Les questions de la grossesse, de la maternité et de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) alimentent depuis longtemps en France le débat public et la production de lois. Le corps des femmes connaît cependant encore des zones d'ombre. L'ombre de la méconnaissance et des tabous, autour des menstruations. Cela a des répercussions sur un phénomène physiologique et une maladie connexe : la ménopause (l'arrêt des règles) et l'endométriose (avec pour principal symptôme, des règles douloureuses).
La vie des femmes se transforme à la survenue des premières règles, à la puberté. Les règles enclenchent un cycle mensuel, mais aussi un décompte à l’échelle de leur existence, puisque la fin des règles, liée à l'épuisement du stock d'ovules, marque l’entrée dans la ménopause – autant de sujets tabous et mal connus. Une femme en âge de procréer sur dix en France souffre d’endométriose, maladie gynécologique chronique.
Menstruations et ménopause sont considérées comme un "phénomène physiologique naturel", normal. L'endométriose, du domaine du pathologique, a des impacts largement sous-estimés – mais aussi tabous, du fait de son lien avec les règles. La maladie était il y a encore quelques années quasi inconnue du grand public, mal connue des professionnels de santé, et reste insuffisamment prise en charge.
De rares rapports parlementaires ou ministériels ont récemment tenté d'avancer sur ces questions :
- rapport sur les menstruations (2020, Assemblée nationale) ;
- rapport de proposition d'une stratégie nationale contre l'endométriose (2022, ministère des solidarités et de la santé) ;
- rapport d'information sur la santé mentale des femmes (2023, Assemblée nationale).
Les règles : entre questions de santé publique, d'éducation et d'égalité
Les règles sont un écoulement sanguin provenant de la muqueuse de l'utérus. Chaque mois, la muqueuse s'épaissit pour accueillir un ovule fécondé. Ce phénomène prépare une éventuelle grossesse. S'il n'y a pas eu fécondation par un spermatozoïde, la couche superficielle de la muqueuse utérine se détache et est éliminée par le vagin. La durée d'un cycle varie selon les femmes de 23 à 35 jours (Informations et conseils sur les règles de la jeune fille). L'apparition des règles est considérée comme normale entre 10 et 15 ans (comprendre les changements à la puberté).
La survenue de douleurs pendant les règles est appelée dysménorrhée. Les douleurs menstruelles peuvent :
- apparaître à l'adolescence et être en général sans gravité. Cela concerne 50% à 70% des adolescentes de façon permanente ou occasionnelle ;
- survenir à l'âge adulte et être liées à une maladie.
Dans la majorité des cas, les douleurs menstruelles s'atténuent ou disparaissent spontanément après quelques années ou une première grossesse.
Une question de santé publique et d'éducation
Le rapport sur les menstruations constate que les femmes ont une connaissance insuffisante des menstruations (cycle menstruel, produits de protection, dysménorrhées...).
Les rapporteures soulignent que ces sujets sont insuffisamment abordés dans les cadres scolaire et médical, considérés pourtant comme essentiels dans l'accès à l'information sur la santé et le corps humain.
Le rapport préconise d'aborder le sujet dès la classe de sixième et non en quatrième, la plupart des jeunes filles ayant leurs règles avant. Une approche plus large (c'est-à-dire pas seulement en cours de sciences de la vie et de la Terre) doit permettre, notamment, de déconstruire le tabou social et de dissocier ce sujet de l'éducation à la sexualité.
Cette information doit s'adresser aussi aux garçons, dans le cadre plus général du respect d'autrui.
Les protections menstruelles
Il existe deux catégories de protections intimes ou périodiques :
- les protections internes :
- les tampons (utilisés par 60% à 80% des Françaises, usage unique) ;
- les coupes menstruelles (réutilisables) ;
- les protections externes :
- les serviettes hygiéniques (usage unique ou lavables) ;
- les protège-slips (usage unique ou lavables) ;
- les culottes de règles (lavables).
En 2018, une évaluation de la sécurité des produits de protections intimes de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a révélé la présence de produits chimiques dans ces produits, sans dépassement des seuils sanitaires (dioxines, glyphosate...).
Les experts de l'Anses n'en concluent pas pour autant à l'innocuité totale de ces produits. Les effet des perturbateurs endocriniens et des sensibilisants cutanés n'ont pas été pris en compte, et les informations manquent sur les auxiliaires de fabrication (colles, parfums, encres…)
Si les taux sont faibles, il est étonnant que la composition des produits d'hygiène féminine n'ait jamais auparavant suscité d'inquiétudes particulières.
En outre, le port de protections internes peut provoquer, dans de rares cas, un syndrome de choc toxique (SCT). Le SCT peut être difficile à diagnostiquer du fait de sa rareté et de symptômes pouvant correspondre à d'autres maladies (fièvre de 38,9 °C ou plus, céphalées, vomissements, diarrhée…).
Selon un professionnel de santé interrogé par les rapporteures, sur les cas de SCT, "20% des femmes rentrent chez elles sans avoir compris ce qui leur est arrivé, sans avoir compris la maladie et continuent ensuite d’utiliser des tampons de la même manière".
Des questions d'égalité et de précarité menstruelle
En France, 15,5 millions de femmes âgées de 13 à 50 ans achètent des protections menstruelles. Les femmes ont, en moyenne, leurs règles pendant 38 années. Cela représente à l'échelle d'une vie :
- 2 280 jours de menstruations ;
- 11 400 protections ;
- entre 8 000 et 23 000 euros.
L'accès aux protections et "un enjeu de dignité humaine". La précarité menstruelle concerne en France 1,7 million de femmes. Leur niveau de vie ne leur permet pas d'acquérir les protections menstruelles nécessaires. Les femmes les plus précaires, notamment les sans-abri, ont recours à des protections de fortune pour gérer leur flux sanguin menstruel.
Le rapport recommande une vigilance accrue concernant les lieux de privation de liberté.
La lutte contre la précarité menstruelle passe aussi par les collèges, lycées et universités, afin de garantir l'égalité des chances. Deux problématiques apparaissent :
- l'accès ponctuel à des protections en cas de besoin ;
- la précarité à laquelle sont confrontées certaines jeunes femmes.
Il n'est en effet pas possible d'assister à un cours lorsqu'on a ses règles mais pas de protection menstruelle. Offrir à chaque élève des conditions de scolarité convenable est une question d'égalité des chances.
L'égalité est un principe à valeur constitutionnelle. La loi "doit être la même pour tous", selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Mais ce principe ne s'applique pas de façon stricte dans tous les domaines. Des dispositifs économiques, éducatifs ou sociaux existent afin de "compenser un handicap individuel, social ou géographique" (principe d'égalité) : bourses d'études, exonération d'impôt, etc.
Toutefois, une lycéenne dont les règles surviennent durant les épreuves du baccalauréat sera désavantagée par rapport aux autres candidats (gêne, douleurs, difficultés de concentration…). Alors que le phénomène physiologique des règles concerne potentiellement la moitié des élèves et est connu, aucune solution n'existe afin de compenser ce désavantage.
D'autres domaines ignorent pareillement la question des règles : monde du travail, compétitions sportives, etc. Si on parle ici d'un phénomène physiologique naturel, le respect du principe d'égalité voudrait que la question des règles soit réellement prise en compte à tous les niveaux de la société.
Selon le site Ameli.fr, les douleurs lors des règles sont la première cause d'absentéisme scolaire de l'adolescente et d'absentéisme professionnel de la jeune femme.
Des propositions de loi visant à prendre en compte la santé menstruelle des salariées (congé menstruel, accès à des toilettes adaptées) ont été déposées, mais elles n'ont pour l'instant pas été adoptées. Des employeurs commencent cependant à accorder des congés menstruels aux femmes qui souffrent de règles douloureuses (mairie de Saint-Ouen, métropole de Lyon...). Par ailleurs, pour la première fois, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoit le remboursement des protections périodiques réutilisables pour les femmes de moins de 26 ans et pour les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S).
L'endométriose : une maladie mal connue qui touche pourtant une femme sur dix
Selon le site de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'endométriose est une maladie gynécologique chronique qui concerne 10% des femmes. Cette proportion monte à 40% parmi les femmes souffrant de douleurs pelviennes chroniques. La majorité des cas sont observés chez les femmes âgées de 25 à 49 ans (68,3%).
Une maladie fréquente sans traitement curatif
Selon le rapport sur la stratégie nationale contre l'endométriose, le symptôme cardinal de cette maladie est la douleur. Elle se retrouve chez 70% des femmes atteintes, apparaît généralement à l'adolescence et s'intensifie avec le temps.
Il y a divers symptômes douloureux :
- les dysménorrhées, parfois intenses et invalidantes (75% à 90% des cas) ;
- les dyspareunies (douleurs ressenties durant les rapports sexuels, 35% à 50% des cas).
Entre 30% et 40% des femmes atteintes d'endométriose ont des problèmes de fertilité.
Le rapport sur l'endométriose souligne que "cette pathologie féminine est victime des stéréotypes, des clichés autour d'un processus naturel : les menstruations".
Ces éléments expliquent le retard diagnostique quasi systématique, en moyenne de sept ans, à l'origine d'une évolution silencieuse et souvent irréversible de la maladie. L'Inserm rappelle par ailleurs qu'il n'existe pas de dépistage de la maladie en population générale. La maladie n'est recherchée que lorsque des patientes en présentent les symptômes.
Depuis février 2025, un test salivaire entièrement pris en charge est expérimenté auprès de 25 000 femmes afin de faciliter et d'accélérer le dépistage de l'endométriose. Cet "Endotest" est disponible dans 80 centres participant à l'étude. Début avril 2025, un arrêté devrait ajouter 20 centres supplémentaires.
Il n'existe pas de traitement curatif pour guérir l'endométriose. Les options thérapeutiques sont circonscrites à l'amoindrissement des douleurs.
Un impact social et économique
Le rapport précité rappelle que l'endométriose influe sur tous les domaines de la vie sociale des femmes qui en sont atteintes. Cette maladie chronique détériore leur qualité de vie : douleurs intenses, voire invalidantes, fatigue, dépression, anxiété, infertilité… Cela peut se traduire par des absences à l'école, de l'absentéisme au travail, la perte de l'emploi, l'évitement ou l'interruption des rapports sexuels.
Le coût économique est important :
- coûts liés au retard diagnostique ;
- coûts directs liés à la prise en charge (traitements antalgiques, oestro-progestatifs, chirurgie, infertilité) ;
- coûts indirects liés aux répercussions de la douleur chronique (vies quotidienne et professionnelle).
En 2024, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) a publié un guide à destination des membres du management, des ressources humaines et des directions abordant la question de la prise en compte de l'endométriose en entreprise.
Selon l'Anact, adapter l'organisation du travail pour mieux prendre en compte les effets de l'endométriose constitue des enjeux de santé, tant individuelle que publique, d'égalité professionnelle femmes-hommes, mais aussi d'efficacité pour les entreprises. Les solutions préconisées sont le recours au télétravail, l'octroi de jours de congés supplémentaires, l'aménagement des horaires, du poste, de l'activité et le renforcement du soutien managérial dans le respect du secret médical. Ces mesures devraient s'inscrire dans une démarche collective de l'entreprise (accords, plans d'action…).
Une priorité en termes de santé publique
La France a mis en place en 2022 une stratégie nationale de lutte contre l'endométriose qui favorise la recherche médicale, la mise en place de filières territoriales adossées à des centres de référence, la réduction du retard de diagnostic et une meilleure prise en charge de la douleur.
L'endométriose n'est toutefois pas intégrée à la liste des affections de longue durée, sauf pour les formes les plus sévères.
L'endométriose, qui se développe durant toute la période d'activité génitale, est une des maladies qui sont améliorées par la chute hormonale observée après la ménopause. En général, l'endométriose diminue et disparaît après la ménopause.
La ménopause : entre problèmes de santé plus fréquents et invisibilisation sociale
La ménopause est définie comme l'arrêt des règles (ou aménorrhée) depuis plus d'un an, sans cause identifiée, survenant entre 45 et 55 ans. Cette phase naturelle correspond à l'arrêt du fonctionnement des ovaires, après lequel une femme ne peut plus avoir d'enfant.
Selon le site de l'Assurance maladie, Ameli.fr, les problèmes potentiels liés à la ménopause sont de deux types :
- les symptômes (insomnie, fatigue, irritabilité, bouffées de chaleur…) ;
- le risque augmenté de certaines maladies (ostéoporose, maladies cardio-vasculaires).
D'après le site de l'Inserm, 87% des femmes présentent au moins un symptôme de ménopause en plus de l'arrêt des règles et 20% à 25% souffrent de troubles sévères affectant leur qualité de vie.
Une phase naturelle, des symptômes
Les œstrogènes produits par l'organisme des femmes jouent un rôle clé dans la fonction reproductive. L'Inserm rappelle aussi leur rôle dans tous les tissus du corps humain (système cardio-vasculaire, tissu osseux, tissu cérébral).
La diminution du taux d'œstrogènes entraîne celle des bénéfices physiologiques qu'apportent ces hormones, avec les conséquences suivantes (augmentation du risque de maladies cardio-vasculaires, exposition à une perte osseuse...).
La ménopause est souvent précédée de la périménopause qui se manifeste par des règles irrégulières et/ou abondantes, des bouffées de chaleur, des sueurs nocturnes, des troubles génito-urinaires (sécheresse vulvo-vaginale)…
Certains de ces symptômes, aussi appelés troubles climatériques, sont transitoires et s'arrêtent après quelques années. Un quart des femmes les déplorent encore au bout de dix ans, selon l'Inserm, quand certaines ne sont pas concernées par ces troubles.
Des conséquences sur le bien-être physique, émotionnel et social
Le rapport sur la santé mentale des femmes met en avant des différences de prévalence des troubles de la santé mentale entre les femmes et les hommes. Ces différences se manifestent à toutes les périodes de la vie : premières règles, grossesse et maternité (qui est souvent considérée comme l'aboutissement du rôle qui est assigné aux femmes), mais aussi ménopause.
La perception stéréotypée de la femme ménopausée est "préalable à [une] invisibilisation des femmes seniores". Elle est, selon le rapport, souvent décrite sur le fondement d'une culture patriarcale qui ne tient pas compte de la réalité de ce que vivent les femmes.
Cette analyse ne doit toutefois pas occulter les conséquences que peuvent avoir les changements hormonaux sur le bien-être physique et émotionnel (maux de tête, fatigue, insomnie, irritabilité, anxiété).
Les femmes restent souvent seules face à ces changements, le sujet étant encore largement tabou.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), "le soutien social, psychologique et médical pendant la transition vers la ménopause et après celle-ci devrait faire partie intégrante des soins de santé". De nombreux gouvernements ne disposent pas de politique de santé ni de financement permettant les services de diagnostic, conseil ou traitement liés à la ménopause.
La députée Stéphanie Rist rappelle toutefois dans son rapport sur la ménopause en France qu'"avec l’arrêt des règles, la fin du souci de la contraception ou les enfants qui grandissent, la ménopause est pour beaucoup synonyme de liberté". Pour 17 millions de femmes, c'est une nouvelle phase de vie qui commence.
La ménopause pourrait être une chance si une plus grande considération collective y était attachée. Le tabou persiste et pèse lourd, la promesse d'égalité républicaine n'est pas une réalité pour toutes (notamment inégalités sociales ou territoriales). La santé des femmes de plus de 45 ans est largement oubliée et les représentations associées à une perte de valeur.
Les employeurs sont extrêmement peu mobilisés et devraient s'engager pour améliorer l'environnement de travail des femmes à la ménopause.