Texte intégral
RTL - mardi 23 janvier 1996
J.-J. Bourdin : Le Gouvernement accepte de mentionner les recettes dans le projet de loi ?
H. Gaymard : C’est un projet de loi qui est défendu pour l’essentiel par J. Toubon qui est grade des sceaux et je crois que, dans la cadre de la concertation entre le Parlement, le Gouvernement, les partenaires sociaux, nous arriverons à une bonne loi d’équilibre de manière à ce que les choix sanitaires et les choix financiers puissent être mis en perspective.
J.-J. Bourdin : Rappelez-nous ce que signifie la loi d’équilibre ?
H. Gaymard : Ce qu’il faut comprendre. La situation telle qu’elle est aujourd’hui. Le Parlement délibère sur le budget de l’État, chaque année pendant trois mois, mais sur l’ensemble des dépenses sociales, il n’y a pas de délibération globale alors que les montants du budget sociale sont bien plus élevés que celui du budget de l’État. Ce que nous souhaitons faire, et c’est ce qu’a dit le Premier ministre le 15 novembre, c’est que le Parlement se prononce sur ce budget social.
J.-J. Bourdin : Donc, contrôle les comptes de la Sécurité sociale ?
H. Gaymard : Contrôle les comptes et fixe aussi les objectifs. Moi, j’ai été parlementaire pendant deux ans, à aucun moment au Parlement, vous avez un débat sur la santé publique dans notre pays et sur les orientations de notre protection sociale. Donc, l’objectif de cette révision constitutionnelle, c’est de permettre que la Parlement puisse se prononcer.
J.-J. Bourdin : Se prononcer sur les recettes aussi, c’est ce que vous venez d’accepter ?
H. Gaymard : C’est un sujet très compliqué, je ne vais peut-être pas rentrer dans le détail, pour l’instant, le débat s’ouvre cet après-midi puisqu’il y a la discussion générale qui dirige J. Toubon. À partir de demain, nous aurons l’examen des articles et effectivement, à l’occasion de cet examen, un certain nombre de choses seront précisées.
J.-J. Bourdin : Les comptes de la Sécu, déficit prévu, 17 milliards de francs en 96, ce sera plus ?
H. Gaymard : C’est aujourd’hui difficile de le dire. Ce que l’on peut dire ; comme l’a dit J. Barrot récemment, c’est que compte tenu notamment du ralentissement de la croissance que l’on aura l’année prochaine, cette année par rapport à ce qui était prévu il y a encore quelques mois, on aura sûrement une certaine perte de recettes. Mais je peux vous dire qu’avec J. Barrot, notre obsession c’est de mettre en œuvre des mécanismes structurels, non pas des mesures de court terme seulement, mais des mécanismes structurels qui permettent de limiter les gaspillages et les dépenses inutiles.
J.-J. Bourdin : Les allocations familiales ne seront pas imposées ?
H. Gaymard : Je voudrais apporter une précision dans ce dossier parce que j’ai été très surpris de certaines réactions de la presse ce matin, quand A. Juppé a évoqué cette question des fiscalisations, le 15 novembre, que cette question a été à nouveau évoquée lors du sommet social du 21 décembre dernier, il a toujours été dit que ce dossier était lié à la réforme de l’impôt sur le revenu. Il n’a donc jamais été question que cette fiscalisation figure au menu, si j’ose dire, des ordonnances de la fin du moins d’avril. Je suis un élu de terrain, je suis toutes les semaines dans ma circonscription, je vais beaucoup en France sur le terrain, et j’ai été frappé que beaucoup de nos compatriotes croyaient que la mesure avait été décidée, qu’elle était dans les ordonnances et, comme on dit, que tout était ficelé. Donc, moi je voudrais simplement rappeler à nos auditeurs que cette mesure de fiscalisation s’inscrit dans un cadre beaucoup plus large qui est une réforme pour une politique familiale plus dynamique, c’est la première chose qui me paraît très importante et la deuxième chose, c’est qu’effectivement, cette réforme est liée à la réforme du barème de l’impôt sur le revenu qui pour l’instant n’est pas annoncée à date certaine.
J.-J. Bourdin : Pas de changement pour l’instant. Sommet familial pour quand ?
H. Gaymard : Je pense que le Premier ministre aura l’occasion dans les jours qui viennent d’apporter des précisions puisqu’avant de le faire, il doit évidemment se concerter avec l’ensemble des partenaires concernés. On peut raisonnablement penser que ce sommet aura lieu au cours du premier trimestre de l’année ou en tout cas au cours du premier semestre. C’est un engagement fort du sommet social du 21 décembre dernier et l’ensemble des partenaires sociaux attendent ce rendez-vous.
RMC - lundi 29 janvier 1996
P. Lapousterle : Certains sportifs ont été suspendus par les entraîneurs pour avoir consommé un peu de drogue « douce ». Certains sportifs pensent que la mesure était un peu sévère. Faut-il être très sévère quand les sportifs consomment ce genre de « drogues douces » ou faut-il fermer les yeux ?
H. Gaymard : Celui qui a en charge la santé au Gouvernement vous dira bien évidemment qu’il faut être très sévère et que la lutte contre la drogue, pas seulement par la répression, mais aussi et surtout par la prévention, le dialogue et l’écoute, qui ne doivent être jamais relâchés. Il faut que les jeunes, notamment, sachent dans quel engrenage ils mettent le doigt. De ce point de vue, comme les sportifs sont souvent cités en exemple et c’est vrai que le sport et une école d’exigence, de maîtrise de soi, et dans notre société, je crois que les valeurs que véhicule le sport sont très importantes, je crois qu’il faut faire très attention au symbole. Et sur ce sujet-là, il faut être très sévère.
P. Lapousterle : Vous appartenez à un gouvernement dont les membres se sont un peu déchirés sur le problème fondamental de l’Europe. Est-ce un débat qu’il faut assumer et tant pis si ça paraît contradictoire ou le débat même est-il dangereux selon vous ?
H. Gaymard : Je ne pense pas que le Gouvernement, sur ce sujet, se soit déchiré. Il y a eu des déclarations la semaine dernière, je n’y reviens pas. Certaines ont été un peu sollicitées, d’autres un peu montées en épingle. En tout cas, il ne fait jamais avoir peur du débat. Le pays n’a pas eu peur du débat en 92, lors de Maastricht, alors qu’au printemps 92, certains nous disaient : « Il ne faut surtout pas parler de Maastricht, surtout pas débattre ». On a débattu, il y a eu une courte majorité pour le « oui », et je crois qu’à ce moment-là, on a vécu un grand moment de la démocratie française. Si je me réfère à ce qu’a dit Séguin dans ce discours d’Aix-la-Chapelle…
P. Lapousterle : C’est une conversion ?
H. Gaymard : Non, car Séguin avait dit exactement la même chose dans des termes un peu différents en octobre, en disant qu’il ne fallait pas faire la monnaie unique comme un but en soi, car la monnaie en soi, ça ne veut rien dire, ce qui compte, c’est l’économie, c’est l’emploi, la croissance, la cohésion de l’Europe. De ce point de vue, le président de la République, le Premier ministre, P. Séguin ont très clairement indiqué la marche à suivre.
P. Lapousterle : Dans trois jours, tous les Français vont passer à la caisse avec le remboursement du RDS qui sera 0,5 % de tous les revenus. Mais comment va-t-on rééquilibrer les comptes courants de la Sécurité sociale pour éviter un nouveau RDS dans quelques années ? Êtes-vous en mesure de dire maintenant que l’in va pouvoir combler le déficit de la Sécurité sociale qui a fait que maintenant, il faille remplir le trou ?
H. Gaymard : Nous sommes dans une société où l’actualité est éphémère, où l’on rappe comme on dit, on passe d’un sujet à l’autre. Il est donc évident qu’au cours des dernières semaines, on a beaucoup parlé du RDS car il vient d’être institué. Je rappelle deux choses cependant : 1/ le remboursement de notre dette sociale est quelque chose de fondamental. Pourquoi ? Non pas, là encore, simplement pour des questions financières ou budgétaires mais tout simplement car ne pas prendre le taureau par les cornes maintenant, ne pas rembourser la dette maintenant, c’est un mauvais service à rendre à nos enfants. Si nous ne prenons pas les mesures actuellement pour rembourser la dette sociale, ça veut dire que notre génération fait payer à ses propres enfants le prix de son manque de courage et de son manque de responsabilité. 2/ Dans le plan de réforme de la protection sociale, il y a des mesures d’urgence, comme le RDS, qui interviennent car il faut qu’elles interviennent en début d’année pour qu’elles puissent être appliquées, mais il y surtout des mesures de structure pour, là encore, prendre le taureau par les cornes et éviter que les nouveaux déficits réapparaissent. Nous sommes donc, avec J. Barrot, avec lequel nous travaillons la main dans la main, en train d’élaborer – par une concertation avec les partenaires sociaux, avec les syndicats, les parlementaires, avec les Français qui nous écrivent et que nous rencontrons sur le terrain – trois ordonnances qui seront publiées fin avril. Ces trois ordonnances seront le cadre pour permettre précisément de ne pas avoir à y revenir.
P. Lapousterle : Les Français se posent la question suivante : le déficit de la Sécu est énorme. Donc si on veut rétablir les comptes on va moins profiter de la Sécu, elle sera moins favorable qu’avant. Comment faire pour que les Français aient la même santé avec des comptes en règle ?
H. Gaymard : Je ferais observer que ce plan de réforme est le premier dans lequel on ne diminue pas le taux de remboursement. J’ai la conviction que si chacun tire dans le même sens, que si tous les Français, tous les responsables, tous les politiques, tous les acteurs du système de santé, sont persuadés de la nécessité de sauver notre Sécu, notamment en luttant contre les gaspillages et les abus, en mettant un pilote dans l’avion pour décider ce que l’on fait, j’ai la conviction que l’on peut arriver.
P. Lapousterle : Les médecins n’ont pas l’air d’accord et on les entend tous les jours…
H. Gaymard : Vous dites les médecins, certains, car je suis beaucoup sur le terrain, j’en rencontre beaucoup, on a parfois des échanges vifs et directs et ce n’est pas pour me déplaire car c’est ainsi que l’on faut avancer les choses. Il s’agit pour la France de sauver son système de protection sociale et son système libéral de distribution de soins. Notre singularité par rapport à beaucoup de pays c’est qu’on a la liberté de choisir son médecin, liberté pour le médecin de s’installer et de prescrire, c’est très bien et il faut que ça reste comme ça. Et puis à côté, on a la mutualisation de l’effort puisque grâce à la Sécu, les gens qui vont le faire soigner sont solvables. C’est cette double singularité qu’il faut maintenir. Chacun est bien convaincu, et moi qui suis beaucoup sur le terrain et en discutant avec les médecins, qu’il faut à la fois sauver notre Sécu, sauver l’exercice libéral de notre médecine, mais pour sauver notre Sécu et sauver l’exercice libéral de notre médecine, il ne faut pas faire comme les autruches, il ne faut pas enfouir la tête dans le sable et considérer que l’augmentation des déficits et une fatalité contre laquelle on ne peut rien.