Interview de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, François Hollande, porte-parole du PS, et Denis Kessler, vice-président du CNPF, à France 3 le 18 septembre 1996, sur le projet de budget pour 1997 et les modalités de la réforme fiscale et de la baisse de l'impôt sur le revenu.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission La Marche du Siècle - France 3 - Télévision

Texte intégral

Faut-il payer autant d’impôts ?

Invités :
    Jean Arthuis, ministre de l’Economie et des Finances,
    Denis Kessler, vice-président du CNPF, président de la Commission économie et prospective,
    François Hollande, porte-parole du parti socialiste,
    Robert Baconnier, fiscaliste dans un cabinet privé, ancien directeur de la Direction générale des impôts,
    Chantal Aumeran, secrétaire générale du Syndicat national unifié des impôts (SNUI).

Journaliste : Hausse de la TVA, des impôts locaux, de la taxe sur les carburants. CSG relevée de 1 %. Malgré l'annonce faite par Alain Juppé d'une diminution de l'impôt sur le revenu en 1997, les Français se demandent toujours : faut-il payer autant d'impôts ?

Réponse attendue, ce soir, dans LA MARCHE DU SIÈCLE, du ministre de l'Economie et des Finances, Jean ARTHUIS, entouré de :
    François Hollande, porte-parole du parti socialiste ;
    Denis Kessler, vice-président du CNPF ;
    Robert Baconnier, ancien directeur de la Direction générale des impôts ;
    Chantal Aumeran, secrétaire général du Syndicat national unifié des impôts.

M. Cavada : Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans LA MARCHE DU SIÈCLE, prévue pour ce soir depuis le mois de juin. C'est le jour du budget. C'est une coïncidence heureuse pour nous. Voyons si nous y verrons plus clair tout à l'heure. Cette émission a été construite en collaboration avec l'équipe rédactionnelle du mensuel économique, CAPITAL, que je remercie et l'équipe rédactionnelle de notre confrère de la radio, RTL, que je remercie également.

Un sixième invité qui figure dans vos magazines de télévision était prévu ce soir ; Monsieur Madelin. Dans une lettre qu'il nous a adressée le 16 septembre, Monsieur Madelin explique son renoncement final à participer à LA MARCHE, en trois points :

« La réforme, dit-il - je l’interprète - va dans le bon sens. Les réformes économiques annoncées – je le cite – ne constituent pas le levier économique capable de favoriser un retour de la croissance ». Fin de citation. Et, enfin, troisième point : Mais faisant partie de la Majorité, je ne souhaite pas gêner mon successeur ». Il a, en effet, démissionné du poste que vous occupez, Monsieur Arthuis, en août de l’année dernière.

Le prélèvement de l’argent individuel par un système de gouvernement est à peu près aussi ancien que l’idée de pouvoir elle-même, c’est dire ! Nous vivons actuellement sur une notion qui est également presque vieille d’un siècle, l’impôt sur le revenu des personnes physiques, le fameux IRPP. Vous pensez sans doute qu’il procure l’essentiel des ressources de l’État, vous allez déchanter tout à l’heure. La grosse masse ne vient pas de là. Et, en plus, cette notion n’a cessé de faire des petits et d’évoluer, d’ailleurs, au fur et à mesure des décennies.

Résultat : nous sommes aujourd'hui - si nos renseignements sont exacts et les comparaisons sont parfois contradictoires - au troisième rang de la pression fiscale en Europe, Europe du Nord comprise.

Jean-Marie Gouat et Patrick Spica relatent l'accumulation des impôts avec les années qui y ont passé et tout ceci a démarré avec la première guerre mondiale.

REPORTAGE

Journaliste : 1914, la grande guerre. Elle va coûter cher. Pendant que les hommes se préparent au combat, il faut trouver de l'argent. Un homme décide, alors, de réformer le système fiscal du pays. Son nom, Joseph Caillaux, ministre des Finances de l'époque. Il annonce la création d'un nouveau type d'impôt basé sur les revenus des travailleurs. Tollé à l'Assemblée nationale. Pourtant, l'impôt général sur le revenu sera voté le 15 juillet 1914.

Journaliste : L'impôt général sur le revenu est dû au 1er janvier de chaque année par toutes les personnes ayant, en France, une résidence habituelle.

Journaliste : Pour la première fois, l'impôt est plus équitable. Il est calculé au prorata des ressources de chacun. Le précédent système, sous Napoléon, ne taxait que les habitations sans tenir compte du revenu des occupants.

M. Le Cacheux : L'ancien système instauré par Napoléon était un système particulièrement complexe et injuste. Il imposait différemment les différentes catégories de revenus et il faisait payer les pauvres davantage que les riches. Le nouveau système, instauré par la loi Caillaux, est un système progressif. C'est-à-dire que c'est un système avec un barème et des tranches qui dépendent du revenu comme le système actuel. C'est donc un système qui fait davantage payer les riches que les pauvres. C'est aussi un système qui a l'avantage de rapporter plus à l'État.

Journaliste : La loi prévoyait une retenue de seulement 2 %. Trois ans plus tard, la promesse est oubliée. Les prélèvements varient déjà de 12 à 22 %. La fiscalité moderne est née. Son poids ira grandissant.

30 ans plus tard, juin 1944, Libération de Paris. Six années de guerre donnent à la société française un formidable élan de solidarité. La protection sociale est inscrite dans la Constitution. Le Pouvoir crée la Sécurité sociale.

Journaliste : Monsieur Laroque, directeur de la Sécurité sociale, parle aux Français.

M. Laroque : Le 24 avril prochain, il va être procédé par toute la France à des élections générales en vue de pourvoir à la désignation des conseils d'administration des Caisses de Sécurité sociale et d'Allocations familiales.

Journaliste : Et ce sont les salariés qui vont assurer le financement de la Sécurité sociale. Un prélèvement obligatoire de 6 % est directement prélevé sur leur salaire. Dans le même temps, le gouvernement invente le quotient familial. Une réduction fiscale proportionnelle au nombre d'enfants. Objectif : relancer la natalité. La fiscalité devient un instrument de la politique économique du pays.

M. Le Cacheux : Les impôts ont en effet deux fonctions :

D'une part, évidemment, ils servent à alimenter les caisses de l'État. Mais ils servent aussi à inciter les contribuables à faire certains choix. En l'occurrence, faire plus d'enfants.

Il y a d’autres exemples d’utilisation de la fiscalité pour inciter les contribuables. Ainsi, on taxe davantage les cigarettes pour les dissuader de fumer et on allège la fiscalité sur les revenus de l’épargne pour les inciter à épargner davantage.

Journaliste : 1948 : la France se reconstruit. Ses industries fonctionnent à plein régime et créent des emplois. Du coup, l'État va profiter de l'essor économique du pays pour remplir ses caisses. Il crée d'abord une nouvelle taxe, l'impôt sur le bénéfice des sociétés. Et, dans la foulée, réforme l'impôt sur le revenu. Les taux de prélèvements augmentent et peuvent atteindre 60 % pour les hauts salaires.

À chaque gouvernement, sa réforme. Six ans plus tard, en 1954, sous le Président Coty, instauration de la TVA, la taxe sur la valeur ajoutée. Un impôt sur la consommation de 6 à 25 %. Il ne concerne, à cette époque, que quelques produits, l'électroménager, les vêtements, les automobiles.

Journaliste : Il y a une armée de photographes. Des cris partout, des gens absolument exaltés, sur les chaises, partout. Et le silence ne peut se faire qu'au moment même où Pierre Poujade monte en chaire et va prononcer la deuxième partie de son allocution.

Journaliste : Pierre Poujade, chef de file des protestataires, car la TVA est considérée comme un impôt de trop par les commerçants qui doivent augmenter leurs prix. Ils s'unissent pour la première fois. Le mouvement poujadiste est né.

Journaliste : À Paris, des incidents ont éclaté entre la police et les poujadistes...

Journaliste : ... La colère gronde, mais le gouvernement n'allège pas pour autant sa pression fiscale, bien au contraire.

Devant le boum des ventes automobiles, la 4 CV de Renault fait un malheur. Le Pouvoir invente un impôt supplémentaire, la vignette. Annoncée comme provisoire, la vignette doit servir à financer les retraites. Cet impôt ne disparaîtra jamais. Aujourd'hui, il est affecté au financement des collectivités locales.

Mais les Français n'ont pas fini de mettre la main à la poche. Le retour de De Gaulle au Pouvoir, en 1958, s'accompagne d'un sacré tour de vis fiscal. Une série de mesures sans précédent est annoncée à la télévision.

Général de Gaulle : Accroître les impôts sur les sociétés et sur les revenus élevés. Taxer le vin, les alcools, le tabac. Supprimer nombre de subventions accordées par le Trésor.

Journaliste : De Gaulle justifiera ces prélèvements par la nécessité de doter la France d'une puissante force militaire.

Dix ans plus tard, Georges Pompidou, Premier ministre, alourdit un peu plus la pression fiscale. La TVA, ça marche. Alors, on l'applique à tous les produits de consommation courante. Une réforme pour le moins complexe à tel point que, dans les actualités de l'époque, le sujet est traité avec un brin d'ironie.

Journaliste : Il faut donc savoir que, suivant l'article 422-31, le taux de 6 % s'applique aux abats de triperie. L'article 13 C soumet les filets de poisson frais au taux réduit. Il faut encore savoir, article 431-12, que les balais-brosses composés de touffes, de matières insérées ou fixées dans une monture de bois ou d'autres matières...

Journaliste : ... C'est la confusion dans tous les magasins de l'époque.

Intervenant : J'ai environ 7 à 10 000 articles dans mon magasin. À raison de 15 articles à marquer à l'heure ou 20, en allant même très vite, j'en ai pour six mois. À ce régime-là, c'est compliqué. C'est même trop compliqué.

Journaliste : Compliqué, c'est souvent le reproche que les Français font à l'égard de leur système fiscal. Et même quand le ministre des Finances annonce que l'on peut payer moins d'impôts, personne n'y comprend rien.

M. Giscard d'Estaing : Bonsoir. Je voudrais d'abord vous expliquer cette affaire.

Journaliste : Cette affaire, c'est l'avoir fiscal.

M. Giscard d'Estaing : En réalité, je voudrais m'expliquer simplement. Enfin, essayer. Je vais le faire devant un tableau. Quand une société paie un salaire...

Journaliste : Un crayon à la main, Valéry Giscard d'Estaing joue les maîtres d'école.

M. Giscard d'Estaing : Deuxième situation, l'entreprise fait un profit.

Journaliste : La démonstration va durer près de 5 minutes.

M. Giscard d'Estaing : Si, par contre, il est dans une tranche d'impôt... puisque vous voyez, ici, il y a trois tiers... qu'est-ce que c'est ? C'est une retenue à la source égale au quart du profit distribué par les entreprises.

Journaliste : La France entière se souviendra de ce cours de fiscalité.

23 septembre 1976, la télévision annonce la création d'un impôt nouveau, l'impôt sécheresse.

Journaliste : Après l'appel lancé par la FNSEA pour que le Gouvernement vienne en aide aux éleveurs touchés par la sécheresse...

Journaliste : L'impôt sécheresse, une taxe provisoire destinée à venir en aide aux agriculteurs.

Journaliste : Annoncée par Jacques Chirac.

M. Chirac : Ce sera, sans aucun doute, un sacrifice important qui exigera un appel à la solidarité nationale...

Journaliste : … Historiquement, c'est la seule fois où un impôt annoncé comme provisoire disparaît un an plus tard.

1980 : c'est l'arrivée de la gauche au pouvoir. François Mitterrand brandit la bannière égalitaire. C'est du côté des riches qu'il décide de prélever l'obole, il instaure l'IGF, l'impôt sur les grandes fortunes.

M. Fabius : Il n'y a pas de raison, Mesdames et Messieurs les députés que, comme par le passé, le travail soit fiscalement pénalisé par rapport à la fortune.

Journaliste : L'IGF est très vite au cœur du débat politique. Pour la droite, c'est un impôt qui décourage les investisseurs et pénalise l'emploi. En 1986, la nouvelle Majorité le supprime.

Deux ans plus tard, lors du débat pour l'élection présidentielle, l'IGF est toujours au cœur du face à face, droite-gauche.

M. Chirac : Oh ! naturellement, sur le plan de la démagogie, c'est excellent de dire : « On fait payer les riches ». Mais qui n'a pas cet objectif, naturellement ? Mais lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre une technique qui, au total, fera le malheur des autres et, ça, on ne le leur dit pas, alors, je dis : « Attention ». Moi, j'élimine toute démagogie. Je sais que cette position n'est pas bien ressentie, que tous les sondages sont favorables...

Journaliste : Et les sondages ne se sont pas trompés, l'IGF est, pour une fois, un impôt populaire. François Mitterrand remporte les élections présidentielles de 1988. C'est Michel Rocard, le nouveau Premier ministre, qui rétablit l'impôt sur la fortune. Mais il change de nom, place à l'ISF, l'impôt de solidarité sur la fortune.

1991 cette fois, c'est la Sécurité sociale qu'il faut renflouer. Le gouvernement Rocard crée la CSG, la contribution sociale généralisée.

La pression fiscale s'accroît encore un peu plus, malgré les protestations à droite et chez les syndicats.

Intervenant : Aujourd'hui, je crois qu'on a affaire au plus grand racket du siècle. Aujourd'hui, je crois que Rocard est non seulement le fossoyeur de la Sécurité sociale, mais il est également le fossoyeur des régimes de retraite complémentaire.

M. Juppé : Il nous faut sauver notre système de protection sociale...

Journaliste : Mais à peine revenue au pouvoir, non seulement la droite conserve la CSG, mais crée un nouveau prélèvement destiné à endiguer le déficit de l'assurance-maladie. Ainsi, en 1996, sur leur fiche de paie, les Français voient apparaître un nouveau prélèvement, dernier en date, le RDS, le remboursement de la dette sociale.

Près d'un siècle d'impôts et de prélèvements en tous genres se sont accumulés au fil du temps. Et, à l'arrivée, un constat : une pression fiscale qui représente aujourd'hui près de la moitié des revenus du contribuable.

M. Cavada : Monsieur le ministre, Jean Arthuis, tout d'abord, je vous dis « bonsoir » et puis je voudrais m'adresser tout de suite à vous.

Si vos prévisions pour 1997 se vérifient, on pourra donc faire le constat, l'an prochain, que la France vivra encore ou aura vécu, à la fin de l'année, au-dessus de ses moyens puisque vous prévoyez, pour l'année prochaine, un déficit budgétaire de 283 milliards de francs, c'est-à-dire 4 de moins que le déficit prévu pour cette année 1996. 4 au lieu de 40 que vous aviez, le gouvernement, imaginé de réduire aux environs du printemps.

Et pourtant, dans le même temps où la France a un déficit très important, vous annoncez une réforme fiscale qui abaisse l'impôt sur le revenu, pour une partie. Alors, j'ai trois types de questions à vous poser pour qu'on comprenne bien quel est le sens de cette action :
    - premièrement ; quelles sont les grandes lignes concrètes pour les contribuables de cette réforme ?
    - deuxièmement : qui va réellement en bénéficier ?
    - troisièmement : quels objectifs économiques, poursuivez-vous ?

M. Arthuis : Jean-Marie Cavada, si vous le permettez, d'abord, ce déficit. En effet, en 1997, notre objectif : c'est un déficit de 283 milliards, c'est considérable. Et pour ceux qui nous écoutent, ce soir, d'évoquer ainsi des milliards alors qu'ils gagnent quelques milliers de francs par mois, cela a un caractère un peu surréaliste. C'est un déficit qui est en baisse par rapport à celui que nous allons constater en 1996. Il sera de 288 milliards.

M. Cavada : Il baisse légèrement et régulièrement depuis quelle année ? 1993 ou 1994 ?

M. Arthuis : Il baisse depuis 1994-1995. Il faut bien voir que, dans les années 89, 90, 91, 92, une époque où on parlait de réhabilitation de la dépense publique, on a cessé de creuser le déficit. On a appelé des impôts, bien sûr, mais cela ne suffisait pas. Et la dépense publique ne cessait de croître. On avait l'impression qu'on était condamné à subir comme ça, chaque année, une pression inexorable. La pression de la dépense publique finissait par étouffer l'économie et, d'ailleurs, on s'en est bien rendu compte. On s'est rendu compte que, plus la dépense publique augmentait, moins on créait d'emplois et plus on se mettait en difficulté.

M. Cavada : Alors, ça, c'est pour la pédagogie des populations de la réduction du déficit.

M. Arthuis : Il faut réduire le déficit parce que, là où il y a du déficit, il y a de la dette publique. En 1980, la dette publique, c'était 400 milliards. Et, à l'époque, la charge de la dette, c'est-à-dire l'intérêt qu'on devait inscrire dans les dépenses de l'État, c'était 5 % du produit des impôts que l'État met en recouvrement auprès des Français.

En 1996, la dette, c'est près de 4 000 milliards et l'intérêt, c'est 20 % du produit des impôts ; on ne peut pas continuer comme ça.

M. Cavada : Cette année, par exemple, vous allez dépenser combien pour rembourser l'intérêt de tout ce que nous avons emprunté ?

M. Arthuis : Cette année, nous allons, en 1996, dépenser en intérêt, 221-222 milliards.

M. Cavada : Et vous n'aurez pas remboursé un brin de capital, évidemment.

M. Arthuis : Et nous ne sommes pas en mesure de rembourser. Autrement dit, les emprunts contractés antérieurement qui viennent à échéance maintenant, pour les rembourser, je dois émettre des emprunts obligataires, des bons du trésor. Et les besoins sont tels...

M. Cavada : ... Ceux des aînés, Monsieur le ministre, qui vous écoutent ne peuvent pas ne pas penser à une époque qui doit être celle de la fin de la deuxième moitié des années 50 où ils ont le souvenir que le président du Conseil de l'époque traversait l'Atlantique avec une valise pour faire les salaires des fonctionnaires. Sommes-nous dans un tel état de gravité ?

M. Arthuis : Non, Dieu merci, nous n'en sommes pas là. Mais il est urgent d'assainir nos finances publiques, de remettre de l'ordre dans notre maison, de cesser de croire qu'une Nation peut vivre à crédit sans limitation.

M. Cavada : 283 milliards... Il faudrait dire : « moins 283 milliards de déficit, cette année ». Comment voulez-vous le faire baisser ? C'est-à-dire il y en aura combien l'an prochain, à peu près ? Parce qu'on a vu que la prévision avait beaucoup varié cette année.

M. Arthuis : D'abord, je voudrais vous dire qu'aujourd'hui, 18 septembre, c'est une grande bonne nouvelle pour les Français. Jusqu'à maintenant, on pensait que la dépense publique était condamnée à augmenter inexorablement chaque année, la démonstration vient d'être faite qu'un gouvernement, lorsqu'il en a la détermination, peut stopper cette progression...

M. Cavada : ... Mais cela fait la troisième prévision qui prévoit de réduire notre déficit ?

M. Arthuis : Savez-vous que, pour la première fois...

M. Cavada : ... 1994, 1995, 1996...

M. Arthuis : ... Oui, mais, puis-je vous faire observer...

M. Cavada : ... C'est même la quatrième.

M. Arthuis : Que les dépenses augmentaient en 1994, 1995 et un peu en 1996. En 1997, le niveau de dépenses sera identique aux dépenses 1996. C'est sans précédent. C'est-à-dire que, compte tenu de l'inflation, la dépense publique recule...

M. Cavada : ... Est donc freinée mécaniquement puisque vous bloquez...

M. Arthuis : ... Parce que nous faisons cet effort, parce que nous démontrons qu'il est possible de contenir les dépenses publiques que nous allons pouvoir baisser les impôts.

M. Cavada : Ceci concerne le déficit public.

Quelles sont les grandes lignes de votre réforme à usage de ceux qui vont payer ou de ceux qui, au contraire, ne paieront pas ou de ceux qui, au contraire, sont plutôt pénalisés par votre réforme ? Quelles sont les grandes lignes ? Assez rapidement, si vous me permettez, mais il faut être concret.

M. Arthuis : C'est vraiment un effort sans précédent. Juste un mot : le produit de l'impôt sur le revenu est de 300 milliards. Nous avons programmé sur 5 ans d'alléger de 75 milliards - c'est-à-dire du quart - le poids de cet impôt. 25 milliards dès 1997 et puis, chaque année, 12 milliards 500 millions.

M. Cavada : Cela, c'est ce que vous donnez d'une main.

M. Arthuis : Oui.

M. Cavada : Vous me voyez venir ?

M. Arthuis : Oui.

M. Cavada : Il y a aussi ce que vous reprenez de l'autre, mais peut-être en reparlera-t-on tout à l'heure.

M. Arthuis : On va en parler tout à l'heure. Mais, si vous le permettez, comment cela va-t-il se passer ? Nous avons choisi l'impôt sur le revenu, pourquoi ? Parce que les grands impôts...

M. Cavada : ... Mon mauvais esprit me fait dire : « Parce que ce n'est plus un impôt très productif pour la richesse de l'État. C'est celui qui rapporte le moins ».

M. Arthuis : C'est un impôt excessivement lourd.

M. Cavada : Difficile à percevoir ?

M. Arthuis : C'est un impôt qui est compliqué.

M. Cavada : Une fraude énorme ?

M. Arthuis : Le barème comporte des niches, des abattements, des réductions, des déductions. Vraiment, il faut être très au fait de la fiscalité pour remplir une déclaration annuelle d'impôt sur le revenu des personnes physiques. Il faut donc simplifier. Il faut alléger le poids de cet impôt et ii faut que tous ceux qui sont redevables de cet impôt puissent constater, dès 1997, qu'en effet ils paieront moins d'impôt. Tous ceux qui paient l'impôt.

M. Cavada : 25 milliards la première année et les 50 qui restent sur les quatre années suivantes. C'est cela ?

M. Arthuis : Absolument.

M. Cavada : Sur le premier tiers ou sur le dernier tiers prévisionnel de l'an prochain ? Vous voyez un peu mon mauvais esprit, là encore.

M. Arthuis : Mais je ne vois pas de mauvais esprit...

M. Cavada : Ah ! si, c'est à six mois des législatives, le dernier tiers.

M. Arthuis : Non, écoutez, il y a toujours une élection devant soi.

M. Cavada : C'est vrai, c'est l'ennui de la démocratie. Vous avez raison.

M. Arthuis : Nous avons une réforme qui est sur 5 ans et elle transcende les prochaines échéances électorales. Et les grandes réformes sont des réformes qui s'accomplissent dans le temps. La réforme de l'impôt sur les sociétés s'est accomplie sur six ans. La réforme de la TVA s'est accomplie sur 7 ans. La réforme de l'impôt sur les sociétés, c'était un beau geste des gouvernements socialistes qui disaient : « On va réduire d'un tiers ce que paie les sociétés commerciales ». Eh bien, le Gouvernement a dit qu'il serait peut-être bon aujourd'hui de penser aux ménages, aux familles et de réduire, de façon lisible, significative, le poids de cet impôt.

M. Cavada : Alors, entrons un peu plus dans le détail, Monsieur Arthuis, si vous permettez. Qui va bénéficier de ces réductions d'impôt, l'IRPP, l'impôt sur le revenu ?

M. Arthuis : Pratiquement tous ceux qui paient de l'impôt progressif sur le revenu et, en particulier, les foyers modestes, en particulier, les familles nombreuses...

M. Cavada : ... Jusqu'à quel niveau de revenus à peu près ils en bénéficieront ?

M. Arthuis : Dès les premières marches. C'est ainsi qu'un certain nombre de foyers qui, aujourd'hui, paient...

M. Cavada : ... Oui, mais jusqu'à quel niveau ?

M. Arthuis : ... de l'impôt vont cesser d'en payer. Il y avait un mécanisme assez particulier dans l'impôt sur le revenu. On ne va pas entrer dans la technique, mais c'était un avantage qui était réservé à chaque foyer fiscal, quel que soit le nombre de personnes dans ce foyer fiscal. Un célibataire, une famille nombreuse, c'était le même avantage. Eh bien, nous avons considéré, sur les propositions de la Commission qu'a présidée Monsieur de la Martinière et à laquelle a participé Monsieur Baconnier, qu'il fallait ouvrir cet avantage aux familles, en fonction du nombre de personnes dans ces familles. Alors, nous supprimons cette décote et nous élargissons ce qu'on appelle la tranche à temps zéro, c'est-à-dire le revenu qui n'est pas imposé. Et comme notre système, par quotient familial, tient compte d'un revenu par nombre de personnes dans le foyer, ceci porte un avantage considérable aux familles nombreuses et aux foyers modestes.

M. Cavada : Compression de l'impôt sur le revenu, 25 milliards la première année, c'est-à-dire dès 1977, et puis les 50 milliards étalés sur les quatre ans qui suivent. Ensuite, exonération d'impôt sur le revenu pour un certain nombre de foyers dont vous venez de décrire la typologie, notamment par le bas. On parlera du dessus aussi tout à l'heure. Qu'est-ce qu'il y a d'autres dans votre réforme fiscale, Monsieur ?

M. Arthuis : Tous les barèmes, tous les taux des barèmes. Le taux le plus bas était à 12 %. En 5 ans, il va passer à 7 %. Il en est ainsi pour chaque tranche du barème. Le taux le plus haut était à 56,8, nous le ramenons à 47 %. Toutes les tranches en bénéficient. Ceci n'est pas facile à schématiser mais, si on avait quelques tableaux sous les yeux, on verrait qu'en fonction des revenus l'allègement, à tous les niveaux de revenus, est un allègement considérable, pour tous les foyers. Et notamment pour ceux qui se situent dans les classes moyennes, qui gagnent entre 10 et 25 000 francs, ils ont le sentiment quelquefois de porter tout le poids de l'impôt. Eh bien, ces familles-là aussi vont bénéficier de cet allègement...

M. Cavada : ... Est-ce que je vous choque si je dis que la lecture politique de votre réforme fiscale que j'ai vue dans la presse et qui est d'ailleurs peut-être apparente pour beaucoup de gens, apparaît comme la philosophie suivante : essayons de moins fiscaliser le fruit du travail. Est-ce que c'est cela la philosophie des choses ?

M. Arthuis : J'y viens, Monsieur Cavada.

M. Cavada : Pardon.

M. Arthuis : Il n'y a pas si longtemps, c'était entre... dites-moi, Monsieur Hollande, entre 89 et 92...

M. Hollande : ... Si vous voulez que je parle, je vais le faire.

M. Arthuis : On avait choisi à l'époque d'alléger l'impôt sur le revenu des placements, autrement dit sur les revenus de l'argent qui dort. Le placement qui ne prend pas de risque, qui souscrit les bons du Trésor, tranquillement…

M. Cavada : ... Le plan d'épargne populaire, par exemple.

M. Arthuis : On l'avait passé de 25 % à 15 %, une déduction considérable. Eh bien, l'heure est venue d'alléger l'impôt que paient ceux qui travaillent, les salariés. Les salariés, ceux qui entreprennent, ceux qui assument des risques, ceux qui investissent, ceux qui créent des richesses, ceux qui créent des emplois.

Revenons aussi sur les salariés. Les prélèvements sociaux, savez-vous qu'entre 1981 et 1993, ce qui vient en déduction sur la feuille d'impôt, et tous les salariés s'en sont bien rendus compte, en 1980, on déduisait à peu près 12 % ; en 1993, on est rendu à 18,6 %. Autrement dit, ce qui est effectivement versé, le salaire net qui revient aux salariés s'était considérablement allégé du fait de ces prélèvements. Nous payons trop d'impôts. Nous devons avoir une détermination : c'est de réduire nos dépenses publiques.

M. Cavada : Cela veut dire, réduire le train de vie de l'État ? réduire ses structures éventuellement ?

M. Arthuis : Absolument. Et c'est ce que nous faisons. C'est la réforme de l'État. Le Budget de 1997 a pu être construit tel que je l'ai soumis, ce matin, au Conseil des ministres parce que, précisément, nous avons eu ce courage et cette détermination.

M. Cavada : Vous avez en face de vous, Monsieur François Hollande, porte-parole du Parti socialiste, qui a eu deux adjectifs pour qualifier ce Budget ou en tout cas deux mots. Est-ce que vous voulez répéter comment vous l'avez qualifié ?

M. Hollande : Oui, sans déplaire à Monsieur Arthuis, je vais répéter ce que j'ai dit déjà ce matin lorsqu'on a pris connaissance de ce budget, c'est que, d'abord, il est inefficace au plan économique. Parce que les Français qui nous regardent, c'est la question qu'ils se posent : est-ce que le budget qui nous est présenté aujourd'hui va changer quoi que ce soit dans l'économie française, notamment dans le chômage ? Or, votre budget, dès lors qu'il comprime les dépenses, et vous avez sans doute vos raisons, notamment les dépenses qui sont les plus efficaces pour la relance de l'économie, notamment pour le logement, notamment sur le traitement social du chômage et même sur la réduction du nombre d'emplois publics, bref, c'est l'aspect « dépenses ». Et dès lors que vos allègements fiscaux dont vous avez beaucoup parler, et j'ai été stoïque en vous écoutant, notamment lorsque vous avez rappelé quelques héritages. On a tous notre héritage et on l'aura aussi à notre tour, je suppose !... Mais, lorsque vous avez rappelé les allègements fiscaux, vous avez été particulièrement discret sur le montant.
 
Vous avez, ce matin, parlé de 13 milliards de francs d'allègements fiscaux. Avez-vous le sentiment qu'avec 13 milliards d'allègements fiscaux sur des recettes publiques qui se montent à peu près à 1 300 milliards... sur 13 milliards de francs rapportés à 1 300 milliards, cela fait 0,1 % de baisse d'impôt. Et donc...

M. Arthuis : ... Non...

M. Hollande : ... Attendez, j'ai été suffisamment patient...

M. Arthuis : Vous êtes victime des mauvaises informations, Monsieur Hollande.

M. Hollande : Non, j'ai lu l'AFP.

M. Arthuis : L'AFP, ce n'est pas la vérité révélée.

M. Hollande : Ah ! c'est charmant.

M. Arthuis : L'AFP, ce matin, a diffusé précisément une dépêche qui était erronée. Si nous parlons des allègements, il y a 25 milliards d'allègements en 1997, au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Il y a, en outre, 13 milliards 500 millions qui sont la conséquence d'un ensemble de mesures prises en 1996, qui ont été soumises au Parlement dans le cadre des opérations de relance de la consommation et de l'investissement. 13 milliards 500 millions, ça fait 38 milliards 500 millions. Les impôts nouveaux qui viennent en déduction, quels sont-ils ? Il y a une extension de la CSG, qui avait été annoncée d'ailleurs au mois de novembre dernier, qui va représenter 7 milliards et puis il y a des impôts complémentaires sur les tabacs, sur les alcools, et qui représentent 6 milliards. La différence entre les deux, c'est un peu plus de 25 milliards. Ce sont les allègements pour 1997.

M. Hollande : Donc, votre déclaration de ce matin n'était sans doute pas la bonne. Vous êtes sur 25 milliards, on va reprendre ce chiffre de 25 milliards. Cela ne change pas, hélas ! grosso modo le raisonnement.

On était à 0,1 % des recettes fiscales tout à l'heure, avec les 13 milliards, et ce chiffre n'est pas venu par hasard car il correspond à ce que les Français, effectivement, bénéficieront au bout du compte. Mais le chiffre de 25 ne fait que 0,2. Pense-t-on véritablement qu'on va relancer l'économie française en comprimant les dépenses publiques, comme vous allez le faire, en diminuant les emplois publics, et, en plus, en accordant des allègements fiscaux aussi microscopiques...

M. Arthuis : … Nous avons donné l'horizon, 5 ans.

M. Hollande : Où vous serez dans 5 ans, on en reparlera. Et, en plus, en donnant ces allègements fiscaux uniquement à des catégories, en plus, qui ne sont pas parmi les plus grosses consommatrices. Parce que ce qui s'est passé tout de même, depuis un an et demi et je devrais dire trois ans, c'est une montée continue des prélèvements obligatoires.

J'ai ressorti, mais on ne va pas faire des tableaux et on ne va pas essayer...

M. Arthuis : ... Non, mais, vous, vous avez fait monter les déficits.

M. Hollande : On va parler des déficits, si vous voulez, tout à l'heure. J'ai des tableaux qui sortent de vos documents et je dois dire que les services du ministère travaillent plutôt bien. Les chiffres des prélèvements obligatoires, je remercie ici tous les agents publics représentés par un syndicat...

M. Cavada : ... Ce coup de chapeau n'échappe à personne.

M. Hollande : Ici, nous avons le chiffre des prélèvements obligatoires 45,6 % de prélèvements obligatoires en 1996. C'est le chiffre historique, on n'a jamais connu des prélèvements obligatoires aussi forts. Et votre chiffre de 1997, celui que vous prévoyez, ça vient de vos documents, c'est 0,1 % de moins...

M. Arthuis : ... Mais à quel niveau de dépenses publiques avez-vous laissé la France ?

M. Hollande : Et sur les dettes publiques puisque vous avez eu la maladresse...

M. Arthuis : ... Vous avez financé par du déficit, Monsieur Hollande. C'est une gestion irresponsable.

M. Hollande : On va en parler. En ce qui concerne les années 88-91, le déficit public de l'État était de l'ordre de 100 à 150 milliards de francs, sans doute trop !

M. Arthuis : C'était le prolongement de 86-88.

M. Hollande : Aujourd'hui, le déficit public de l'État, depuis 1993, est supérieur à 300 milliards de francs. Et vous avez également publié un tableau qui parle de lui-même : au 31 décembre 1992, Monsieur Arthuis...

M. Cavada : ... C'est le tableau de quoi ?

M. Hollande : C'est le tableau du ministère de l'Economie et des Finances...

M. Cavada : ... Non, non, cela, je m'en doute...

M. Hollande : ... Sur le projet de budget 1996.

M. Cavada : Que dit-il ?

M. Hollande : Ce sont les tableaux que Monsieur Arthuis, avec ses services, a fait établir....

M. Arthuis : … Et qui sont bien.

M. Hollande : Comme le dit Monsieur Arthuis, ils sont bien. Effectivement, ils sont bien puisque, au 31 décembre 1992, Monsieur Arthuis, nous en étions en dette publique, c'est-à-dire la somme des déficits passés, à 2 100 milliards. C'est trop, beaucoup trop, sans doute ! Vos chiffres - ils sont, là encore, éclairants - en 1997, Monsieur Arthuis, nous serons à 3 700 milliards. Donc, lorsque vous parlez des déficits...

M. Arthuis : … Que s'est-il passé ? Il s'est passé que deux courbes se sont croisées : la courbe des dépenses publiques...

M. Cavada : ... Un mot de réponse, Monsieur Arthuis.

M. Arthuis : C'était la réhabilitation de la dépense publique. Donc, nous sommes sur une trajectoire de dépenses qui explosent et, au même moment, les recettes viennent à s'effondrer. Vous percez le navire...

M. Hollande : ... J'ai l'impression que c'est vous qui percez les comptes.

M. Arthuis : Si cela avait été si brillant, Monsieur Hollande, je pense qu'on vous eut chargé de la continuité. Il faut maintenant écoper, il faut redresser la Maison, remettre de l'ordre dans les finances publiques. C'est ce que nous faisons. Je ne vous parle pas du Crédit Lyonnais et de quelques autres unités du secteur public.

M. Cavada : Chacun a compris les arguments de son vis-à-vis et, dans ce cas précis, de l'adversaire de sa politique. Il ne vous a pas échappé que trois personnes aspirent à prendre la parole sur ce plateau. On va commencer par la dame, la seule femme qui est sur ce plateau, c'est-à-dire Madame Chantal Aumeran qui est secrétaire générale du SNUI, c'est-à-dire le Syndicat national unifié des impôts. C'est bien cela ?

Mme Aumeran : Absolument.

M. Cavada : Ensuite, nous écouterons, dans l'ordre qu'ils choisiront, Monsieur Kessler, vice-président du CNPF, et Monsieur Baconnier qui est le co-auteur du rapport de La Martinière dont s'est inspiré le Gouvernement pour enclencher ses réformes : Certains disent : « Dont il ne s'est pas assez inspiré ». Vous nous direz, en effet, s'il y manque des choses, à votre avis.

Madame.

Mme Aumeran : J'aurais deux remarques à faire à ce point du débat :

D'abord, il me paraît assez surréaliste qu'on aborde le débat « dépenses publiques » sans se poser la question de savoir à quoi ça sert les dépenses publiques ? Je pense que c'est même le débat essentiel, ici, c'est peut-être par là qu'il aurait fallu commencer, en se demandant si, aujourd'hui, en France, on doit partir du postulat qu'il faut réduire absolument le niveau des dépenses publiques et donc le niveau des prélèvements obligatoires ?

Pour ce qui nous concerne, nous sommes aujourd'hui en situation de dire que « les dépenses publiques correspondent à des besoins et à un besoin qui est notamment celui de continuer à faire vivre la cohésion sociale, en faisant vivre des services publics, des services publics de proximité, des services publics efficaces. En faisant vivre aussi une protection sociale qui a besoin d'être alimentée ». Ceci est le premier point.

M. Cavada : En réalité, vous contestez l'idée même de réductions du déficit public ?

Mme Aumeran : Oui. Et, honnêtement, aujourd'hui, je crois que la question qu'il faut se poser, c'est effectivement de savoir de quoi on a besoin...

M. Arthuis : ... Plus d'impôts, alors ?

Mme Aumeran : Au moins, se poser la question de savoir...

M. Cavada : … Mais, Madame, comment peut-on vivre dans un ménage avec un déficit ? Quand on a des dettes, comment peut-on vivre ?

Mme Aumeran : On a vécu un certain temps et un certain nombre d'années avec des déficits, y compris en ne soutenant pas le franc fort.

M. Cavada : Ah ! d'accord...

Mme Aumeran : ... Je veux simplement qu'on se pose la question.

M. Arthuis : On vit à crédit.

Mme Aumeran : Premier point qui me paraît important…

M. Arthuis : ... Nos enfants paieront.

Mme Aumeran : ... C'est de savoir, aujourd'hui, en France, de quel niveau de services publics on a besoin ? de quel niveau de protection sociale on a besoin ? Et, ensuite, de parler de leur mode de financement. C'est le deuxième point que je voulais aborder. Il me paraît un petit peu dommage, là aussi, qu'on ne soit pas revenu sur le reportage qui était très intéressant, sur l'histoire de l'impôt...

M. Cavada : ... Je vous en prie, Madame.

Mme Aumeran : Parce que nous sommes en plein cœur du sujet. L'impôt sur le revenu progressif, quand il a été créé, a été créé avec une volonté de se servir de l'impôt, d'un impôt particulier et personnalisé, comme outil de redistribution des richesses. Le fond du sujet est là, aussi, en termes de fiscalité. Le seul impôt existant - il n'est pas parfait, j'y reviendrai tout à l'heure - en France, qui est progressif et qui fait payer plus les riches, en fonction de leurs revenus, normalement, c'est l'impôt sur le revenu. Aujourd'hui, on le baisse.

M. Cavada : Il faut qu'on soit très clair, pardonnez-moi de faire une petite précision, Madame, et je vous rends la parole tout de suite. Il y a deux types d'impôts, en France, en matière d'IRPP, deux façons, deux techniques :

- l'impôt proportionnel. Il est de x pour cent. Que l'on gagne 10 000 francs ou que l'on gagne 300 000 francs, c'est x pour cent, et c'est la même chose. Donc, ceux qui gagnent beaucoup d'argent sont beaucoup moins pénalisés que ceux qui ont des revenus modestes ;
- l'impôt progressif qui non seulement a une base mais qui, en plus, taxe davantage ceux qui ont des revenus élevés.

C'est bien cela ?

Mme Aumeran : Tout à fait.

M. Cavada : Entre progressif et proportionnel, il faut bien clarifier les choses. Je vous en prie, Madame.

Mme Aumeran : D'ailleurs, à l'époque du débat de la mise en place de l'impôt sur le revenu, de l'impôt Caillaux, il y avait trois éléments forts dans le débat. On les retrouve aujourd'hui.

Le premier élément fort est de résistance à la mise en place d'un impôt sur le revenu progressif. C'était la première fois en France. Le premier élément de résistance fort était un élément de tradition. L'impôt ne devait pas servir à redistribuer les richesses.

Le deuxième élément était tout aussi fort, et on le retrouve aujourd'hui encore, c'était un argument économique. Ce sont les riches - je caricature, mais le terme était employé à l'époque aussi - qui permettent à l'économie de se développer et, en quelque sorte, à faire bien vivre les pauvres.

Le deuxième argument était celui-là. Aujourd'hui, on parle notamment de la baisse de l'impôt sur le revenu parce qu'on parle des délocalisations potentielles, d'impôts ailleurs. Deuxième argument, on le retrouve.

Le troisième argument de résistance à cette époque-là, notamment parce qu'ils ne voulaient pas mettre l'impôt sur le revenu progressif en place, c'était une espèce d'argument moral. On disait : « C'est une atteinte à la liberté individuelle », en fait. C'est un sentiment très français. C'était tout simplement : « laisser payer plus d'impôts par un petit nombre, ce n'est pas juste » et tous ceux qui aspiraient à devenir riches dans le pays, quelque part, corroboraient cet argument.

M. Cavada : Madame Aumeran, vous avez fait un historique de l'impôt, d'une façon relativement développée...

Mme Aumeran : ... Il me paraît important d'y revenir.

M. Cavada : Ou bien vous développez tout de suite votre critique ou vous y revenez dans un instant. Vous choisissez.

Mme Aumeran : En deux mots : je constate simplement qu'on ne s'interroge pas sur la finalité, aujourd'hui, des prélèvements obligatoires...

M. Cavada : ... Vous l'avez dit.

Mme Aumeran : Et deuxième point : on ne s'interroge pas aujourd'hui sur : quel instrument fiscal pour redistribuer les richesses ? Non seulement on ne s'interroge pas, mais on diminue le seul impôt qui joue aujourd'hui ou qui pourrait jouer si on lui faisait vraiment jouer ce rôle-là dans la société française.

M. Cavada : Monsieur Kessler, vous êtes vice-président du CNPF, le Conseil national du patronat français, et vous êtes un homme, d'autre part, de l'organisation professionnelle des assurances puisque vous êtes président de la Fédération française des assurances.

On a souvent l'impression que les chefs d'entreprise estiment que l'État ne fait pas son métier, suffisamment, en ne « libérant » pas - ce sont souvent vos termes, ceux du Conseil national du patronat français - suffisamment le travail de ses charges et les entreprises de leurs taxes. On a entendu cette critique-là. Aujourd'hui, quelle est votre position devant cette réforme fiscale ?

M. Kessler : Je vais réconcilier, c'est une tâche difficile, mais je crois qu'on peut le faire facilement, Jean Arthuis et François Hollande. Qu'est-ce que nous enseignent les cinq dernières années ? C'est que la hausse des dépenses publiques et des dépenses sociales qui représentent à l'heure actuelle, je parle des dépenses, 55 % du PIB, c'est-à-dire qu'à chaque fois qu'un franc est produit en France, 55 centimes sont redistribués au travers des cotisations ou de l'impôt. Donc, la hausse des dépenses publiques et sociales, plus le creusement des déficits, plus la hausse des prélèvements, dépenses, déficit, prélèvements, aboutit à une situation économique qui est tout à fait mauvaise dans laquelle on a chômage, ralentissement de l'activité, baisse d'investissement et on a des problèmes de compétitivité.

L'Histoire, depuis 1990, française est là pour montrer que ce modèle ne peut pas durer. On ne peut pas continuer. Je vous donne simplement deux chiffres : la croissance de la dette publique, c'est de l'ordre de 1 600 milliards au cours des 5 dernières années.

M. Cavada : Si on fait l'addition, vous voulez dire.

M. Kessler : Dans le même temps, le PIB a crû que de 800 milliards. C'est-à-dire que, pour obtenir 1 franc de PIB, il a fallu deux francs de dette publique. D'abord, il faudra payer les intérêts sur cette dette publique et, ensuite, il faudra bien la rembourser un jour. Ce modèle qui a inspiré beaucoup de décideurs français, beaucoup de responsables économiques, politiques et syndicaux, selon lequel ce déficit est un moteur de l'économie : il suffisait de dépenser beaucoup plus que ce que l'on prélevait et que, d'autre part, les dépenses publiques et les dépenses sociales étaient porteurs de croissance, mais s'il y a vraiment un fait, c'est l'Histoire française pour démentir que ce modèle marche.

À l'inverse, des pays qui, au contraire, ont décidé de mettre de l'ordre dans leurs finances publiques, c'est-à-dire qui ont décidé 1 - de maîtriser la dépense publique et de maîtriser la dépense sociale, 2 - de réduire, 3 - de diminuer les impôts, eux ont retrouvé à la fois croissance, c'est-à-dire progression des revenus, c'est-à-dire résorption des difficultés et réduction du chômage.

M. Cavada : Ce qui veut dire, Monsieur Kessler, que vous attendez de cette première étape de la réforme fiscale qui est annoncée sur 5 ans, en termes d'impôt sur le revenu - on va voir dans un instant ce que pèse l'impôt sur le revenu sur l'ensemble des recettes de l'État - que cela amorce un mouvement de redémarrage de la consommation, donc de l'économie, donc de l'emploi ? C'est cela que je dois comprendre ?

M. Kessler : Ce qui se passe, et je crois que c'est la meilleure nouvelle que nous ayons eue depuis longtemps, c'est que, pour 1997 - partons des dépenses - le choix qui a été fait est de stabiliser en franc courant la dépense publique. J'aurais préféré, en ce qui me concerne, qu'elle diminue, comme ceci se passe dans un pays qui est un grand voisin, qui s'appelle l'Allemagne, de 2,5 %.

M. Arthuis : Sa situation n'est pas tout à fait identique.

M. Kessler : Je le dis bien encore une fois, la stabilité de la dépense est déjà un grand pas en avant par rapport à une situation dans laquelle cela a augmenté. Ceci est la première bonne nouvelle.

Deuxième bonne nouvelle, effectivement, s'orienter vers un allègement des prélèvements qui sont faits sur les ménages, sur ceux qui participent à la création de la richesse, pour ceux qui, jour après jour, produisent des biens et des services, est une nouvelle qui va dans le bon sens.

Je crois qu'il faut inverser 5 ans, 10 ans de développement qui ne mènent à rien pour réenclencher, effectivement, une dynamique vertueuse. Et la dynamique vertueuse est vraiment très claire : il faut diminuer la dépense. Grâce à la diminution de la dépense, on va diminuer le déficit, c'est-à-dire que l'épargne disponible va aller dans les entreprises, dans la production et dans l'investissement et non pas dans le refinancement de consommation collective.

Enfin, je crois qu'il faut une réforme fiscale qui permette de remobiliser les Français autour de l'objectif de croissance, autour de l'objectif de la production. Si on arrive, on retrouvera ce que nous avons connu dans le passé.

M. Cavada : Puis-je me permettre de vous demander que nous allions très rapidement encore un peu plus loin. Vous verrez que ma question va supposer une réponse courte. Est-ce l'analyse de la réconciliation entre le Gouvernement, le président de la République et le CNPF qui furent très fâchés pendant quelques mois, ce que vous nous dites ? Ou bien est-ce vraiment ce que vous pensez de la réforme fiscale ? Vous voyez que la réponse est courte.

M. Kessler : La réponse est claire : je pense que, fondamentalement, la réforme fiscale va contribuer progressivement à remettre en France l'église au milieu du village. En d'autres termes, plutôt que de passer son temps, à l'heure actuelle, à discuter sur les petites cuillères qu'il faut mettre dans la soupière, ce que j'appelle les petites cuillères fiscales et autres... Est-ce qu'il leur faut une grande ? Une louche ? Une demi-cuillère ? Une autre cuillère ? De savoir quel est le niveau de la soupe dans la soupière ? Mon objectif, c'est de retrouver la croissance. Lorsque nous aurons la croissance, nous pourrons résoudre les problèmes.

M. Cavada : Donc, vous dites « c'est le bon mouvement ».

M. Kessler : La réforme fiscale va dans le bon sens.

M. Cavada : Monsieur Baconnier, vous êtes un des personnages, au côté de Dominique de La Martinière, qui avez élaboré ce rapport dont s'est inspiré le Gouvernement. Ce rapport était d'ailleurs beaucoup plus exigeant que ce qu'il n'est possible de faire ou ce que le Gouvernement a jugé possible de faire. Qu'est-ce qui manque dans cette réforme fiscale ? Où que faudra-t-il faire dans l'avenir pour rendre les choses les plus courtoises ?

M. Baconnier : Je répondrai à cette question mais, si vous le permettez, j'aurais aimé revenir sur un ou deux des points...

M. Cavada : … Si vous commenciez par répondre à ma question, puis, après, on y revient...

M. Baconnier : … Non, parce que j'ai l'impression que l'on enchaîne déjà sur la suite...

M. Cavada : … Comme cela, on ne perdra pas le fil de votre conversation…

M. Baconnier : Non, parce que j'ai l'impression que l'on enchaîne déjà sur la suite.

M. Cavada : Bon ! Vous faites comme vous le sentez !

M. Baconnier : Mais je peux répondre effectivement à votre question en disant que le projet, qui est proposé par le Gouvernement, s'inspire beaucoup des propositions qui ont été faites tant par le rapport Duquesmin... Il y a eu tout de même deux rapports : il y a eu un rapport Duquesmin mais qui était un rapport qui procédait à un constat extrêmement lourd de la situation actuelle et qui faisait également des propositions, et, puis, le rapport La Martinière, qui est sans doute un peu plus opérationnel mais beaucoup plus bref.

Le Gouvernement s'est beaucoup inspiré de ces propositions, nous ne pouvons qu'être flattés dans notre fierté d'auteur. Et, notamment, je note deux points : le premier, c'est que le gouvernement a retenu l'impôt sur le revenu comme créneau, pour montrer qu'on voulait enfin baisser les prélèvements obligatoires et, deuxièmement, il a fixé un programme à 5 ans, et c'étaient deux poids lourds du rapport.

Pourquoi l'impôt sur le revenu ? Vous voyez que je réponds à votre question et que j'ai finalement oublié maintenant ce que je voulais vous dire sur les dépenses publiques.

M. Cavada : C'était ma technique, c'était mon but !

M. Baconnier : Oui, mais néanmoins il y a quand même quelques précisions à apporter, pourquoi l'impôt sur le revenu ? C'est vrai, on va le voir tout à l'heure, l'impôt sur le revenu, dans l'ensemble des recettes fiscales, ce n'est pas énorme ! Ce sont 300 milliards.

M. Cavada : Parlons de façon extrêmement simple et non pas de façon aussi avertie, de telle sorte que, moi-même, j'ai beaucoup de mal à suivre. Quand l'État encaisse 100 pour son train de vie, quelle est la proportion qui vient de l'IRPP, de l'impôt sur le revenu ?

M. Baconnier : L'impôt sur le revenu fait 20 % des recettes fiscales de l'Etat…

M. Cavada : Quand l'État encaisse 100, 20 viennent de l'impôt...

M. Baconnier : … 20 qui viennent de l'impôt sur le revenu. Et l'impôt sur le revenu, vous savez, en termes technocratiques on compare au produit intérieur brut, c'est 5,5 %. C'est donc relativement faible. Sur un budget de recettes de 1 300 milliards, l'impôt sur le revenu, c'est à peu près 300, cela, c'est parlant, ce n'est pas trop technique.

Et pourquoi avoir choisi l'impôt sur le revenu ? Parce que, quand les Français entendent parler de prélèvements obligatoires - je ne suis pas sûr que cela leur dise grand'chose - mais, très vite, ils en viennent à penser impôt sur le revenu.

Et le prédécesseur du président de la République en 1984 quand il a voulu commencer à inverser la courbe parce que les prélèvements avaient aussi bien augmenté... Vous savez ils dépendent beaucoup de la conjoncture…

M. Hollande : ... Ils n'ont jamais été aussi élevés cette année ?

M. Baconnier : Honnêtement, si l'on regarde...

M. Hollande : … Pas honnêtement, statistiquement ?

M. Baconnier : Statistiquement, j'attends d'avoir...

M. Hollande : … Vous avez les statistiques !

M. Baconnier : … Les comptes définitifs...

M. Hollande : Mais c'est beaucoup plus simple, on dépense, on fait le déficit, et puis on allège l'impôt, c'est cela ?

M. Baconnier : Donc, je dis que les prélèvements obligatoires depuis une dizaine d'années ont toujours été à peu près au même niveau, cela dépend beaucoup de la conjoncture économique. Quand il y a récession, les prélèvements augmentent. Quand il y a un peu d'expansion, ils diminuent un peu.

M. Cavada : Vous avez remarqué que les techniciens, c'est exactement l'inverse des pompiers, ça ne se mouille pas ! C'est bien cela que j'ai cru comprendre ?

M. Hollande : Mais cela prépare les textes.

M. Baconnier : Je reviens à l'impôt sur le revenu, quand on pense « prélèvements obligatoires », en fait on pense à l'impôt sur le revenu, on a peut-être tort, mais c'est comme cela, pourquoi ? Parce que c'est un impôt complètement masochiste. Il est complètement masochiste. C'est celui qui fait mal. On est obligé de faire une déclaration...

M. Cavada : C'est par là qu'il fallait commencer ! C'est cela la grande information qui est dans votre rapport, c'est par là qu'il fallait commencer pour nous instruire vraiment ! C'est un impôt masochiste et vous allez dire pourquoi ?

M. Baconnier : Je ne suis pas sûr que cela figure dans le rapport comme cela !

M. Cavada : Ah, si dites-le ! C'est très intéressant.

M. Baconnier : … Mais, en tout cas, j'insiste, je crois qu'il est effectivement masochiste.

M. Cavada : Pourquoi ?

M. Baconnier : Oh ! Cela me paraît assez simple : c'est un impôt, déjà on est obligé de faire une déclaration mais contrairement à ce qu'on pense, dans la plupart des pays, on fait des déclarations, mais surtout on a le temps de mijoter un peu, parce qu'on reçoit la facture 9 mois après, et, effectivement, on a le temps de se préparer à la jouissance magnifique…

M. Cavada : Il est masochiste pour une autre chose...

Il est masochiste pour une autre raison ? La fraude est relativement importante.

M. Baconnier : Oui, la fraude... Je pense qu'en France on raconte un petit peu n'importe quoi sur la fraude ! La fraude, en fait, est-ce le sujet ?

M. Cavada : Ce n'est pas compliqué de me dire « Oui, la fraude est de tant ou, au contraire, non, elle est faible... »

M. Baconnier : Non, si je savais de combien est la fraude...

M. Cavada : Monsieur Arthuis, de combien est la fraude sur l'IRPP ? Elle est estimée à combien ?

M. Baconnier : S'il le savait, il connaîtrait les fraudeurs.

Mme Aumeran : En ce qui concerne mon syndicat, on a fait des évaluations : on dit 220 milliards dont, sur l'impôt sur le revenu, 90 milliards. On n'est pas les seuls à le dire...

M. Cavada : Madame, vous avez donné votre version, Monsieur Arthuis, quelle est la vôtre ?

Mme Aumeran : Je dis simplement que nous ne sommes pas les seuls à le dire, y compris des organismes officiels, comme le Conseil des impôts, comme le CESDIC qui est un organisme de recherche...

M. Cavada : Vous avez la même estimation, Monsieur Arthuis, où elle est différente ?

M. Arthuis : J'ignore ce que peut être le montant de la fraude, ce que je sais, c'est que mes services traquent la fraude et que nous avons, dans une République, à tout mettre en œuvre pour la combattre. Cela étant dit, je n'ai trouvé aucune justification à ces estimations. Ce que je sais, c'est ce que représentent les redressements chaque année, cela fait quelques dizaines de milliards de francs...

M. Cavada : … Combien à peu près ?

M. Arthuis : 40 milliards à peu près.

M. Cavada : C'est ce à quoi je voulais en venir, eh bien il m'a fallu 10 minutes ! Merci, Monsieur Arthuis.

M. Arthuis : Il y a un autre phénomène qui se produit sur l'impôt sur le revenu, c'est qu'il y a, aujourd'hui, une espèce de vagabondage fiscal…

M. Cavada : Alors, cela, c'est un point important que je voudrais aborder après le sondage que nous allons vous montrer.

Je veux d'abord qu'on laisse Monsieur Baconnier terminer sa phrase, parce que ce n'est pas très agréable pour lui.

M. Baconnier : Non, je vous remercie. La fraude, les chiffres donnés par le ministre, cela concerne avant tout, quand même, l'impôt sur les sociétés plus que l'impôt sur le revenu proprement dit, donc l'impôt des entreprises, et ce n'est pas de la fraude. Ce que l'on met dans la fraude, c'est souvent une mauvaise application de la législation, ce qui n'est pas du tout la même chose. Donc, il faut se méfier des chiffres. C'est le spectaculaire au détriment de la vérité.

Donc, je pense que l'on a bien fait de choisir l'impôt sur le revenu pourquoi ? Parce que les Français l'identifient aux prélèvements obligatoires et, deuxièmement, c'est l'impôt pour lequel, je pense, on peut le mieux faire comprendre aux citoyens qu'il y a un changement, qu’ils se passent quelque chose.

Donc, même si les allègements, globalement, sont assez faibles, je crois qu'on est en train d'inverser une courbe, et cela me paraît très important.

Dernier point, quand on parle de la redistribution des revenus, il faudrait peut-être penser aux prestations parce qu'on a coutume de parler uniquement de l'argent qu'on fait rentrer, mais il faut voir ce qu'on fait de l'argent qui ressort. Et la France a sans doute un des régimes de redistribution les plus forts du monde, ne l'oublions jamais.

M. Cavada : Alors, je vous propose une chose : avant de poursuivre notre débat et notamment de l'analyser en termes politiques, parce que la fiscalité, ce n'est pas neutre, ce n'est pas qu'une technique, c'est l'instrument technique d'une politique d'organisation de la société, de sa collecte de richesses et de sa redistribution, et notamment de faire face aussi à un environnement international, autant de choses qui m'intéressent beaucoup.

Sondage réalisé pour La Marche du Siècle et RTL par la SOFRES :

- que pensent les Français de votre réforme en particulier et de la hiérarchie des impôts, taxes ou prélèvements qu'ils subissent en général ? (Sondage réalisé auprès de 1 000 personnes, caractéristiques de ce sondage en fin d'émission, ainsi que la loi nous y oblige, et commentaire de J.-P. Bertrand.

J.-P. Bertrand : D'après ce sondage réalisé au téléphone par la SOFRES pour la Marche du Siècle et RTL auprès d'un échantillon de 1 000 personnes, une majorité de Français, 53 % exactement, juge insupportable ou excessif l'impôt sur le revenu. Ils étaient 54 % en septembre 1983, puis 48 % seulement en mai 1987, et même 43 % en février 1989.

Mais le mécontentement se réaccélère dès décembre 1992, pour atteindre les 53 % aujourd'hui.

Et parmi ceux-ci, une majorité de commerçants, artisans, industriels et ouvriers. Une courbe qui s'oppose parfaitement à celle de ceux qui pensent, au contraire, que l'impôt sur le revenu est raisonnable ou pourrait même être plus élevé.

En effet, parmi les personnes interrogées aujourd'hui, 33 % partagent cet avis.

Mais quand on pose la question : « Quel est l'impôt le plus désagréable à payer ? », l'impôt sur le revenu n'arrive qu'en 4e position, derrière la TVA, 49 %, des Français, suivie des taxes spéciales sur l'essence, les tabacs, l'alcool, 41 %, les impôts locaux, 39 %, l'impôt sur le revenu arrivant à égalité avec la CSG ou le RDS pour 34 %.

Quand elle juge le système fiscal dans son ensemble, 67 % des personnes interrogées pensent qu'il y a bel et bien trop d'impôts indirects du type TVA ou taxes. Un sentiment partagé, auprès des trois quarts, par les employés et les ouvriers.

46 % des Français interrogés estiment que les hauts revenus ne sont pas imposés et 42 % que les impôts locaux sont trop élevés par rapport aux autres impôts.

Par ailleurs, si 22 % considèrent que la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu décourage l'initiative et 14 % qu'il n'y a pas assez de ménages qui paient l'impôt sur le revenu, ils ne sont que 10 % de Français interrogés pour estimer que les revenus tirés de l'épargne ne sont pas assez imposés.

À propos de la réforme annoncée par le Gouvernement, notamment la baisse des cotisations sociales et une diminution de l'ordre de 25 milliards de l'impôt sur le revenu et si l'on tient compte de l'augmentation, en même temps, des impôts locaux et de certaines taxes, 86 % des personnes interrogées considèrent que cette décision ne représente pas une vraie baisse.

Et ils sont encore 63 % persuadés que, l'un dans l'autre, avec la baisse des impôts directs et la réforme de certains prélèvements (baisse des cotisations-maladie, augmentation de la CSG, etc.) ils feront partie de ceux qui vont y perdre. 17 % seulement pensant y gagner.

M. Cavada : Commentaire, monsieur Arthuis, c’est une photographie, c'est une impression !

M. Arthuis : Eh bien, je crois qu'il faut beaucoup de pédagogie. Il y a l'idée que l'on se fait des impôts, et puis il y a la réalité.

Quand je rentre dans ma commune à Château-Moutier, que je tiens une permanence, les gens me disent : « Finalement, tous ces prélèvements, qu'est-ce que ça faire ? Est-ce que ça ne va pas être perdu dans une espèce de gouffre gigantesque ? » C'est cela aussi l'inquiétude que peuvent avoir nos compatriotes.

Il est temps de rendre nos finances publiques, qu'il s'agisse de la protection sociale, qu'il s'agisse de l'État, plus transparentes pour que l'on comprenne bien l'usage que l'on fait de ces impôts. Il y a des actions qui contribuent à la cohésion, à notre sécurité collective. On veut un service de santé accessible pour tous. On veut que nos enfants fassent une bonne scolarité, ceci coûte de l'argent. Mais cela ne veut pas dire que l'on soit condamnés à dépenser autant en dépenses publiques, d'autant qu'il y a quelques failles d'organisation, quelques dysfonctionnements, quelques gâchis et qu'il faut se battre inexorablement contre cela.

Alors, il y a une sorte de scepticisme, il faut voir aussi ce qui s'est passé ! Le Premier ministre annonce le jeudi, 5 septembre, qu'on allège de 25 milliards l'impôt sur le revenu, et puis à ce moment-là part une campagne, en disant : oui, mais les impôts locaux… » sur des bases complètement erronées, des chiffres qui ne sont absolument pas comparables…

M. Cavada : … Il en part d’ailleurs une deuxième, qui n’avait rien à voir avec cela, sur la réforme du scrutin, qui a dû brouiller peut-être un petit peu le message ?

M. Arthuis : … Convenons que la communication, Monsieur Cavada… Nous avons des marges de progression...

M. Cavada : … Je me suis trompé, là, oui ! j'ai dû me tromper.

M. Arthuis : Je crois que ce qui va compter, c'est ce que vont constater les contribuables ?

M. Cavada : … c'est-à-dire quoi ? Le mouvement ?

M. Arthuis : … Dès le début de l'année 1997, ceux qui paient l'impôt sur le revenu et qui sont mensualisés, paieront 5 % de moins chaque mois. Ceux qui paient des 1/3 provisionnels, paieront 5 % de moins au 1/3. Et puis ils constateront, au moment où ils recevront leur avis d'imposition pendant l'été 1997, que la réforme s'applique.

C'est une réforme sur 5 ans. Donc, nous avons ouvert un horizon. On sait où l'on va. Combien de fois, lorsqu'on a discuté des lois de finances, on a dit : « On a voté un certain nombre de dispositions mais où cela nous mène-t-il ? ». Là, on sait que cela nous mène à moins d'impôts.

M. Cavada : Commentaire, Monsieur Hollande ? Commentaire du sondage ou de ce que vous voulez d'ailleurs !

M. Hollande : Commentaire du sondage, il vaut mieux rester dans la continuité de l'émission. Je trouve que les Français ont une juste appréciation de ce qu'est le système fiscal français.

53 % trouvent l'impôt sur le revenu insupportable. C'est assez normal, il y en a 50 % qui le paient. Il y a encore 3 % de gens qui ont dû le payer, qui ne le paient plus et qui ne se rendent pas compte... ou qui pensent qu'ils vont te payer demain. Mais excepté ces 3 % là, 50 % ne paient pas l'impôt sur le revenu. 50 % le trouvent insupportable.

Deuxième point, ils trouvent la fiscalité indirecte insupportable, et elle l'est ! C'est vrai qu'on a aujourd'hui, dans notre système fiscal français, deux fois plus d'impôts indirects au niveau du rendement que d'impôts directs. La TVA, pour rester sur des choses très simples, c'est deux fois plus de recettes que l'impôt sur le revenu. Dans ces conditions, les Français ont la mémoire peut-être un peu longue, en tout cas qui va jusqu'à l'année dernière : ils savent qu'ils ont payé 2 points de plus de TVA ; ils savent qu'ils ont payé un impôt nouveau qui s'appelle le RDS ; ils savent qu'ils ont payé des impôts locaux, même si cela n'a pas grand'chose... Cela a un peu à voir avec une politique...

M. Arthuis : ... Non, non.

M. Hollande : … Mais n'épiloguons pas ! Ils ont payé des impôts locaux en plus. Donc, le souvenir récent de toutes les hausses d'impôts est présent dans ce sondage.

L'inégalité du système fiscal est également révélée : l'insupportabilité de l'impôt indirect et en même temps les Français ne croient pas à la réforme - et ils ont raison - dans la mesure où les 13 milliards, même 25 pour vous faire plaisir à Monsieur Arthuis, c'est assez peu ! Et surtout que ces 25, et les Français l'ont très bien compris, ce sera uniquement sur ceux qui paient l'impôt sur le revenu. Et l'avantage sera d'autant plus grand que le revenu est élevé. Il est normal que seuls 17 % des Français pensent qu'ils vont y gagner, et c'est vrai ! Seuls 17 % des Français parmi les plus favorisés vont y gagner.

M. Cavada : Trois autres personnes ont des commentaires à faire, et je voudrais vous montrer quelque chose qui illustre le propos de l'un et l'autre. Vous voulez modifier quelque chose dans ce qu'a dit Monsieur Hollande ?

M. Arthuis : Juste un mot sur la TVA et l'impôt de consommation : d'abord, si l'on a augmenté de deux points le taux de TVA en 1995, c'est pour alléger les charges sociales sur les salaires les plus modestes…

M. Hollande : ... C'était sans doute pour faire plaisir à Monsieur Kessler qui constatait qu'il y avait trop de dépenses publiques, trop de déficit. Mais, c'est vrai, vous avez fait un transfert de 45 milliards...

M. Arthuis : Mais, s'il vous plaît, dans quelle situation étaient les finances publiques ? Il fallait donc alléger les charges qui pèsent sur les salaires, pourquoi ? Parce que notre préoccupation, c'est l'emploi et c'est la cohésion sociale, et que nous sommes dans une économie mondialisée…

M. Hollande : Et depuis un an vous avez le sentiment que le chômage baisse ?

M. Arthuis : … Et que vous savez très bien qu'un certain nombre d'entreprises aujourd'hui, prises dans la concurrence internationale, sont obligées de délocaliser leurs unités. Que faisons-nous ? Nous privilégions, certes, un impôt sur la consommation...

M. Hollande : … Injuste… injuste…

M. Arthuis : ... Parce qu'il va frapper de la même façon les produits qui viennent d'Asie, qui viennent d'Europe Centrale ou d'ailleurs...

M. Hollande : … Il va frapper surtout aussi bien les plus modestes que les plus aisés...

M. Arthuis : … Et qui vont permettre d'alléger les salaires les plus modestes, le coût de ces salaires-là, et de sauver des emplois dans des activités manufacturières. Ce que nous voulons, c'est sauver l'emploi.

M. Hollande : … Vous êtes loin d'y parvenir !

M. Arthuis : D'abord, je voudrais vous dire que les deux points de TVA n'ont pas été répercutés intégralement sur les prix. Je voudrais vous dire aussi que pour les gens les plus modestes, ceux qui ont le minima social, qu'il s'agisse des personnes âgées, qu'il s'agisse du RMI, qu'il s'agisse d'un certain nombre d'allocations, ces allocations sont réévaluées en fonction de l'indice des prix...

M. Hollande : … Ils ont payé aussi les deux points de TVA supplémentaires...

M. Arthuis : Oui, mais les prix ont permis d'ajuster ces transferts. Donc, s'il vous plaît, ne faites pas ce procès qui n'est pas justifié et qui nous égare dans le débat fiscal.

M. Cavada : Alors, je fais une pause, là, parce qu'il semble y avoir un quart de seconde de silence pour vous demander deux choses :

Nous allons regarder un petit document très court qui est basé sur deux idées :

1. Qui paie quoi ?
2. Que paie-t-on en France par rapport en Europe ?

Reportage

En France, les finances de la Nation représentent 3 550 milliards de francs, voici d'où proviennent ces fonds :

    - l'impôt sur le revenu : il est l'objet de toutes les critiques et pourtant il ne représente que 14 % de ses ressources ;
    - en revanche, la plus grande partie est générée par les cotisations sociales, la TVA et diverses taxes.

Voyons comment ces prélèvements se traduisent dans la vie quotidienne d'un couple de Français moyens, les Martin. Ils ont deux enfants. Lui est employé de mairie. Elle, infirmière. Leur revenu annuel est de 200 000 F brut.

Première contribution, les cotisations sociales, 40 000 F, soit 20 % de leur salaire annuel prélevés directement sur leur feuille de paie.

Ensuite, l'impôt sur le revenu 6 000 F. Pour les Martin, il représente 3 % de leur salaire.

Ces deux premières contributions sont indexées sur leur revenu.

Mais il leur faudra encore payer un ensemble de prélèvements, comme la redevance télé, la taxe d'habitation, la vignette auto, soit au total 4 000 F qui représentent à nouveau 2 % de leur salaire.

Les Martin n'en sont pas encore quitte avec l'État, sur chaque achat, ils alimentent les caisses publiques en payant la TVA : pour les produits alimentaires de base, elle représente 5,5 % du prix affiché mais pour la majorité des biens de consommation, elle est de 20,6 %.

Et ce n'est pas tout, pour quelques produits, d'autres taxes se surajoutent à cette TVA, les records : 76 % sur le tabac et surtout 80 % sur l'essence, ainsi sur les 250 F payés à la pompe par Monsieur Martin, l'État embauche 200 F.

En additionnant toutes ces taxes à la consommation, c'est à nouveau 20 % du salaire du couple qui part dans les caisses de l'État, soit 40 000 F.

Si l'on résume :

20 % en cotisations sociales, 3 % en impôt sur le revenu, 2 % en taxe d'habitation ainsi qu'en contributions diverses et 20 % en taxe à la consommation, au final leur prélèvement cumulé représente presque la moitié de leur salaire annuel, soit 90 000 F sur les 200 000 F de leur salaire brut.

En comparant les ressources financières de la France à celles de l'Angleterre et de l'Allemagne, on constate que c'est chez nous que l'impôt sur le revenu est le moins lourd : il représente 6,2 % du produit intérieur brut ; en Grande-Bretagne, 9,4 % et en Allemagne 10,4.

En revanche, les cotisations sociales françaises sont les plus élevées d'Europe avec 19,1 % du produit intérieur brut, 3 fois plus qu'en Grande-Bretagne et largement supérieures au taux allemand.

Enfin, si l'on additionne tous les prélèvements obligatoires, les Français sont parmi les plus taxés d'Europe.

M. Cavada : Je voudrais que Madame Aumeran fasse son commentaire, et maintenant on va passer dans la construction des choses parce qu'il faut que ce débat serve à la contradiction des idées mais surtout à proposer pour l'avenir, si l'on n'est pas d'accord avec quelque chose, qu'est-ce que l'on voudrait faire à la place ?

Que souhaiteriez-vous voir pris en compte fondamentalement, Madame, dans une réforme fiscale ? Vous avez déjà exprimé deux idées tout à l'heure : la première, c'est la réflexion sur l'utilité, et je dirai le périmètre des services publics de la Nation et la deuxième, c'est progressivité de l'impôt, plutôt que proportionnalité.

Ensuite ?

Mme Aumeran : Donc, moins de TVA.

M. Cavada : Pourquoi ? Encore faut-il dire pourquoi ?

Mme Aumeran : Je vais le dire.

M. Cavada : Pardon, Madame.

Mme Aumeran : On a montré de manière très claire que, dans le porte-monnaie des Français, en tout cas dans ce qu'on leur enlève, c'était ce qui se pesait le plus et qui pèse plus sur les revenus modestes.

Un simple chiffre, pour quelqu'un qui gagne aujourd'hui le SMIC, le prélèvement...

M. Cavada : Le SMIC étant à ? Je gagne toujours. Depuis Françoise Giraud, j'adore l'affaire du SMIC.

M. Hollande : Ce sont des tickets de métro !

Mme Aumeran : 6 300. Disons que c'est plus simple de dire : le SMIC.
Pour quelqu'un qui a un revenu modeste, il dépense aujourd'hui, globalement sur une année, 8 % de son revenu pour payer la TVA quelqu'un qui a un revenu quand même plus substantiel, environ 100 000 F brut par mois, c'est quand même assez conséquent, n'en dépassera en fait que 4,8 %. Les deux chiffres parlent d'eux-mêmes. La TVA frappe proportionnellement plus les revenus modestes que les hauts revenus.

Est-ce qu'au fond, Madame, vous n'avez pas l'impression que l'on est en train - et je m'adresse d'ailleurs aussi à d'autres interlocuteurs - petit à petit de banaliser l'impôt sur le revenu de telle manière qu'il disparaîtra au profit de quelque chose de plus massif, payé par tout le monde : TVA et CSG ? Ce qui pourrait être au fond, un jour, si l'on voit la perspective, les « deux impôts de l'avenir » ?

Mme Aumeran : Si vous me permettez juste de terminer en complétant. Je crois que c'est relativement illustratif : pourquoi choisit-on la TVA aujourd'hui ? Pourquoi, globalement choisit-on quand même les prélèvements indirects avec une forte insistance maintenant, y compris la CSG qui est proportionnelle aussi, donc la même caractéristique a priori ? C'est tout simplement parce que c'est mieux « accepté » dans l'opinion parce que cela ne se voit pas, cela ne se perçoit pas de la même manière. On dit communément : la TVA est indolore. Elle n'est pas indolore dans le porte-monnaie, mais on ne la voit pas. Elle n'est pas matérialisée. Cela, c'est un premier point.

M. Cavada : Puis-je vous poser une question, Madame ? Peut-on se plaindre indéfiniment des relèvements, en effet incessants, de la CSG d'une part, d'un impôt nouveau qui s'appelle le RDS, c'est-à-dire ce qu'il faut pour combler les déficits sociaux de la Nation, et en même temps ne pas accepter l'idée que les systèmes publics sont dans un état de santé totalement déficitaire, et qu'au total se sont ceux qui attendent les remboursements, qui paient. Donc, il va bien falloir aligner un jour ce que l'on peut rembourser par rapport à ce qui est prélevé comme cotisations ? Cette idée vous paraît-elle bonne ?

Mme Aumeran : Je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas modifier le système fiscal français ou globalement le système de prélèvements obligatoires.

Je dis simplement que ce que l'on est en train de faire aujourd'hui, ce sont des rééquilibrages qui ne vont pas dans le bon sens.

Et j'en termine en disant : 1. Pour nous, il faudrait non seulement commencer par une baisse de la TVA, notamment en introduisant un taux zéro sur les produits de première nécessité ; 2. En modifiant l'impôt sur le revenu parce qu'il est devenu injuste au fil du temps, parce qu'on s'en est servi en créant...

M. Cavada : … Modifiant, c'est-à-dire progressivité, plutôt que proportionnalité ?

Mme Aumeran : Mais notamment en supprimant, effectivement, les réductions d'impôts et un certain nombre de réductions maintenant...

M. Cavada : Êtes-vous contre le fait qu'un nombre très important de ménages ne paie pas l'impôt sur le revenu ?

Mme Aumeran : On est favorable à ce qu'un nombre très important de ménages paie l'impôt sur le revenu, si tant est par ailleurs on leur diminue la TVA qu'ils paient tous.

Dernier élément, dans les réductions d'impôt, - je vais y revenir sur la réforme - les mesures fiscales qui ont été annoncées, on a beaucoup parlé des réductions d'impôt qu'on supprimait mais on n'a pas du tout parlé des réductions d'impôt qui étaient maintenues.

Je vais simplement en citer deux, notamment la réduction d'impôt pour les emplois familiaux...

M. Cavada : Les niches fiscales ?

Mme Aumeran : Oui, mais, enfin, celle-là, c'est une grosse niche quand même puisqu'elle a été créée en 1993...

M. Cavada : Je ne cherche pas à la qualifier, c'est ce qu'on appelle les niches fiscales, c'est cela ?

Mme Aumeran : Tout à fait, ce sont les niches fiscales. Mais il y en a des plus ou moins importantes, dirons-nous. On s'attaque à certaines, c'est vrai ! Et à notre sens il faudrait globalement s'attaquer au problème…

M. Cavada : Combien avez-vous supprimé de niches fiscales, Monsieur Arthuis ?

M. Arthuis : Oh ! Un certain nombre ! On aurait peut-être pu aller plus loin, mais il y a un débat qui s'ouvre au Parlement dans quelques semaines…

M. Cavada : ... Et qui va être à géométrie variable, les uns voulant augmenter le nombre de niches et les autres voulant les réduire, c'est cela ?

M. Hollande : Et cela va beaucoup aboyer, en tout cas !

M. Arthuis : Les niches ont été créées à une époque donnée...

M. Cavada : Je ne me serai pas permis, Monsieur Hollande !

M. Arthuis : Elles pouvaient avoir une justification, parce qu'il fallait encourager tel ou tel comportement. Il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui un certain nombre doivent disparaître et on le fait parce que le barème est substantiellement allégé.

M. Cavada : Monsieur Baconnier, c'est votre tour.

M. Baconnier : Merci. Trois points :

1. En ce qui concerne le sondage, juste un mot : Monsieur Hollande a fait remarquer que si, finalement, il y avait relativement peu de Français qui trouvaient l'impôt sur le revenu désagréable, c'est parce qu'il n'y avait qu'une moitié qui le payait. C'est très clair, en matière fiscale on aime surtout les impôts qu'on ne paie pas. L'impôt le plus sympathique, le plus populaire, c'est l'impôt sur la fortune parce qu'il n'y a que 170 000 assujettis. L'impôt payé par le voisin, celui-là on le trouve extrêmement sympathique !

2. La structure fiscale : cela n'apparaissait pas dans vos tableaux, la part des impôts indirects, dans l'ensemble, est aujourd'hui, en France, un tout petit peu supérieure en Allemagne, inférieure à ce qu'elle est en Angleterre. On a tous en tête l'idée que l'Angleterre, ce sont les impôts directs. Eh bien, non ! La part des impôts indirects aujourd'hui est un peu supérieure en Grande-Bretagne. Il ne faut tout de même pas l'oublier.

3. En termes de structure fiscale : je crois qu'il faut raisonner en termes de système. Il est évident, enfin c'est ma conviction personnelle, qu'il faut des impôts progressifs, et nous en avons en France. Mais il est tout à fait clair, quand on regarde un peu ce qui se passe dans le monde entier, que les impôts qui produisent, les impôts qui procurent l'argent pour la redistribution, ce sont des impôts proportionnels.

Si vous prenez la TVA, c'est un impôt proportionnel sur le revenu consommé.

Si vous prenez les impôts sur le revenu, mettons britannique : 90 % des Anglais ne paient que la première tranche à 20 %, c'est un impôt proportionnel.

Donc, progressivité, oui, mais progressivité raisonnable. Je dirai qu'en fiscalité ce qui compte, c'est d'être raisonnable.

M. Cavada : Alors, Monsieur Kessler, vos propositions, si vous voulez en ajouter à la réforme fiscale qui est présentée par le Gouvernement ?

M. Kessler : Oui, Monsieur Cavada, j'aimerais tout d'abord, absolument, dire à Monsieur Hollande que nous n'avons pas demandé la hausse de la TVA l'année dernière puisqu'elle a été largement supportée par les entreprises. La preuve en est qu'il y a eu hausse de TVA et qu'il n'y a pas eu de mouvement de prix, ce qui signifie que les prix ont dû absorber la hausse de la TVA, et tout ceci est attesté.

M. Arthuis : Il y aurait peut-être eu une baisse des prix, s'il n'y avait pas eu la hausse de la TVA, Monsieur Kessler !

M. Kessler : Il y a eu sans doute une partie portée par les ménages, une partie portée par les entreprises, mais je peux rassurer vraiment Monsieur Hollande, ce n'est vraiment pas les entreprises qui ont demandé la hausse de la TVA, pas plus que les entreprises n'ont demandé l'augmentation de l'IS...

M. Hollande : Ni les baisses des charges ?

M. Kessler : ... Pas plus que les entreprises demandent aucune augmentation d'impôt !

M. Cavada : Monsieur Hollande, quand Monsieur Kessler veut dire « rassurer », c'est son métier. Il sait de quoi il parle !

M. Hollande : Il a même rassuré le président de la République, vous avez raison !

M. Cavada : Non, je parle d'assurances.

M. Kessler : Deuxième remarque apportée : lorsqu'on prend les Martin - c'est une question aussi qui va s'adresser à Monsieur Hollande, il faut suivre !

M. Hollande : Il faut suivre les Martin ?

M. Cavada : Qu'est-ce que vous nous préparez là ?

M. Kessler : Les Martin, quand on parte en pourcentage du revenu, du PIB, les gens se disent : c'est compliqué.

On va transformer cela en heures de travail, et donc la vraie question qui se pose, est : on prend un salarié moyen français et l'on va se demander combien d'heures de travail il consacre à l'heure actuelle aux prélèvements obligatoires sous la forme de l'impôt, de la TVA, des cotisations sociales qu'il verse à l'ensemble des caisses.

En 1996, un salarié moyen français consacre tout son lundi, tout son mardi, tout son mercredi, uniquement toutes ces heures de travail-là vont alimenter l'ensemble des caisses publiques et des caisses sociales…

M. Cavada : ... C'est-à-dire 3 jours sur 5.

M. Kessler : Le salarié français commence à gagner son revenu direct, c'est-à-dire ce qu'il peut enfin consommer, en net, le jeudi matin...

M. Cavada : C'est pour cela qu'il part le vendredi d'ailleurs !

M. Hollande : S'il travaille à temps partiel !

M. Kessler : Et certains voudraient réduire la durée du travail à 4 jours, vous voyez la situation ! N'est-ce pas Monsieur Hollande ?

La situation est assez spéciale : prenons à l'année, cela veut dire que, grosso modo, un salarié français commence à toucher son revenu fin juillet. Toute la production pendant 7 mois part dans les caisses publiques.

M. Cavada : Allons jusqu'au bout de cela !

M. Kessler : La question que je pose, je vais jusqu'au bout : j'aimerais savoir si la priorité n'est pas la maîtrise absolue des dépenses publiques et des dépenses sociales ? Si ce n'est pas cela, combien d'heures en plus voulons-nous que les Français travaillent pour la collectivité ?

C'est la question absolument fondamentale, et je considère pour ma part que, tant qu'on ne l'a pas résolue, on pourra toujours discuter après de la réforme fiscale, bien entendu il faut qu'elle soit intelligente, mais je considère pour ma part que la question centrale est là : c'est un choix de société, c'est un choix économique.

Dans les pays qui nous entourent, le choix a été clairement fait : cela a été de lever la pression fiscale et sociale, et l'on voit que ceci est associé à des performances économiques qui se traduisent par de l'emploi.

Donc, je dis : résolvons ce problème-là, j'allais dire : après, c'est simple. Il faudra réduire, et la TVA et I' IRPP. Pour le moment, il faut afficher des priorités...

M. Cavada : Cela fait un peu « demain, je rase gratis », cela, c'est loin ?

M. Kessler : Non, non, le programme de la réforme fiscale, c'est de dire...

M. Cavada : Non, je ne parle pas du programme de la réforme fiscale, ne confondez pas et ne m'attribuez pas des choses comme cela, Monsieur ! Je voulais simplement dire qu'il faudra, après, plus tard, descendre la TVA, etc.

Je vais vous dire pourquoi je me permets de souligner cette chose, Monsieur Kessler. Monsieur le ministre, à votre avis, vers quelle année dans l'an 2000, le pays, notre pays se sera totalement désendetté et de son déficit, et des emprunts, et des intérêts qu'il est obligé de payer ? 2010 ? 2015 ? 2020 ?

M. Arthuis : Ce que je sais, c'est que dans la projection que nous allons soumettre aux Parlementaires, dans quelques jours, en 2001 le déficit sera inférieur à 2 % du produit intérieur brut, et l'on commencera tout juste à dégager des ressources pour rembourser les emprunts contractés antérieurement, qui viennent à échéance...

M. Cavada : C'est-à-dire que, jusque-là, on n'aura rien fait pour rembourser ni emprunt, ni intérêt ?

M. Arthuis : Cela étant, si nous parvenons à mieux mobiliser les Français parce qu'ils comprendront que la dépense publique n'est pas une fatalité. Dans le cas des Martin, on n'a pas tenu compte des charges que paie l'employeur. J'ai noté que les 20 %...

M. Cavada : On vient de perdre le jeudi matin, non ?

M. Arthuis : Vous avez perdu certainement une journée supplémentaire. Il n'est pas douteux que l'on ne peut pas continuer à avoir autant de dépenses publiques dans ce pays. Il faut retrouver des marges de liberté, et c'est cela qui s'accomplit en ce moment.

M. Cavada : Je vais vous poser quelques autres questions et, après, donner la parole...

M. Hollande : Pour répondre à Monsieur Kessler, parce que je ne voudrais pas que les Français pensent qu'ils travaillent vraiment toute la semaine pour payer leurs impôts, il a oublié de rajouter, puisqu'il est assureur, le nombre d'heures de travail que les Français également font pour payer les assurances ! Parce qu'ils font aussi des heures de travail pour payer l'assurance « habitation », pour payer l'assurance quelquefois sur le décès, quelquefois même pour payer leur fonds de pension s'ils voulaient créer !

Donc, qu'est-ce que cela veut dire, parce que c'est un raisonnement par l'absurde ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l'on paie, soit par une cotisation d'assurance, soit par un impôt, toujours pour une dépense publique.

Alors, la vraie question est là : c'est de savoir quelle dépense publique veut-on baisser ? Quel choix de Société on organise, notamment par rapport à la Sécurité sociale ? Imaginons qu'il n'y ait pas de Sécurité sociale, on ne paierait pas les cotisations sociales qui sont effectivement trop lourdes aux yeux de beaucoup, mais, à ce moment-là, on paierait des cotisations privées que Monsieur Kessler d'ailleurs encaisserait sans se poser la question de savoir combien d'heures les Français travaillent ! Mais on est devant un choix de Société puisque l'on paie un impôt pour servir une prestation, soit l'on paie une cotisation d'assurance ou autre chose pour être couvert.

Je veux dire par là que le débat sur le système fiscal est un vrai débat de Société, c'est d'ailleurs par rapport à une organisation de la Société, par rapport à des dépenses publiques. On peut avoir des discussions pour comprimer les dépenses publiques, et nous sommes conscients même si, dans certaines circonstances, on peut s'interroger sur la nécessité d'avoir d'autres dépenses publiques, mais c'est un choix entre catégories de dépenses.

M. Cavada : Vous avez dit tout à l'heure, Monsieur Arthuis, avant que vous ne répondiez j'ajoute une question, quelque chose qui était très intéressant parce que peu développé en réalité et peu expliqué : on a aussi l'impression que, à part quelques touches qui sont à usage je dirais hexagonales, aujourd'hui ou demain, vous faites une réforme fiscale pour maîtriser, pour conserver des entreprises qui sont tentées de délocaliser pour des raisons de productivité, et deuxièmement pour garder des volumes financiers qui, sans cela, de toute façon, iraient sur d'autres marchés. Est-ce que c'est exact ?

M. Arthuis : Nous sommes dans une économie qui s'est globalisée, qui s'est mondialisée et certains peuvent être tentés d'aller se faire imposer ailleurs.

M. Cavada : On me dit d'ailleurs qu'il y a plusieurs milliers de Français qui, en quelques années, sont allés se faire fiscaliser à Londres. Est-ce exact ?

M. Arthuis : Monsieur Baconnier est sûrement aussi bien placé que moi pour le savoir. Il y a aujourd'hui des stratégies pour essayer de se soustraire à l'impôt. Je trouve cela détestable parce que c'est certainement un incivisme blâmable, c'est le moins qu'on puisse dire, mais récemment un président d'une grande société française est venu me voir en disant : « Je voudrais créer un grand centre de recherches ici, en France. Je ne viens pas demander des subventions, les subventions ne m'intéressent pas. Ce que je veux, c'est que les chercheurs dont j'ai besoin, qui sont les meilleurs au plan mondial, acceptent de venir en France. Et quand je leur propose la France, ils me demandent combien ils auront à payer d'impôts et quelles seront ces charges qui pèsent sur l'emploi, sur les salaires ».

Nous devons donc être très attentifs. Il y a comme une sorte de vagabondage fiscal. Il n'y a pas si longtemps, c'était lors du G7, la délégation américaine, conduite par le président Clinton, roulait avec des voitures immatriculées dans la Marne.

M. Cavada : Toutes les voitures de location sont immatriculées en province, c'est connu, presque toutes...

M. Arthuis : On s'est dit : « Qu'est-ce qui se passe ? » Il se passe que dans la Marne, la vignette est à un taux très inférieur. Alors on abandonne son département et on va se faire immatriculer dans la Marne. C'est ce que font les sociétés de location de voitures.

Dites-vous bien qu'il peut se passer la même chose lorsqu'il s’agit de l’impôt sur le revenu. On me dit que tel grand joueur de football va plutôt dans une équipe périphérique à la France parce qu'on y paie moins d'impôts. Faisons très attention parce que, dans ces conditions, si nos meilleurs joueurs partent, aurons-nous encore la capacité de marquer des buts dans la compétition internationale.

M. Cavada : Vous voulez dire que la fiscalité directe, ou indirecte, en réalité, est en train de faire un certain nombre de gens ?

M. Arthuis : Je veux dire qu'en matière de prélèvements obligatoires, il faut être extrêmement raisonnable. Il faut la juste mesure, pour assurer la cohésion sociale, la solidarité ; mais il faut se mettre à l'abri de tous les excès.

M. Cavada : J'ai encore deux questions, Monsieur le ministre, à vous poser. Je reviens avec beaucoup d'insistance : est-ce que nous ne sommes pas en train subrepticement, tout doucement, tout doucement, de banaliser, et après de pulvériser, l'impôt sur le revenu qui ne rapporte finalement pas énormément à l'État, pour transformer la contribution des citoyens de ce pays en deux pôles : 1. La CSG, c'est-à-dire au fond l'organisation de la contribution sociale ; 2. La TVA, c'est-à-dire la fiscalité sur la consommation ? Est-ce qu'on ne va pas arriver à cela, franchement ?

M. Arthuis : Un mot sur la CSG : la CSG s'applique à tous les revenus, c'est un impôt proportionnel, et la CSG contribue à la solidarité. Lorsqu'on vous admet dans un établissement de soins, on ne vous demande pas si vous êtes salarié, vous y allez. C'est donc la solidarité qui joue. Est-ce qu'une partie de vos charges sociales n'ont pas quelque part le caractère d'un impôt proportionnel ? Je crois que si, et quand on parle d'impôt sur le revenu, il faudra demain prendre en considération tout ce qui tourne autour de la CSG, même si la connotation est clairement sociale. Cela représentera peut-être 150 ou 175 milliards, par rapport à 225 milliards d'impôt qui sera un impôt progressif sur le revenu.

Donc j'apporterai cette nuance, Monsieur Cavada : c'est qu'il peut y avoir un socle qui constitue un impôt proportionnel et il reste un impôt progressif qui prend en considération la situation des personnes. De ce point de vue, je voudrais dire à quel point notre réforme est de nature à remobiliser. Nous avons aujourd'hui, compte-tenu de notre barème, des personnes qui sont sans travail, qui perçoivent le RMI, qui sont allocataires de telle ou telle forme d'aide ou de contribution. Lorsqu'on leur propose un emploi au niveau du salaire minimum, elles se posent la question et certaines d'entre elles risquent de perdre de l'argent compte-tenu de notre barème d'impôt. Ce que nous accomplissons aujourd'hui fait disparaître cette espèce d'hésitation qu'on peut appeler une trappe au chômage. Voilà comment on peut remobiliser les Français.

M. Cavada : Encore une parenthèse et elle n'est pas mince : ceux qui critiquent tel ou tel dispositif de votre réforme mettent le point sur la déduction de la CSG, ce qui veut dire en clair que ceux qui peuvent déduire la CSG de leurs impôts bénéficient de votre réforme et que ceux qui ne pouvaient pas le faire, parce que leurs revenus étaient plus modestes, de toute façon se trouveront franchement pénalisés. Que répondez-vous à cela ?

M. Arthuis : Je dirai que ce basculement, ce projet de faire payer 1 % à l'ensemble des revenus permet d'alléger de 1,3 % ce qui aujourd'hui est pris en charge par les salariés en déduction de leur salaire. Aujourd'hui, le 1,3 est déductible du salaire et c'est pour maintenir cette déductibilité… Autrement dit, on substitue une cotisation de 1 % à ce qui jusqu'à maintenant était de 1,3 et qui garde le caractère de déductibilité.

M. Cavada : Encore une autre petite question : vous imposez, et c'est normal que dans un moment où le train de vie de l'État doit se réduire tout le monde y participe, un effort à un grand nombre de ministères, à l'exception d'un certain nombre de ministères qui seront privilégiés en raison de leur nature ; je pense à l'Education, je pense à la Justice notamment.

Question subsidiaire qui me fera quelques adversaires j'imagine, mais m'attirera sans doute la sympathie de quelques imposables : avez-vous à Bercy réduit le train de vie de vos propres ministères ? Il y en a deux : le vôtre et celui du Budget, c'est-à-dire de Monsieur Lamassoure. Et combien de fonctionnaires seront pénalisés ou, au contraire, feront les frais de cette affaire ? Réduisez-vous, vous aussi, votre train de vie, vous la grande machine fiscale de Bercy ?

M. Arthuis : Bercy doit être exemplaire, Monsieur Cavada.

M. CAVADA.- C'est combien, l'exemplarité ?

M. Cavada : En 1997, nous n'allons pas remplacer tous les agents qui partent en retraite. C'est ainsi que sur 180 000 agents qui dépendent de Bercy - les douanes, la Direction générale des impôts, le Trésor, la comptabilité publique – 1 400 postes ne seront pas remplacés. Cela correspond à 0,8 % de l'effectif actuel. Et lorsqu'il s'agit de ce que l'on appelle le train de vie de l'État, permettez-moi de vous dire que nous avons serré sérieusement la ceinture pour réduire ces dépenses de fonctionnement.

Il ne faut pas s'arrêter là, il faut remettre en cause les structures de l'État, il faut aller plus loin dans la réforme de l'État, pour traquer tous les doubles emplois : il y a des structures qui se superposent ; il faut aller vers la remise en cause d'un certain nombre de services qui avaient une justification à une époque et qui ne l'ont plus aujourd'hui. Il faut que l'appareil d'État soit compétitif comme le sont les entreprises, parce que nous sommes dans un univers très concurrentiel.

M. Cavada : Très rapidement, si vous le permettez, vos commentaires, et nous arriverons bientôt vers la fin de cette émission. Donc si vous avez des idées fortes que vous voulez faire comprendre au public, c'est le moment où jamais. Je ne voudrais pas que vous vous sentiez frustrés.

Mme Aumeran : Premier point : on verra, après avoir baissé de manière exemplaire les effectifs du ministère des Finances, si on arrive à avoir toujours les mêmes résultats et la même efficacité. On y reviendra.

Deuxième point qui me paraît très fort : on parlait tout à l'heure de délocalisation potentielle. Il y a un sujet qu'on n'a pas abordé aujourd'hui, c'est l'harmonisation fiscale en Europe. Quelle est la tendance ? La tendance est, dans tous les pays européens pratiquement, une hausse des impôts indirects. La France a commencé il n'y a pas si longtemps que cela, je veux dire d'une manière significative. L’Allemagne le programme.

La deuxième tendance est une baisse de l'impôt sur les sociétés, en Allemagne aussi, et cela a été fait en Angleterre il y a déjà un certain temps.

La troisième tendance, c'est une diminution...

M. Cavada : C'est en train de s'envisager en Espagne.

Mme Aumeran : Tout à fait. La troisième tendance, c'est une baisse de l’impôt sur le patrimoine, sur le capital globalement, tendance que nous avions anticipée sur un certain nombre de revenus d'épargne.

Le simple constat que je fais aujourd’hui, c’est que la tendance est une tendance à développer la taxation indirecte, injuste, partout. Je crois que c'est un choix délibéré. Si on voulait arriver aujourd'hui à rééquilibrer les choses, il y a une belle dynamique à lancer en Europe : c'est une dynamique de diminution corrélative de la TVA, partout, pour avoir ensuite la possibilité, partout aussi, de développer un impôt progressif, et un impôt progressif à un juste niveau. Je crois que c'est cela la marche et l’axe à suivre.

M. Cavada : Et vous espéreriez de la diminution progressive de la TVA une réinjection de pouvoir d'achat ? C'est cela que vous voulez dire ?

Mme Aumeran : Oui, d'abord une réinjection de pouvoir d'achat et puis une justice plus grande en termes d'équité.

M. Cavada : Monsieur Baconnier, vos commentaires et vos propositions éventuelles. Je vais quand même tout mettre sur la table, si vous le permettez. Vous avez une carrière impressionnante, vous me sentez venir... Vous avez travaillé en gros en trois étapes : d'abord vous avez été directeur général des impôts ; combien de pages le code des impôts, dans notre beau pays, comporte-t-il ?

M. Baconnier : On a changé l'édition et on a maintenant des pages beaucoup plus courtes. Moi, j'ai connu le code ancien qui se présentait en grand format. À l'époque, le code, partie législative, contenait à peu près 200 pages. Aujourd'hui, il est plus petit, et plus serré également.

M. Cavada : Deuxièmement, vous êtes allé vers d'autres fonctions et troisièmement, maintenant, vous êtes un expert fiscal. Je voudrais savoir si vous estimez, oui ou non, que le système français d'imposition est extraordinairement compliqué et qu'au fond, petit à petit, il va essayer de se simplifier parce que les gens ne peuvent pas se sentir citoyens quand on n'arrive même pas à lire une feuille d'impôt, surtout avec je dirais l'extrême amabilité dans laquelle s’est rédigé. Je parle des rappels, pas de la première feuille d'imposition qui comporte une lettre du ministre détaillé, très gentille, très aimable.

M. Baconnier : Je vois que ce ne sont pas mes commentaires, mais les vôtres. Je vais donc répondre sur vos commentaires, mais je me permettrai de faire tout de même les deux miens, si vous m'y autorisez.

M. Cavada : Je ne vous autorise pas à dire que je fais des commentaires. J'explique des situations, je fais la diapo pour être simple ; il faut bien que quelqu'un soit simple ici...

M. Baconnier : Je vous réponds. Je ne suis malheureusement pas sûr que le système français soit le plus compliqué. Je crois que malheureusement tous les pays sont aussi mal lotis, sans doute parce que les réalités sont complexes et qu'au fond plus on cherche à aller un peu dans le détail, plus on cherche finalement à être juste et adapté aux situations, plus on est compliqué.

J'avais un adjoint qui disait autrefois : « La fiscalité n'est pas une couturière aux doigts fins ». Je trouve que c'est parfaitement exact et que dès qu'on veut être une couturière aux doigts fins, on complique beaucoup. La déclaration américaine doit faire 80 pages ; on remplit 5 ou 6 lignes, mais l'imprimé fait tout de même 80 pages. Nous en sommes à 4 ou à 6, c'est tout de même un bel effort.

M. Cavada : Nous nous sommes vraiment mal compris. C'est tout à fait vrai : en Europe, c'est un des imprimés les plus courts et les plus simples.

M. Baconnier : Absolument.

M. Cavada : Ce qui ne signifie pas que les termes qu'il emploie sont compréhensibles et que la pédagogie de l'impôt soit faite. Vous êtes d'accord ?

M. Baconnier : Très honnêtement, je pense que beaucoup d'efforts ont été faits. Je pense qu'il y a encore à faire. Autrefois, l'avis d'imposition, qui est quelque chose de neutre, s'appelait « Avertissement » ; on était averti. Là où on a les plus beaux termes, c'est en matière de contributions indirectes ; comme en plus on a donné cela aux douaniers, je pense qu'on doit maintenant assister à un festival...

Je voulais tout de même mettre simplement en avant deux idées reçues, qui sont d'ailleurs de sens contraire. La première, c'est qu'il n'y a qu'une minorité de Français qui paient l'impôt sur le revenu. Cela a été répété à plusieurs reprises ce soir, mais le ministre a apporté des précisions. En fait, c'est vrai pour l'impôt progressif ; à l'évidence, ce n'est pas vrai pour les impôts sur le revenu proportionnel.

La Sécurité sociale, je prendrai un prélèvement notamment, qui est l'assurance maladie. L'assurance maladie, c'est 20 %, part patronale et salariale, sur le revenu non plafonné. Ces cotisations ne dépendent que de votre revenu, pas de vos risques, et ce que vous allez obtenir comme prestations ne dépend pas de ce que vous avez payé. C'est donc en fait un impôt au-delà des catégories juridiques ; il faut faire abstraction du juridique.

La CSG, le RDS, c'est de l'impôt proportionnel et au fond on est en train d'assister, vous l'avez dit et le ministre l'a dit aussi, à l'apparition d'un impôt proportionnel à côté de l'impôt progressif, l'impôt progressif ne touchant qu'effectivement une minorité de Français. C'est la situation que nous avions en 1948...

M. Cavada : Pardon, c'est combien la minorité dont vous parlez ?

M. Baconnier : Actuellement, on sait qu'on est à peu près à une moitié de contribuables : il y a 28 millions de foyers fiscaux, il y en a 14 millions qui sont effectivement imposés. On va peut-être tomber beaucoup plus bas. Une mesure qui a été prévue dans le projet gouvernemental, que nous avions suggérée, qui est cette mesure familiale, va en faire sortir je crois 1 600 000 ou 1 700 000. Cela laisse donc 12,3. Cela fait donc une minorité.

M. Cavada : C'est très intéressant ce que vous dites, pour une autre raison que vous ne développez pas pour l'instant : c'est qu'on voit bien aussi, à travers vos commentaires, que la base de l'IRPP est en train de se réduire, en même temps que son temps est en train de descendre.

M. Baconnier : L'impôt progressif n'est qu'une partie de l'ensemble. C'est la situation que la France a connue en 1948, jusqu'en 1959. C'est la situation de l'Angleterre, c'est la situation de beaucoup de pays.

M. Cavada : Je vous ai interrompu, excusez-moi.

M. Baconnier : Deuxième idée forte, à laquelle je tiens, qui est de sens contraire : c'est qu'il faut faire payer les riches. Sachez que les riches ne paient pas l'impôt sur le revenu ; ils trouvent toujours un moyen pour ne pas le payer, ne serait-ce que par la délocalisation, le « tax splating », c'est-à-dire la répartition des revenus entre différents pays, l'utilisation systématique de l'optimisation ou tout simplement le fait de toucher des revenus du capital qui en France, pour des raisons évidentes, sont un peu mieux traités que les revenus du travail.

Donc la mesure de baisse qui est prévue et que nous avons voulue, c'est une mesure de baisse en faveur des travailleurs et j'emploie là un terme qui est plutôt utilisé ailleurs que dans ma bouche.

M. Cavada : Et d'ailleurs on voit à travers votre observation que, petit à petit, et c'est très frappant, on passe à un autre système d'imposition.

M. Baconnier : Cela évolue, c'est clair.

M. Cavada : Monsieur Kessler, qu'on n'a pas entendu depuis un moment, et je demanderai aussi à Monsieur Hollande, quelles sont les propositions d'une autre forme de fiscalité que le PS a dans ses tiroirs ?

M. Kessler : Je ne peux pas répondre pour François Hollande, je n'ai pas son imagination fiscale...

M. Cavada : Il ne me venait pas à l'idée de vous adresser cette question.

M. Kessler : Beaucoup de choses ont été dites et il y a des choses sur lesquelles il faut insister.

Un premier point, c'est que la réforme fiscale doit s'accompagner d'une réforme de l'État. Tant qu'on n'aura pas réformé en profondeur l'État…

M. Cavada : C'est quoi, pour vous, réformer l'État ?

M. Kessler : Il faut redéfinir ses missions. On a dit tout à l'heure que c'est un choix de société. Oui, il faut savoir.

M. Cavada : Ses missions, son périmètre ?

M. Kessler : Son périmètre, son organisation. Nous avons le ratio à l'heure actuelle du nombre de fonctionnaires par rapport aux autres travailleurs indépendants, salariés et que sais-je encore ; nous avons une situation en France où il y a 25 % de la population active qui relèvent d'un statut de fonctionnaire. La masse salariale des fonctionnaires représente, tous budgets confondus – collectivités sociales, Sécurité sociale et budget de l'État – 1 100 milliards de francs.

Nous sommes donc dans une situation où il faudra une réforme de l'État, redéfinir ce qu'il doit faire et ce qu'il peut faire, dans les meilleures conditions. Il faudra sans doute aussi...

M. Cavada : Pardonnez-moi, il faut qu'on soit simple. Vous avez l'air de dire que les choses ne sont pas faites. Qu'est-ce que l'État ne devrait pas faire et qu'il fait encore ? Allons-y.

M. Kessler : Il y a quantité de choses desquelles il peut se défaire.

M. Cavada : Quoi ?

M. Kessler : Prenons un exemple. J'ai l'impression que de nombreuses...

M. Cavada : Le transport aérien qu'il fait encore actuellement, c'est oui ou c'est non ?

M. Kessler : Évidemment, il faut qu'il se désengage. En ce qui concerne les nombreuses entreprises publiques, qui sont à l'origine de déficits assez colossaux, qui sont la plupart du temps financés par des subventions venant directement des impôts, il faut poursuivre clairement ce qu'ont fait d'autres pays, ce qui a été engagé en France, mais il faut le poursuivre résolument : redéfinir un périmètre et que l'État se désengage des activités productives. L'État n'est pas là pour faire du commerce, n'est pas là pour faire de l'industrie.

M. Cavada : Je vais faire une parenthèse dans votre allusion pour poser une question au ministre. Monsieur Arthuis, où en sont les plaintes que vous avez envisagé d'engager contre X dans l'affaire du Crédit Lyonnais ?

M. Arthuis : La justice est saisie. Je suis ministre de l'Economie et des Finances, je me sens garant du patrimoine national et donc des impôts qui sont demandés à chaque Français, j'attends qu'on fasse bon usage de ces fonds publics. Dans le cas du Crédit Lyonnais, puisqu'il y a doute sur la présentation des comptes et qu'il y a des responsabilités à rechercher, j'ai demandé au Garde des sceaux d'engager auprès des juridictions les actions qu'il convient d'engager pour rechercher, pour établir les responsabilités. C'est révoltant de voir...

M. Cavada : Et cela ne se terminera pas dans une négociation en coulisses ?

M. Arthuis : Je vous ai dit que la démocratie exige la transparence. C'est parce que pendant trop longtemps on a vécu dans une sorte de logique d'opacité qu'on a laissée se développer des régulations un peu claniques.

M. Cavada : Cela veut dire que vous allez agir personnellement en tant que responsable ?

M. Arthuis : Oui, l'urgence c'est la transparence. C'est une exigence républicaine, c'est une exigence démocratique.

M. Cavada : Pardonnez-moi, je vous ai interrompu, Monsieur Kessler, parce que c'est à cela que vous faisiez allusion et il faut bien que quelqu'un dise les choses.

M. Kessler : Oui, je fais allusion à cela, mais je fais allusion à l'organisation de l'État sur d'autres plans. Depuis grosso modo 15 ans, on a à la fois transféré vers l'Europe des responsabilités qui étaient autrefois faites par l'État français, et vers les régions et les collectivités locales des choses qui étaient faites autrefois également par l'État central. Croyez-vous que ce double mouvement vers le haut et vers le bas se soit traduit par une diminution des dépenses de l'État ? Non, on a rajouté des échelons administratifs, on a rajouté des dépenses au niveau des collectivités territoriales, on a rajouté une ponction de plus en plus forte sur le budget de l'État à destination de l'Europe. Nous n'avons pas procédé, comme d'autres pays l'ont fait, c'est un grand chantier qu'il faut ouvrir dans les plus brefs délais, à une redéfinition du rôle de l'État.

Et dans ce cadre-là, si nous arrivons dans les années qui viennent justement à redéfinir ce périmètre, à réorganiser tout ceci, nous aurons la garantie qu'il n'y aura pas de prélèvements à venir, ce qui permettra de rendre crédible la réforme fiscale. Il n'y aura de crédibilité de la réforme fiscale que si les Français savent que désormais l'État arrivera à tenir ses dépenses, l'État arrivera à maintenir ses déficits et l'État arrivera grosso modo à se réformer. Si on n'y arrive pas, je crois qu'effectivement on va perdre du temps et perdre de la compétitivité.

M. Cavada : Monsieur Kessler, est-ce que vous êtes de ceux qui pensent que si l'État ne faisait pas des choses qui devraient être faites ailleurs, parce que ce n'est pas toujours de sa responsabilité, il n'est pas toujours formidable employeur, il n'est pas toujours formidable gestionnaire, l'histoire le prouve et ce n'est pas un commentaire, est-ce que vous pensez que cela donnerait plus de grandeur à l'Etat, plus d'autorité dont nous avons finalement assez cruellement besoin par les temps qui courent, ou ne courent pas plutôt ?

M. Kessler : Il faut que l'État se recentre sur ses missions essentielles...

M. Cavada : Vous êtes d'accord avec cette idée ?

M. Kessler : Mais bien entendu. À l'heure actuelle, il ne peut plus poursuivre ses missions. Il prélève grosso modo, juste un chiffre, 3 000 milliards de francs et on voit bien qu'on n'arrive pas avec ces 3 000 milliards de francs à résoudre même les fonctions régaliennes comme on le souhaiterait, que ce soit la justice, que ce soit la police, que ce soit la lutte contre la pauvreté. Il y a une énorme masse d'argent, il y a un nombre spectaculaire de gens qui le collectent et qui le redistribuent et on n'arrive pas à obtenir les objectifs même les plus simples qu'un État doit pouvoir satisfaire.

Je crois que c'est le grand chantier de la fin de ce siècle : quels que soient les gouvernements, ils devront s'atteler à cette urgence qui consistera effectivement à redéfinir un État moderne, qui correspond à l'heure actuelle à plus grand-chose.

Laissez-moi finir sur ce qu'on appelle le statut de la fonction publique. On va fêter son cinquantenaire bientôt. Comme vous le disiez, il n'a pas changé depuis grosso modo 1947, 1946 et on s'aperçoit que la gestion des ressources humaines dans l'État ne correspond plus du tout à l'esprit du temps. Il y a des rigidités, des règles d'ancienneté, il y a des dispositions qui ne correspondent plus à la façon dont on motive son personnel. Voilà un chantier qui doit s'ouvrir, et cela bénéficiera aux fonctionnaires qui retrouveront des véritables raisons de se mobiliser, de servir dans un cadre qui sera rénové.

Voilà beaucoup de choses : l'organisation territoriale, la gestion des ressources humaines, l'organisation des missions essentielles, le désengagement de l'activité productive, notamment de tout ce qui est activité industrielle et commerciale. Je crois que nous avons exactement ce qui permettra de gager la réforme fiscale, c'est-à-dire d'écarter la menace de prélèvements obligatoires permanents, qui a complètement perturbé tous les équilibres économiques.

M. Cavada : Monsieur Hollande, d'abord éventuellement quelques commentaires, mais surtout que prépare le Parti socialiste en matière de réforme fiscale ? Il y a à plusieurs reprises songées, il en a engagé. Que feriez-vous si aujourd'hui vous étiez aux affaires ou que préparez-vous si, lors d'une prochaine échéance électorale, vous y arrivez ?

M. Hollande : D'abord on est sur un constat et de cette émission il ressort assez bien, ce constat. En matière de fiscalité d'État, il y a une part trop forte des prélèvements indirects par rapport aux prélèvements directs. C'est vrai que c'est une tendance européenne, sauf que certains pays européens ne partaient pas déjà d'aussi haut pour la fiscalité indirecte que nous. Nous avons maintenant un taux de TVA qui est parmi les plus élevés d'Europe et nous avons donc une redistribution qui se fait mal à cause de cela.

Par ailleurs, nous avons un système fiscal d'État qui est le plus antiéconomique, car on voit bien que s'il y avait plus de consommation, il y aurait plus de croissance, et s'il y avait plus de croissance, il y aurait plus d'emplois et plus de rentrées fiscales. Donc on voit bien qu'il faut absolument réduire la part des prélèvements indirects, faire monter les prélèvements directs, que ce soit d'ailleurs par le biais de la CSG en substitution des cotisations sociales, ou que ce soit par le biais d'un impôt sur le revenu repensé. Car il est vrai que l'impôt sur le revenu aujourd'hui va devenir le parent pauvre de notre système fiscal.

M. Cavada : Vous souhaitez qu'il s'appauvrisse ou pas ?

M. Hollande : Non. À terme, l'impôt sur le revenu, qui représente à peu près la moitié de la TVA, une fois que la réforme aura été faite, représentera un tiers de la TVA. Donc on voit bien que l'impôt sur le revenu est en train de perdre dans les deux bouts : forme extrême pour les revenus les plus élevés, forme pour les revenus les plus bas. On voit bien que l'impôt sur le revenu est en train de s'effilocher avant de disparaître, avec toutes les conséquences en termes de progressivité.

Deuxièmement, nous avons un système de cotisations sociales qui est à la fois injuste et là encore pénalisant pour l'emploi. Et donc la proposition que nous faisons, notamment pour les cotisations patronales maladie, c'est plutôt que d'asseoir les cotisations sur le seul salaire, sur le seul travail, il faut qu'il soit assis sur l'ensemble de la valeur ajoutée, c'est-à-dire que tous les facteurs de production travaillent comme capital.

Troisième réforme que nous souhaitons engager : c'est la réforme de la fiscalité locale. C'est vrai qu'aujourd'hui il y a beaucoup de Français, je reviens sur les époux Martin, qui paient très peu d'impôts sur le revenu…

M. Cavada : Célèbres époux Martin...

M. Hollande : Indispensables époux Martin... Ils paient très peu d'impôts sur le revenu, mais ils paient une taxe d'habitation, mais ils paient une taxe foncière qui peut être très élevée. Or la caractéristique de ces impôts locaux, c'est qu'ils sont archaïques dans leur mode de calcul et très injuste parce que non pas fonction du revenu, mais fonction de la valeur locative des biens occupés.

M. Cavada : Voir différence entre Paris et sa banlieue par exemple.

M. Hollande : Et variable selon les communes. Et je ne parle pas de la taxe professionnelle.

Donc on voit bien les trois réformes que nous proposons, ou que nous proposerons : pour la fiscalité d'Etat plus grande part pour la fiscalité directe que pour la fiscalité indirecte, pour la Sécurité sociale meilleur financement sur une assiette beaucoup plus large que les seuls salaires et réforme de la fiscalité locale pour que le revenu soit davantage pris en considération. Et là on aura peut-être joué à la fois pour la redistribution, pour l'équité, et pour l'emploi.

M. Cavada : Et en réalité, là où on se dit que le socialisme sera éventuellement dilué à la même sauce que le libéralisme, c'est que la réduction des déficits publics de la Nation va être une contrainte internationale que vous ne pourrez pas non plus contourner.

M. Hollande : Ce n'est même pas une contrainte internationale. Ce n'est pas simplement par rapport à des traités qui ont été signés. Je crois que la démonstration, même si avec Monsieur Arthuis nous sommes dans un jeu extrêmement tactique, est faite : il est vrai qu'un État, pas plus qu'une entreprise ou un particulier, ne peut tolérer d'avoir un endettement public qui progresse.

Mais qu'est-ce qui peut faire diminuer le déficit public ? Est-ce que se sont des ponctions supplémentaires qui s'ajoutent les unes aux autres ? Est-ce que c'est une compression de dépenses que souhaitent certains ou est-ce que c'est le manque de croissance ? Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui nous avons un déficit public ? Le débat est de dire : diminuez le déficit public et vous aurez la croissance. Et si c'était le contraire ? Si c'était parce qu'il n'y a pas assez de croissance qu'il y a trop de déficit ? La clé de tout est une relance de la politique économique de façon à ce que consommation, demande repartent et que l'emploi permette des rentrées fiscales qui diminuent le déficit.

M. Cavada : Merci, Monsieur Hollande. Avant votre conclusion, une information et une question.

La première est que vous avez sans doute remarqué, si vous avez pris ce débat en cours ou depuis le début, que nous n'avons pas beaucoup parlé des impôts locaux, et c'est un choix volontaire de notre équipe : c'est que cela fera l'objet non pas d'une Marche du Siècle, mais d'une enquête bien précise parce qu'on a bien remarqué dans les sondages que le poids des impôts locaux commençait à devenir pour l'opinion quelque chose de difficilement supportable. Il faut voir ce qu'on a fait de ces impôts locaux et c'est notre travail que de le montrer, pour autant qu'on pourra le comprendre.

La question est : quel taux de croissance, Monsieur le ministre, espérez-vous pour l'an prochain, c'est-à-dire le budget 97 ? Il est prévu 2,3 ?

M. Arthuis : 2,3, c'est un taux...

M. Cavada : Difficile.

M. Arthuis : Difficile, mais la croissance, ce n'est pas seulement la prévision que peuvent faire les économistes ; la croissance, c'est la mobilisation de tout un pays.

M. Cavada : Comme je suis dans le rôle du questionneur, est-ce que par hasard il n'y aurait pas là une écriture de l'avenir immédiat qui nous permettrait d'atterrir en douceur sur le nuage Maastricht ?

M. Arthuis : Est-ce qu'on doit être obnubilé par le nuage, comment dites-vous ? Maastricht ? Est-ce que c'est pour Maastricht qu'on réduit les dépenses publiques et qu'on réduit les déficits ? Est-ce que vous croyez que...

M. Cavada : Non, c'était le 2,3 de croissance, ma question.

M. Hollande : Celui qui serait moins maastrichtien serait peut-être plus désireux de sauvegarder la souveraineté nationale dans sa plénitude. Mais est-ce qu'il y a une souveraineté nationale lorsqu'il y a du déficit systématique et lorsqu'on a des dettes à ce point élevées ? Certainement pas. Donc que l'on soit plutôt souveraineté nationale ou que l'on soit pour l'union économique et monétaire européenne, parce qu'elle donnera la stabilité monétaire, on est forcément pour la réduction de la dépense publique, pour la réduction des déficits publics. Je crois qu'on ne peut pas y échapper : avec ou sans Maastricht, c'est un impératif que de réduire les dépenses publiques.

M. Hollande : Et pour cela il faut de la croissance. La croissance est déterminante. Si vous n'avez pas la croissance, vous n'aurez pas la réduction des dépenses.

M. Arthuis : Il faut de la croissance, mais est-ce qu'il n'y a pas quelque part de la révolte chez ceux qui gèrent leur budget familial, chez ceux qui sont responsables d'une petite entreprise et qui voient que les recettes ne rentrent pas et qu'ils perdent des revenus ? Que font-ils ? Ils ajustent leur façon de vivre, leurs dépenses ; ils modifient leur organisation. Est-ce qu'il n'y a pas de la révolte de la part de ceux-là, et ils sont nombreux dans ce pays, par rapport à un État qui, lui, confronté à un tarissement des recettes, ne se remettrait pas suffisamment en cause ? C'est dire l'importance de la réforme de l'État pour le rendre plus efficace, pour le recentrer sur ses missions essentielles.

M. Cavada : Avant votre conclusion, Monsieur Arthuis, je vois que j'ai muselé, dans la dernière petite chose qu'elle voulait ajouter, Madame Aumeran.

Mme Aumeran : Je voudrais simplement poser la question de savoir si ce qu'on veut demain, c'est devenir comme la Grande-Bretagne, si le modèle aujourd'hui à suivre est le modèle britannique : 1. Dérèglementation du travail ; 2. Suppression des emplois publics à un nombre encore jamais atteint ; 3. Triplement des inégalités de revenus et de richesses sur les dix dernières années. Si c'est cela qu'on veut faire, il faut continuer sur cette voie-là et on y arrivera.

M. Cavada : J'ai bien fait de laisser parler Madame... Maintenant, concluez ; j'imagine que vous aurez quelque chose à répondre.

M. Arthuis : Madame Aumeran, notre choix, c'est une communauté solidaire, une communauté active, dynamique, ambitieuse...

Mme Aumeran : Il y en a qui sont plus solidaires que d'autres.

M. Arthuis : ... Qui ne redoute pas la mondialisation de l'économie, parce qu'elle se réorganise, elle se remet en cause, elle retrouve de la compétitivité, elle va à la conquête du monde et chacun y a sa place. On a dit tout à l'heure qu'un certain nombre...

Mme Aumeran : L'Angleterre est une réussite.

M. Cavada : J'ai dit : les conclusions, parce qu'il faut s'arrêter maintenant. Le temps d'antenne aussi coûte cher, je ne voudrais pas être en déficit public de temps d'antenne.

M. Arthuis : … Qu'un certain nombre de familles allait sortir de l'impôt progressif, mais j'espère bien que, par la croissance, un certain nombre de ceux et celles qui aujourd'hui ne paient pas l'impôt progressif parce que leur revenu n'est pas suffisant, j'espère bien que ceux-là, demain, vont gagner plus et qu'ils vont rejoindre le groupe de ceux qui paient l'impôt sur le revenu.

M. Hollande : Il faudrait que Monsieur Kessler les augmente ceux-là !

M. Arthuis : La gestion publique, ce n'est pas une espèce de fatalité, c'est une communauté qui se remet en cause et qui va de l'avant. Alors je crois qu'aujourd'hui, ce qui est très important, c'est qu'on a fait la démonstration qu'on était capable de réduire, enfin, la progression de la dépense publique, et que, dans ces conditions, on n'est pas condamné à subir le déficit public et l'endettement public, et que l'on peut enfin alléger l'impôt et qu'on va l'alléger pour ceux qui travaillent. Parce que, depuis des années et des années, on n'a pas arrêté de faire peser sur le travail des cotisations sociales, de l'impôt sur le revenu, et qu'il fallait faire autre chose que d'alléger les impôts sur l'argent qui dort…

M. Hollande : ... sur les consommateurs...

M. Arthuis : ... Sur l'argent qui dort. Sur la TVA, nous avons eu ce débat. Nous sommes dans une économie mondialisée, si nous voulons que les produits qui viennent d'ailleurs, supportent un minimum de contribution, c'est sans doute l'impôt de consommation qui préserve mieux l'emploi et la cohésion sociale.

M. Hollande : ... Qui frappe les plus modestes.

M. Cavada : Madame et Messieurs, je vous remercie infiniment de votre présence ce soir.

Le débat de fond existe, c'est vraiment ce qui ressort de plus visible dans la marge de manœuvre dont disposent les gouvernements. Les choix politiques existent, c'est ce qui va ressortir de plus visible du débat de ce soir, en dehors d'un environnement général qui, en effet, pose et impose ses contraintes.

Si vous voulez comprendre davantage encore, aller plus loin que ce que nous avons pu dire sur ce plateau, je vous recommande vraiment le travail de nos partenaires CAPITAL qui consacrent un très important document sur toute la machine des impôts, et cela s'appelle « Pourquoi notre système est absurde ? ». Ce dossier a été dirigé par Philippe Eniakim. Il ressort tout un tas de choses. Il fait des comparaisons. Vous y trouverez vos arguments, votre satisfaction ou vos oppositions. C'est votre choix et non pas le mien.

Et puis je voudrais aussi rappeler que RTL, notre autre partenaire, a aussi, pendant toute la journée, et continuera à le faire, traité de ce sujet dans les journaux, rubriques, y compris celle de Mlle Marini-Bosc qui s'appelle « TV FAX ». Si c'est grâce à elle que vous avez regardé cette émission, je suis bien obligé de la remercier.

Quelques ouvrages : « Guide pratique du contribuable » édité par le Syndicat national unifié des impôts.

« De la pression fiscale en général et de notre porte-monnaie en particulier » de Monsieur Philippe Manière, qui est rédacteur en chef au POINT, Éditions Pion. C'est un livre de cette année.

Et puis « L'arbitraire fiscal » de Pascal Salin ou « Comment sortir de la crise ? », c'est aux Éditions Slakine. C'est un livre de cette année ou plutôt il a quelques jours exactement.

Voilà exactement ce que j'avais à vous dire ce soir.

Dans un instant, une journée d'actualité qui vous sera présentée dans le Soir 3 d'Henri Sannier.

La semaine prochaine, « Tous centenaires », c'est-à-dire le vieillissement. Une vie plus longue et aussi une vie meilleure. Ce sera le thème de la Marche du Siècle.

Et après le Soir 3 de tout à l'heure, c'est-à-dire pour votre fin de soirée, la collection « Un siècle d'écrivains » : un portrait de Marguerite Duras née en 1914 en Indochine où elle a passé, comme vous le savez, son enfance. Elle est décédée le 3 mars derniers, c'est l'auteur de « L'amant » et de beaucoup d'autres ouvrages, et vous connaissez ce qu'on dit dans la Société bien élevée : « M.D. forcément est G., forcément géniale. »

C'est un très beau document. Je vous recommande, notamment si vous êtes jeune, de l'aborder avec le cœur que cela mérite.

Bonne fin de soirée.

Merci de nous avoir suivis.

Merci à vous tous.