Dans un arrêt rendu le 24 avril 2025, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France pour manque de protection effective de mineures ayant déposé plainte pour viol.
La CEDH avait été saisie par trois mineures, âgées de 13, 14 et 16 ans au moment des faits qu'elles ont dénoncés auprès des autorités françaises. Après un traitement de leur affaire considéré inadéquat par les requérantes et des procédures extrêmement longues, les juridictions françaises n'avaient pas conclu à la culpabilité des mis en cause.
Absence de prise en compte de la vulnérabilité des victimes mineures
La CEDH conclut à la violation de plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, notamment l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants et le droit au respect de la vie privée.
Concernant la qualification des viols dénoncés, la réalité du discernement et du consentement des requérantes n'a pas été correctement évaluée. Les autorités internes n'ont pas suffisamment pris en considération :
- la situation de particulière vulnérabilité dans laquelle se trouvaient les victimes, notamment en raison de leur jeune âge, ainsi que d'un état de fragilité psychologique et médicale pour l'une d'elles ;
- les effets des circonstances environnantes (par exemple, une forte alcoolisation).
La Cour condamne par ailleurs la France en raison de la victimisation "secondaire" subie par l'une des requérantes. La CEDH relève que celle-ci a dû faire face à "des propos culpabilisants, moralisateurs et véhiculant des stéréotypes sexistes propres à décourager la confiance des victimes dans la justice". En ce sens, les autorités internes ont été à l'origine d'une discrimination fondée sur le sexe.
Qu'est-ce que la victimisation "secondaire" ?
La victimisation "secondaire" désigne la reproduction par les autorités nationales de stéréotypes sexistes dans les décisions prises et/ou la minimisation des violences sexuelles et sexistes rapportées. On parle de victimisation "secondaire" car ce traitement s'ajoute aux violences subies et dénoncées auprès des autorités. Cette notion avait déjà été employée par la CEDH en 2023, à l'encontre de la Russie. C'est la première fois que la France est condamnée sur ce fondement.
Lenteur, manque de diligence et insuffisances du système pénal
Dans deux des affaires, la Cour relève des défaillances procédurales :
- lenteur des procédures : pour l'une des requérantes, presque 12 ans se sont écoulés entre le dépôt de sa plainte et la décision de la Cour de cassation ;
- manque de diligence des autorités, qui n'ont pas suffisamment enquêté ni sanctionné les auteurs des viols ;
- un système pénal insuffisamment apte à réprimer les actes sexuels non consentis.
Dans la définition pénale française actuelle du viol, la notion de consentement ne figure pas. Le viol ne peut être caractérisé qu'en cas de "violence, contrainte, menace ou surprise" exercée par son auteur (article 222-23 du code pénal). Dans son arrêt, la CEDH rappelle à la France que "le cadre juridique européen et international plaide en faveur d'une référence claire à la notion de libre consentement pour réprimer le viol et les agressions sexuelles". Elle précise que "le consentement doit traduire la libre volonté d'avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances". La Cour avait déjà conclu en ce sens dans un arrêt du 23 janvier 2025 condamnant la France pour un divorce prononcé pour manquement au "devoir conjugal".
Une proposition de loi en cours d'examen au Parlement prévoit d'introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol.