Texte intégral
Le Premier ministre est venu devant vous le 15 novembre pour présenter le plan de réforme et de sauvegarde de la protection sociale et a recueilli de votre part un soutien très large.
Il a annoncé l'intention du gouvernement de déposer rapidement, devant le Parlement, un projet de loi l'habilitant à prendre des ordonnances pour mettre en oeuvre certains des volets de la réforme de la protection sociale.
C'est ce projet de loi, que le Premier ministre est venu lui-même présenter devant la commission des affaires sociales, que je défends aujourd'hui au nom du gouvernement.
Je voudrais entrer dans le détail de son dispositif, mais auparavant il me semble nécessaire de revenir sur les intentions du gouvernement, qui doivent être bien comprises, intentions sur lesquelles le Premier ministre est déjà revenu devant vous avant-hier.
Plan :
1. Je voudrais d'abord revenir sur les raisons pour lesquelles il est nécessaire et urgent d'adapter notre Sécurité sociale.
2. Ensuite, revenir sur certains malentendus pour achever de les dissiper.
3. Enfin, j'en viendrai à la portée exacte de la loi d'habilitation qui vous est soumise.
I. – La volonté du gouvernement
L'adaptation de notre Sécurité sociale
Notre objectif essentiel : sauvegarder la Sécurité sociale, qui est menacée.
Tout le monde est d'accord :
- les 26 forums régionaux l'on dit ;
- objectif partagé par les partenaires sociaux ;
- le Parlement l'a exprimé, à travers la mission parlementaire et les débats qui ont eu lieu ici même à la mi-novembre.
Mais il faut le faire vite : c'est un devoir urgent.
La dette cumulée sur quatre ans a atteint un niveau insupportable (230 milliards de francs) : il faut en finir avec la solidarité à crédit. Nous ne pouvons faire supporter à nos enfants le coût de la protection sociale des générations précédentes.
Il faut arrêter l'accumulation des déficits ; la Sécurité sociale, pour le seul régime général, perd 165 millions de francs par jour.
À ce rythme, la Sécurité sociale pourrait un jour ne plus pouvoir payer les prestations et les remboursements de soins auxquels les Français ont droit.
Alors même que notre protection sociale est toujours plus nécessaire :
- qu'il faut garantir les retraites, notamment dans la perspective de l'allongement de la vie ;
- aider davantage les familles, ciment de notre société et recours contre notre déclin démographique ;
- permettre l'accès de tous au progrès médical et lutter contre l'exclusion.
Il faut donc prendre des mesures de fond et tout le monde a reconnu que le plan du gouvernement n'est pas un plan de colmatage des comptes, mais adopte enfin les vraies orientations.
Aucune autre alternative n'a été proposée aux Français pour sauvegarder la Sécurité sociale.
Les réformes ont trop attendu. Maintenant, il faut les faire, 50 ans après la création de la Sécurité sociale, et construire ensemble la Sécurité sociale du siècle prochain. Le gouvernement entend donc fermement maintenir le cap des réformes nécessaires.
La méthode découle de nos objectifs :
Il faut aller vite et faire appel à la responsabilité de chacun.
C'est l'urgence qui dicte le recours à la procédure des ordonnances.
Le gouvernement doit pouvoir préparer très vite les textes nécessaires au redressement financier et à l'organisation des mesures structurelles nécessaires.
Ce n'est pas nouveau :
- en 1945, c'est par ordonnances que le gouvernement du général de Gaulle a créé la Sécurité sociale ;
- en 1967, c'est par ordonnances que le gouvernement de Georges Pompidou a réformé son organisation ;
- en janvier 1982, c'est encore par ordonnances que le gouvernement de Pierre Mauroy a, lui aussi, cherché à adapter notre protection sociale.
Le gouvernement n'agira pas seul.
Le principe, c'est faire appel à la responsabilité de chacun.
La Sécurité sociale est entre nos mains à tous.
C'est pourquoi le gouvernement entend travailler dans la plus grande concertation. Le Premier ministre a redit avant-hier notre souhait de poursuivre les dialogues engagés.
Je recevrai, dans les tout prochains jours, à la demande du Premier ministre, les représentants des organisations syndicales, pour discuter à la fois des principes retenus et de la mise en oeuvre des décisions concrètes. Par ailleurs, les parties concernées par les différentes mesures techniques envisagées seront entendues.
Le Parlement sera également associé étroitement. J'ai déjà dit devant les commissions compétentes que je me tenais prêt, et Hervé Gaymard avec moi, pour des rencontres régulières sur la mise au point des ordonnances.
II. – Face aux réactions, il est nécessaire de revenir sur certains malentendus pour achever de les dissiper.
L'annonce du plan a été accueillie favorablement par le Parlement, bien sûr, mais aussi par de nombreux acteurs sociaux.
Mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir les contestations qui sont nées du plan présenté par le gouvernement.
Je voudrais saisir l'occasion de notre débat pour y revenir car je crois qu'avant tout, il y a malentendu sur les intentions du gouvernement.
1. Le problème des régimes spéciaux
Quelle est la préoccupation du gouvernement ?
Comme le régime général, les régimes spéciaux de retraites sont confrontés à un déséquilibre démographique dans les années à venir. La volonté du gouvernement est donc de les consolider.
La retraite étant un souci légitime de chacun, cette situation a fait naître une certaine peur de nos concitoyens face à l'avenir.
Peur renforcée par la crainte d'une décision déjà prise sans concertation.
Je tiens à répéter, car cela n'a peut-être pas été suffisamment entendu, que tous les paramètres seront mis à plat et les décisions concertées.
Les choses sont maintenant bien claires :
- une commission indépendante a été nommée ;
- elle établira un livre blanc, qui sera suivi de discussions approfondies pour rechercher un plus large accord ;
- le gouvernement n'a arrêté aucune décision ;
- le projet de loi d'habilitation ne concerne pas la retraite des régimes spéciaux.
2. Le financement à venir
Les ordonnances que le gouvernement vous demande l'autorisation de prendre ne concernent pas la réforme du financement de la protection sociale.
Cette réforme fera l'objet de lois ultérieures. La réflexion doit être encore approfondie, en concertation avec tous.
Certes, le gouvernement souhaite, par les mesures structurelles des ordonnances, arrêter la dérive des dépenses, pas toujours efficaces, que notre système connaît aujourd'hui sur les ressources.
Mais les orientations définies par le Premier ministre ne font pas partie des ordonnances :
Il s'agit avant tout de ne plus faire supporter à l'emploi la charge du financement de la Sécurité sociale.
Basculement progressif d'une partie des cotisations maladie, assises sur les salaires, sur une CSG élargie.
Élargissement de la CSG à des revenus qu'elle ne touche pas aujourd'hui, en particulier ceux du capital, deviendra une cotisation sociale à part entière. Elle deviendra donc progressivement déductible de l'impôt sur le revenu.
Réforme des cotisations patronales dont l'assiette devra être diversifiée, en intégrant des notions comme la valeur ajoutée de l'entreprise ou son chiffre d'affaires.
Il faudra aussi que le mode de financement de la politique familiale soit adapté.
Mais attention ! Pas n'importe comment ! Et pas sans garantie pour la politique familiale !
Les Français sont conscients d'une certaine iniquité du système actuel. La meilleure méthode pour la corriger, c'est de soumettre à l'impôt sur le revenu les allocations familiales.
Ce n'est pas par ordonnances que le gouvernement entend procéder sur ce point. À ce stade, trois engagements sont toutefois pris clairement :
1. L'argent de la famille ira à la famille.
2. La réforme protégera les familles modestes et les familles nombreuses.
3. Un nouvel élan sera donné à la politique familiale dès 1998.
III. – La portée exacte de la loi d'habilitation
Le plan pour la réforme et la sauvegarde de la protection sociale est un plan complet (qui concerne vieillesse, famille, exclusion, redressement financier, organisation du système).
Mais je voudrais insister sur les deux principaux volets que le gouvernement se propose d'engager par ordonnances :
- le financement de la dette et du redressement financier ;
- l'adaptation profonde de l'assurance maladie.
1. Des prélèvement exceptionnels les plus justes possibles
Il faut redresser les comptes.
Mais je veux redire notre souci d'équité :
- les plus modestes seront épargnés de tout prélèvement, c'est le cas des bénéficiaires du RMI, du minimum vieillesse, de l'allocation aux adultes handicapés, de l'allocation parents isolés, de l'allocation veuvage ou encore des chômeurs en fin de droits ;
- les revenus du capital seront taxés, tout de suite par le RDS, à terme par l'élargissement de la CSG. Cette volonté d'équité étant nettement plus ambitieuse que les décisions prises à l'époque de la création de la CSG ;
- si des retraités et des chômeurs vont voir leur cotisation maladie augmenter, il ne faut pas se tromper : seul un tiers des retraités – ceux qui sont imposables – et un cinquième des chômeurs – ceux qui sont rémunérés au-dessus du SMIC – seront dans ce cas. Leur taux de cotisation est actuellement quatre fois plus faible que celui des salariés ;
- les entreprises seront également mises à contribution, à hauteur de 5 milliards de francs :
* par une contribution exceptionnelle à la charge de l'industrie pharmaceutique (2,5 milliards) ;
* par un prélèvement sur les primes d'assurance des grandes entreprises (pour 2,5 milliards également).
2. Réussir l'adaptation de l'assurance maladie
Il s'agit sans doute du volet le plus ambitieux des ordonnances que le gouvernement préparera.
La santé est au coeur des préoccupations des Français. Elle nécessite depuis longtemps des réformes de fond.
C'est ce que prévoit enfin notre plan :
- en confiant au Parlement une responsabilité particulière, notamment dans la fixation des objectifs de dépenses ; c'est l'objet de la révision constitutionnelle qui sera proposée par le gouvernement et de la loi organique qui sera prévue ;
- en prévoyant de modifier la pratique de la médecine de ville, toujours dans l'intérêt du malade (formation continue des médecins, renforcement des RMO, codage des actes et des pathologies, généralisation du carnet médical, incitation à solliciter d'abord un généraliste, par exemple) ;
- en lançant des bases d'une réforme de l'hôpital qui permette, d'une manière financièrement raisonnable, d'améliorer encore la qualité des soins dans les 4 000 établissements de santé ;
- en évitant les abus et les gaspillages (exemple des médicaments génériques, la France étant un des seuls pays à ne pas les avoir développés).
Nos projets, qui ne comprennent aucune mesure de déremboursement de médicaments ou de soins, doivent nous permettre de mener une véritable politique de santé publique, développant :
- la prévention (notamment par l'orientation de médecins plus nombreux vers la médecine préventive) ;
- les bonnes pratiques médicales (pour garantir aux patients la meilleure qualité des soins) ;
- les indicateurs sanitaires (notamment pris en compte dans une meilleure allocation des ressources) ;
- la coordination des soins (entre médecine de ville et hôpital, entre hospitalisation publique et hospitalisation privée).
Grâce aussi à une réorganisation de la chaîne des responsabilités dans les caisses, ils permettront aussi de maîtriser les comptes de l'assurance maladie qui, tous les experts le savent, constituent la principale difficulté financière.
Conclusion
Pour aller vite, sur tous les sujets, le gouvernement a donc choisi la voie des ordonnances.
Il ne s'agit pas pour autant d'un blanc-seing qu'il demande au Parlement :
- le programme qu'elles vont mettre en oeuvre est connu ;
- le projet de loi d'habilitation est extrêmement détaillé ;
- les cinq ordonnances que le gouvernement projette sont également connues.
Elles portent sur le remboursement de la dette sociale, le rééquilibrage financier en 1996 et 1997, la réforme de l'organisation des caisses, la réforme de l'hôpital et les nouveaux instruments de maîtrise médicalisée des dépenses.
La période de validité de l'habilitation est connue (quatre mois à compter de la publication de la loi) et, conformément à la Constitution, le contenu des ordonnances sera validé par une loi de ratification dont le projet devra être déposé avant le 31 mai 1996.
Enfin, la concertation présidera à la préparation de ces ordonnances, ainsi que le Premier ministre l'a annoncé. Les commissions parlementaires concernées y seront associées et les partenaires sociaux seront également consultés. La consultation des organismes nationaux de la Sécurité sociale, prévue par les textes, sera bien sûr respectée.
Ainsi, le gouvernement pourra prendre rapidement la plus grande partie des décisions à caractère législatif nécessaires pour mettre en oeuvre son plan, tout en s'attachant à ce que ces décisions soient concertées.
Toutefois, pour réussir son projet de bâtir une assurance maladie pour tous, solide et juste, le gouvernement établira un projet de loi spécifique qui sera soumis prochainement au Parlement.