Interviews de M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget et porte-parole du gouvernement, à France-Inter le 26 août 1996 et Europe 1 le 4 septembre, sur le sort des sans-papiers de l'église Saint-Bernard, sur la répression du travail clandestin, sur la réforme fiscale et sur la situation en Irak.

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Média : Europe 1 - France Inter

Texte intégral

France Inter - lundi 26 août 1996

A. Ardisson : Pas d'inflexion de la politique française d'immigration, mais la nécessité d'adapter les modalités de la loi Pasqua : c'est ce qu'a dit Jacques Chirac, c'est ce qu'a répété aussi le ministre de la Ville. Qu'est-ce que ça veut dire, sachant que c'est l'administration qui applique les lois ?

A. Lamassoure : Il y a deux éléments, comme vous l'avez rappelé. D'abord, pas de changements dans la politique d'immigration : la France ne peut pas, ne peut plus, être une terre d'immigration. Un pays qui a plus de trois millions de chômeurs, qui connaît beaucoup de personnes en situation difficile, ne peut plus, comme elle l'avait été dans les années 60, être une terre d'immigration. C'est d'ailleurs vrai de tous les pays européens. C'est même vrai d'un pays comme les États-Unis qui avait, par tradition, par construction, par histoire, une politique d'immigration, qui n'a pas un chômage important aujourd'hui mais qui est obligé de se fermer aussi à l'immigration. Ça, c'est un point très important et de ce point de vue, la politique humaine, mais ferme, qui s'est illustrée ce week-end est un message fort lancé à tous ceux qui, en Afrique ou en Asie, pouvaient être tentés par ce qu'ils croient être l'eldorado parisien.

En même temps, nous avons la volonté d'appliquer les lois de manière humaine et d'apporter les correctifs là où cela paraît nécessaire. Il semble que ce qu'on appelle d'ailleurs abusivement les lois Pasqua – quelques-unes de ces lois ont été proposées par Charles Pasqua mais il y en a un certain nombre d'autres – comportent des insuffisances tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Par exemple, on a constaté ces derniers mois qu'il y avait un problème pour les parents d'enfants français qui, du fait d'une combinaison de législations, ne peuvent ni être autorisés à travailler s'ils restent en France, ni être expulsés de France. Il faut donc trouver une solution : on l'a trouvée au cas par cas, peut-être faut-il des adaptations.

A. Ardisson : Reste que cette affaire est loin d'être réglée. Plusieurs dizaines de sans-papiers ont été relâchés mais sont toujours sous le coup d'un arrêté d'expulsion. Ça ne fait pas très sérieux, tout cela.

A. Lamassoure : Au contraire. Nous sommes un État de droit, nous avons des législations qui s'appliquent à des cas qui peuvent être très différents selon la situation des étrangers. Ils ont des possibilités de recours quand une décision négative est prise à leur encontre. Le gouvernement avait promis, conformément d'ailleurs à l'avis juridique rendu par le Conseil d'État, un examen des dossiers individuels au cas par cas. Ces dossiers sont en cours. Certaines personnes sont dans les cas prévus par la loi et pourront rester sur le territoire français. D'autres, par contre, seront reconduites à la frontière. Ce qu'il faut peut-être faire c'est, en effet, simplifier la loi.

A. Ardisson : Le vrai problème, c'est simplifier la loi ou son application ? Est-ce qu'on se contente d'une circulaire d'application mode d'emploi ou est-ce que tout ce qui semble poser problème aux juristes est remis à plat ?

A. Lamassoure : Je crois qu'il ne s'agit pas de remettre à plat l'ensemble de la législation. Nous avons une législation sur l'immigration qui est maintenant solide, qui est bonne, qui répond au problème de notre pays. Il y a des adaptations ponctuelles à faire lorsqu'on constate des situations anormales. Il faudra, notamment après avis du Conseil d'État, voir si on a besoin d'une petite adaptation législative ici, d'un décret ou d'une circulaire là. J'ai cité tout à l'heure un exemple qui était celui des parents d'enfants français. Il y a un exemple inverse qui est celui du travail clandestin : nous nous sommes rendus compte que la législation n'était pas suffisante pour permettre de réprimer le travail clandestin et prochainement c'est l'un des sujets sur lesquels le gouvernement fera des propositions.

A. Ardisson : Ne craignez-vous pas un nouveau Saint-Bernard ? Ça pourrait aussi se passer à Saint-Denis où il y a des problèmes et un collectif ?

A. Lamassoure : Non, je ne le crois pas. Je crois qu'il faut prendre en compte plusieurs choses. D'abord, la position prise par le gouvernement – ferme sur l'application de la loi, humaine en même temps et comprise par les Français, par une très grande majorité de Français. Également d'ailleurs par tous les étrangers en situation régulière qui nous le disent et qui attendaient cela. Deuxièmement, il faut que les Français sachent que depuis maintenant deux ans – et pour la première fois depuis très longtemps – le nombre des étrangers en France diminue, parce que la politique d'arrêt de l'immigration est une politique qui commence à porter ses fruits. Troisièmement, ce qu'il faut savoir aussi, c'est que contrairement à l'idée que l'on a parfois, les pays d'émigration, d'où proviennent ces émigrés qui viennent chez nous, ne sont pas très nombreux. Il y a en fait une demi-douzaine de pays – quelques pays d'Europe de l'Est, quelques pays africains, un ou deux pays asiatiques – dont les ressortissants sont tentés de venir en Europe particulièrement en France. Ce que nous faisons, ce que nous allons développer c'est, en accord avec les dirigeants de ces pays – je pense par exemple au Mali, mener une politique de développement autonome dans les pays d'origine de manière à ce que les intéressés ne soient pas tentés de venir en France. C'est d'ailleurs dans cet esprit que le ministre de la Coopération, Jacques Godfrain, se rendra au Mali – les Français ont pu voir sur leurs écrans de télévision que beaucoup des sans-papiers concernés par l'affaire de l'église Saint-Bernard étaient en fait des Maliens – de manière à fixer les populations dans leur pays d'origine.

A. Ardisson : Jacques Godfrain nous expliquera cela l'un de ces prochains jours. S'il n'y avait pas eu cette affaire de sans-papiers, il est évident que le week-end de travail du Premier ministre et du président de la République aurait été axé essentiellement sur les problèmes économiques et sociaux de la rentrée, notamment la réforme fiscale. À ce sujet, au cours du mois d'août, il y a eu des tas de rumeurs contradictoires qui ont circulé, quelles sont les dernières pistes sérieuses ?

A. Lamassoure : Sur la rentrée budgétaire et fiscale, deux ou trois choses simples que tous les auditeurs doivent savoir : d'abord, nous allons présenter dans quelques semaines au Parlement un projet de budget qui sera historique, qui prévoira qu'en 1997, les dépenses de l'État n'augmenteront pas d'un franc par rapport à 1996 et comme entre-temps il y a une petite hausse des prix, ça veut dire en réalité une baisse en franc courant. Ça ne s'était jamais produit dans l'histoire budgétaire française. Ceci a été possible grâce à une politique d'économies sans précédent et grâce à cela, c'est la deuxième nouvelle, nous allons pouvoir dès 1997 commencer de réduire l'impôt sur le revenu dans le cadre d'un plan de réduction étalé sur cinq ans. Enfin, troisième nouvelle importante, la France respectera les engagements européens auxquels elle a souscrit, en particulier réduire progressivement ses déficits de manière à pouvoir participer à l'union monétaire dans les conditions et à la date prévue en 1999. En particulier, la bonne nouvelle pour les Français, c'est grâce aux efforts qu'ils ont faits et qui se traduiront notamment par des économies budgétaires, ils pourront toucher les dividendes de la baisse de l'impôt sur le revenu.

A. Ardisson : Dès 1997 ?

A. Lamassoure : Dès 1997.

A. Ardisson : Mais est-ce que ça veut dire que la réforme fiscale est pour 1997 ?

A. Lamassoure : La réforme fiscale sera soumise au vote du Parlement, car c'est naturellement le Parlement qui décide, dès l'automne qui vient, dans quelques semaines. Le Premier ministre en présentera les grandes lignes le 10 septembre – il l'a annoncé hier – et le Parlement votera ensuite entre octobre et décembre. Son application sera donc décidée dès l'automne prochain et sera étalée sur cinq ans. Mais les modalités de l'étalement sur cinq ans seront décidées dès l'automne qui vient, et il y aura une première baisse dès 1997.

 

Europe 1 - mercredi 4 septembre 1996

S. Attal : Hier, après la première frappe américaine, la France a fait part de son inquiétude. Cela veut-il dire que, pour la France, Saddam Hussein est finalement un peu dans son droit quand il intervient au Kurdistan irakien ?

A. Lamassoure : Ce n'est pas ce que nous disons mais, en même temps, il faut bien comprendre que ce qui se passe aujourd'hui en Irak n'a rien à voir avec ce qui s'est passé en 90-91 quand il y a eu la guerre du Golfe et quand l'Irak avait annexé, purement et simplement, dans des conditions scandaleuses, le Koweït. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation politique complexe puisque le point de départ de cette crise c'est, je dirais, une sorte de guerre civile dans la guerre civile, avec une guerre fratricide entre Kurdes au nord de l'Irak, qui a conduit les dirigeants irakiens à ordonner l'opération mise en œuvre depuis quelques jours. La France a mis en garde l'Irak et le ministre français des Affaires étrangères a écrit à son homologue irakien en lui demandant de retirer ses troupes du Nord de l'Irak. Et nous avons, dans cette affaire, depuis le début, appelé les uns et les autres à la modération et au dialogue pour garantir la stabilité dans la région.

S. Attal : Ne fallait-il pas quand même une intervention de Saddam Hussein au Kurdistan ? Les Kurdes disent que la France « a trahi ses engagements ».

A. Lamassoure : Vous aurez observé que la réaction de la France est celle de la plus grande partie de la communauté internationale. La présidence de l'Union européenne a eu la même réaction que nous, ainsi que la presque totalité des pays arabes modérés qui avaient appuyé les États-Unis et la communauté internationale lors de la guerre du Golfe. Après une période de tension, il est donc souhaitable que l'on revienne à la paix et au dialogue. Quels sont nos objectifs dans cette partie du monde ? Il y en a deux : d'abord, s'assurer de la paix dans l'ensemble de la région et faire en sorte que les dirigeants irakiens ne soient plus en mesure de nuire ni à leurs voisins ni à leur propre peuple. Et en même temps, soulager les souffrances du peuple irakien qui, depuis maintenant six ans, souffre à la fois d'un régime dictatorial et de l'embargo international que l'on continue à appliquer à l'ensemble de l'Irak et dont souffre le peuple irakien. En mai dernier, après de longues négociations dans lesquelles la France avait joué un rôle positif, on s'est mis d'accord, entre la communauté internationale et les dirigeants irakiens, sur la résolution dite « pétrole contre nourriture ». En vertu de cet accord, l'Irak devrait pouvoir recommencer à vendre du pétrole et les ressources tirées de cette vente pourront être consacrées à améliorer l'alimentation.

S. Attal : Vous regrettez la suspension de la mise en œuvre de...

A. Lamassoure : Les événements de ces derniers jours aboutissent à la suspension de la mise en œuvre de cet accord. Mise en œuvre qui devait intervenir dans le courant du mois de septembre. Il est souhaitable que l'on revienne au dialogue, de manière à pouvoir mettre en œuvre, le plus rapidement possible, cet accord.

S. Attal : Le budget, est-ce que vous confirmez ce que publient les journaux économiques ce matin, par exemple 25 milliards de baisse l'année prochaine ?

A. Lamassoure : Le détail du budget 97 sera présenté très prochainement par le Premier ministre lui-même. La bonne nouvelle que les auditeurs d'Europe 1 doivent entendre ce matin, c'est que les impôts vont baisser. Ils vont baisser de manière substantielle dès 1997 et ensuite sur une période échelonnée sur cinq ans. Et cette baisse sera concentrée notamment sur l'IRPP avec un premier objectif qui est de simplifier ce système d'impôt auquel les contribuables ne comprennent rien et, d'autre part, la volonté d'alléger l'impôt pour ceux qui travaillent et d'alléger l'impôt pour les familles.

S. Attal : Mais est-ce qu'on peut acheter la presse économique ce matin ou cela ne sert-il à rien ?

A. Lamassoure : Naturellement, achetez et lisez la presse économique. L'ordre de grandeur de la baisse de la pression fiscale en 1997 sera d'au moins 20 milliards de francs, comme l'a indiqué le Premier ministre il y a deux jours et le détail sera donné par lui-même très prochainement.

S. Attal : La moitié des baisses d'impôt devrait profiter aux familles modestes ?

A. Lamassoure : Comme je viens de le dire, notre objectif est d'abaisser l'impôt pour l'ensemble des contribuables assujettis à l'IRPP avec priorité à ceux qui sont au travail par rapport à la fiscalité de ce que l'on appelait autrefois l'argent qui dort et avec une autre priorité, en effet, les familles nombreuses.

S. Attal : Le taux marginal, ça concerne les contribuables qui paient beaucoup d'impôt, va baisser aussi dès cette année ?

A. Lamassoure : Notre objectif est de baisser l'ensemble des taux du barème dès 1997 sur une période de cinq ans. Mais vous comprendrez que le gouvernement tienne d'abord à informer les dirigeants du Parlement et de sa majorité, à les consulter. Le Premier ministre procède actuellement à des consultations ainsi que le ministre de l'Économie des Finances et moi-même, avant d'en parler à l'opinion par votre intermédiaire.

S. Attal : Quand est-ce qu'on se rendra compte concrètement de cette baisse d'impôt ?

A. Lamassoure : Dès 1997. Ce qu'il faut réaliser, c'est que la France avait d'abord besoin de remettre de l'ordre dans ses finances publiques, C'est parce que cet effort a été fait et c'est parce que nous faisons un effort sans précédent d'économie budgétaire en 1997 que nous pouvons rendre une partie de l'argent aux Français dès 1997. Nous avons maintenant des finances publiques qui nous permettent de maîtriser nos déficits, de maîtriser notre endettement, de remplir ce faisant nos engagements internationaux et notamment européens, ce qui rend possible cet exercice.

S. Attal : Tout le monde dit qu'on est en déflation, est-ce que ces baisses d'impôt vont être suffisantes pour compenser l'effet obligatoirement récessif de la réduction des dépenses de l'État ?

A. Lamassoure : Le mot déflation semble être un mot à la mode en cette rentrée. Je ne vois pas très bien ce que cela signifie. Nous ne sommes pas en baisse des prix. Nous sommes en période de stabilité des prix depuis déjà plusieurs années. Tant mieux.

S. Attal : Sans tenir compte des rabais ?

A. Lamassoure : Non, non, en tenant compte de tout. Personne ne conteste l'indice de l'INSEE. Ce qui est rassurant, c'est que toutes les informations économiques que nous avons en ce moment tendent à montrer que nous sommes en reprise économique progressive, que nous allons maintenant consolider et amplifier, notamment avec la baisse d'impôt. Nous constatons par exemple qu'en ce qui concerne le marché immobilier, qui est très important – quand le bâtiment va tout va comme on dit – tous les indices, qu'il s'agisse de la vente de logements neufs, des mises en chantier, des permis de construire, sont à la hausse depuis le deuxième trimestre de l'année dernière.

S. Attal : Justement, sur l'immobilier, il y a une baisse d'impôt prévue mais il y a des prélèvements qui augmentent comme le droit de mutation, les droits de notaire, la déductibilité des intérêts d'emprunt ?

A. Lamassoure : N'entrons pas dans le détail. Les droits de mutation sont un problème très technique. Il y avait une baisse à titre expérimental qui avait été décidée l'année dernière pour un an, la question se pose de savoir s'il faut la prolonger étant donné que cette baisse n'a pas donné les résultats que l'on attendait. Globalement, nous constatons que la reprise commence à se manifester de façon progressive et nous allons l'amplifier. Nous avons de bons résultats en matière immobilière, nous avons de bons résultats en matière de chômage et également en matière d'exportation. Donc, nous avons toutes les raisons de penser, étant donné que le prix de l'argent reste bas, que les conditions sont réunies pour une amplification de l'expansion.

S. Attal : Est-ce qu'il y aura des augmentations de taxe sur l'essence, le tabac ?

A. Lamassoure : Il y aura vraisemblablement une augmentation sur le tabac étant donné que, pour des raisons tenant tant de la politique de la santé qu'à l'équilibre du budget et des comptes sociaux, il n'est pas absurde de faire un effort et de demander un effort dans ce domaine.

S. Attal : Alain Juppé commence à recevoir ses partenaires de la majorité, ce n'est pas toujours facile de les convaincre que ça va mieux ?

A. Lamassoure : Je crois que si. Vous avez vu que Raymond Barre, qui était reçu hier par le Premier ministre, a fait des commentaires très positifs sur la politique économique conduite. Nous allons avoir un rendez-vous important dans la majorité, qui marquera le démarrage de la rentrée politique le week-end prochain, avec ce qu'on appelle les universités d'été de l'UDF et du RPR. Et je pense qu'à cette occasion, l'unité de la majorité pourra s'exprimer et nous en avons tout à fait besoin pour entamer une période qui sera très importante pour la réussite de notre pays.