Interviews de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, à TF1 le 21 août et à RTL le 22 août 1996, sur la situation des sans-papiers de l'église Saint-Bernard (Paris 18ème) et sur les conditions d'application des lois sur l'immigration.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Comité interministériel consacré aux sans-papiers de l'église Saint-Bernard le 21, avis du Conseil d'Etat sur la législation de l'immigration à Paris le 22 août 1996

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

TF1 - mercredi 21 août 1996

B. Schönberg : Soyons tout de suite concrets : le Premier ministre a décidé de saisir, cet après-midi, le Conseil d'État. Quand le Conseil d'État va-t-il rendre son avis, première question, et comment interpréter cette décision ? Est-ce une façon de désamorcer la crise, est-ce une façon de prendre son temps, de gagner du temps, ou est-ce une négociation ?

J.-L. Debré : Non ! Le Conseil d'État rendra sa décision dans quelques jours, très vite. Je voudrais – pour bien comprendre la situation – vous confirmer et vous éclairer sur la position du Gouvernement. Vous savez, l'immigration est traditionnelle en France. C'est une tradition de la France que d'accueillir sur son territoire, des hommes et des femmes d'origines, de conditions, de cultures, de couleurs de peau différentes. Et nous voulons être dans cette tradition. Mais cette tradition repose sur le respect de la loi, et le respect de la loi républicaine. Et tous les immigrés en situation régulière sont en France avec un souci : respecter nos lois.

B. Schönberg : Ça c'est un discours, Monsieur le ministre, que vous avez tenu ?

J.-L. Debré : Attendez, je vais vous expliquer. Deuxièmement, s'il y a une place très grande en France pour les étrangers en situation régulière, nous ne pouvons pas accepter les étrangers en situation irrégulière. Soyons précis, soyons concrets : nous avons une loi, et je l'applique, le Gouvernement l'applique, dans sa rigueur, mais de façon humaine. Je vais prendre des exemples : il y a des hommes et des femmes qui sont déboutés du droit d'asile, c'est-à-dire qu'ils ont fait une demande à un organisme indépendant, en disant : je veux l'asile politique en France. Cet organisme se réunit, c'est l'OFPRA, et dit non. Ils ont droit de faire appel, et puis, l'appel est examiné et leur dit : non, non, vous ne rentrez pas dans ces conditions, vous n'avez pas le droit à l'asile politique en France. Ces gens-là, nous ne pouvons pas les régulariser.

B. Schönberg : Donc, votre discours n'a pas changé ?

J.-L. Debré : Non, Madame, si ! Je crois que je me suis mal fait comprendre, peut-être. Car il y a donc ces personnes qui sont des déboutés du droit d'asile, nous ne pouvons pas les régulariser. Et puis, sur instruction du Premier ministre, le Gouvernement, depuis longtemps avant même ces mouvements, a cherché à avoir une application humaine de cette loi. Je voudrais prendre des exemples concrets. Sur instruction du Premier ministre, j'ai pris une circulaire pour régulariser la situation des parents étrangers d'enfants français, nés en France. Par conséquent, voilà une façon humaine de régler ce dossier. De même, .... attendez, laissez-moi terminer, parce qu'il faut être très concret... de même, il n'est pas question, pour nous, de renvoyer une femme qui est sur le point d'accoucher, il n'est pas question pour nous de renvoyer quelqu'un qui serait dans l'église Saint-Bernard et atteint d'une maladie chronique, il ne serait pas question pour nous, il n'a jamais été question pour nous, aujourd'hui comme hier, d'expulser ou de reconduire à la frontière un homme ou une femme, en le séparant de ses enfants. On ne va pas déchirer des couples. Par conséquent ...

B. Schönberg : Ça c'est un engagement pour certains des grévistes actuels ?

J.-L. Debré : Je dis aux grévistes de la faim et aux gens qui occupent l'église Saint-Bernard à Paris : vous voyez la bonne volonté du Gouvernement ! Nous devons appliquer la loi, nous l'appliquons. Mais naturellement, nous avons une lecture humaine de cette loi et que nous n'allons pas briser des familles, et que nous allons essayer de tenir compte des situations les plus dramatiques, et je crois que ce langage qui est le seul langage de la loi et du cœur, de la loi et de la raison, doit être un langage compris par tout le monde.

B. Schönberg : Donc, il y a une sorte d'humanisation en tout cas, même si votre discours reste ferme. Vous avez donc reçu cet après-midi le porte-parole des grévistes. Vous aviez dit que vous ne vouliez pas négocier. Ils ont décidé de continuer ?

J.-L. Debré : Madame, on ne négocie pas l'application d'une loi, car sinon vous négociez la démocratie. La loi, elle est votée par les représentants du peuple. J'ai dit simplement aux personnes qui sont venues dans mon bureau : voilà la position du Gouvernement Et vous voyez bien que, pour les cas les plus humains, les plus criants, le Gouvernement n'est pas insensible. Nous tendons la main, nous ne pouvons pas régulariser les déboutés du droit d'asile. Mais pour les autres, les gens qui sont dans une détresse humaine, il est bien évident qu'on n'est pas insensible et qu'on regarde cas par cas.

B. Schönberg : Précisément, le porte-parole des grévistes, vous l'avez reçu. Ils ont décidé de poursuivre le mouvement. Est-ce que c'est un nouveau bras de fer ? Qu'est-ce qui va se passer dans les jours qui viennent ? Vous avez vous-même déclaré qu'il y avait peut-être derrière tout ça une stratégie politique des sans-papiers. Qu'est-ce que ça veut dire ? Une stratégie au service de qui ?

J.-L. Debré : Madame, je crois que la position du Gouvernement, elle est claire, elle est humaine, elle respecte le droit, l'état de droit et la personnalité humaine. Je crois que ce langage doit être compris par tout le monde et doit être accepté par tout le monde, et peut l'être. Si par malheur, certains s'entêtaient dans leur occupation, alors il y aurait, peut-être, me semble-t-il, des arrière-pensées politiques et peut-être des manipulations politiques. Je crois que la raison va l'emporter, et je crois que face à cette attitude du Gouvernement qui est à la fois une attitude honnête, respectueuse de la loi, de la démocratie, de la République, et qui a une vision humaine, eh bien, tout le monde va dire : c'est cette position-là qui est la position la meilleure, et je crois que tout cela va s'arrêter.

 

RTL - jeudi 22 août 1996

R. Arzt : Dans l'affaire des sans-papiers, le Gouvernement a pris hier une double initiative. Pensez-vous qu'il y a là de quoi débloquer la situation ?

J.-L. Debré : Écoutez, je le crois. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Le Gouvernement a une position qui est claire, précise, que j'ai rappelée aux personnes qui sont venues me voir hier. Cette position a été affirmée par le Premier ministre, je l'ai affirmée à plusieurs reprises. Cette position devrait inciter, me semble-t-il, les personnes de bonne foi, les personnes responsables, les inciter à cesser leur action. Vous savez, la loi a été votée par les parlementaires. Elle a été contrôlée par le Conseil constitutionnel. Les décrets d'application de cette loi ont été examinés par le Conseil d'État Donc la loi doit s'appliquer. C'est ça, la démocratie ; c'est cela, l'État de droit.

R. Arzt : D'accord, mais on comprend bien qu'il y a des imperfections, dans cette loi.

J.-L. Debré : Nous respectons donc la loi, mais dans son application individuelle, nous cherchons à avoir une attitude humaine qui permette de tendre la main aux cas les plus criants. Voilà la position de la France, elle n'a pas bougé. Elle n'a pas bougé, ça veut dire quoi, pratiquement ? Il n'y aura pas de régularisation massive, un. Deuxièmement, pour les personnes déboutées du droit d'asile, on ne peut pas et on ne doit pas les régulariser.

R. Arzt : Même si on réexamine leurs cas ?

J.-L. Debré : Oui. Après avoir fait une demande pour venir en France, les instances indépendantes du Gouvernement ont rejeté leur demande. Mais il y a des cas – je pense aux parents d'enfants français – que, à la demande du Premier ministre, j'ai régularisés depuis bien avant le mouvement.

R. Arzt : Peut-il y en avoir d'autres de régularisables ?

J.-L. Debré : Monsieur, on n'a jamais renvoyé, jamais, des gens qui étaient atteints d'une maladie chronique, quand on le savait Il y a des cas individuels. Voilà ce qu'on va faire, voilà l'application de la loi. Il n'y a pas de régularisation massive, il n'y a pas de droit automatique à la régularisation, mais le Gouvernement examine au cas par cas et les personnes qui se trouvent seulement dans le cas du débouté de droit d'asile ne seront pas régularisées. C'est ça, la loi.

R. Arzt : Ça en fait combien, à votre avis, sur les 300 ?

J.-L. Debré : Je ne peux pas vous dire puisque nous ne savons pas qui est dans l'église.

R. Arzt : Vous ne savez pas qui est dans l'église depuis le temps que ça dure ?

J.-L. Debré : Nous n'avons pas été invités à y rentrer.

R. Arzt : Et les dossiers, vous ne les avez pas par ailleurs ?

J.-L. Debré : Je sais les gens qui sont dans des situations, soit qui ont fait une demande de régularisation parce qu'ils sont déboutés du droit d'asile, soit parce qu'ils sont parents d'enfants étrangers, on les connaît, oui. Mais je n'ai pas de statistiques sous les yeux.

R. Arzt : Quand vous avez reçu hier les représentants des sans-papiers, ne vous êtes-vous pas dit que vous auriez pu les voir plus tôt ?

J.-L. Debré : L'administration a vu les gens qui avaient fait des demandes de régularisation. Je ne sais pas pourquoi on aurait reçu ces personnes-là. Elles représentent quoi ? Elles se sont auto-proclamées représentantes des sans-papiers, bien. Nous essayons, nous, de régler les cas humains. J'ai réglé des cas humains sans l'intervention des représentants de ces sans-papiers. Quand nous avons réglé le cas des parents étrangers d'enfants français, nous l'avons fait au vu des dossiers, au vu de notre propre morale, au vu de notre propre conception de l'accueil de la France, mais pas en fonction de considérations autres.

R. Arzt : Les risques de décès parmi les dix grévistes de la faim ont-ils été un élément déterminant ?

J.-L. Debré : Depuis le début, j'ai demandé aux médecins du SAMU de suivre ces personnes. Nous faisons très attention. Mais je crois que la position du Gouvernement étant claire, chacun prend ses responsabilités et ceux qui inciteraient les personnes qui font la grève de la faim à continuer, je crois, ne leur rendraient pas service. La position du Gouvernement est claire. Ou alors, qu'ils le disent carrément qu'ils font ces grèves ou cette occupation pour des raisons autres et non pas pour régler les cas individuels.

R. Arzt : Vous voulez dire des raisons politiques ?

J.-L. Debré : Je me demande. Je me demande puisque je crois que tout le monde en convient, la position du Gouvernement est raisonnable. Parce que avant-hier, j'entendais un certain nombre de responsables du mouvement des sans-papiers dire : on comprend parfaitement qu'on ne peut pas régulariser tout le monde et ils comprenaient parfaitement ma position hier. Aujourd'hui, semble-t-il, à lire la presse, ils ne la comprennent plus parce qu'ils veulent une régularisation totale. Je crois que la position encore une fois du Gouvernement, elle est claire, elle est précise, elle respecte le droit et l'humain. Par conséquent, elle devrait convenir à tout le monde.

R. Arzt : Quel jugement portez-vous sur la politisation ou plus exactement sur les interventions politiques qu'il y a eu à ce sujet ? La gauche a donné l'impression de se ressouder, la majorité de se diviser.

J.-L. Debré : Ça ne m'intéresse pas. J'ai l'application de la loi, j'ai des cas humains. J'essaie de régler ces problèmes en dehors de toute considération politique ou politicienne.

R. Arzt : Vous avez apprécié le soutien du RPR ?

J.-L. Debré : J'apprécie tous les soutiens, vous savez. J'ai reçu au ministère de l'Intérieur, depuis une semaine, plusieurs milliers de lettres, et souvent des lettres de militants socialistes ou des militants de gauche qui me disent : « Aidez-nous et vous avez raison d'avoir la position qui est la vôtre ».

R. Arzt : Le sondage CSA-Le Parisien qui dit qu'un Français sur deux a de la sympathie ou soutient mime les immigrés de l'église Saint-Bernard vous étonne-t-il ?

J.-L. Debré : Pas du tout La France a la même position que moi : j'ai de la sympathie pour les gens qui luttent Mais j'ai de la sympathie pour ceux qui essaient de faire prendre en compte des considérations humaines. Mais j'ai aussi de la sympathie pour ceux qui disent : nous vivons dans un État de droit et dans un État de droit, il faut que la loi soit respectée. Parce que si la loi n'est pas respectée, c'est le règne du plus fort Eh bien la France s'est construite au fil des siècles pour faire en sorte que la démocratie l'emporte, que la République l'emporte. Ce n'est pas un groupe, quel qu'il soit, qui peut remettre en cause cette démocratie.

R. Arzt : Le Parti socialiste est resté sur une position responsable, à votre avis ?

J.-L. Debré : Le Parti socialiste, je ne sais pas. Certains de ses membres sont responsables, d'autres le sont moins.

R. Arzt : En Corse, la Cuncolta annonce la fin de la trêve, les attentats de multiplient : qu'en dites-vous ?

J.-L. Debré : Je dis que le recours à la violence est inadmissible. Les services de police agissent et agiront avec la plus grande efficacité pour interpeller les auteurs de ces attentats, de ces violences. Ces violences et ces attentats – c'est ça l'important – contrecarrent les efforts du Premier ministre et du Gouvernement pour trouver des solutions aux vrais problèmes économiques de la Corse. Je crois que les Français et les Corses en particulier ne pardonneront pas aux responsables de ces actions leur attitude et leur violence parce qu'ils portent un coup inadmissible, très rude, au progrès, aux efforts des uns et des autres pour sortir la Corse de l'impasse dans laquelle elle était.

R. Arzt : Le Gouvernement va donc réagir ?

J.-L. Debré : Nous réagissons tous les jours. La politique du Gouvernement en ce qui concerne la Corse, dans le domaine de la sécurité, est une politique qui est ferme tous les jours.