Texte intégral
Je tiens à remercier Henry Jean-Baptiste d'avoir pris l'initiative de cette manifestation. La synthèse que vient d'en faire le professeur Fred Constant en souligne toute la richesse. Mes propos s'articuleront autour des trois thèmes de ce colloque : le cadre juridique et institutionnel, les transformations de la société d'outre-mer et la dimension internationale.
Plusieurs intervenants ont rappelé les fondements historiques de la réforme statutaire de 1946.
L'exposition que j'ai décidé d'organiser au Palais de Chaillot pour clore cette année du cinquantenaire, et que M. le Président de la République a bien voulu honorer de son haut patronage après les nombreuses manifestations qui se sont déroulées dans les DOM et à Paris, s'intitulera « Les départements d'outre-mer, l'autre décolonisation ». C'est ainsi que quatre siècles d'histoire commune avec la métropole éclairent la loi de 1946.
Le département remonte à la Révolution française. Intégrer les terres d'outre-mer dans une organisation administrative, aussi intimement liée à la naissance de la démocratie en France, est lourd de symbole.
C'est reconnaître que ce qui nous rapproche est plus important que ce qui nous différencie.
La départementalisation des Antilles, de la Guyane et de La Réunion a permis d'affirmer que ces terres lointaines ne sont pas des possessions françaises – mais qu'elles sont bien des terres françaises par-delà les mers.
La départementalisation a un caractère exemplaire en cette seconde moitié du XXème siècle. Au moment même où les vestiges des empires coloniaux disparaissaient, la France centralisatrice accomplissait une action où le respect des particularismes locaux se combinait harmonieusement avec le principe de l'unité nationale.
La départementalisation n'a jamais voulu dire en effet que les départements d'outre-mer devaient être coulés dans un moule uniforme et par trop contraignant.
Dès la loi de 1946, le législateur a souhaité que des décrets interviennent pour permettre une adaptation de la législation métropolitaine. De même, la Constitution de 1946 permettait à la loi de prévoir des exceptions en faveur des départements d'outre-mer. Enfin, la Constitution de la Vème République, vous le savez, consacre cette possibilité d'adaptation.
Inutile de faire un inventaire de ces mesures d'adaptation. Quelques exemples suffisent à montrer qu'elles ont permis de maintenir les départements d'outre-mer dans le droit républicain, tout en tirant les conséquences de leurs singularités.
Dans le domaine institutionnel, les collectivités locales d'outre-mer, et bien entendu au premier chef les départements, ont profité des lois de décentralisation. Le transfert de l'exécutif départemental au président du conseil général, a affirmé, peut-être plus qu'en métropole, l'identité départementale.
Les régions ont été érigées en Collectivités Territoriales, dotées de conseils élus ce qui a également constitué, une étape importante, où l'outre-mer a montré la voie à la métropole, puisque les premières élections régionales se sont déroulées en février 1983 outre-mer et en mars 1986 en métropole.
L'expérience acquise depuis plus de dix ans a été fructueuse. Elle a montré que quelques aménagements réglementaires pouvaient utilement être apportés aujourd'hui afin d'éviter les incertitudes et de limiter les financements croisés. L'État sera attentif aux propositions concrètes qui pourraient émaner des régions et des départements d'outre-mer.
Je voudrais également rappeler une compétence particulière des conseils généraux de l'outre-mer. Ils doivent être consultés sur les projets de loi ou de décret tendant à adapter à leur situation particulière la législation ou l'organisation administrative nationale.
J'attache une grande importance à cette procédure de consultation.
L'évolution institutionnelle doit évidemment se poursuivre pour mieux répondre aux exigences du moment. Ainsi en est-il de la modernisation de l'État.
La réforme de l'État au niveau local doit atteindre trois objectifs simplifier, déconcentrer, moderniser.
Il faut tout d'abord simplifier : simplifier, c'est supprimer les procédures inutiles, rapprocher les guichets, bref ! rééquilibrer l'administration des départements d'outre-mer. Cela nécessite, dans un premier temps, la création de nouveaux pôles administratifs dans le sud de La Réunion, à l'ouest de la Guyane et la mise en œuvre de la nouvelle sous-préfecture de Saint-Pierre en Martinique. Il faut étendre également le renforcement des services de l'État à Saint-Martin.
Il faut également déconcentrer : c'est le deuxième objectif. Il est indispensable de développer les responsabilités et la prise de décisions locales dans le fonctionnement de l'État. La déconcentration permet de tenir compte de la diversité de notre pays.
Il faut, enfin, moderniser la gestion publique. Cela conditionne l'efficacité du fonctionnement de l'État. Cette modernisation nécessitera notamment une globalisation plus poussée des crédits, un assouplissement des règles de gestion et une mise à disposition plus rapide des crédits.
J'ai obtenu du commissariat à la réforme de l'État que la Martinique soit un département expérimental en matière de réforme des services déconcentrés.
Je suivrai de très près cette expérience car la modernisation de l'État est un facteur de développement économique local, comme l'a été en 1946 la loi de départementalisation.
En effet, grâce à cette loi, les départements d'outre-mer sont passés d'une économie coloniale, fondée sur la monoculture, à une – économie moderne plus diversifiée, au secteur tertiaire prédominant. Le secteur primaire qui employait un actif sur deux au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale occupe aujourd'hui moins d'un actif sur dix. Les DOM ont ainsi connu une évolution similaire à la métropole : l'assimilation juridique a contribué à l'assimilation économique.
Celle-ci a permis à nos départements d'outre-mer de connaître aujourd'hui les conditions de vie d'un pays développé, comme l'ont rappelé MM. William et Dorian.
N'oublions pas qu'au lendemain de la guerre, l'économie des DOM était sinistrée. Elle s'apparentait à celle de pays sous-développés.
L'état sanitaire de la population était déplorable. Les habitants des « vieilles colonies » subissaient les ravages des endémies tropicales comme le paludisme, la bilharziose, l'amibiase.
Si le taux de natalité était fort, la mortalité infantile ne l'était pas moins. Un encadrement sanitaire embryonnaire ne permettait pas de lutter efficacement contre ces fléaux. Les DOM comptaient alors quinze médecins pour cent mille habitants ; ils en ont aujourd'hui douze fois plus.
En matière scolaire, cinquante ans après la grande loi Ferry sur l'obligation scolaire qui s'est appliquée à l'outre-mer dès la fin du XIXème siècle, quel retard nous avions encore à combler ! Plus de la moitié de nos concitoyens des départements d'outre-mer connaissaient des difficultés dans la maîtrise des savoirs élémentaires.
Pour ne prendre que l'exemple de La Réunion, il n'y avait guère plus de 1.000 lycéens et 71 étudiants à l'université en métropole sur 220 000 habitants. Aujourd'hui, La Réunion, comme les départements français d'Amérique, dispose d'une université et de classes préparatoires aux grandes écoles.
Comment ne pas comprendre, dans ces conditions, que l'assimilation, comme on disait à l'époque, ait suscité tant d'espoir ? Et comment s'étonner de la déception de nos concitoyens devant la lenteur de la mise en œuvre de cette réforme ? N'a-t-il pas fallu attendre cinquante ans, l'année 1996, pour atteindre l'égalité sociale ?
Il faut dire que la départementalisation, qui signifiait l'extension à l'outre-mer des acquis sociaux de la Libération, nécessitait d'importantes ressources financières.
La IVème République, accaparée par la reconstruction du pays, n'en a pas eu les moyens. Cela lui fut reproché.
Il a fallu la Vème République pour redonner une forte impulsion à la départementalisation. En effet, sous la présidence du général De Gaulle, les crédits ont été alloués plus abondamment aux départements d'outre-mer. L'impulsion donnée par le premier gouvernement de Michel Debré a été décisive.
Sous la haute autorité de M. Jacques Chirac, Président de la République, l'égalité sociale est devenue une réalité en 1996.
Si les progrès accomplis sont aujourd'hui considérables, l'économie des départements d'outre-mer doit être confortée. Elle reste encore fragilisée par une parfois trop forte dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Il faut que définitivement l'économie de comptoir laisse la place à une économie d'échanges diversifiés.
L'économie des départements d'outre-mer restent encore trop dominées par les productions agricoles traditionnelles, qui telles la canne à sucre et la banane, sont sensibles aux aléas d'un contexte international fluctuant.
Après l'égalité juridique instaurée par la loi de 1946, et l'égalité sociale effective en 1996, le défi du développement doit à présent être relevé.
Les assises du développement que j'ai organisées en début d'année ont tracé d'utiles perspectives.
La modernisation du système financier au moyen de l'élargissement de la liste des secteurs prioritaires éligibles au réescompte de l'IEDOM (commerce, artisanat), de la mobilisation des ressources de la CFD en faveur des PME-PMI, la création d'un fonds de participation en Guadeloupe, la complémentarité entre la Cofaris et la Sofodom.
Les services du ministère de l'Économie et des Finances et de l'outre-mer examinent actuellement un ensemble de propositions destinées à améliorer les conditions de financement de l'économie (réorientation des interventions de la CFD).
L'adaptation du Plan PME-PMI aux DOM.
Les départements d'outre-mer disposent également d'un outil adapté. La loi de défiscalisation, dite loi Pons, permet de réaliser des investissements nombreux et par là même des emplois durables moins dépendants des financements publics.
Elle a notamment favorisé le développement d'une hôtellerie moderne, à même de valoriser le potentiel touristique des départements d'outre-mer.
Ce dispositif a été étendu au logement locatif intermédiaire depuis le 1er avril 1996. Il augmente l'effort de construction et soutiendra ainsi l'activité du BTP. Désormais l'extension de la loi Pons au matériel portuaire est également effective.
L'importance de ces investissements contribue au maintien d'une croissance soutenue dans les départements d'outre-mer. En valeur elle atteint en moyenne 7 % au cours des cinq dernières années.
Comme vous le savez, la loi de finances pour 1996 a maintenu et même renforcé l'avantage que constitue l'investissement sous loi Pons outre-mer, car il demeure le seul à pouvoir encore bénéficier du système d'imputation des déficits BIC dans le revenu global.
J'entends dire ici ou là que la loi Pons crée des avantages injustifiés. C'est faux. Elle n'est que la contrepartie d'un éloignement géographique de la métropole. Et le dispositif est irréprochable en terme de transparence en raison du mécanisme d'agrément.
La loi Pons sera maintenue. Le Gouvernement et le Président de la République dont vous connaissez l'attachement à l'outre-mer y veilleront.
Le logement est un autre chantier ouvert lors des Assises du développement. Pour plus d'efficacité, c'est désormais le ministère de l'outre-mer qui gère directement les crédits logements, soit 1,7 milliards de francs. Je vous rappelle que lors de son voyage à la Réunion, le Président de la République a décidé d'exonérer ces crédits de toute régulation.
En 1996, 11 300 constructions neuves et 2 200 opérations d'amélioration seront engagées.
Dans chaque département d'outre-mer, une charte de l'habitat associant opérateurs, élus, professionnels du bâtiment et l'État.
Comme vous le savez, dans le prolongement des Assises, j'ai engagé deux nouveaux chantiers :
– adapter aux DOM le régime de la loi d'orientation et d'aménagement du territoire ;
– engager un programme de soutien aux activités exportatrices.
Ce dispositif fait l'objet d'un examen interministériel et sera soumis à la concertation locale nécessaire prochainement.
Attribuer aux DOM une place à part dans le dispositif national d'aménagement du territoire me paraît justifié.
Les DOM subissent en effet des handicaps qui ne sont pas comparables à ceux des régions défavorisées de la métropole ou de l'Europe continentale et qui imposent la mise en œuvre d'aides spécifiques applicables sur l'ensemble du territoire de chaque DOM.
La seconde est qu'au titre de l'aménagement interne du territoire de chaque DOM les critères retenus au niveau national pour définir les zones bénéficiant d'un traitement privilégié sont mal adaptées à la situation des DOM et qu'il conviendrait d'appliquer des règles de classification différentes.
Il me semble donc souhaitable ; si les responsables politiques et économiques des DOM en sont d'accord de favoriser par des mesures l'implantation d'activités nouvelles tournées vers les marchés extérieurs.
Le développement économique des DOM passe aussi par le renforcement de leur dimension internationale.
Partie intégrante de la République française, les départements d'outre-mer le sont également de l'Union européenne pour laquelle ils représentent un atout essentiel : celui de pouvoir être directement présents dans des zones géographiques et économiques, certes éloignées du continent européen, mais où sont appelés à se développer des courants d'échanges économiques, culturels et humains qui seront de plus en plus importants dans le futur.
Je n'ignore pas, bien sûr, que l'Union européenne a imposé un certain nombre de contraintes qui ne sont pas toujours bien comprises, dans le domaine de la pêche par exemple.
Mais la relation des départements d'outre-mer à l'Europe, on pourrait même dire « la dimension européenne des départements d'outre-mer », leur confère un certain nombre de chances historiques.
Tout d'abord, il n'y a pas, ou à de rares exceptions près, d'application aveugle de la logique communautaire aux départements d'outre-mer le Programme d'Options Spécifiques à l'Éloignement et à l'insularité des Départements d'outre-mer (POSEIDOM) permet une application adaptée des politiques communautaires notamment dans le domaine agricole.
Ensuite, l'Union européenne appuie et défend les grandes filières économiques des départements d'outre-mer au travers des dispositifs communautaires que sont l'OCM sucre et l'OCM banane.
Enfin, depuis près de dix ans, l'Union européenne contribue au développement économique et social des départements d'outre-mer par sa politique régionale dont les dotations ont été par deux fois doublées, en 1989 et en 1993. Pour la période 1994-1999, l'Union européenne dépensera près de douze milliards de francs dans les DOM, générant par là même des programmes d'investissements d'un montant supérieur à vingt milliards de francs.
N'est-ce pas grâce à l'Union européenne qu'aujourd'hui, la piste longue de l'aéroport de La Réunion, permet de rallier l'Europe en dix heures de vol sans escale ?
Comme vous pouvez le constater, l'acquis européen est considérable. Le moment est venu de le consolider par les voies juridiques appropriées.
Cette consolidation permettrait de conforter la spécificité des DOM dans l'Union, renforçant par là même la citoyenneté européenne outre-mer. Elle pérenniserait également l'aide communautaire en faveur du développement.
Le développement passe aussi par le renforcement de la coopération régionale. Dans leurs zones géographiques respectives, les DOM sont les vitrines de la France et de l'Union européenne.
Ce rôle capital doit s'articuler autour de deux axes : la participation aux organisations régionales et ce que j'appellerai la diffusion du modèle français.
La participation aux organisations régionales doit être la condition d'une intégration réussie.
Dans l'océan Indien, la France est membre à part entière, au titre de La Réunion, de la commission de l'océan Indien. Je suis très attaché à cette organisation qui, après les réformes de structure auxquelles la France a largement contribué, doit maintenant apporter des progrès concrets en matière d'enseignement, de tourisme ou de météorologie.
Dans les Antilles, la France est désormais membre de la nouvelle association des États caraïbes. C'est bien sûr une grande satisfaction que la France puisse travailler avec les États voisins et travailler en français puisque le français est à côté de l'espagnol et de l'anglais, langue officielle. L'accord d'association a été signé le 24 mai 1996.
Le gouvernement sollicitera du Parlement l'autorisation de ratifier cet accord lors de la prochaine session parlementaire.
Plus largement, notre présence dans ces régions doit permettre la diffusion de ce qu'est le modèle français.
Dans des zones trop souvent troublées, les départements d'outre-mer montrent l'exemple d'un État de droit où les garanties démocratiques sont accordées à chacun, où la justice est indépendante. C'est pourquoi des hauts fonctionnaires et des magistrats étrangers viennent y enrichir leur formation.
Les départements d'outre-mer, ce sont aussi des économies modernes, dynamiques, ouvertes sur l'Europe où les hommes d'affaires étrangers viennent chercher des contacts fructueux, des occasions de travailler ensemble. Ces pôles de développement régionaux doivent jouer un rôle moteur pour la croissance des économies locales en leur permettant de créer des emplois et de diversifier les productions et les débouchés.
Dans le domaine social, nous avons également beaucoup à apporter : une protection sociale de haut niveau, une médecine performante, une expérience approfondie en matière de lutte contre les fléaux naturels, tous domaines où la coopération peut et doit être accentuée.
Je réaffirmerai ces principes lorsque je réunirai en Guadeloupe les 4 et 5 novembre prochains, les élus des départements français d'Amérique et les hauts fonctionnaires civils et militaires.
Le chemin parcouru en cinquante ans est considérable. Grâce à l'action déterminée du Gouvernement, à la volonté clairement exprimée du Président de la République, les Départements d'outre-mer sont aujourd'hui engagés sur la voie d'un développement durable et innovant.
C'est là une grande ambition. Mais elle mérite que l'on s'y consacre pleinement, car c'est la seule voie d'avenir. Je sais que le Gouvernement, Mesdames et Messieurs les élus, peut compter sur votre soutien.
Grâce à vous, grâce à l'exigence légitime de progrès qui guide leurs habitants, grâce au sens de l'innovation et à l'esprit de conquête qui les anime, les Départements d'outre-mer deviennent l'avant garde de l'excellence française à laquelle les appelait le Président de la République le 19 mars dernier à la Réunion.