Déclaration de M. André Vallini, secrétaire d'Etat à la réforme territoriale, sur les trois objectifs de la réforme territoriale (clarté, compétitivité et proximité), à Paris le 9 septembre 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Session ordinaire du Conseil économique, social et environnemental (CESE), au palais d'Iéna à Paris le 9 septembre 2014

Texte intégral

M. Vallini. Merci, Monsieur le Président. Merci de ces mots très aimables que vous venez de prononcer à mon endroit. Je veux en retour vous dire que je suis très heureux d'être parmi vous, Mesdames et Messieurs, à l'invitation de votre Président, que j'apprécie beaucoup pour son esprit républicain bien connu.

Le Président vient de le dire à l'instant : il cherche sur tous les sujets qui vous occupent, qui nous occupent, à convaincre, non pas nos concitoyens, qui en sont convaincus, mais ceux que l'on appelle la classe politique. Il convient parfois, et le plus souvent possible, de savoir dépasser les clivages parfois devenus artificiels, sur des réformes structurelles comme celle que je vais vous présenter dans un instant.

Je suis très heureux d'être là, accompagné de nombreux collaborateurs qui voulaient m'accompagner parce que c'est leur rôle, mais aussi, pour mieux connaître, de l'intérieur, cette assemblée de la République dont le rôle est important et qui n'est pas assez connue. C'est la raison pour laquelle je suis venu aussi bien accompagné, parce que, je le répète, votre assemblée suscite la curiosité au bon sens du terme de ceux qui ne la connaissent pas assez.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers, je vais m'efforcer, en prenant un peu de temps - parce que la réforme est, sinon compliquée, en tout cas assez longue à exposer - les trois objectifs auxquels nous essayons de répondre avec cette réforme territoriale :

- la clarté. C'est une exigence démocratique ;
- la compétitivité. C'est une exigence économique ;
- la proximité. C'est une exigence de service public.

D'abord la clarté. Vous le savez, avec 36 700 communes plus de 800 intercommunalités, 13 400 syndicats intercommunaux, 101 départements, 22 régions et bientôt 12 métropoles, la France cumule à elle toute seule 40 % de toutes les collectivités territoriales de toute l'Europe à 28 ; 40 % des collectivités locales de l'Union européenne sont françaises !

Trente ans après les grandes lois de décentralisation, le constat est là : nous avons multiplié les structures, ajouté des échelons, additionné des organismes.

Nous devons donc aujourd'hui rendre cette organisation territoriale plus lisible par les citoyens, plus lisible aussi par les élus locaux, qui ont parfois du mal à se retrouver devant l'empilement des structures territoriales et l'enchevêtrement de leurs compétences. En Isère, où je les rencontre souvent, les élus - des petites communes notamment - ne s'y retrouvent plus dans cet empilement de structures et avec toutes ces compétences enchevêtrées.

Nous devons simplifier cette organisation parce que la confusion prive les citoyens du pouvoir de contrôler l'action publique. C'est donc une exigence démocratique comme l'est aussi le renforcement, que nous avons prévu, de la transparence financière dans notre projet de loi.

Les rapports des Chambres régionales des comptes seront rendus plus fréquents et auront plus d'importance dans le débat public. Nous allons renforcer des règles qui encadrent les débats d'orientation budgétaire et enfin, nous allons demander à la Cour des Comptes un rapport annuel sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales.

Voilà pour la clarté.

La compétitivité, maintenant.

Aujourd'hui, le « millefeuille administratif » - selon l'expression bien connue - décourage les énergies, ralentit les projets et freine les initiatives. En effet, cette organisation est non seulement plus compliquée, mais elle a aussi vieilli : moyens de communication, circulation des données, modes de vie… Si notre société a beaucoup changé depuis vingt-cinq ans, notre réorganisation administrative, elle n'a pas suivi.

Le modèle qui a prévalu pendant les « Trente Glorieuses » est révolu. Les grands programmes nationaux, articulés à de grandes entreprises, avaient concentré les tâches de direction, de conception et de recherche à Paris et dans quelques grandes villes de France tandis que le reste du territoire se répartissait les activités de production. Nous sommes aujourd'hui dans une ère nouvelle, celle des écosystèmes d'innovation, dans lesquels la recherche, la formation et l'industrie doivent interagir sur le même territoire ; et ce nouveau modèle dessine une nouvelle géographie de la France économique, celle des 71 pôles de compétitivité, des 171 laboratoires d'excellence et des futures 12 métropoles.

Dans cette nouvelle donne économique, nos régions n'ont plus la bonne dimension même si, depuis des années, par des coopérations entre universités, entre filières industrielles ou entre lieux de culture, elles ont déjà tenté de dépasser des compétences insuffisantes et des périmètres étriqués. Nous allons donc agrandir la plupart des régions et le nouveau découpage, inévitablement, fait débat.

Ce qu'il faut avoir à l'esprit, concernant ce découpage, c'est que la carte idéale n'existe pas et que les découpages administratifs suscitent toujours des débats, des interrogations, voire des contestations.

Il y a cinquante ans, je me souviens que la région Rhône-Alpes était jugée comme une région totalement artificielle entre Annemasse - aux portes de la Suisse, au bord du lac Léman - et le sud de la Drôme aux portes d'Avignon et de la Provence. Qui, aujourd'hui, peut contester que Rhône-Alpes a trouvé sa cohérence, notamment économique ?

J'entends aussi parfois des craintes relatives aux identités locales ou régionales. Elles ne sont en aucune manière menacées par une réforme qui n'est qu'administrative, guidée par le seul souci de l'efficacité. Nous ne cherchons pas à supprimer les identités existantes ni à en forger de nouvelles. Au demeurant, nos fameuses identités - et personnellement je trouve le terme assez vague - ont survécu à trois révolutions, à une restauration monarchique, à deux Empires et à cinq Républiques. Elles sauront survivre, soyons-en certains, à notre réforme territoriale !

Le vote à l'Assemblée nationale sur ce découpage régional a montré que les parlementaires d'un même parti et d'une même région ne voient pas l'avenir de leur région de la même façon et peuvent même voter différemment. Je suis sûr que le Président Delevoye partagera mon avis : il est rassurant de voir que sur les enjeux importants, les convictions personnelles réussissent parfois à l'emporter sur les logiques partisanes et les disciplines de groupes.

Nous sommes aujourd'hui à l'âge de la mobilité et les distances ne sont plus celles qui avaient présidé au découpage ancien ; alors qu'il y a deux siècles, il fallait des journées de voyage pour aller de Reims à Strasbourg, il suffit aujourd'hui de trois heures de route comme entre Nîmes et Toulouse et de deux heures entre Lyon et Clermont-Ferrand. L'éloignement physique n'est même plus un obstacle véritable grâce aux nouvelles technologies de la communication.

Le citoyen, le chef d'entreprise ou le syndicaliste, le responsable économique ou social, ne se rend pas tous les jours - ni même chaque semaine et parfois même pas dans une seule année - au siège du Conseil régional parce qu'il n'en a pas besoin d'une part et que même s'il a besoin d'avoir un contact avec le Conseil, il peut l'établir autrement qu'en se déplaçant au siège de la région.

Ainsi agrandies, les nouvelles régions bénéficieront de tissus locaux dynamiques de nature à organiser les financements vers leur territoire plutôt que les laisser s'échapper au-delà de leur périmètre, les régions auront les compétences nécessaires pour devenir de vrais moteurs du développement économique : aide à l'innovation et l'internationalisation, formation professionnelle et apprentissage, transport, déplacement, grandes infrastructures, tourisme, environnement, tout ce qui fait l'attractivité d'un territoire sera du ressort de la région qui deviendra l'interlocuteur de référence pour les entrepreneurs et les investisseurs qui attendent cette réforme.

Les sondages montrent que les chefs d'entreprise sont à 83 % favorables, pas seulement à la suppression des Conseil généraux - j'en reparlerai - mais à la réduction du nombre de régions. En effet, ce sont les entreprises qui, les premières, font les frais de la complexité de notre organisation territoriale. Alors qu'on cherche à attirer des entreprises étrangères, les investisseurs ont affaire à une dizaine d'interlocuteurs différents : agence de développement, Chambre de commerce, mairie, communauté de communes, syndicat mixte, etc.

J'ai actuellement dans mon département le projet d'une implantation très importante - dont je ne peux pas encore dire le mot, même s'il me brûle les lèvres – et nous sommes au bout du parcours ; je pense annoncer cela début octobre. Un investisseur américain important est venu nous voir il y a deux ans pour s'installer au sud de Vienne, en Isère rhodanienne, à la confluence du Rhône, du fleuve, de la voie ferrée et de l'autoroute. Cet investisseur américain a demandé à voir le maire ; il l'a vu. Il a fallu ensuite lui présenter le Président de la communauté de communes, le Syndicat mixte, le Président du Conseil général, le Président du Conseil régional, le sous-préfet de Vienne avant le préfet, la Chambre de commerce, j'en passe. L'investisseur américain est venu deux fois et on ne l'a plus revu. Je me souviens de sa réaction de surprise - pour ne pas dire plus - devant cette multiplicité d'interlocuteurs avec lesquels il fallait entrer en contact. Pour un même projet, l'obligation de constituer autant de dossiers que de financeurs est parfois décourageante, avec, de plus, des critères qui ne sont pas forcément les mêmes d'un dossier à l'autre.

Il faut en finir avec ces compétences enchevêtrées, entrecroisés et ces financements complexes. Les nouvelles régions auront donc non seulement la force économique, mais aussi la visibilité nécessaire pour remplir leur rôle.

Comment expliquer à un investisseur, américain toujours, mais peu importe, qu'il y a deux Normandie, la Basse et la Haute ? Tout cela est devenu totalement dépassé. Il fallait mettre un terme à ce découpage ancien, même si le découpage proposé n'est pas définitif et que d'autres fusions seront peut-être appelées à intervenir dans les années qui viennent.

Pour agir, les régions qui seront plus grandes devront territorialiser leur action et la solution, à mes yeux, sera d'articuler l'action des régions avec celle des inter-communalités. Trop longtemps, nos territoires ont envisagé leur avenir en antagonisme avec les territoires qui les entourent. Aujourd'hui, c'est le contraire, l'intelligence territoriale doit être fondée sur la complémentarité des espaces et leur mise en réseau. Nous savons que les agglomérations ne pourront rayonner si leurs périphéries sont en déclin et si les espaces plus lointains sont laissés à l'abandon. Les stratégies de développement doivent s'attacher à stimuler les synergies entre les territoires comme entre les entreprises. Il vaut mieux articuler les collectivités entre elles : elles sont complémentaires, territorialement comme fonctionnellement.

Des grandes régions pour la compétitivité, coordonnées à des intercommunalités pour la proximité, voilà l'avenir de notre organisation territoriale.

La proximité est notre troisième objectif et les inter-communalités auront ce rôle de proximité au plus près des habitants. Les communes vont demeurer la cellule démocratique à laquelle chaque Français reste attaché. C'est souvent le lieu symbolique de la famille et de la mémoire, mais de plus en plus, c'est seulement le lieu de résidence. L'époque est révolue où on naissait, travaillait, mourait dans le même village De nos jours, deux Français sur trois ne travaillent pas dans la commune où ils votent et où ils vivent ; et ils résident souvent ailleurs pendant leurs loisirs ou à l'âge de la retraite.

Le chiffre exact du nombre de communes est de 36 681. L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie en comptent, à elles trois, 24 1 000 et le Royaume-Uni - toujours un peu différent - n'en compte que 238. Nos voisins ont fortement réduit le nombre de leurs communes. Dans les années 60, elles ont été divisées par cinq en Belgique, par trois en Allemagne. Entre 1946 et 1974, la Suède a diminué de 87 % le nombre de ses municipalités. Notre pays fait exception en Europe.

J'étais à Rome la semaine dernière pour aller voir comment s'y prenait le gouvernement de Matteo Renzi en matière territoriale, judiciaire, institutionnelle. La plupart de mes interlocuteurs italiens - membres du gouvernement, parlementaires... - prenaient un air affligé en disant : « Nous avons 8 000 communes ». Quand je leur répondais qu'en France, nous en avions 36 700, ils étaient effarés ; sauf que j'ajoutais que nous allions y remédier par la montée en puissance de l'inter-communalité qui n'existe pas à en Italie mais qui fait partie des objectifs que poursuit le gouvernement Renzi.

Plus de la moitié de nos communes ont moins de 500 habitants, 86 % ont moins de 2 000 habitants. Elles ne peuvent plus relever les défis qui sont devant elles, nombreux, d'autant que nos concitoyens deviennent de plus en plus exigeants - y compris dans les petites communes - en termes de petite enfance, d'animation, de culture, de traitement des déchets, de défense de l'environnement... Tous ces défis qui sont posés aux collectivités locales ne peuvent plus être relevés par les communes isolément et seules les inter-communalités peuvent évidemment être à la hauteur de ces défis. Nous allons renforcer les inter-communalités et les agrandir.

À la suite de la loi de 2010 - et le rapport du comité Balladur qui l'avait précédé - la taille minimale des intercommunalités était de 5 000 habitants. Nous allons porter ce seuil de 5 000 à 20 000 habitants sauf dans les zones de montagne, très peu peuplées. Les inter-communalité deviendront le véritable échelon de l'action publique de proximité.

Face à des régions plus puissantes et plus grandes, face à des inter-communalités plus puissantes et plus grandes, quel avenir pour les Conseils régionaux et les Conseils généraux ?

Depuis 30 ans, les Conseils régionaux ont accompli un travail considérable dans toute la France, quelle que soit la couleur politique, pour assumer les compétences nombreuses et lourdes que leur avait transférées l'État au début des années 80.

En Isère, comme ailleurs nous avons réussi à faire vivre la solidarité entre les territoires de notre département et avec ses habitants.

Mais écoutez cette phrase : je cite : « La division départementale ne répond plus aux besoins de notre époque. En présence de la rapidité inouïe dont bénéficient actuellement les communications et les transports, le maintien des départements trop petits, trop faibles paraît une choquante anomalie. »

Cette phrase est de Henri Mettrier. Personne ne le connaît. C'est un géographe, il a dû être célèbre en son temps mais est un peu oublié aujourd'hui. Qu'en a-t-il prononcé cette phrase ? En 1911.

C'est vous dire si le problème se pose depuis longtemps. C'est vous dire aussi si les départements savent résister depuis le temps qu'ils sont menacés de suppression !

Le Président de la République avait annoncé qu'il fallait se poser la question de leur suppression, le Premier ministre l'avait fait aussi. Aujourd'hui, la question est toujours posée parce que dans les territoires ruraux, cette disparition des Conseils généraux inquiète et je comprends cette inquiétude. Il faut savoir que les choses ne sont pas encore très claires dans l'esprit du public sur le phasage des réformes que nous avons entreprises.

Nous avons cinq ans - 2015-2020 - pour imaginer l'avenir du Conseil général. D'ici là, les Conseils généraux vont demeurer en place. Nous allons les renouveler l'année prochaine et élire de nouveaux conseillers départementaux en binôme (un homme/une femme) ; le scrutin a changé, vous le savez, et il est maintenant totalement paritaire, donc moderne.

Nous allons élire des binômes dans les Conseils départementaux qui continueront à exercer des compétences sociales : personnes âgées, APA, handicapés, PCH, RSA, familles en difficulté, aide sociale à l'enfance, enfance en danger, enfance maltraitée, incendie secours...; ils auront également en charge la solidarité territoriale et notamment l'aide aux petites communes. Tout cela ne va pas changer.

Mais le débat est engagé : que faire des Conseils généraux selon les départements ? Je plaide depuis longtemps sur le fait que nous n'avons plus besoin d'administrer la République de la même façon de Brest à Strasbourg et de Lille à Perpignan.

Selon les territoires, selon les départements, les régions, selon l'endroit où l'on se trouve, on peut administrer nos collectivités de façon différente. Regardez ce que souhaitaient faire certains élus bretons : une assemblée de Bretagne qui serait la fusion de la région et des départements bretons ; les grands élus alsaciens souhaitent faire la même chose pour l'Alsace.

On peut envisager beaucoup de formules différentes et je ne pense pas que l'unité de la République, pas plus que son indivisibilité, en seraient menacées, l'égalité des territoires non plus.

À terme, toutes ces évolutions auront pour conséquence des économies budgétaires. Il n'est pas forcément de bon ton, selon l'assemblée où l'on se trouve, de parler des économies budgétaires. Pour ma part, je n'ai pas de scrupule ni de honte à parler d'économies budgétaires. La réduction de la dépense publique est une nécessité, notamment les dépenses publiques de fonctionnement, si elle est permet de libérer des ressources pour l'investissement et d'endiguer la hausse de la fiscalité locale qui est importante depuis quelques années.

Les Français d'ailleurs font des économies budgétaires l'objectif premier de la réforme. Quand ils sont interrogés par sondage, 60 à 70 % des Français disent que le premier but de cette réforme territoriale doit être de faire des économies budgétaires. J'entends les élus locaux - je suis l'un des leurs - dire que c'est une façon de reprocher aux élus locaux de mal gérer leur collectivité.

Non, ils sont eux-mêmes prisonniers d'un système qui est devenu trop complexe, donc trop coûteux. Les élus locaux eux-mêmes, de bonne foi, quelle que soit leur appartenance politique - la plupart n'en ont d'ailleurs pas, en particulier dans les petites communes - reconnaissent que l'on peut faire des économies ; on peut mutualiser les moyens, les compétences et donc les moyens d'exercer celles-ci. Tout le monde a conscience de cela ; il ne faut pas avoir peur de parler d'économies budgétaires.

Le Président l'a dit dans une interview dans un grand journal du soir il y a un mois, je le cite : « la réforme territoriale dégagera des économies » ; le Premier ministre l'a répété il y a quinze jours : » Notre réforme territoriale illustre notre détermination à réduire la dépense publique ».

Certes, les économies n'apparaitront pas en six mois, mais elles n'en sont pas moins certaines. Nous dénonçons - je pense que vous le faites aussi – tous, dans nos assemblées respectives, suffisamment le court-termisme de la vie politique pour ne pas soutenir une réforme qui, pour une fois, se situe sur le moyen et long terme et dont les effets se feront se sentir sur 10 à 15 ans.

J'entends souvent dans la majorité, mais surtout dans l'opposition - à l'Assemblée nationale ou au Sénat - certains parlementaires demander des réformes structurelles ; dans l'opposition, notamment, on adjure le gouvernement à engager enfin des réformes structurelles. Quand on pose la question à l'opposition : quelles réformes structurelles faut-il entreprendre en priorité ? On nous répond la réforme territoriale. Nous y sommes. Nous menons la réforme territoriale. Certes, elle n'est pas parfaite - le débat parlementaire n'a fait que commencer en juin et juillet - mais je trouve dommage, comme le disait le Président Delevoye, que, sur ce genre de réforme, on arrive que très difficilement, pour ne pas dire jamais, à dégager ce que le Président Edgar Faure appelait des « majorités d'idées ». Or, la majorité d'idées est là, elle existe.

Tout le monde est pour la réforme territoriale mais quand il s'agit de passer aux actes…Mais vous savez les Français sont tous un peu comme cela, les élus ne sont pas les seuls. Tout le monde est pour la réforme mais dès que la réforme est annoncée et qu'elle commence à bousculer quelques habitudes, elle indispose ceux qui sont concernés.

Dans le domaine économique, je voudrais citer quelques chiffres. Dans le seul domaine du développement économique, le rapport Queyranne-Demaël-Jurgensen pointe des flux croisés de financement entre les collectivités à hauteur de 5,7 milliards d'euros. Chaque niveau de collectivité versant à peu près 1,7 milliard d'euros de subventions aux autres niveaux.

Quant au rapport Lambert/Malvy, il dénombre 75 acteurs du développement économique en moyenne par région : les agences de collectivités locales, les chambres consulaires, les structures partenariales que sont les pôles de compétitivité et les groupements d'intérêt économique, chambres de commerce, France Initiative, etc.

Dernier chiffre : les 110 agences de développement économique des collectivités locales - j'en ai une dans l'Isère, l'agence d'études et formation de l'Isère - consacrent 30 % de leur budget à se coordonner entre elles.

Concernant les guichets, dans le domaine économique comme dans d'autres domaines, on s'aperçoit que lorsqu'il y a plusieurs guichets de subventions possibles, plusieurs financeurs, cela crée une inflation de projets. Je cite un rapport de l'OCDE de 2007 qui dit que le système ou un même service peut être proposé à plusieurs niveaux et donc où les bénéficiaires peuvent y recourir par plusieurs voies, engendre des mécanismes de surenchère entre les collectivités qui aboutissent à une surproduction de services.

Quant au nouveau Commissaire général à la stratégie et la prospective, M. Jean Pisani-Ferry, il a résumé les choses simplement il y a quelque semaines, je le cite : « Quand il y a trop d'acteurs et que tous veulent intervenir, la concurrence entre eux se traduit par une surenchère de projets. »

Alors quelles économies ? Comment les faire ? Les économies les plus importantes découleront bien sûr des fusions de structures. La réduction du nombre de régions, la suppression des départements dans leur forme actuelle - dans certains départements -permettra à terme des économies d'échelles importantes.

De même, le transfert aux régions des compétences en matière de transports, de collèges, de voirie... entraînera non seulement des économies d'échelle mais supprimera les doublons éventuels et permettra aussi des gains sur la commande publique par des appels d'offres plus larges, plus importants.

Concernant le bloc communal, les fusions de l'intercommunalité que nous allons agrandir comme la mutualisation de leurs services avec ceux des communes permettra aussi des économies importantes.

Enfin, un mot sur les syndicats intercommunaux. L'ancien maire de Bapaume doit le savoir : je ne sais pas quelle est exactement la situation dans le Pas-de-Calais, mais, en Isère il y a encore beaucoup de syndicats intercommunaux. Or, avec la loi de 2010, les préfets doivent non seulement regrouper les intercommunalités pour les agrandir, mais aussi supprimer autant que possible les syndicats intercommunaux. Aujourd'hui en 2014, il y a encore 13 450 syndicats intercommunaux pour un budget global de 17,5 milliards d'euros dont pr��s de 10 milliards en fonctionnement ; 13 450 syndicats, dont 5 800 dans un périmètre inclus dans le périmètre d'une seule intercommunalité. C'est vous dire si ces syndicats dont le périmètre est celui de l'intercommunalité pourrait être absorbé par l'intercommunalité.

Il y a donc ici des gisements d'économies à retenir.

Je veux dire un mot des agents territoriaux dont je salue l'engagement. Je les connais bien. Au conseil général de l'Isère, comme ailleurs, ils font un travail parfois difficile dans le domaine social, parfois compliqué, dangereux, sur les routes et utile dans les collèges. Je veux saluer leur engagement professionnel et surtout les rassurer sur l'avenir. Aucun d'entre eux ne perdra son emploi.

La loi relative aux compétences prévoit des garanties pour les agents concernés par des transferts. La plupart d'entre eux ne perdra pas son emploi et le gardera là où il se trouve. Certaines fonctions de direction, peut-être également certaines fonctions supports, seront centralisées. L'immense majorité des agents territoriaux ne changera ni d'emploi, ni de statut, ni même de salaire. Simplement, la seule stabilisation de leurs effectifs permettrait de réaliser des économies, leur nombre ayant augmenté de 1,6 %, en moyenne chaque année, au cours des dernières années.

Je pourrais vous parler des normes auxquelles nous allons nous attaquer. Ces normes sont très contraignantes, lourdes à supporter pour les collectivités locales, et surtout, coûtent très cher. En quelques années, le coût des normes qu'il faut respecter dans les communes, les départements et les régions a explosé. Le Premier Ministre m'a chargé de m'atteler aux normes relatives aux collectivités locales. J'ai fait une communication en Conseil des ministres, en juillet dernier. Nous allons nous attaquer au flux des nouvelles normes mais également au stock des normes existantes. D'ici la fin de l'année, j'espère pouvoir présenter à la presse, aux élus et aux citoyens, une réduction tangible du nombre des normes applicables aux collectivités locales.

Concernant les économies budgétaires, les agents de la Direction générale des collectivités locales (DGCL), que j'ai interrogés, m'ont expliqué que dans dix ou quinze ans - à condition d'avoir réformé l'ensemble des strates (communes, intercommunalités, syndicats, départements et régions) - on pouvait espérer une économie comprise entre 5 et 10 % sur un budget consolidé global de 250 milliards d'euros.

Tel est le ratio utilisé pour fusionner des structures ou mutualiser des compétences : les économies obtenues sont à peu près toujours de cet ordre. Bien sûr, il faut avoir tout réformé et nous n'en sommes qu'au début. Bien sûr, ce n'est qu'une estimation (une approximation). 5 à 10 % sur un budget représentant 250 milliards, c'est beaucoup. Cependant c'est possible et c'est nécessaire si nous souhaitons dégager des marges de manoeuvre pour l'investissement et endiguer la hausse de la fiscalité locale.

Mesdames et Messieurs, j'en aurai terminé après vous avoir dit que, depuis des siècles, c'est toujours en réformant son organisation que la France a avancé. À la fin du Moyen Age, afin d'affermir la monarchie face aux féodalités, la France a créé l'État centralisé. À la fin du XVIIIème siècle, pour imposer la révolution face à l'ancien régime, elle a unifié l'administration de la République. À la fin du XIXème siècle, pour consolider la république face à l'église catholique, elle a inventé la démocratie locale. À la fin du XXème siècle, pour renforcer la démocratie locale face à l'État jacobin, elle a lancé la décentralisation.

Ces périodes de l'histoire de France nous parlent. Nous avons tous en tête l'image de Philippe Le Bel, premier grand roi centralisateur, puis celle des préfets (créés par Napoléon Bonaparte) ou celle du curé et de l'instituteur, qui étaient également secrétaires de mairie et qui rendaient aimables la République aux yeux de tous, et ce n'était pas facile. Sans oublier la décentralisation, dans les années 1980, avec Gaston Defferre.

C'est une nouvelle page de cette histoire, longue et belle, qu'il nous revient d'écrire aujourd'hui. La tâche est sans doute difficile.

À tous les scepticismes, je veux opposer notre détermination et à tous les conservatismes nous voulons opposer notre résolution. Les Français souhaitent cette réforme. La montée du vote protestataire, pour ne pas dire extrémiste, est aussi dû, en partie, à cette impatience des Français de voir des changements qui ont trop tardé à venir, que l'on annonce toujours - quel que ce soit le camp où l'on se trouve, surtout lorsque l'on est dans l'opposition - et qui ont toujours du mal à se concrétiser. Tous les grands pays d'Europe ont fait ou sont en train de mener leur réforme territoriale. La France ne peut plus attendre. Nous allons la faire.


Je vous remercie.


Source http://www.lecese.fr, le 26 septembre 2014