Réunis au sein d'une commission d'enquête parlementaire, les élus ne rendent pas la justice, mais assurent une fonction de contrôle consistant essentiellement à demander des comptes et à produire un rapport. La terminologie ne doit pas tromper : l'enquête parlementaire n'a rien à voir avec l'enquête judiciaire. Une commission d'enquête n'est pas comparable à un tribunal parlementaire en dépit des moyens qui lui sont accordés (les membres d'une commission sont habilités à enquêter "sur pièces et sur place" à l'instar d'un magistrat instructeur), du cérémonial des auditions (toute personne convoquée à une commission est tenue d'y comparaître avec l'obligation "de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité") et des sanctions pénales infligées en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin (de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amendes selon les articles 434-13 à 434-15 du code pénal).
Un pouvoir d'enquête ancien accordé aux parlementaires
Si – traditionnellement – le Parlement vote la loi et donne son consentement à l'impôt, la fonction de contrôle qu'il exerce s'avère tout aussi fondamentale. Le principe est tôt inscrit dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen en 1789 : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration" (art. 15). L'obligation de rendre compte s'est rapidement étendue au sein des assemblées politiques dans les commissions permanentes et dans des commissions spéciales. Ces dernières, appelées commissions d'enquête ou commissions d'information, apparaissent sous la monarchie de Juillet puis se développent sous la IIe République.
Le pouvoir d'enquête des parlementaires s'est considérablement renforcé sous la IIIe République au sein des grandes commissions (commission de l'armée, commission du budget, commission des affaires étrangères). La loi du 23 mars 1914 renforce les prérogatives des élus en prévoyant des sanctions pénales pour les personnes refusant de comparaître, de prêter serment ou ayant délivré de faux témoignages. Des députés réunis en commission permanente disposant de prérogatives de contrôle ont pu conduire des investigations et des auditions sur la conduite de la Grande Guerre. Leurs conclusions conduiront, par exemple, à la révocation, en octobre 1915, du ministre de la Guerre, Alexandre Millerand. Dans les années 1920-1930, les "affaires" donneront lieu à une intense activité de ces commissions. Le 16 février 1934, deux commissions d'enquête accableront la République radicale en dénonçant la corruption de l'État : l'une consacrée à l'affaire Stavisky (un scandale politico-financier ayant éclaté en janvier 1934) et l'autre aux événements du 6 février 1934 (manifestation antiparlementaire de droite et d'extrême droite faisant une quinzaine de morts et plus de 1 500 blessés). Bien que dépourvues de pouvoir judiciaire, elles mettront en lumière les scandales et permettront à la justice de poursuivre et de condamner une vingtaine de hautes personnalités.
La méfiance du pouvoir exécutif à l'égard des commissions d'enquête
Expression de la puissance parlementaire face à l'exécutif, la commission d'enquête est strictement encadrée par les constituants de la Ve République. La volonté du général de Gaulle est de restaurer la puissance de l'État, et en particulier celle du chef de l'État et du Gouvernement, en affaiblissant le Parlement. Dans ces conditions, tout est fait pour limiter le pouvoir des commissions.
La limitation est d'abord juridique. L'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires rappelle que les commissions d'enquête "peuvent être éventuellement créées […] pour recueillir des éléments d'information […] sur des faits déterminés […] et soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées" (art. 6). Mais ce texte vient immédiatement circonscrire le périmètre du contrôle en précisant "[qu'il] ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours […]". De plus, il n'est pas possible à une commission de chercher à déstabiliser l'exécutif.
En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, la commission ne peut pas engager la responsabilité du gouvernement. Il en est de même du chef de l'État comme l'a rappelé la commission d'enquête dans l'affaire Benalla (2020), où la question de l'audition du président de la République pour comprendre les dysfonctionnements internes de l'Élysée a été rapidement évacuée. En outre, les règlements des assemblées, contrôlés par le Conseil constitutionnel, rappellent qu'une commission d'enquête n'est qu'un organe temporaire (sa durée ne saurait excéder six mois) constitué par le vote d'une résolution de l'Assemblée et composé d'une trentaine d'élus au maximum représentants l'ensemble des forces politiques réparties de façon proportionnelle. Autrement dit, la majorité d'une assemblée peut s'opposer à sa création puisque celle-ci suppose un vote.
La limitation des commissions d'enquête tient aussi à des considérations politiques. Pendant très longtemps, le droit d'enquêter a été neutralisé à l'Assemblée nationale par la majorité parlementaire gaulliste qui voyait dans cette prérogative une atteinte aux principes de la Ve République. Durant les premières années du régime, seul le Sénat lance ponctuellement des commissions sur l'Algérie (1961), sur "mai 1968" (1969) ou sur l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) (1970). Le Palais-Bourbon attendra la présidence de Valéry Giscard d'Estaing pour conduire des enquêtes dans le domaine économique (par exemple sur la situation de l'énergie en France, en 1974). La loi du 19 juillet 1977 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires établira la règle de la publication du rapport. Cette nouveauté n'entraînera pas pour autant un développement immédiat de cet outil de contrôle. Il faudra attendre les années 1990 pour voir la création de commissions sur des sujets de société. Entre 1995 et 2002, les députés s'intéressent à des thèmes sensibles comme les sectes (1995), l'utilisation des fonds publics en Corse (1998) ou les prisons (2000).
Les scandales, le tournant médiatique des années 2000
La crise sanitaire dite "de la vache folle" va totalement modifier la perception des commissions d'enquête. Créée par une résolution du Sénat le 20 novembre 2000, la commission sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs est la première à proposer de rendre public ses travaux, en particulier ses auditions. Sur un sujet de santé publique, les sénateurs cherchent à comprendre – avec difficulté – la chaîne de décisions qui a conduit à l'importation en France de farines contaminées et interdites en Grande-Bretagne et à leur utilisation pour nourrir les animaux. À l'issue de ses travaux, la commission remet un rapport qui souligne la nécessité de consacrer le principe de précaution et propose de revoir les dispositifs d'étiquetage pour protéger les consommateurs.
La commission sur les dysfonctionnements de la justice dans l'affaire d'Outreau (2005), créée à l'Assemblée nationale pour faire la lumière sur un fiasco judiciaire, confirme l'intérêt des citoyens pour les séances d'auditions. Diffusés en direct par La Chaîne parlementaire (LCP), récemment formée, les débats menés au sein de la commission sont suivis par des millions de téléspectateurs. Les parlementaires perçoivent alors positivement le nouveau "pouvoir" dont ils disposent : celui de mettre au jour les dysfonctionnements dans les processus de décision et de demander des comptes en public. À bien des égards, les élus retrouvent avec la commission d'enquête un pouvoir de contrôle effectif qu'ils n'ont jamais pu récupérer dans la fonction de législation.
La constitutionnalisation de 2008
La réforme du 23 juillet 2008 visant à moderniser les institutions vient donner un fondement constitutionnel aux commissions d'enquête. Le nouvel article 51-2 de la Constitution dispose : "Pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation définies au premier alinéa de l'article 24, des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information […]". Dans le même temps, cette reconnaissance constitutionnelle a pour finalité d'attribuer des droits spécifiques aux groupes d'opposition ainsi qu'aux groupes minoritaires de chaque assemblée (article 51-1 de la Constitution). En ce sens, l'article 141 du règlement de l'Assemblée nationale énonce que "chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, […] la création d'une commission d'enquête […]". Ce "droit de tirage" reste soumis au respect des règles posées par l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, et contrôlées par la commission permanente compétente. Mais le formalisme pour solliciter et mettre en place une commission d'enquête s'est assoupli. Il n'est plus nécessaire d'organiser un vote en hémicycle et, désormais, la majorité ne s'oppose plus aux demandes des groupes d'opposition sauf si un motif objectif sérieux le justifie.
Sur ces nouvelles bases, la revitalisation des commissions d'enquête s'explique également par la multiplication des groupes politiques, désormais au nombre de dix à l'Assemblée nationale. Chaque groupe d'opposition sollicite la création de sa commission pour inscrire à l'agenda médiatique le sujet politique de son choix. Le 30 mars 2023, une commission créée au titre du droit de tirage attribué au groupe Les Républicains a rendu un rapport, critique, sur les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Le 1er avril 2023, quatre groupes d'opposition de l'Assemblée nationale ont obtenu le droit d'enquêter sur les conséquences économiques, sociales et environnementales du modèle Uber en France ; sur l'influence des réseaux étrangers sur les décideurs publics ; sur les conditions de l'assassinat d'un détenu à la maison d'arrêt d'Arles ; enfin sur la hausse du coût de la vie dans les départements et collectivités d'outre-mer. Au Sénat, une commission d'enquête vise désormais à démontrer les failles de certaines politiques ou procédures conduites par l'exécutif. Les récentes commissions consacrées à l'affaire Benalla (2018-2019), à la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19 (2021-2022), à la situation de l'hôpital et du système de santé (2021-2022), à l'influence des cabinets de conseils privés sur les politiques publiques (2021-2022) ou à la gestion du "Fonds Marianne" (2023) le confirment. La publication des travaux de chaque commission fait immédiatement le "buzz", une résonance qui témoigne que ces organes temporaires servent effectivement de contre-pouvoir en démocratie.
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