le Gouvernement – mais c’est ce qu’il a commencé à faire avec Mme Aubry et M. Gayssot – a entamé un dialogue. Les premières avancées ont été faites, il faut continuer. »

Jean-Pierre Elkabbach : Mme Notat et M. Blondel se sont montrés d’accord sur deux points : les comités de chômeurs ne sont pas pour eux représentatifs et ils leur semblent manipulés, télécommandés.

Marie-George Buffet : « Ces arguments, de dire qu’un mouvement est télécommandé, sont souvent employés lorsqu’on veut mettre fin à l’expression d’une lutte sociale. Je crois que ce n’est pas bien d’utiliser ces termes. Ces hommes et ces femmes se donnent l’organisation qu’ils souhaitent, il faut la reconnaître telle qu’elle est. »

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous êtes choquée parce qu’on brûle en effigie N. Notat ou M. Blondel ?

Marie-George Buffet : « Oui, je ne crois pas que ce sont des méthodes à employer. C’est le débat démocratique. Des hommes et des femmes luttent, il y a des réactions ; pour ma part, je comprends les luttes qui sont menées. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous êtes, avec J.-C. Gayssot, le chouchou de R. Hue. Entre la fidélité à M. Jospin et celle à R. Hue, n’y a t-il pas un danger de schizophrénie ?

Marie-George Buffet : « Pas du tout, moi je me sens très à l’aise en tant que ministre. C’est une responsabilité particulière dans un gouvernement pluriel où il y a un véritable débat d’idées. Ensuite il y a des décisions qui sont prises. »

Jean-Pierre Elkabbach : Ça, c’est plus que le débat d’idées ?

Marie-George Buffet : « Non, et puis je suis communiste, j’ai mes convictions, mes idées, j’essaye de faire passer une certaine démarche dans mon ministère. Pour l’instant, je ne vis pas de contradiction, je ne vis pas de difficulté personnelle. »

Jean-Pierre Elkabbach : Peut-être que les autres le ressentent de cette façon. Par exemple, on a le sentiment que le PC pousse les feux du mouvement social pour renforcer son influence électorale, politique et, en même temps, il déclare sa solidarité avec le Gouvernement. Est-ce que ce n’est pas l’illustration du double jeu ?

Marie-George Buffet : « Non je crois que c’est l’illustration au contraire d’un progrès dans la vie politique. Il faut que chacun joue son rôle à sa place. Les partis ont un rôle à jouer. Le PC a son rôle avec les propositions qu’il défend. Et puis d’un autre côté, il y a un gouvernement pluriel qui met en œuvre une politique. Je crois qu’on a bien avancé dans ces huit premiers mois. Ce sont deux choses différentes. Il ne faut pas mélanger le parti et l’État. »

Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous êtes le parti dans l’État ou dans le Gouvernement. Vous pouvez combiner le soutien à M. Aubry et, en même temps, le soutien ou la solidarité avec ceux qui occupent les Assedic ?

Marie-George Buffet : « Ce n’est pas contradictoire. D’ailleurs, M. Aubry le montre dans les actes qu’elle prend. Elle va recevoir – je crois que c’est aujourd’hui – des délégations de ces chômeurs en lutte. Elle a pris des premières mesures. Il faut continuer dans ce sens. »

Jean-Pierre Elkabbach : Et sur l’Europe, pour voir les choses d’une manière tout à fait claire, le président de la République va décider et L. Jospin préférerait qu’à propos du traité d’Amsterdam, la Constitution soit révisée par les députés et les sénateurs. On sent que cela va se faire à Versailles. Et vous ?

Marie-George Buffet : « Écoutez, je vous étonnerais si je vous annonçais que j’ai changé d’idées par rapport à la construction européenne. Je pense que, pour que cette construction européenne se fasse de la meilleure façon, il faut qu’à tout moment les citoyens et les citoyennes y soient associés. Je me suis toujours prononcée, à titre personnel, plutôt pour un référendum.

Jean-Pierre Elkabbach : Dans la ligne de R. Hue, c’est normal. Il y a, ce matin, une interview de J. Versmesch. On l’interroge sur le Livre noir du communisme et les 85 millions de morts à cause des communistes. Elle dit que c’est un terrible mensonge. Elle ajoute : « Staline avait des défauts, il a commis quelques erreurs mais c’était quelqu’un de raisonnable ».

Marie-George Buffet : « J’ai pris connaissance de cet interview dans Le Figaro. Mon avis est celui de la grande majorité des communistes aujourd’hui. Le terme « erreur » est peut-être même trop faible. Il y a eu un véritable drame qui s’est passé avec le stalinisme. Les communistes français en ont tiré tous les enseignements et nous sommes engagés dans une profonde mutation pour que le communisme soit associé à une sorte d’épanouissement individuel qui n’a rien avoir avec Staline et ce qu’il a fait. »

Jean-Pierre Elkabbach : Le club de football des Girondins de Bordeaux serait racheté par un Anglais. 100 millions en trois ans. Est-ce que vous connaissez ce repreneur et est-ce que vous êtes d’accord que des étrangers rachètent des clubs français.

Marie-George Buffet : « Je ne connais pas ce repreneur. Je crois que le rachat de clubs français par des groupes étrangers constitue un danger par rapport à l’indépendance, l’éthique du mouvement sportif français. C’est pourquoi, il faut travailler très vite à une nouvelle loi d’orientation sur le sport permettant de réguler l’arrivée de l’argent privé dans le sport. Non pas de le limiter, parce que je crois qu’on a besoin d’argent dans le sport, et cela ne me gêne pas que l’argent privé arrive. Il n’y en a même petit-être pas assez. Mais il faut que cet argent soit maîtrisé et que les clubs restent bien dans la structure fédérale pour que l’on reste dans un mouvement sportif qui garde un certain sens. »

Jean-Pierre Elkabbach : Le PSG ayant apparemment définitivement choisi de rester à Paris, c’est-à-dire au parc des Princes après la Coupe du monde, que va-t-on faire du stade de France s’il n’y a pas de club résident ?

Marie-George Buffet : « Le stade de France est un magnifique équipement. Donc, moi, j’ai deux soucis. D’abord qu’il vive avec des événements sportifs et, deuxièmement, il serait impensable que l’argent public serve, comme le prévoit la concession entre l’État et le consortium, à verser 50 millions par an parce qu’il n’y a pas de club résident Donc, si le PSG reste au parc des Princes, je vais prendre l’initiative avec certainement le président de la Fédération française de football de rassembler toutes les énergies qui seraient prêtes à construire un deuxième club résident dans la capitale. »

Jean-Pierre Elkabbach : Le stade de France, c’était une erreur ?

Marie-George Buffet : « Ce n’est pas une erreur en soi ; ce qui est une erreur, c’est le contenu de la concession… »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous l’auriez fait, vous ?

Marie-George Buffet : « Pas dans ces conditions. »

Jean-Pierre Elkabbach : Le dopage ?

Marie-George Buffet : « Grande question. »

Jean-Pierre Elkabbach : Alors ? Grand fléau, vous avez dit qu’il ne touche pas seulement le haut niveau, il est largement répandu, vous le confirmez, partout ?

Marie-George Buffet : « Oui, le dopage aujourd’hui atteint même des clubs amateurs et surtout atteint des très jeunes sportifs. »

Jean-Pierre Elkabbach : Et alors, qu’est-ce que vous faites contre ?

Marie-George Buffet : « Écoutez, il faut d’abord une très grande volonté et il faut mettre les moyens. Donc nous avons en 1998 doublé le budget consacré à la lutte antidopage, nous allons développer à la fois les contrôles inopinés. Mais quand on fait des contrôles, le mal est fait, donc nous allons en même temps consacrer beaucoup d’argent à un suivi médical des sportifs. Il y a de grandes campagnes de prévention, notamment vers les jeunes sportifs et vers l’encadrement du mouvement sportif. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous pensez qu’il va y avoir d’autres exemples de contrôles positifs dans les semaines qui viennent ?

Marie-George Buffet : « C’est tout à fait probable, à partir du moment où l’on va multiplier les contrôles inopinés, on va certainement rencontrer de nouveaux contrôles positifs. Où alors, ça ne serait pas juste de dire qu’il y a véritable fléau avec le dopage. »

Jean-Pierre Elkabbach : Et vous pensez que les fédérations devront être fermes et prendre leur responsabilités ; c’est ce que vous souhaitez, vous ?

Marie-George Buffet : « Je pense que le mouvement sportif doit assumer ses responsabilités dans la lutte contre le dopage, plusieurs fédérations et le Comité national olympique français ont fait des déclarations très fermes à ce propos. Il faut que les actes suivent ces déclarations. »

Jean-Pierre Elkabbach : L’autre jour, six footballeurs de l’Équipe de France, qui étaient en stage familial à Tignes en Savoie, ont subi un contrôle antidopage inopiné. Le milieu a protesté et vous-même, vous avez désavoué le contrôle. Alors on s’est dit, est-ce qu’il faut la croire quand elle dit qu’il faut lutter contre le dopage ?

Marie-George Buffet : « Il faut comprendre que l’administration du ministère, qui mène un combat extrêmement déterminé et courageux contre le dopage, s’est vu fournir une liste des stages où il y avait le stage de Tignes, sans que soit précisé le caractère particulier de ce stage. Donc j’ai simplement dit que c’était un peu regrettable que ce contrôle ait eu lieu alors qu’il y avait les familles et qu’il n’y avait pas un caractère sportif évident. Mais cela dit, ce n’est qu’une péripétie et… »

Jean-Pierre Elkabbach : Ça ne change rien à vos… ?

Marie-George Buffet : « Ça ne change rien à ma détermination et je l’ai dit à l’administration du ministère. »

Jean-Pierre Elkabbach : Et vous voulez qu’il y ait des suites judiciaires contre ceux qui sont concernés par le dopage ?

Marie-George Buffet : « Pas les sportifs concernés mais j’ai engagé des poursuites judiciaires contre ceux qui fournissent les produits dopants. C’est la première fois qu’un ministre le fait. »

Jean-Pierre Elkabbach : Parce que vous avez presque la preuve qu’il y a des filières ?

Marie-George Buffet : « Vous n’imaginez quand même pas que les sportifs font la queue chez le pharmacien pour aller acheter des produits interdits. Donc il faut bien que quelqu’un leur fournisse. »

Jean-Pierre Elkabbach : Donc c’est un vrai problème qui va occuper la scène cette année au moment de la Coupe du monde football aussi, mais il y a l’athlétisme, le rugby, le cyclisme, c’est ça ?

Marie-George Buffet : « Oui, il n’y a pas qu’un sport. Je pense que ce flot du dopage touche de nombreux sports. Et moi, mon souhait est que la Coupe du monde se passe dans les meilleures conditions et donc se passe sans tricherie. »