Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes et de M. Charles Pasqua, sénateur et conseiller du président du RPR, à TF1 le 17 mai 1998, sur les modalités de ratification du traité d'Amsterdam, l'Europe et l'emploi, l'accord RPR UDF sur la fondation de "L'Alliance", la prévention de la délinquance des mineurs.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

M. FIELD. – Dans un instant, c’est un débat que vous propose « Public » entre le Monsieur Europe du gouvernement, Pierre Moscovici, ministre délégué aux Affaires européennes et Charles Pasqua, le plus célèbre des eurosceptiques.
L’entrée dans l’euro, le Traité d’Amsterdam, faut–il, oui ou non, un référendum pour le ratifier ? Les institutions de la Ve République sont–elles compatibles avec la construction européenne ? Autant de thèmes de ce débat qui n’oubliera évidemment pas la politique française avec, notamment, la création d’Alliance entre le RPR et I’UDF.
Dans un instant, en direct, débat Moscovici–Pasqua, c’est dans « Public ».

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M. FIELD. – Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
C’est un débat que vous propose « Public » ce soir, un débat entre Pierre Moscovici, le ministre délégué aux Affaires européennes, et Charles Pasqua, l’ancien ministre de l’Intérieur et celui qui représente, peut–être, le plus cette part de l‘opinion française extrêmement réservée sur la construction européenne. Donc, l’Europe sera évidemment au centre de ce débat, à la fois l‘entrée dans l’euro, le Traité d’Amsterdam pour lequel Charles Pasqua demande un référendum puisque, d’après lui, il y aurait abandon de souveraineté et, alors là on en parlera évidemment, la conciliation entre les Institutions de la Ve République et l’Europe, entre la souveraineté nationale et la construction européenne seront au cœur de ce débat.
Mais nous n’oublierons pas, et nous commencerons par cela, l’actualité internationale et nationale, et notamment nous parlerons d’Alliance la nouvelle configuration politique qui réunit le RPR et I’UDF.
Tout cela est au menu de cette émission et on commence par une page de pub.

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M. FIELD. – Retour sur le plateau de « Public » et, tout de suite, un résumé des principaux événements de la semaine, L’EDITO concocté par Julie Cléot. (...)

Juste une précision : l’autorité palestinienne a publié un communiqué cet après–midi même révisant à la baisse le nombre de victimes qu’on vous signalait dans L’EDITO : 5 victimes et néanmoins plusieurs dizaines de blessés en Palestine, lors des affrontements avec l’armée israélienne.
Nous allons revenir rapidement sur ces thèmes de l’actualité, notamment l’Inde avec ses essais nucléaires. Une condamnation unanime de la Communauté internationale et on a le sentiment –d’ailleurs également sur l’Indonésie – que, là encore, l’Europe ne parle pas exactement d’une même voix dans le concert international. Pierre Moscovici, on a le sentiment que, dès qu’il y a un événement un petit peu important dans le Monde, ce sont finalement les diplomaties nationales et leurs nuances respectives qu’on entend davantage que la voix européenne ?

M. MOSCOVICI. – C’est vrai que l’Europe ne parle pas encore assez fort en cette matière, c’est–à–dire une des raisons pour ratifier le Traité d’Amsterdam dont on reparlera un peu plus tard. Mais néanmoins sur ces sujets qui sont des sujets graves, sur l’Inde comme sur l’Indonésie, on peut constater, quand même, que tous les Européens condamnent, qu’il y a une déploration absolument unanime de ce qui se passe, qui est la volonté de trouver des solutions politiques. En Indonésie, il faut le dialogue politique. Par rapport à l’Inde, il faut absolument la convaincre d’adhérer au traité qui prohibe la prolifération nucléaire. Et là–dessus les Européens parlent ensemble et essaient d’agir ensemble.
Après, nous avons des nuances par rapport aux Américains. Quand les Américains proposent, par exemple, des sanctions unilatérales par rapport à l’Inde, nous disons « non » parce que ce n’est pas notre philosophie, et il est vrai qu’il y a certains amis des Américains dans l‘Europe – on le sait –. Voilà ce qui est la petite nuance, mais il demeure que ce sont des sujets très préoccupants.
Notamment pour l’Indonésie, je voudrais dire qu’il y a un souci pour le gouvernement français, c’est celui de nos ressortissants. Il faut qu’ils sachent que le Ministère des Affaires étrangères et l’ambassade en Indonésie sont à leur disposition parce qu’ils sont en danger.

M. FIELD. – Charles Pasqua, la France est–elle très bien placée pour faire la leçon à l’Inde alors que, il n’y a pas si longtemps, profitant malencontreusement de l’anniversaire d’Hiroshima, elle avait procédé elle–même à des essais nucléaires ?

M. PASQUA. – Votre présentation est un peu caricaturale...

M. FIELD. – ...mais vous êtes là pour la rectifier.

M. PASQUA. – La France n’a pas profité de l’anniversaire d’Hiroshima.

M. FIELD. – J’ai dit « malencontreusement ».

M. PASQUA. – Ah ! « Malencontreusement », oui.
Nous sommes dans une situation nouvelle puisque, depuis cette époque, la France a décidé de renoncer à tout essai nucléaire, que l’ensemble des pays occidentaux sont sur la même ligne, pas seulement d’ailleurs, la Russie et un certain nombre d’autres, les États–Unis bien entendu. Et ce qui est préoccupant à l’heure actuelle, tout le monde le sait, c’est la prolifération des armes nucléaires et que des pays qui n’étaient pas encore dotés de cette arme nucléaire, alors qu’ils sont situés dans une région qui est une véritable poudrière, soient dotés de cette arme et envisagent éventuellement de l’utiliser, ce qui peut toujours arriver. Et, par conséquent, tous les efforts de la communauté internationale, ceux de la France comme de tous les autres pays, vont dans ce sens.
Alors c’est vrai – et, cela, on ne peut que le constater – que l’Europe ne parle pas fort et qu’elle ne parle pas d’une seule voix. Pour une raison simple, c’est qu’il n’y a pas de politique étrangère commune, comme il n’y a pas de politique de Défense commune, comme dans un certain nombre d’autres domaines. Nous aurons l’occasion d’en parler tout à l’heure.

M. FIELD. – Ce sera la deuxième partie de l’émission, évidemment.
La violence dans les banlieues avec ce fait divers qui a, visiblement, été un degré de plus dans le traumatisme général de ce garçon lynché par une bande de jeunes. Et puis avec sorte de réflexe civique d’une partie des jeunes de la cité qui ont véritablement collaboré à l’enquête policière puisqu’ils ont été à l’origine de l’arrestation de l’un des auteurs présumés de l’agression.

M. PASQUA. – La violence est toujours le fait d’une minorité. Je crois que l’immense majorité des jeunes est bien dans sa peau, si j’ose dire ! Naturellement, il y a des difficultés de tous ordres, on les connaît. Mais globalement ils ne demandent qu’une seule chose, c’est de pouvoir s’affirmer, trouver un emploi, etc. Mais il y a une petite minorité dans les cités, dans un certain nombre de villes, qui pratique la violence. Alors, certains sont liés directement avec des dealers, d’autres tout simplement parce qu’ils ont choisi cette voie.

M. FIELD. – Quoi en faire de cette minorité ?

M. PASQUA. – Le gouvernement – quel qu’il soit d’ailleurs – est placé devant un choix. À partir du moment où il y a des bandes, à partir du moment où la délinquance des jeunes touche des jeunes de plus en plus tôt – on a parlé des adolescents, maintenant on est aux enfants, il y a des enfants de 12 à 13 ans qui sont réunis en bandes, qui commettent des agressions –, je crois que nous n’éviterons pas de prendre un certain nombre de mesures et je crois que – même si cela peut choquer certains la prévention est une nécessité, mais la répression aussi.
Il y a eu un débat, je crois, au sein du gouvernement. Je n’y appartiens pas, je ne suis pas en mesure...

M. MOSCOVICI. – …je tâcherai de vous éclairer.

M. FIELD. – Vous êtes plutôt bien informé en général.

M. PASQUA. – Je suis persuadé que vous allez nous éclairer, Monsieur Moscovici. Et ce débat se situait notamment – il est d’ailleurs classique – entre le ministre de l’Intérieur, d’une part, et le Garde des Sceaux, d’autre part. Le ministre de l’Intérieur étant partisan de faire en sorte que les petits caïds, les meneurs soient extraits des cités où ils entraident les autres et qu’ils soient placés dans  des centres d’éducation surveillée. Toute la question est de savoir, en ce moment, s’il faut que ce soit des centres fermés ou des centres ouverts, autrement s’ils peuvent avoir la liberté d’aller ou de venir ou s’ils doivent être vraiment en quelque sorte, je ne dirais pas « enfermés » mais presque, dans un autre endroit...

M. FIELD. – ... et vous pencheriez pour laquelle ?

M. PASQUA. – Ce débat n’a pas été tranché. Je suis dans un département où ces phénomènes ne sont pas inconnus. Nous avons essayé de les prévenir dans une certaine mesure, notamment en intervenant très tôt au niveau du rattrapage scolaire et aussi par l’action que nous conduisons dans les cités, notamment dans le domaine du sport et grâce aux sportifs qui ont plus facilement le contact avec les jeunes enfants, etc. mais il arrive un moment où on doit mettre hors d’état de nuire ceux qui vraiment créent le désordre et entraînent les autres. Donc, il faut, au moins, les éloigner.

M. FIELD. – Pierre Moscovici.

M. MOSCOVICI. – Cette question de la violence des jeunes nous préoccupe énormément. Il y a eu plusieurs très graves accidents au cours des dernières semaines, à Aulnay mais aussi à Créteil, à Marseille, et le gouvernement se saisit de cette question. D’ailleurs, un rapport parlementaire confié à deux députés, Monsieur Balduic et Madame Laser, qui ont remis ce rapport qui fait des propositions...

M. FIELD. – ...c’est le énième rapport sur la question.

M. MOSCOVICI. – Non, non, ce n’est pas le énième...

M. FIELD. – Si, c’est le énième.

M. MOSCOVICI. – Il va y avoir des décisions. Le conseil de sécurité intérieure qui a été cité par ce gouvernement se réunira le...

M. PASQUA. – ...non, il n’a pas été créé. Il a été remis en route.

M. MOSCOVICI. – Permettez, Monsieur Pasqua, je ne vous ai pas interrompu. Donc, il a été remis en route par ce gouvernement...

M. FIELD. – Ah ! Il avait raison. J’arbitre...

M. MOSCOVICI. – ...sans doute ! Mais quelque chose qui ne fonctionne plus, honnêtement, mérite d’être recréée. Donc, il a été recréé par ce gouvernement, il a été ressuscité, il renaît de ses cendres...

M. PASQUA. – ...ressuscité, je suis d’accord.

M. MOSCOVICI. – Donc, il est là. Il se réunira le 2 juin. Et ce rapport parlementaire va éclairer ses décisions. Je crois, effectivement, qu’il faut articuler la prévention et aussi la capacité à assurer tout à fait l’ordre.

M. FIELD. – Mais jusqu’au retour des maisons de correction pour les mineurs ?

M. MOSCOVICI. – Le gouvernement va trancher, mais ce que propose le rapport – je suis, en gros, d’accord avec cette philosophie –, c’est de se servir de l’arsenal judiciaire existant, et de tout l’arsenal existant, et d’en faire un usage très systématique. Cela passe à la fois par la création de très nombreux postes dans la protection judiciaire de la jeunesse, cela passe aussi par une action d’éducation civique dans l’école. Cela passe par la mise en place de moyens psychiatriques et cela passe aussi par la responsabilisation des parents – parce que cela est très important – et cela peut aller jusqu’à la mise sous tutelle des prestations familiales.
Je crois qu’il faut mettre en place tout un dispositif. Reste ce débat qui sera tranché, mais je crois que ce rapport parlementaire – c’est pour cela que je le citais, non pas parce que c’est le énième – nous donne un éclairage tout à fait actuel, récent, contemporain. Nous avons tous les éléments pour décider, et nous déciderons très vite au sein de ce Conseil de Sécurité intérieure réuni par le Premier ministre, le 2 juin, donc dans quelques jours.

M. PASQUA. – On ne s’en sortira pas uniquement en envoyant des sociologues, ni des gens pour étudier une nouvelle fois la situation...

M. MOSCOVICI. – Je n’ai pas dit cela.

M. PASQUA. – ...la situation, on la connaît, il faut agir.

M. MOSCOVICI. – Vous savez très bien que les agents de la protection de la jeunesse ne sont pas des sociologues, que les professeurs ne sont pas des sociologues, que les psychiatres ne sont pas des sociologues...

M. PASQUA. – ...il faut surtout enlever du milieu ceux qui créent le désordre.

M. MOSCOVICI. – Je ne suis pas en désaccord avec vous. Je crois qu’i1 faut les deux à la fois.

M. FIELD. – Même s’ils sont mineurs ?

M. PASQUA. – Bien sûr évidemment, mais pour cela – comme le dit Monsieur Moscovici –, il y a des procédures judiciaires.

M.  FIELD. – Autre thème de l’actualité, la création d’Alliance dont François Léotard, hier, dans le journal de 20 heures de Claire Chazal, disait qu’elle avait signifié un jeudi noir pour Lionel Jospin, cette annonce de l’Alliance du RPR et de I’UDF. En vous lisant ce matin dans Le Journal du Dimanche, Charles Pasqua, je n’ai pas eu l‘impression que cela suscitait l’enthousiasme que vos amis auraient peut–être pu attendre de vous ?

M. PASQUA. – Je crois que l’enthousiasme viendra plus tard…

M. FIELD. – Dépêchez–vous !

M. PASQUA. – ...lorsqu’on en verra les résultats. Je crois que c’est une bonne chose. Que les deux principales formations de l’opposition se réunissent, qu’elles reprennent l’habitude de travailler ensemble, qu’elles aillent même un peu plus loin dans la voie de la confédération, c’est bien !

M. FIELD. – Mais vous parlez des deux principales formations, il y en a au moins une des deux qui a des difficultés internes telles que, finalement, il va y avoir un déséquilibre, sans doute, le RPR et une UDF désormais éclatée ?

M. PASQUA. – J’ai cru comprendre que la formation qui quittait l’UDF rejoignait Alliance. Voilà, au moins, une possibilité qui n’existait pas auparavant. Cela a permis à chacun de se retrouver.

M. FIELD. – La façon dont cela s’est fait, c’est–à–dire un effet surprise, avec deux dirigeants ayant concocté cela un petit peu dans leur coin, loin de la base, même si des sondages attestent que c’est plutôt bien accueilli et très bien accueilli de la part des électeurs de l’opposition ?

M. PASQUA. – Cela a quand même été préparé. Cela ne se fait pas en cinq minutes.

M. FIELD. – Vous étiez au courant, vous ?

M. PASQUA. – Oui, bien sûr.

M. FIELD. – Pourquoi ne pas nous l’avoir dit avant ?

M. PASQUA. – Vous ne m’avez rien demandé.

M. FIELD. – Est–ce que cette formation a pour but ou pour essence d’être le parti du Président de la République ?

M. PASQUA. – Non, je ne crois pas. Je crois que le rôle des partis politiques, de par la Constitution, est que l’on concourt à l‘expression de suffrage universel et l’objectif n° 1 d’Alliance sera de préparer les prochaines élections législatives. Cela est clair.
Il faut donc que les deux formations, et tous ceux qui rejoindront cette nouvelle confédération, travaillent ensemble, établissent un projet, un programme, et c’est leur principal rôle.

M. FIELD. – La présidence tournante, des choses comme ça, vous y croyez vraiment ?

M. PASQUA. – Oh ! Pourquoi pas ! Cela est, je pense, pour satisfaire les uns et les autres, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est d’apprendre à travailler ensemble, de voir quels sont les points d’accord et les points de désaccord, et voir surtout ce qui nous paraît conforme à l’intérêt du pays et définir un programme adapté aux solutions que nous pensons être les meilleures pour la France.

M. FIELD. – Donc, vous êtes attentif aujourd’hui, enthousiaste peut-être demain ?

M. PASQUA. – Je suis attentif. Je crois que c’est une bonne chose. Je ne suis pas certain que ce soit l’alpha et l’oméga de la vie des Français, cela est évident ! Mais c’est une bonne chose.

M. FIELD. – Pierre Moscovici, était-ce un jeudi noir pour le gouvernement ?

M. MOSCOVICI. – Je ne sais pas si le jeudi était noir, je n’ai pas eu cette sensation, mais j’ai vu que, ensuite, après jeudi, il y a eu vendredi, puis samedi. Vendredi, c’est Charles Millon qui a annoncé...

M. PASQUA. – On fait toute la semaine comme ça.

M. MOSCOVICI. – ...la relance de la Droite et, samedi, c’est Démocratie libérale ou l’on a vu Alain Madelin quitter l’UDF pendant que, dans le même temps, François Léotard quittait Démocratie libérale...

M. FIELD. – ...et François Léotard se faisait copieusement siffler d’ailleurs en versant rendre visite aux amis d’Alain Madelin.

M. MOSCOVICI. – Absolument ! Il faut quand même un peu d’enthousiasme quand on se lance dans une grande aventure, sinon il y a peu de chance qu’elle produise de très grands résultats. Et j’ai l’impression qu’à Droite l’enthousiasme, en général, n’est pas là et la question que je pose, c’est de savoir...

M. PASQUA. – Cela viendra, Monsieur Moscovici, cela viendra.

M.  MOSCOVICI. – …si ce n’est pas une sorte d’habillage de la décomposition de la Droite a un accord d’appareil concocté au sommet ? À Droite, on aime bien faire référence à ce qui s’est passé à Epinay en 1971, mais cela ne s’est pas passé comme ça. D’ailleurs, il a fallu très longtemps pour que quelque chose se passe et on a aussi associé, beaucoup, la base, les citoyens. Le Parti socialiste – et c’est ce qui fait sa grande différence avec la Droite d’aujourd’hui – est un parti où il y a une démocratie interne très forte. Et donc, moi, je reste un petit peu sceptique. Encore une fois, cela me paraît être une phase dans la décomposition de la Droite et toutes les questions restent pendantes : qui va présider ? Quel leadership ? Comment tout cela va s’organiser ? Je vois une sorte de décomposition de l’UDF, d’explosion de l’UDF qui aura du mal à se fusionner dans cette confédération.

M. FIELD. – Charles Millon fait partie de Démocratie libérale. La charte d’Alliance, c’est de refuser ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont fait alliance avec le Front National. Charles Millon ayant, d’une façon ou d’une autre, fait alliance avec le Front National, a-t-il sa place, d’après vous, dans Alliance ? Cela devient très compliqué d’emblée, mais je vous pose la question.

M. PASQUA. – Pas du tout ! Si Démocratie libérale adhère à Alliance, elle doit respecter les règles et, par conséquent, Millon n’a pas sa place dans Alliance. Il faudra que Démocratie libérale en tire les conséquences.

M. FIELD. – Brice Lalonde a envie de rejoindre Alliance, cela vous fait plaisir ?

M. PASQUA. – Pourquoi pas !

M. FIELD. – C’est un soutien de poids ?

M. PASQUA. – N’ayez pas cet air ironique !

M. FIELD. – Je vous pose la question.

M. PASQUA. – Je pense que chaque fois qu’une personnalité éminente, qui a eu des fonctions que l’on connait et qui est très impliquée dans une partie de la vie de ce pays, décide de franchir le pas, de nous rejoindre, nous nous en réjouissons. C’est très bien.

M. FIELD. – Pierre Moscovici.

M. MOSCOVICI. – Le problème avec Charles Millon, c’est que lui vient de se déclarer candidat à Alliance. Il explique qu’à partir du moment où la Droite fait cette grande union, il se sent dedans, qu’il rejette le Front National. Et donc il y a toute une série de questions très, très délicates, qui vont être posées à cette formation puisqu’elle va avoir des adhésions directes. C’est cela le principe un peu novateur de cette alliance.

M. PASQUA. – Oui, mais elles seront vite réglées.

M. MOSCOVICI. – Eh bien, réglez-les ! Parce que je crois qu’il y a besoin de clarté dans la vie politique française.

M. PASQUA. – C’est tout à fait clair.

M. MOSCOVICI. – Après tout, si Alliance est une réussite, si c’est quelque chose qui permet d’éclaircir le paysage, eh bien, je crois que ce ne serait pas mauvais pour les Français, mais je n’ai pas été convaincu par le démarrage étourdissant, jusqu’à présent, de cette opération qui n’a pas été un jeudi noir pour le Parti socialiste et pour la majorité.

M. PASQUA. – Vous avez dit vous-même qu’il avait fallu du temps au Parti socialiste...

M. MOSCOVICI. –  …une dizaine d’années à peu près.

M. PASQUA. – Oui, et puis vous aviez Mitterrand, ce n’était pas négligeable quand même !

M. MOSCOVICI. – Qui est le vôtre ?

M. PASQUA. – Mais attendez, cela viendra.

M. MOSCOVICI. – Pourquoi ? Mais il n’est pas à l’Élysée ? Je pensais qu’il y avait un candidat naturel derrière tout cela ? C’est en tout cas la référence de Philippe Séguin.

M. PASQUA. – Le Président de la République, c’est le Président de tous les Français à partir du moment où il est élu. Il n’a pas vocation à être l’animateur d’un parti politique. Et aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y a pas d’élection présidentielle en vue. Le jour où il y en aura, nous verrons bien !

M. MOSCOVICI. – Certes pas, mais les partis politiques concourent à l’expression du suffrage universel dans toutes ses dimensions...

M. PASQUA. – Oui, tout à fait !

M. MOSCOVICI. – ...les partis politiques doivent être tout à fait respectés, et je note que le Président de la République...

M. PASQUA. – Vous voulez dire qu’il faut être toujours prêt.

M. MOSCOVICI. – ...pour qui j’ai le plus grand respect...

M. PASQUA. – Cela ne m’a pas échappé !

M. MOSCOVICI. – …réunit chaque semaine, à partir de maintenant...

M. PASQUA. – ...le Conseil des ministres.

M. MOSCOVICI. – Le Conseil des ministres, mais, ca, c’est la République, mais aussi les responsables de son parti, de son ancien parti.

M. PASQUA. – Que le Président de la République souhaite rencontrer de temps en temps, pas toutes les semaines, les dirigeants des formations de l’opposition… je crois que François Mitterrand faisait cela autrefois, non ?... il le faisait au travers d’un petit déjeuner. C’était plus convivial, peut-être passerons-nous au petit déjeuner d’ailleurs.

M. MOSCOVICI. – Cela ne me choque absolument pas ! Mais simplement j’ai noté que François Mitterrand s’est représenté pour un second septennat, c’est tout.

M. PASQUA. – Oui, mais jusqu’à la dernière minute, personne ne savait s’il se représenterait ou pas ?

M. MOSCOVICI. – Vous n’allez pas dire que vous ne le pensiez pas ? N’oublions pas que vous étiez ministre du gouvernement de Jacques Chirac, avec Edouard Balladur, et donc je pense que cela ne vous avait pas échappé ! Moi qui étais un militant socialiste, finalement assez modeste à l’époque, j’ai toujours pensé qu’il se représenterait.

M. PASQUA. – Mais vous voyez, on peut être ministre de l’Intérieur et ne pas avoir toutes les informations.

M. FIELD. – Puisqu’on en est aux informations, si je suis bien informé, vous aviez aujourd’hui même la 4e réunion de conciliation entre Jean Tiberi et Jacques Toubon sur la mairie de Paris. Vous étiez tout à l’heure à l’Hôtel de Ville, je ne vous ai pas fait suivre, mais je me suis laisse dire...

M. PASQUA. – ...  A l’Hôtel de Ville ? Non, je n’étais pas à l’Hôtel de Ville, mais le lieu à peu d’importance. Oui, nous nous sommes réunis.

M. FIELD. – Où en est cette affaire qui fait désordre aussi ?

M. PASQUA. – Je crois qu’il y a déjà un certain temps que les choses sont clarifiées et nous sommes donc en droit d’attendre que tout cela soit terminé très vite. Si cela devait durer encore, c’est déjà préjudiciable, c’est indiscutable, il est temps que cela se termine.

M. FIELD. – En quoi sont-elles clarifiées ?

M. PASQUA. – Cela, vous le verrez le moment venu.

M. FIELD. – Tout à l’heure, vous m’avez dit que vous ne m’aviez pas répondu parce que je ne vous posais pas de question. Maintenant, je vous la pose.

M. PASQUA. – Je n’irai pas plus loin dans cette voie. Je ne suis pas venu ici pour parler de cela, Monsieur Moscovici non plus d’ailleurs.

M. MOSCOVICI. – C’est vrai que, pour ce qui me concerne, j’ai peu d’informations là-dessus. Voilà quelque chose qui, paraît-il, est clarifié, dont on ne peut pas parler et qui risquerait de durer, mais qui demeure, en fait, assez obscur.

M. PASQUA. – Ce n’est pas cela qui est obscur...

M. MOSCOVICI. – C’est assez compliqué.

M. PASQUA. – ...je ne veux pas répondre à la question de Monsieur Field...

M. FIELD. – …parce que cela vous embarrasse la situation à la mairie de Paris ?

M. PASQUA. – Non, pas du tout, mais parce que j’attends que ce soit terminé, et c’est en voie de l’être. Alors, quand ça le sera, vous pourrez inviter les protagonistes.

M. FIELD. – Ça va ! Je ne manque pas de débats. J’aurais juste aimé que vous répondiez à ma question. Mais vraiment vous ne voulez pas ?

M. MOSCOVICI. – Ils ont été invités et cela n’a éclairci personne.

M. PASQUA. – Il n’y a pas de problème de fond.

M. FIELD. – Une page de publicité, et le débat sur l‘Europe que vous attendez tous.

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M. FIELD. – Retour sur le plateau de PUBLIC le débat sur l‘Europe entre Pierre Moscovici et Charles Pasqua que je vais introduire par un petit sujet, un petit détour par INTERNET, justement sur le Traité d’Amsterdam pour que vous sachiez de quoi on va parler. C’est un sujet de Jérôme Paoli et Sandra Le Texier.

INTERNET – LE TRAITE D’AMSTERDAM

M. FIELD. – Charles Pasqua, avec le Traité de Maastricht, disiez-vous, la France a perdu sa souveraineté en matière monétaire et économique. Avec le Traité d’Amsterdam, c’est un degré de plus dans l‘abandon de la souveraineté et notamment sur cette question qui, pour vous, est décisive, à savoir que le droit, et le droit national, et notamment le droit constitutionnel français, va passer sous la subordination du droit européen ?

M. PASQUA. – Nous sommes dans la situation suivante : d’abord, je voudrais rappeler que, pour nous, c’est-à-dire pour ceux qui, comme moi, ne sont pas favorables à la façon dont l’Europe s’organise à l’heure actuelle, nous ne mettons pas en cause la nécessité de la construction européenne, ce que nous mettons en cause, c’est la façon dont elle se déroule et le fait qu’en réalité sur aucun des grands sujets, sur lesquels les Français devraient être informés, il n’y a en fait de débat. Il n’y en a pas.
En 1992, nous avons eu la ratification du Traité de Maastricht. Je ne suis pas certain qu’au moment où les Français ont voté, ils étaient parfaitement conscients des choses, quoi qu’il en soit !
À l’heure actuelle, avant même le Traité d’Amsterdam, mais avec le Traité d’Amsterdam nous aurons, dans cette Union européenne, trois éléments qui seront, en quelque sorte, dotés d’une souveraineté propre et qui échapperont à tout contrôle :
– le premier est la Banque Centrale européenne.

M. FIELD. – Là, c’est fait.

M. PASQUA. – Oui, absolument. C’est fait. Cela a été ratifié. On verra bien ce que cela donnera ! Mais, en tous les cas, l’institution de cet organisme voit l’ensemble des moyens, dans le domaine économique et financier, transféré à un aéropage qui est composé de gens qui ne sont responsables devant personne.
J’ai bien entendu naturellement, notamment lors des débats que nous avons eus au Parlement, que l’on avait créé le Conseil de l’Euro, je crois que Monsieur Moscovici nous l’expliquera tout à l’heure. Je dirai tout de suite que c’est une aimable plaisanterie ! On peut, naturellement, toujours se réunir pour prendre le thé ou boire une bière…

M. MOSCOVICI. – ...Je ne crois pas que c’est ce qu’ils feront !

M. PASQUA. – Je ne sais pas ! En tous les cas, ils n’iront guère plus loin. Dans le Traité de Maastricht, il y a des obligations et des règles qui sont imposées, notamment au Gouverneur de la Banque Centrale qui ne doit recevoir d’instructions de personne, notamment pas des gouvernements. Ils auront donc une maîtrise totale en ce qui concerne la définition de la politique monétaire dont les États leur ont abandonné la responsabilité.
En ce qui concerne la France, pour ce qui est de sa monnaie, du taux de change et des taux d’intérêt, elle n’a plus aucune responsabilité dans cette affaire. Cela sera décidé ailleurs et par d’autres.
Je reconnais bien volontiers que sur ce Traité de Maastricht, il y a une responsabilité partagée, mais la plus grande partie de l’adoption de ce Traité, d’abord de la négociation et de l’adoption  du Traité de Maastricht, incombe à François Mitterrand. C’est lui qui a porté tout cela sur les fonds baptismaux.
Chacun sait, d’ailleurs, que je n’étais pas favorable à ce Traité et j’ai fait campagne pour le NON au référendum.

M. FIELD. – L’actuel Président de la République divergeait de vous à l’époque ?

M. PASQUA. – Où je divergeais de lui, ce qui serait plus convenable dans l’expression.
Mais c’est vrai que, sur le terrain de la politique européenne, nous n’avons jamais été sur la même longueur d’onde avec Jacques Chirac. C’est comme cela ! Je crains que ce soit la même chose demain. Eh bien, chacun doit assumer ses responsabilités !
C’est une affaire trop sérieuse pour que l’attitude et le comportement soient dictés par autre chose que l’idée que l’on se fait de l’intérêt national. L’amitié est une chose, les relations personnelles aussi. L’intérêt national l’emporte. Et il faudra bien que chacun assume sa part d’intérêt national.
À Amsterdam, il y a la partie apparente et celle qui l’est moins. On transfère à Amsterdam ce qu’à Maastricht on avait réservé, notamment pour tout ce qui est de la sécurité et de la justice, qui figurait dans le Traité de Schengen, qui était du ressort de la coopération intergouvernementale, et que l’on va communautariser.
Mais, d’autre part, au travers du Traité d’Amsterdam, on reconnaît, on avalise, on institutionnalise en quelque sorte la primauté du droit européen sur le droit national, et cela, dans tous les domaines.
Nous assistons donc, là aussi, à quelque chose de très grave dont les Français ne peuvent pas en avoir conscience à l’heure actuelle. Je rappelle simplement que le Conseil d’État, dans un premier arrêt, a reconnu la primauté du droit international sur le droit interne. Même chose pour la Cour de Cassation. Or, il se trouve que la Cour de Luxembourg, elle, a une liberté totale.
Je prends la France : il y a le Conseil Constitutionnel, s’il prend une décision qui apparaît aux yeux du pouvoir politique comme contraire ce qu’il croit indispensable, soit au fonctionnement des pouvoirs publics, soit à l’intérêt national, Il y a une voie de recours, c’est le constituant. Donc, on en appelle au Parlement qui tranche.
En ce qui concerne la Cour de Luxembourg, il n’y a aucune voie d’appel. Nous avons donc le pouvoir des juges.
Et je suis persuadé que ce que l’on constate à l’heure actuelle, un certain nombre d’empiétements dans tous les domaines, y compris des domaines auxquels on ne pense pas à l’heure actuelle, jusques y compris au travers d’un certain nombre de décisions, le droit pénal, mais notamment tout ce qui est droit dérivé, aura des conséquences tout à fait considérables pour notre pays. Donc, j’y suis opposé de la manière la plus catégorique.
La seule chose que je demande, que l’on soit pour ou que l’on soit contre la ratification du Traité d’Amsterdam – Monsieur Moscovici me répondra que ce n’est pas de sa compétence probablement ou de celle du gouvernement !

M. MOSCOVICI. – Je vous répondrai, quand j’aurai l’occasion de vous répondre.

M. FIELD. – Vous allez avoir la parole tout de suite.

M. PASQUA. – Il est bien évident que ce qui est capital, c’est que les Français soient appelés à trancher eux-mêmes par voie du référendum. Ensuite, chacun dira ce qui veut !

M. MOSCOVICI. – Deux ou trois choses : d’abord, sur ce Traité d’Amsterdam, on disait tout à l’heure qu’il n’emballait personne, une petite précision : vous avez dit sur Maastricht que les responsabilités étaient partagées, c’est le peuple qui a tranché par référendum et c’est quand même à lui qu’il faut rendre la première des responsabilités.
Pour ce qui est d’Amsterdam, c’est un Traité que nous avons trouvé en arrivant au pouvoir…

M. PASQUA. – Vous auriez pu ne pas l’accepter.
M. MOSCOVICI. – Il était entièrement négocié par l’ancienne majorité. Le Président de la République, avec qui nous sommes en cohabitation, était là. Nous aurions pu vouloir le changer profondément, nous l’avons équilibré. Nous voulons équilibrer la construction européenne par davantage d’actions pour la croissance et l’emploi.
Je rappelle cela pour dire que notre attitude est une attitude de raison par rapport à ce Traité d’Amsterdam.
Mais je voudrais expliquer en quoi nous sommes européens. Nous ne sommes pas des « Maastrichtophiles » fanatiques…

M. PASQUA. – ...Vous avez écrit un livre il y a un ou deux qui n’était pas…

M. MOSCOVICI. – Non, non, tout à fait. J’ai toujours été Européen. Mais ce que je crois, c’est qu’il y a une chose qui est absolument impossible, c’est le statu quo.
Le statut quo actuel, ce que l’on appelle la souveraineté, c’est la France qui reste, au fond, toute seule face à une mondialisation qui déferle.
Je prends l’exemple de la monnaie : sommes-nous plus forts en étant tout seuls face au mark ou au dollar, comme nous le sommes aujourd’hui ou serons-nous plus forts demain dans l’Euro, tous ensemble, avec notre voix, que ce soit au sein du directoire de la Banque Centrale européenne ou au sein de ce fameux Conseil de l’Euro, créé à l’initiative de la France, qui réunira les ministres de l’Economie et des Finances, qui boivent peut-être du thé, peut-être de la bière, mais qui, surtout, travaillent sur les grands sujets.
Donc, ce que nous voulons, c’est rééquilibrer la construction européenne. C’est y aller progressivement. C’est à chaque fois mettre des conditions, y compris des conditions extrêmement fermes. Je pense que l’Europe doit pouvoir dire OUI, parfois. Et c’est bien quand l’Europe faire AIRBUS.
Je reviens des États–Unis et les Américains sont absolument terrifiés par ce qui vient de se passer : la fusion DAIMLER–BENZ qui est l’absorption d’une entreprise américaine par une entreprise européenne.
Il faut aussi que nous soyons capables de dire NON. Nous l’avons dit sur l’AMI, nous l’avons dit sur toute une série d’entreprises de libre-échange international, qui étaient engagées par Sir Brittan.
Voilà, ce qu’est notre attitude…

M. FIELD. – Vous ne répondez pas précisément à l’argument de Charles Pasqua sur la subordination du droit, et notamment du droit constitutionnel, par rapport au droit européen ?

M. MOSCOVICI. – Encore quelques mots, parce que je ne suis pas obligé de m’inscrire totalement dans son schéma de pensée.
Une seule observation : cela existe depuis 1957. C’est le Traité de Rome qui a été voté sous la IVe et qui a été mis en œuvre par le Général de Gaulle. La Cour européenne de Justice existe depuis cette époque, et personne n’a contesté cela. Quant aux jurisprudences auxquelles vous faites allusion, elles ne datent pas d’aujourd’hui. Elles se sont formées dans les années 60, dans les années 70, dans les années 80.
Je suis pour la ratification d’Amsterdam et je suis contre le référendum. Je vais dire pourquoi en quelques mots.
Je suis pour la ratification parce que, dans ce Traité il y a un chapitre sur l’emploi, il y a un chapitre social, que tout cela n’existait pas ; parce qu’il y a un chapitre sur les services publics, parce qu’il y a l’égalité homme/femme, parce qu’il y a l’environnement, parce qu’il y a le fait que l’on dit que Strasbourg sera la capitale de l’Europe, et tout cela je suis pour.
Et je suis aussi pour, parce que je ne crois pas qu’il y ait ces transferts de souveraineté. Par exemple, vous dites d’une formule rapide : tout ce qui est liberté et sécurité passera au niveau communautaire. Ce n’est pas exact. D’abord ce Traité est le premier qui lie la liberté et la sécurité, vous devriez être attentif ! Ensuite, la liberté de circulation sera d’ordre communautaire. Mais tout ce qui est sécurité restera nationale…

M. PASQUA. – …et le contrôle aux frontières sera de quel niveau ? Communautaire ?

M. MOSCOVICI. – Monsieur Pasqua, je représente la France dans le Comité SCHENGEN qui traite des accords que vous avez votés en 1991. Dans ce Comité, ces affaires-là resteront intergouvernementales. Et tout ce qui sera ordre et sécurité sera national. Et en même temps nous créons une Police qui s’appelle EUROPOLE. Nous savons que les problèmes de criminalité sont des problèmes internationaux, ne faut-il pas, face à cela, également des modalités internationales ?
Pour toutes ces raisons-là, je crois que, dans ce Traité d’Amsterdam, il y a, c’est vrai, beaucoup de choses qui manquent, notamment institutionnelles. Mais ce qui y est, est soit pas grave, soit plutôt bien. Et pour ces raisons-là, je proposerai sa ratification. Quant au référendum, c’est vrai que c’est au Président de la République de décider de la procédure qui sera retenue. La Constitution, d’ailleurs, dit plutôt que la voie normale, c’est le référendum, mais que l’on peut choisir autre chose. Mais je partage l’avis de Jacques Chirac en la matière qui est que ce Traité contient essentiellement des dispositions très techniques, qui ne méritent pas un référendum. Je respecte, par ailleurs, le Parlement dont vous êtes membre, je crois qu’il est tout à fait même de discuter de tout cela. Je pense qu’il ne faut pas, à cette occasion, réveiller les peurs des Français contre l’Europe. Les Français doivent être pour l’Europe, parce qu’elle permet de résister à la mondialisation, parce que la France, seule, c’est une image un petit peu du passé. Nous devons être cohérents en Europe. Nous devons organiser l’Europe. Nous devons aussi en faire une puissance dans le monde.

M. PASQUA. – Monsieur Moscovici, je ne caricature pas vos positions, ni celles du Gouvernement. Alors, s’il vous plait ne caricaturez pas celles de ceux qui ne sont pas favorables au Traité d’Amsterdam ou qui dénoncent les inconvénients du Traité de Maastricht. Vous êtes optimiste, très bien, c’est votre droit ! Moi, je constate les difficultés de l’affaire. Vous savez aussi bien que moi, notamment, que la création de la monnaie unique, alors qu’elle n’est accompagnée d’aucune harmonisation des politiques en matière fiscale, économique et sociale, comporte des germes de troubles considérables (de troubles économiques et peut-être, même, à terme, de troubles sociaux), parce que le seul élément de régulation qui restera au gouvernement en cas de difficulté ce sera de jouer sur le chômage. Voilà un premier élément, et je crois que personne ne peut dire le contraire !
En ce qui concerne le Traité d’Amsterdam, vous avez dit d’ailleurs – et j’avais déjà entendu ces arguments au Parlement – que l’on est plus fort lorsqu’on est nombreux que lorsqu’on est tout seul. Je connais aussi la théorie de la souveraineté partagée !
La souveraineté nationale, les Français ont mis des siècles pour qu’elle devienne une réalité. Il a fallu les efforts de nombreux rois, il a fallu notamment tout ce XIIIe siècle ou il a fallu, d’abord, que la Royauté règle son compte à l’Empire et qu’ensuite elle s’affranchisse de la Papauté. La souveraineté s’est incarnée dans le souverain. Et puis, ensuite, cette souveraineté a été transmise au peuple.
La souveraineté, c’est d’abord la capacité de dire NON. Quand pourrons-nous dire NON lorsque l’intérêt national sera en cause ? Vous pensez que, dans une Banque Centrale, les gouverneurs des autres pays seront plus aptes que nous à savoir ce qui est bon pour le pays ? Et, si d’aventure, ce qui est dangereux pour la France, nous voulons nous y opposer, que pourrons-nous faire ? Rien du tout ! Nous représenterons 10 % des voix dans la Banque Centrale. Voilà la réalité des choses !
Quant au Traité d’Amsterdam, je sais bien, vous avez essayé d’obtenir quelques compensations dans le domaine de la politique sociale, mais il n’y a aucun engagement dans aucun domaine. J’espère que cela se fera ! Je vous le souhaite !
Mais le problème n’est pas là : c’est qu’à Amsterdam, on abandonne un nouveau pan de notre souveraineté et je considère que, dans cette affaire, s’agissant notamment de tout ce qui concerne le contrôle aux frontières, dont vous dites que, pour le moment, il doit rester communautaire, c’est vrai ! Mais dans les 5 ans de la ratification du Traité c’est fini, c’est le vote à la majorité. Ce sont les autres pays qui, éventuellement, décideront ce qui doit être fait ou pas.
Je comprends très bien que la voie parlementaire présente plus d’avantages pour le pouvoir politique que de s’adresser au peuple, parce que le débat est plus feutré, même si, quelquefois, il y a un peu de passion. Mais je crois que les Français ont le droit d’être informés de la réalité des choses. C’est la raison pour laquelle je milite pour le référendum…

M. FIELD. – ...malgré l’échec, finalement, de votre précédente campagne contre Maastricht ?

M. PASQUA. – Oh, l’échec ! Vous savez, le succès s’est joué à peu de chose ! Le problème n’est pas de savoir si l’on va gagner ou si l’on va perdre ! Monsieur Field, Monsieur Moscovici est très jeune, je le félicite, il a certainement une belle carrière devant lui ! Je comprends très bien que l’on se passionne pour l’Europe, moi-même je crois que la construction de l’Europe est indispensable. Mais, cela ne doit pas se faire au détriment de la France. Je suis de ceux qui, modestement, ont combattu pour que la France retrouve son indépendance. Je considère que je renierais tout ce que j’ai fait, si je ne m’engageais pas à fond dans cette bataille. Le reste, quel que soit le résultat !

M. MOSCOVICI. – Je ne suis ni exagérément optimiste, ni royaliste. Je m’efforce d’être à peu près réaliste, d’être offensif sur cette affaire et de poser toutes les conditions utiles dans le cadre qui est le nôtre, c’est-à-dire le cadre républicain.
Vous avez dit qu’il fallait respecter la France. Mais c’est exactement la politique qu’essaie de suivre le gouvernement. Nous voulons faire l’Europe, mais nous ne voulons pas défaire la France. Et, croyez-moi, chaque fois qu’il est question de dire NON, nous savons dire NON.
J’ai été moi-même à Bruxelles pour expliquer, à propos de l’initiative transatlantique, c’est-à-dire une vaste opération de libéralisation Euro-Atlantique vis-à-vis des États-Unis, qu’il fallait dire NON.
J’ai su aussi, au nom du gouvernement, quand il s’est agi de ratifier, dans le cadre de l’OCDE, un accord que l’on appelle AMI – Accord Multilatéral sur l’Investissement –, dire NON.
La France sait se faire entendre. Quand il s’est agi de choisir le Président du directoire de la Banque centrale européenne, la France a su dire NON à une forme de cooptation par les gouverneurs eux-mêmes ; c’est cela que signifiait le débat entre M. Duisenberg et M. Trichet.
Et, donc, la France restera ce qu’elle est : la France restera une grande nation qui défend ses intérêts dans le cadre de l‘Europe. Et, en même temps, je crois, effectivement, que, unis, nous sommes plus forts, que ce rassemblement nous en avons besoin, parce que sans cela nous sommes plus faibles dans la mondialisation.
Et je voudrais simplement ajouter une chose sur ce que vous avez dit sur  Amsterdam : tout cela restera d’ordre de la coopération intergouvernementale. Et, d’ailleurs, quand le Conseil Constitutionnel a censuré une partie ou plutôt demandé une révision de la Constitution : – c’est cela qu’il s’agit de soumettre ou pas à référendum ou pas à Congrès –, il est dit, dans le Traité que dans 5 ans la matière deviendra communautaire, mais qu’à ce moment-là on décidera à la majorité ou plutôt à l’unanimité de passer à la majorité qualifiée, ce qui est un peu compliqué…

M. PASQUA. – Oui, cela est très compliqué.

M. MOSCOVICI. – …cela veut dire que si cela marche, nous pourrons dire OUI et si cela ne marche pas, nous pourrons dire NON. Notre souveraineté reste absolument intacte, y compris en cette matière décisive. Et croyez que ce gouvernement, dans lequel le Ministre de l’Intérieur s’appelle Jean-Pierre Chevènement, est tout aussi sensible que vous à cette question de la liberté et de la sécurité des personnes.

M. FIELD. – On a demandé dans notre consultation internationale sur le NET si la construction européenne pouvait ou non aider à lutter contre le chômage. Un petit sujet de Jérôme PAOLI.

REPORTAGE

M. FIELD. – Consultation qui n’est pas un sondage, c’est une consultation concernant les Internautes.
Le Sommet de Copenhague en 1981 avait adopté une grande résolution sur l’Europe sociale et François Mitterrand, à l’époque, prétendait que cette résolution permettrait d’éviter à l’Europe d’avoir 10 millions de chômeurs, on en est aujourd’hui a plus de 18 millions. Est-ce à cet aulne-là qu’il faut juger le volet social d’Amsterdam dont vous vous targuez de l’avoir rajouté in extremis ?

M. MOSCOVICI. – Les choses sont un peu différentes, c’est-à-dire que nous n’avons pas seulement eu une résolution dans un Sommet, nous avons obtenu des choses très concrètes. Il y a eu un autre Sommet qui a été exclusivement consacré à l’emploi à Luxembourg, en novembre. Et il y a, à partir de là, des politiques pour l’emploi qui sont définies. Il y a les critères de Maastricht, Monsieur Pasqua n’y était pas favorable. Et il y a maintenant les objectifs pour l’emploi à Luxembourg : réduire le chômage des jeunes, réduire le chômage longue durée, accentuer l’effort de formation pour les chômeurs. Tout cela débouche sur des plans nationaux d’actions pour l’emploi. Nous avons déposé le nôtre. Il a été considéré par la Commission européenne comme étant absolument remarquable. Et nous aurons, année après année, cette politique qui va se mettre en place. J’espère que tout cela se fera dans un cadre qui est celui de la monnaie unique, qui doit permettre plus de croissance et plus d’emplois.
Ce qui s’est passé, c’est que durant les années 1980 la crise s’est profondément approfondie. Aujourd’hui, je crois que nous essayons de remettre la construction européenne sur ses rails. Cela doit lui redonner un sens. Et ce sens, c’est plus de croissance, plus d’emplois pour les peuples ou pour les citoyens. Nous allons mobiliser tous les outils possibles pour cela. Soyez sur, en tout cas, que c’est la politique de ce gouvernement.

M. FIELD. – Charles Pasqua, l’Europe et le chômage ?

M. PASQUA. – Sur l’affichage et les objectifs présentés par le gouvernement, c’est-à-dire de lutter contre le chômage, plus d’emplois, etc., il est bien évident que tout le monde ne peut être que d’accord !

M. FIELD. – Même par le biais des 35 heures ?

M. PASQUA. – Oh ! C’est un autre problème ! Si vous voulez que l’on parle des 35 heures, il faut faire une autre émission.

M. FIELD. – Volontiers.

M. MOSCOVICI. – Cela marche bien. Cela va bien marcher.

M. PASQUA. – Si l’on considère que les 35 heures sont une idée géniale, il faut la faire breveter, il faut se dépêcher.

M. MOSCOVICI. – Nous l’avons fait voter.

M. PASQUA. – Faites-la breveter pour pouvoir l’exporter.
Je crois que, de toute façon, rien ne peut remplacer la volonté d’un pays. Et ce que je constate, c’est que, pour beaucoup de gens, on pense que l’Europe résoudra les problèmes, l’Europe ne résoudra rien du tout, si nous-mêmes nous ne sommes pas capables de continuer à prendre notre destin en main. Et l’Europe par elle-même ne résoudra rien. Voilà ce que je veux dire.

M. FIELD. – Voilà une façon d’éclairer ce débat. On aura évidemment d’autres occasions.
Pierre Moscovici, Charles Pasqua, merci.
Dans un instant, vous avez l‘immense chance de retrouver Claire Chazal pour le journal de 20 heures.
Et nous, nous nous retrouverons dimanche prochain à 19 heures où je recevrai Bruno Mégret, le délégué général du FRONT NATIONAL.
Bonne soirée à tous.