L'évolution de la définition du viol (de 1980 à aujourd'hui)
L'ancien code pénal de 1810 n'incriminait pas spécialement le viol. Il l'assimilait à l'attentat à la pudeur (ancien article 331). Les infractions sexuelles constituaient des attentats aux mœurs sans que le viol ne soit distingué des autres atteintes sexuelles. La loi du 28 avril 1832 a prévu pour la première fois une infraction spécifique, mais sans la définir (le texte prévoyait simplement la peine encourue). Il appartenait au juge et à la doctrine de préciser ce qu'était un viol. L'infraction visait alors "la conjonction charnelle d'un homme avec une femme, contre le gré ou sans le consentement de celle-ci" (Vitu, 1982). Pendant 170 ans, le viol a donc été restreint au coït imposé par un homme à une femme par violence ou par contrainte et en dehors des liens du mariage.
Avec la loi du 23 décembre 1980 le viol est défini pour la première fois. Il s'agit alors de "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte ou surprise". Le législateur a élargi le domaine du viol (qui n'est plus limité au seul coït) et fait disparaître les références au sexe biologique des auteurs et des victimes. C'est cette définition qui est reprise dans le nouveau code pénal (article 222-23 du code pénal), qui y ajoute simplement le viol commis par menace. Depuis la loi a été plusieurs fois modifiée, toujours pour étendre davantage le champ de l'infraction et créer de multiples circonstances aggravantes.
C'est d'abord la question du viol conjugal qui a préoccupé le juge pénal, puis le législateur. La jurisprudence a considéré dès 1990 que le mariage ne pouvait plus justifier qu'un conjoint impose à l'autre des rapports sexuels non consentis. La loi du 4 avril 2006 a consacré la solution, en exigeant cependant que la présomption de consentement, née du mariage, soit renversée par une preuve contraire. Avec la loi du 9 juillet 2010, cette présomption de consentement a finalement été supprimée (article 222-22 alinéa 2 du code pénal) : tout acte de pénétration sexuelle imposé à autrui par un auteur constitue un viol, quels que soient les liens qui unissent l'agresseur et sa victime.
Le juge pénal s'est ensuite interrogé sur la notion de pénétration sexuelle. Il était classiquement admis que le viol suppose un acte de pénétration par le sexe de l'auteur (peu importe la partie pénétrée du corps de la victime) ou dans le sexe de la victime (peu importe le moyen de pénétration utilisé). Dès 1994, la jurisprudence a admis qu'une pénétration par un objet dans l'anus de la victime pouvait constituer un viol dès lors qu'elle s'accompagne d'une connotation sexuelle. Puis elle a intégré les actes de fellation qu'ils soient imposés à celui qui les subit ou à celui qui les pratique (1997 et 2001). La loi du 3 août 2018 a entériné ces solutions en prévoyant que tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d'autrui "ou sur la personne de l'auteur" par violence, contrainte, menace ou surprise caractérise l'infraction de viol.
À cette définition du viol, la loi du 21 avril 2021 a ajouté tout acte bucco-génital, effaçant au passage la distinction traditionnelle entre le crime de viol (exigeant jusqu'alors une pénétration sexuelle) et le délit d'autres agressions sexuelles (prohibant toutes les autres agressions sexuelles sans pénétration). Ainsi les cunnilingus imposés, y compris sans pénétration de la langue, sont entrés dans le champ d'application du viol. Le viol est aujourd'hui défini comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise".
Sensible aux difficultés probatoires rencontrées pour les victimes mineures, spécialement pour les notions de contrainte et de surprise, la loi du 21 avril 2021 a par ailleurs créé une infraction autonome de viol sur les mineurs âgés de moins de 15 ans lorsque l'auteur majeur a au moins 5 ans de plus que sa victime. Le nouveau texte élude les notions de violence, contrainte, menace ou surprise (qui ne doivent plus être questionnées en pratique). Si les conditions d'âge (de la victime et l'écart avec le majeur) sont réunies, toute pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital constitue un viol (article 222-23-1 du code pénal), même si la victime a consenti aux actes.
Pourquoi un nouveau changement de définition ?
Ces modifications de la définition du viol ont déjà considérablement étendu le champ d'application du texte depuis 1980. Pourtant la question d'une nouvelle réécriture se pose à nouveau aujourd'hui. Deux raisons principales le justifient : mieux prévenir les viols et mieux les réprimer.
Sont surtout avancés :
- les chiffres de classements sans suite (soit la décision du ministère public de ne pas poursuivre les faits, souvent faute de preuves suffisantes) ;
- le nombre de victimes ne déposant pas plainte (autrement appelé le "chiffre noir de la délinquance", estimé à défaut de pouvoir être déterminé avec précision) ;
- la situation où la victime n'a pas réagi à l'agression sexuelle (par peur, sidération ou autre) pour laquelle la contrainte ou la surprise peuvent être difficiles à caractériser.
Plusieurs pistes sont apparues, comme celle d'inclure dans les éléments constitutifs du viol le retrait furtif et non consenti du préservatif durant un rapport sexuel, ou encore le fait de dissimuler être porteur d'une maladie sexuellement transmissible. Mais c'est l'intégration du non-consentement de la victime dans la définition du viol qui concentre toutes les attentions ces dernières années. Plusieurs propositions de loi ont été déposées et des études les appuyant ont été rendues publiques (notamment le rapport d'information de la délégation aux droits des femmes déposé au Sénat en décembre 2024). Le président de la République (8 mars 2024) et le garde des Sceaux (27 septembre 2024) se sont prononcés en faveur de cette modification.
Que contient la dernière proposition de loi (n°842 enregistrée le 21 janv. 2025) ?
Il est envisagé que les agressions sexuelles en général se définissent par le non-consentement de la victime. Le texte suggère de faire des notions de violence, contrainte, menace ou surprise des situations dans lesquelles il y a assurément absence de consentement. S'ajoutent ensuite les caractéristiques de ce consentement (libre et éclairé), l'interdiction de déduire le consentement de la victime de son comportement (son silence ou son absence de résistance), la possibilité pour la victime de retirer son consentement avant ou pendant l'acte sexuel et la nécessité pour les juges d'apprécier l'absence de consentement au regard des circonstances environnantes.
La France pourrait être contrainte de changer sa définition du viol pour y introduire une référence au consentement de la victime du fait de la Convention du 11 mai 2011 du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite "Convention d'Istanbul", qu'elle a ratifiée le 4 juillet 2014. Le texte prévoit que les parties à la convention doivent intégrer "la notion d'absence de libre consentement" dans la définition des agressions sexuelles. Il précise toutefois que les États peuvent décider de la formulation exacte de leurs lois "et des facteurs considérés comme exclusifs d'un consentement libre", créant dès lors une controverse sur l'obligation ou non pour la France de modifier sa définition du viol.
Le groupe d'experts chargé de la mise en œuvre par les États partie à la Convention d'Istanbul (GREVIO) a dénoncé en 2019 des "lacunes importantes" dans les lois françaises, notamment du fait de l'absence de référence au consentement des victimes. La France a pourtant depuis refusé la directive proposée le 8 mars 2022 par la Commission européenne visant à harmoniser les législations des 27 pays de l'Union européenne autour d'une définition commune du viol basée sur le consentement (L'Allemagne, les Pays-Bas, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie se sont également opposés à l'adoption du texte).
Et la définition du viol dans les pays voisins ?
Sur les 27 États membres de l'Union européenne, 22 pays ont ratifié la Convention d'Istanbul. Sur ces 22 pays, 15 ont aujourd'hui une définition du viol reposant sur l'absence de consentement de la victime : Allemagne, Belgique, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède.
Sept États membres signataires de la Convention ne définissent toujours pas le viol en référence au consentement de la victime : Autriche, Estonie, France, Italie, Lettonie, Pologne et Roumanie. À leurs côtés figurent les cinq États membres de l'Union européenne qui n'ont pas ratifié la Convention d'Istanbul : Bulgarie, Hongrie, Lituanie, Slovaquie et République tchèque.
Au-delà du symbole, l'indifférence au consentement de la victime et/ou la méconnaissance de la notion dont font preuve parfois les auteurs de viol, tragiquement au cœur de l'affaire "des viols de Mazan" (une cinquantaine d'hommes jugés pour le viol de Gisèle Pélicot, inconsciente au moment des faits car droguée par son mari), confortent également le besoin de changement. Ces viols peuvent déjà être réprimés, mais en exprimant plus clairement ce qui existe déjà implicitement, la réécriture du viol ambitionne une meilleure prévention des viols et souhaite conférer à la loi pénale une fonction pédagogique.
Les craintes d'un changement de définition
Changer la définition du viol en référence au consentement de la victime soulève des débats juridiques, mais aussi politiques et sociétaux : l'initiative en cours divise. À l'argument selon lequel il n'appartiendrait pas à la loi pénale d'éduquer le citoyen, sont ajoutées plusieurs réserves, voire des objections par certains. Revoir la définition du viol pourrait faire naître plus de difficultés qu'il n'y paraît.
Est d'abord avancée l'inutilité d'un tel changement. Si le mot consentement n'a jamais été formellement inscrit dans la lettre de la loi, il distingue d'ores et déjà les relations sexuelles du viol. En filigrane de l'interdit, le comportement de l'auteur de l'infraction (le modus operandi) implique l'absence de consentement de la victime. La violence, la contrainte et la menace forcent le consentement, là où la surprise trompe le consentement. Et la souplesse des termes permet déjà au juge de retenir la passivité de la victime (l'état de sidération de la victime peut caractériser une agression sexuelle commise par surprise depuis une décision du 11 septembre 2024). Il n'est alors pas assuré que la nouvelle définition permette de condamner plus de situations qu'aujourd'hui.
C'est ensuite l'absence de définition du consentement en droit pénal qui interroge. Peu d'infractions renvoient à la notion de consentement (tel est le cas des atteintes à la vie privée des articles 226-1 et suivants du code pénal) et sans le préciser. Certains envisagent d'emprunter la définition au droit civil. Mais le consentement en matière contractuelle semble très éloigné du consentement à une relation sexuelle : quels critères devrait-on retenir pour le caractériser ? Qu'en sera-t-il de l'exigence de textes clairs et précis induite par le principe de légalité criminelle ?
Pourquoi insérer l'absence de consentement dans la loi espagnole n'a pas eu les résultats escomptés ?
En octobre 2022, avec la loi dite "Solo si es si" ("seul un oui est un oui"), le viol se définit par l'absence de consentement de la victime. Il n'existe alors plus qu'un seul texte d'incrimination qui réunit les anciennes infractions d'agression sexuelle (exigeant que l'auteur ait eu recours à la violence ou à l'intimidation) et d'abus sexuel (applicable dans les autres cas). Pour demeurer cohérent aux vues de la diversité des comportements désormais visés, la peine encourue est moins élevée que celle auparavant prévue pour les agressions sexuelles (incluant les viols). Des demandes de révision des peines ont alors été présentées et obtenues par des condamnés (y compris pour viol) souhaitant bénéficier de la situation pénale nouvelle plus douce (ainsi éligibles plus tôt aux aménagements de peine, ces condamnés ont recouvré plus vite la liberté). Moins d'un an après son entrée en vigueur, une nouvelle loi a été déposée le 26 avril 2023 pour tenter de pallier ces difficultés.
Les plus vives critiques portent sur les conséquences de la nouvelle définition sur la preuve. La charge de la preuve pèse sur la partie poursuivante, c'est-à-dire le ministère public. Aujourd'hui celui-ci doit démontrer l'emploi par l'auteur d'au moins l'un des procédés visés par la loi (la violence, la contrainte, la menace ou la surprise qui sont des faits objectifs et extériorisés). Les difficultés probatoires proviennent principalement du fait que l'infraction se déroule dans l'intimité, ce qui ne favorise pas la collecte de preuves suffisantes et explique le faible taux de condamnations (l'absence de certitude sur la culpabilité empêchant de condamner en application de la présomption d'innocence).
Demain, le ministère public devrait d'abord établir la relation sexuelle (la pénétration sexuelle ou l'acte bucco-génital), puis l'absence de consentement de la victime. Non seulement cette dernière paraît presque impossible à prouver (le for intérieur de la victime est un fait subjectif), mais elle conduirait à une concentration de la preuve sur la victime. L'accumulation d'interrogatoires et d'investigations pèse déjà sur les victimes, les personnes poursuivies invoquant le consentement de la victime comme principal moyen de défense. Le phénomène risquerait de s'amplifier et, sur ce point, la nouvelle définition du viol pourrait s'avérer défavorable aux victimes.
Il appartiendrait également au ministère public d'apporter la preuve que l'auteur a agi volontairement et qu'il avait conscience du non-consentement de la victime (soit l'élément moral de l'infraction). La démonstration pourrait reposer sur le recours par l'auteur à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Mais ces moyens devenant une simple éventualité, en leur absence, quel élément pourrait bien être apporté ? Poursuivre et condamner sera-t-il vraiment plus facile ?
Le fait d'insérer l'absence de consentement dans la définition du viol pourrait également être considéré comme contraire à la Constitution. S'il a pour effet de conférer une place centrale à la parole de la victime, dès lors qu'elle affirmera ne pas avoir été consentante, il incombera à la personne poursuivie d'apporter la preuve contraire pour se défendre. Les difficultés probatoires liées à la clandestinité des viols glisseraient ainsi du ministère public vers le suspect (qui ne dispose pas des mêmes moyens d'investigation) : pourrait-il réussir ? Seul le Conseil constitutionnel pourrait assurer, à l'avenir, qu'il ne faut pas en déduire une présomption de culpabilité, interdite par la présomption d'innocence s'il est impossible de la renverser.
Le risque d’un bouleversement des rapports humains parachève les critiques. Introduire l’absence de consentement dans la définition du viol pourrait inciter les individus à l’avenir à contractualiser leurs relations intimes, notamment pour pouvoir produire une preuve du consentement de leur partenaire lors d’un éventuel procès. Un tel accord préalable influencerait nécessairement la preuve de l’infraction : si un consentement (surtout écrit) est donné, comment serait accueillie la parole d’une victime qui affirmerait l’avoir ensuite retiré ? La question de la pertinence du recours à un contrat pour régir des relations sexuelles se pose également : faudra-t-il à l'avance déterminer chaque acte (on peut consentir à certains gestes mais pas à d'autres) et chaque modalité de réalisation admise ou non ? Enfin, qu’en serait-il du chantage à l’accusation de viol qui pourrait s’accroître du fait de l’introduction de l’absence de consentement dans la définition pénale du viol.
Les besoins de changements
Séduisant en apparence, le fait d'introduire l'absence de consentement dans la définition du viol pourrait ne pas représenter, en l'état actuel des propositions, la solution tant espérée pour parfaire la prévention et la répression des viols. Ces objectifs ne doivent pas conduire à un empressement législatif au risque de créer de nouvelles difficultés. Il conviendrait de prendre davantage en considération les inconvénients de l'insertion du non-consentement pour essayer de les parer. La qualité de la loi pénale et la sécurité juridique l'imposent.
Il faut en outre opérer une distinction fondamentale entre le contenu d'une loi et son application. Si la légistique n'est pas au rendez-vous, il est à craindre une interprétation restrictive des magistrats (rappelée dans la note du syndicat de la magistrature de décembre 2024), elle aussi susceptible de produire des effets fâcheux. La loi espagnole de 2022 sur le consentement l'illustre (elle a dû être corrigée rapidement car elle a mené au prononcé de nombreuses réductions de peine accordées à des délinquants sexuels qui ont conduit à des libérations anticipées).
Du reste, il est possible de douter qu'un changement de définition – même plus mature et plus abouti – puisse produire les résultats escomptés. Il est certain qu'à lui seul, il ne suffira pas. Au changement de loi doit s'additionner un changement des pratiques. Pour preuve, les extensions passées du champ d'application de l'infraction n'ont pas permis d'augmenter le nombre des condamnations, bien au contraire (passé de 1 687 en 2003 à 1 304 en 2023, alors que le volume des plaintes ne cesse de croître). D'autres facteurs devraient être pris en considération tels que le manque de moyens alloués à la justice (qui engendre des procédures pénales très longues et des correctionnalisations) et à l'enquête, ainsi que l'insuffisance de formation spécifique des acteurs (policiers, gendarmes, avocats et magistrats).
Enfin, la lutte contre ce que certains appellent "la culture du viol" implique de revoir la manière d'éduquer (les plus jeunes notamment) à la sexualité. Cela commence par des explications simples sur les enjeux qui se jouent ici.