Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le rôle et les compétences du Médiateur, notamment dans le cadre des relations du citoyen avec les administrations, la place et le développement des différentes formes de médiation dans la gestion des conflits, Paris le 5 février 1998.

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Circonstance : Clôture du colloque "La médiation quel avenir ?" à Paris (La Sorbonne) à l'occasion du 25ème anniversaire de l'institution du médiateur de la République, le 5 février 1998

Texte intégral

L’initiative d’organiser le colloque « La médiation, quel avenir ? » me paraît particulièrement heureuse. Vingt-cinq années après sa création, il était en effet opportun de dresser le bilan et les perspectives de cette institution originale qu’est le Médiateur. Il était tout aussi nécessaire de s’interroger plus largement sur le développement de la médiation dans notre société.

Vous avez réuni des intervenants de grande qualité, d’origines et d’expériences diverses. Vous avez eu le souci d’associer à vos réflexions le Médiateur européen et certains de vos homologues étrangers. J’ai été sensible à cette préoccupation. Elle ne témoigne pas seulement de l’ouverture internationale de votre institution. Elle manifeste plus généralement que le modèle de l’Ombudsman ou du Médiateur s’impose désormais comme un élément essentiel des institutions démocratiques, dans des États aux traditions juridiques et aux cultures pourtant fort différentes.

La présence de Monsieur le président de la République à l’ouverture de vos travaux, la participation à vos débats de Madame Élisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice et de Monsieur Émile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l’État et de la décentralisation, ma présence aujourd’hui, soulignent l’intérêt de la réflexion suscitée par ce colloque.

Les débats de ce colloque ont été particulièrement riches. La synthèse que vous venez de présenter l’atteste.

Je vous exprime donc, Monsieur le médiateur – qui êtes à l’origine de cette manifestation que j’ai plaisir à clôturer –, toutes mes félicitations pour cette excellente initiative.

Sans revenir sur l’ensemble de vos travaux, je souhaiterais dégager quelques pistes de réflexion à propos du médiateur de la République et, plus largement, de la médiation.

Nouvelle, – elle fut créée en 1973 –, originale, – par son statut autant que par ses attributions –, l’institution du Médiateur s’est affirmée progressivement, en apportant concrètement la preuve de son utilité. La médiation prend une part croissante dans la prévention et la gestion des conflits qui peuvent affecter tous les domaines de la vie sociale. Elle permet d’établir de nouveaux liens sociaux, et contribue ainsi à donner une réponse concrète au sentiment d’exclusion de personnes ou de groupes. Ce sont là des finalités dont nul ne contestera la portée, ni l’actualité. Son rôle est maintenant pleinement reconnu.

Une donnée immédiate, strictement quantitative, permet de prendre la mesure de cette reconnaissance : peu connu du citoyen ou de l’usager dans les premières années de son existence, le médiateur de la République aura reçu en 1997 près de 45 000 réclamations.

Des indices plus qualitatifs soulignent mieux encore l’audience qui est désormais celle de votre institution. Le pourcentage élevé de médiations réussies – que vous évaluez à 88 % – témoigne d’un accueil attentif par l’administration. Le nombre de propositions de réforme finalement retenues manifeste l’intérêt des pouvoirs publics dans leur ensemble. Je suis également sensible à l’actualité de ces propositions, comme en témoignent, par exemple celles consacrées au droit des étrangers, dans votre rapport pour 1997.

Cette réussite doit beaucoup aux personnalités qui se sont succédé dans l’exercice de la fonction. Sans jamais outrepasser les compétences que la loi leur confiait, elles ont toujours eu le souci de les utiliser pleinement, pour orienter et convaincre. En privilégiant le dialogue, elles ont su organiser avec les administrations une collaboration à la fois active et efficace, tout en maintenant l’indépendance nécessaire de l’institution.

Dans cette perspective, les correspondants du Médiateur dans les ministères et les grands organismes publics jouent un rôle important. Étant également correspondants de la commission pour la simplification des formalités, ils représentent un relais indispensable pour l’accueil des recommandations et pour faire progresser dans les mentalités des agents les considérations d’équité qui fondent l’action du Médiateur.

Je souhaite aussi souligner le rôle important joué par le Secrétariat Général du Gouvernement pour veiller à la mise en œuvre des propositions de réforme du Médiateur.

Les leçons de ce constat très positif doivent être tirées. Le médiateur de la République doit disposer des moyens nécessaires à l’exercice de ses missions. Sa place dans notre État de droit doit être confortée. Telle est la volonté que je souhaitais exprimer devant vous.

Le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, qui sera prochainement déposé au Parlement, prévoit d’étendre les compétences du médiateur de la République. Ces propositions de réforme ne seront plus nécessairement liées aux réclamations qu’il reçoit ; il aura la faculté de provoquer, et non plus seulement de demander, l’inspection ou le contrôle d’un service public dont le fonctionnement est défaillant ; afin d’en développer la résonance, le rapport annuel fera l’objet d’une communication devant le Parlement.

Ainsi sera encore mieux assuré le rôle du Médiateur, dans le respect de sa spécificité. Le médiateur n’est en effet pas une autorité administrative, ni une juridiction. Sa raison d’être, son efficacité aussi, reposent sur la souplesse du fonctionnement de l’institution, la proximité avec le citoyen, la rapidité de ses interventions. Sur ce dernier point, j’ai noté avec intérêt que le délai moyen de traitement des dossiers avait tendance à diminuer et ne dépassait pas quatre mois.

J’en viens maintenant à la question, plus générale, à laquelle était consacrée la seconde journée de ce colloque : la place et le développement des différentes formes de médiation.

Leur point commun est précisément ce qui leur confère tout leur intérêt : l’appel à un intermédiaire, neutre, indépendant.

La médiation peut d’abord être un nouveau mode de gestion des différends et des conflits. Face à la complexité du droit et des procédures, à l’accroissement des contentieux et l’encombrement des juridictions, elle veut privilégier un dialogue direct entre les parties en cause. Elle permet de parvenir rapidement à un règlement amiable du litige, qui ne se fondera pas seulement sur l’application de la règle de droit.

Des considérations de cet ordre expliquent pour une large part la création du médiateur de la République, puis la nomination de médiateurs au sein de collectivités locales importantes, dans les services publics ou les grandes entreprises. Elles sont au cœur de l’émergence des médiations judiciaire et pénale.

Au-delà de cette première conception, que l’on pourrait presque qualifier d’utilitariste, la médiation prend une autre signification. Sans avoir nécessairement pour objet de régler un différend, elle tend à rétablir le lien social, entre les individus et les groupes, entre ces groupes et l’ensemble de la société. Elle renforce les instances traditionnelles de régulation et de socialisation que sont la famille, l’école, la ville. C’est en ce sens que sont menées dans nos grandes agglomérations des expériences originales et courageuses, par exemple en milieu scolaire, ou dans les quartiers défavorisés. Elles constituent un nouveau mode d’accès, de formation à la citoyenneté, et jouent ainsi un rôle actif dans la prévention de la délinquance et des violences urbaines.

La médiation judiciaire n’est pas seulement une réponse à l’inflation des procédures, un moyen de prévenir les contentieux. Elle permet aussi de mieux faire accepter la décision prise à l’issue d’un litige. La justice se rapproche ainsi du citoyen. Son rôle de régulation sociale n’est plus contesté. C’est vrai a fortiori de la médiation pénale qui, à la logique de la répression, substitue celle de la réparation.

Le développement des médiations va dans le sens d’une responsabilisation de tout le corps social. Si la sécurité et la justice demeurent une responsabilité première de l’État, elles doivent en effet aussi être l’affaire de tous, engager la société civile dans son ensemble. La médiation contribue à ce nécessaire mouvement.

Mais, dans le même temps, ce développement est un symptôme qui révèle deux maux. La complexité excessive des règles, la lenteur des procédures qui provoquent un éloignement progressif entre l’administration et la justice d’une part, et l’usager ou le justiciable, d’autre part : la remise en question des cadres habituels de socialisation et d’accès à la citoyenneté, d’autre part.

L’action que conduit le Gouvernement vise à s’y opposer. En garantissant le respect des règles et des principes qui fondent notre République et notre droit. En adaptant le fonctionnement de l’État, en veillant à ce qu’il agisse au plus près du citoyen.

Garantir le respect des règles de notre État de droit : je sais, Monsieur le médiateur, que cette préoccupation est aussi la vôtre. Dans la pratique quotidienne de l’institution, vous vous attachez à ce que l’invocation de l’équité ne méconnaisse pas le principe d’égalité devant la loi.

Dans le même esprit, le recours à la médiation pénale ne saurait conduire ni à écarter les garanties offertes à tout justiciable que sont le principe du contradictoire ou les droits de la défense, ni à laisser la seule réparation matérielle du préjudice causé l’emporter sur la réparation que le délinquant doit à la société, ni à remettre en cause la fonction dissuasive de la peine.

C’est pourquoi cette méthode ne peut concerner que les délits les moins graves.

C’est au nom de préoccupations analogues qu’il faudra organiser avec plus de précision les conditions de formation, de recrutement, d’encadrement des médiateurs lorsque ceux-ci ont vocation à intervenir directement dans la vie sociale.

Il revient en effet à l’État d’éviter qu’un recours excessif à la médiation en tous domaines ne conduise à sacrifier l’intérêt général sur l’autel des corporatismes et des revendications communautaristes. Il lui appartient d’assurer l’unité des valeurs et des principes qui fondent le pacte républicain. L’école doit retrouver ici le rôle qui lui incombe naturellement, d’éducation à la citoyenneté et à la morale civique. C’est une priorité du Gouvernement à laquelle le ministre de l’éducation nationale Claude Allègre et sa collègue Ségolène Royal travaillent activement.

L’État doit également s’adapter, en privilégiant les politiques et les actions de proximité.

Cette exigence s’applique à l’administration elle-même. Le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, que prépare Monsieur Zuccarelli, prévoira des dispositions importantes en ce sens.

Être plus proche, c’est faciliter l’accès à l’information et aux règles de droit. Le droit de toute personne à un accès simple à ces règles doit être effectif. Le plan d’action gouvernemental pour la société de l’information, que j’ai présenté récemment, et qui vise notamment à faciliter l’accès à l’administration par Internet, en est une application. Je me félicite d’ailleurs que le médiateur de la République partage le même souci, et qu’il ait saisi l’occasion de ce colloque pour ouvrir son propre site.

Être plus proche, c’est refuser l’anonymat. Toute décision administrative devra mentionner le nom de son auteur.

Être plus proche, c’est répondre rapidement. Toute demande adressée à une autorité administrative devra faire l’objet d’un accusé de réception. Elle sera transmise à l’autorité compétente. Les cas dans lesquels le silence gardé par l’administration vaut acceptation seront étendus.

Être plus proche, c’est édicter des règles claires et intelligibles par tous. Il faut simplifier les règles applicables, les rendre plus lisibles. Trois textes importants seront harmonisés : la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : la loi relative à la liberté d’accès aux documents administratifs ; la loi sur les archives.

Être plus proche, c’est rapprocher le décideur de l’usager, avoir une connaissance plus précise de sa demande.

Le souci de simplicité ne doit pas conduire l’administration à une uniformisation excessive, à une adaptation insuffisante à la singularité des situations. Le développement de maisons des services publics vise précisément à faciliter les démarches et améliorer la présence des administrations sur l’ensemble du territoire. Cela s’accompagne d’un important effort de déconcentration des décisions administratives individuelles, organisé par un ensemble de décrets pris au mois de décembre dernier. En la matière, la compétence de droit commun appartient désormais au préfet de département, l’intervention de l’autorité ministérielle, au niveau central, ne devant constituer que l’exception.

Cette proximité nécessaire concerne également la justice ; c’est un volet essentiel de la réforme préparée par Madame le garde des sceaux.

Elle doit s’exercer dans le temps, en rendant la justice plus rapide. Il convient en effet de développer des modes de règlement plus souples la médiation, avec les précautions que j’indiquais, mais aussi les formules de conciliation et de transaction.

Elle doit s’exercer sur le territoire, avec le développement prévu des maisons de justice et du droit.


Monsieur le médiateur de la République,
Mesdames, Messieurs,

L’institution du Médiateur a pris une place importante dans notre pays parce qu’elle répondait à une attente. Son affirmation doit beaucoup à la qualité des hommes qui l’ont incarnée. Je souhaite conclure ce colloque par un hommage à ceux qui se sont succédé dans ces fonctions et, tout particulièrement à vous-même, Monsieur Jacques Pelletier, qui n’avez pas ménagé vos efforts et avez su, avec intelligence et ténacité, contribuer au rayonnement de cette institution.

Pour ce qui concerne l’avenir, je forme le vœu que l’institution du Médiateur conforte encore son assise et, par son exemple, encourage le développement de la médiation sociale dans notre pays.