Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les mesures en faveur de l'artisanat et des métiers d'art et notamment les mesures fiscales, Coulon (Deux Sèvres) le 6 septembre 1996.

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Circonstance : Déplacement dans les Deux-Sèvres le 6 septembre 1996. Participation à l'Université d'été de l'artisanat à Coulon

Texte intégral

Mesdames et messieurs les artisans, chers amis, Jean-Pierre Raffarin m'étonnera toujours. Je me dis qu'il va finir par épuiser son stock d'idées nouvelles, eh bien non ! En voilà encore une, ce soir, qui se concrétise avec cette première université d'été des métiers et de l'artisanat qui, pendant deux ou trois jours, dans ce cadre merveilleux, va vous permettre de réfléchir à ce que vous êtes, à ce que vous allez devenir, à ce que vous représentez pour l'économie et la société française . Et si j'en juge par les premiers échos que j'ai eus, si je vois la liste des personnalités éminentes qui viennent parler avec vous, je me dis que c'est une bonne idée qui va permettre de donner à l'artisanat toute la place qu'il mérite dans la conscience des Français.

Je suis heureux d'être ici en compagnie de Corinne Lepage, de Jean-Pierre Raffarin et des personnalités du département et de la région qui m'entourent pour poursuivre et approfondir le dialogue avec le monde de l'artisanat. Comme nous le faisons, Jean-Pierre Raffarin et moi-même, depuis les tout premiers jours de la constitution du gouvernement.

Je me réjouis aussi de la possibilité qui nous est donnée, grâce à vos travaux, de mieux faire connaître la diversité de l'artisanat à nos concitoyens qui n'en ont parfois qu'une image un petit peu floue. Trop longtemps, en effet, les métiers ont souffert dans notre pays d'un double déficit.

D'abord, d'un déficit d'intention de la part des pouvoirs publics, il faut bien le reconnaître. En dépit de son poids économique, de sa richesse humaine, l'artisanat était souvent un peu l'oublié des politiques publiques. J'espère que cette époque est révolue. Dès notre arrivée aux responsabilités gouvernementales, nous nous sommes donnés l'objectif et les moyens d'une véritable politique en faveur de l'artisanat. Et Jean-Pierre Raffarin évoquait tout à l'heure les tout premiers rendez-vous, en octobre 1995, que mon équipe a eus avec ceux qui vous représentent.

Déficit de reconnaissance et de considération ensuite, peut-être dans l'ensemble de la collectivité nationale. Nos concitoyens n'ont peut-être suffisamment pas conscience du rôle irremplaçable, et je ne le dis pas pour vous faire plaisir, que jouent les métiers dans la vie économique et sociale de notre pays, et plus encore du dynamisme et de la modernité de l'artisanat. Je sais que c'est un des thèmes que vous allez débattre pendant cette université.

Quelques chiffres montrent mieux que tous les discours ce que je veux dire lorsque je parle de la place qui est la vôtre dans la société et l'économie française. Rappelons-nous, en effet, que les artisans de France, ce sont plus de 800 000 entreprises, une entreprise sur trois dans notre pays. Plus de 2 100 000 emplois, soit 10 % de la population active, et près de 760 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel. Ces chiffres montrent sans ambiguïté que l'ensemble des métiers est un partenaire économique de premier rang pour les pouvoirs publics.

L'artisanat est aussi, on le sait peut-être moins encore, la vivante image de la France qui s'adapte, qui créé, qui innove. Il incarne au premier chef l'esprit de conquête dont parle souvent le président de la République et qui est l'un de nos meilleurs atouts dans une compétition économique internationale qui est ce que vous savez et qui ne fera que s'intensifier.

Bien sûr, tout en étant à l'image de la modernité, nos artisans restent attachés à un ensemble de valeurs traditionnelles et ce n'est pas une contradiction. L'amour du travail bien fait, cette intelligence de la main qui est irremplaçable, le goût du perfectionnement individuel joint à la pratique réfléchie de la solidarité. Et c'est aussi, dans le secteur des métiers que l'on rencontre parfois, les entreprises les plus performantes, celles dont la capacité d'adaptation aux nouvelles technologies est la plus remarquable.

Ce double trésor de la tradition et de la modernité, nous devons le préserver. Nous ne devons pas permettre que les logiques de compétitivité et de libéralisation des échanges effacent des siècles de savoir-faire et de savoir-vivre. C'est en développant et en renouvelant les acquis traditionnels de nos artisans, jour après jour, que vous avez montré que vous étiez capables d'ouvrir vos métiers aux nouvelles technologies.

C'est pour mieux accompagner cette souplesse d'adaptation permanente qu'un grand nombre de mesures, à destination de l'artisanat, ont été depuis 15 ou 16 mois progressivement mises à l'oeuvre ou vont l'être prochainement. Je ne vais pas les passer toutes en revue. Je rappellerai simplement que le financement de vos entreprises a été amélioré grâce à la création d'une enveloppe spécifique de 3 milliards de francs de prêts CODEVI et d'un milliard de francs de prêts bonifiés, grâce à l'instauration du régime d'imposition simplifiée, grâce à la suppression du paiement immédiat de la TVA sur les stocks lors d'une cession d'entreprise.

Des mesures spécifiques importantes ont été prises en faveur de secteurs particuliers, comme la boulangerie artisanale et les métiers d'art. C'est ainsi que la Fête du pain, en mai dernier, à l'occasion de la Saint-Honoré, m'a permis de constater à Matignon, avec les professionnels de la boulangerie, que la tradition des pains de grande qualité et de grande diversité était bien vivante. Et je ne peux plus mettre les pieds dans une boulangerie sans qu'on me parle de Raffarin. Cela commence à devenir un peu lassant. C'est vrai qu'il s'est investi dans ce combat avec la fougue et l'enthousiasme qui le caractérisent et aussi, pour l'instant, avec la réussite. Il mérite, je crois, qu'on lui en soit reconnaissant.

J'ai dit boulangerie et métiers d'art pour bien choisir deux exemples qui montrent la diversité de ce que représentent les métiers et l'artisanat. En faveur des métiers d'art aussi, et nous venons de voir à quel point ils sont vivants, à quel degré d'excellence les Français sont capables de les porter puisque le jeune luthier que nous avons vu tout à l'heure a obtenu une consécration internationale de premier niveau. Là aussi, des mesures ont été annoncées afin de mener une politique ambitieuse de développement. En particulier, la création d'une Fondation ou d'un Conservatoire national des métiers d'art ; la création d'un Fonds d'encouragement aux métiers d'art, accompagnée d'un doublement des crédits d'intervention de l'État et, par les temps qui courent, multiplié par deux, c'est beaucoup. La préparation d'un programme pluriannuel d'orientation. L'élaboration d'un programme de développement régional.

Pour l'ensemble des artisans, la création prochaine du chèque-emploi premier salarié va, je l'espère, alléger considérablement les contraintes administratives lors de l'embauche et faire disparaître un des principaux freins à la création d'emploi pour les artisans qui n'ont pas de salarié. Ainsi, progressivement, un dispositif financier, fiscal et social plus favorable aux métiers se met en place pour permettre aux entreprises artisanales de travailler dans une ambiance plus sereine.

Je parlais de dispositif fiscal. Je vous en ai parlé un peu hier à la télévision, peut-être avez-vous regardé, je n'en sais rien ! J'espère que vous n'avez pas coupé avant la fin ! C'était un peu sérieux. Mais enfin, quand on parle de choses précises, il vaut mieux en parler sérieusement. De plus, j'ai entendu des tas de choses extraordinaires, ce qui montre que les esprits chagrins en France continuent à exister quand même.

On m'a dit, par exemple, qu'il fallait faire plus. Je constate que plus on est loin de Matignon, plus on augmente le chiffre de réduction d'impôts qu'il faudrait faire. Moi, je voudrais bien le faire, 100, 120, 200, mais qu'on me dise comment ? Quand on ne peut pas augmenter les dépenses plus que de raison et quand on ne veut pas creuser les déficits pour ne pas augmenter les dettes, eh bien, il faut calculer. Et vous savez calculer. J'ai essayé, moi aussi, de calculer, et nous sommes tombés sur ce chiffre qui est ambitieux : un quart de l'impôt sur le revenu en 5 ans. Non pas dans 5 ans, comme je l'ai entendu dire, mais année après année, dès 1997, et pendant 5 ans.

Après, on m'a dit, je sais que c'est un argument qui porte dans l'esprit et le coeur des artisans : « ce n'est pas cet impôt-là qu'il aurait fallu diminuer, c'est l'autre, c'est la TVA ». Bien sûr, si je pouvais diminuer la TVA, je la diminuerais. Encore que, si vous avez bien réfléchi au fait que la meilleure et peut-être la dernière protection, je ne sais pas si le mot « protection » convient, que l'économie française fasse à l'extérieur, c'est la TVA, déductible à l'exportation et qui frappe les produits importés. C'est le seul impôt pour qui ça marche comme ça. Prenez l'exemple des cotisations sociales, c'est exactement l'inverse. Cela frappe les produits chez nous, même quand ils sont exportés, et cela ne frappe pas les produits importés qui rentrent chez vous. Vous voyez que la TVA n'a pas que du mal. Elle n'a pas que de mauvais aspects.

Et puis, par ailleurs, avec l'argent dont on dispose, 75 milliards, 25 milliards l'année prochaine, qu'est-ce que j'aurais pu faire ? Baisser la TVA de 0,9 point. Eh bien, je vous le dis avec toute ma force et ma conviction : « Personne ne s'en serait aperçu ». L'augmentation n'a pas été répercutée dans les prix. Je suis à peu près convaincu que le consommateur n'aurait tiré aucun bénéfice de la baisse de 0,9 point. Cela n'aurait eu aucune influence sur le plan économique. C'est la raison pour laquelle, j'ai choisi de baisser l'impôt qui pèse sur les gens qui travaillent, sur les salariés et sur les travailleurs indépendants dont vous êtes, parce que depuis 15 ans on a fait le contraire.

Depuis 15 ans, on n'a pas cessé d'alourdir, comparativement, la fiscalité sur les revenus du travail en allégeant la fiscalité sur l'argent qui dort. Je pourrais vous donner des chiffres très illustratifs. Aujourd'hui, pour le même niveau de revenus, une famille qui ne vit que de ses salaires ou du revenu de son travail paie plus d'impôts qu'une famille qui ne vivrait que des revenus du capital immobilier. Ce n'est pas normal. Il ne s'agit pas d'alourdir ceux qui épargnent, il s'agit d'alléger ceux qui travaillent.

Après, on a dit : « vous en faites trop pour les riches », mais simultanément on m'a dit aussi : « vous en faites trop pour les petits ». J'ai un peu de mal à comprendre, sinon que nous sommes dans un pays où quoi qu'on fasse, on ne fait que critiquer. Mais il ne faut pas se laisser impressionner. Quand on a la conviction qu'on fait quelque chose de bien et que finalement il y a beaucoup de gens qui le comprennent, au-delà des commentaires officiels, eh bien, il faut persévérer et nous allons persévérer.

Je suis sûr que cette réforme fiscale dont Jean-Pierre Raffarin a rappelé quelques lignes de force tout à l'heure sera bonne aussi pour le secteur des métiers parce que la baisse du barème, ceux qui vivent des revenus de leur travail en bénéficieront.

On me dit : « il faut simplifier, simplifier ». Simplifier, cela veut dire qu'on ne peut pas avoir des systèmes de déductions fiscales tous azimuts. La simplification maximum serait de supprimer toutes les déductions fiscales spécifiques. Là, cela fait gueuler tout le monde. J'ai fait la moitié du chemin, j'ai fait gueuler la moitié du monde… (rires)… mais c'est bien un effort de simplification. Nous avons malgré tout gardé un certain nombre de déductions spécifiques. Et, comme l'a dit Jean-Pierre Raffarin, pour le secteur du bâtiment dont je connais les difficultés et qui n'a pas encore redémarré comme nous le souhaiterions, nous avons prévu une mesure qui permettra au particulier qui fait chez lui les travaux du propriétaire, c'est donc quelque chose qui va au-delà des travaux de grosses réparations, qui étaient déjà prévus dans la législation fiscale, une déduction de 20 %, c'est-à-dire à peu près du montant de la TVA, sur un montant de travaux de 20 à 40 000 francs, ce qui n'est pas négligeable.

Nous avons également prévu, cela n'est pas fiscal, cela intéresse aussi ce secteur, un projet de loi qui sera déposé très prochainement pour la lutte contre le travail clandestin qui est une véritable plaie et qu'il faut réprimer parce que cela est une injustice et une atteinte à la loyauté des déclarants.

Voilà, mesdames et messieurs, le rappel rapide des actions que nous avons entreprises, que nous allons poursuivre. Nous essaierons d'amplifier tout cela dans les prochains mois avec aussi un thème qui tient à coeur à Jean-Pierre Raffarin, la simplification de nombreuses formalités administratives que j'ai demandée à l'occasion de la réforme de l'État. Je pense en particulier à la déclaration unique d'embauche ou au nouveau formulaire « contrat d'apprentissage » ou au certificat annuel de cotisations pour les appels d'offres et les marchés publics.

Le dialogue permanent que le gouvernement a entamé avec vous et que le ministre de l'Artisanat, du Commerce et des Petites et des Moyennes Entreprises entretient avec la compétence que vous lui connaissez, a encore, vous le constatez, de nombreuses raisons de se poursuivre et de s'enrichir, que ce soit dans le domaine de la promotion de la qualité artisanale ou dans celui du statut des conjoints.

J'espère donc que nous aurons maintes fois l'occasion d'en reparler. Je voudrais simplement former le voeu que vous ayez toujours la sagacité de choisir des lieux sympathiques pour nos retrouvailles.

Vive l'artisanat de France et merci à tous de votre présence.