La démocratie est aussi une affaire financière qui requiert des moyens pour le fonctionnement ordinaire des partis comme pour la mise en œuvre des campagnes électorales des candidats.
En France, le financement des élections et des partis politiques est devenu un enjeu politique à partir des années 1970. Au cours de cette décennie et de la suivante, une trentaine de propositions et un projet furent déposés avant que ne soient adoptées les premières lois de mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique. À l'époque, le champ politique hexagonal voyait cohabiter une coalition RPR-UDF et ses adversaires socialistes et communistes. Le Front national bénéficiait d'une trentaine de députés dont certains prirent part aux débats qui préparèrent ces lois.
Ce paysage politique a été depuis bouleversé, tout comme les règles faisant corps avec ce régime de financement politique maintes et maintes fois remodelées. L'instauration d'un remboursement par l'État des dépenses engagées par tout candidat pour sa sécurité, instauré par la loi n°2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux en est une récente illustration.
Après avoir exposé les grandes lignes autour desquelles ce régime de financement s'est organisé, cet article se propose de revenir sur sa dynamique évolutive puis d'évoquer les enjeux et débats récents qui travaillent à la poursuite de sa transformation.
Le régime de financement politique et ses justifications
Ce qui caractérise d'abord ce régime de financement, c'est la place centrale qu'occupe l'État.
L'importance des financements publics
Cela se traduit, dès 1988, par l'introduction de financements étatiques directs et indirects, tant à l'égard des partis – comme le prévoient bien d'autres pays – que des candidats – ce qui est plus rare.
Une législation récente
Si, depuis longtemps, certaines dépenses électorales d'affichage sont remboursées aux candidats ayant atteint un certain seuil lors des élections nationales (5% des voix), il n'en allait pas de même d'autres dépenses les concernant. Jusqu'en 1988, il n'existait pas non plus de lois fixant les règles de financement des partis. Les lois suivantes ont remédié à ce manque :
- du 11 mars 1988 (relative à la transparence financière de la vie politique) ;
- du 15 janvier 1990 (relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques) ;
- du 29 janvier 1993 (relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques) ;
- du 19 janvier 1995 (relative au financement de la vie politique) ;
- du 11 avril 2003 (relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques) ;
- du 11 octobre 2013 (relative à la transparence de la vie publique) ;
- du 15 septembre 2017 (pour la confiance dans la vie politique).
Le régime général fait ainsi bénéficier les partis d'une aide directe (l'enveloppe globale avoisine 64 millions en 2025) fractionnée en deux : la première partie (30 millions) en fonction des résultats des candidats au premier tour des législatives (conditionnée par leur respect de règles relatives à la parité), la seconde (34 millions) en vertu du nombre de députés et de sénateurs se rattachant chaque année à ces partis.
En revanche, en 2023, sur 594 partis enregistrés (dont 535 ont déposé leurs comptes) auprès de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques (CNCCFP), 39 se sont partagé les financements (20 en métropole ayant reçu 65 des 66 millions alloués). Une bonne moitié d'organisations – toutes métropolitaines – bénéficie ainsi quasiment de la totalité de ces ressources publiques.
Pour les campagnes électorales, outre le remboursement de leurs frais de propagande officielle, depuis la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique, les candidats peuvent aussi obtenir le remboursement de la part de leurs autres dépenses de campagne financées via leur apport personnel, à hauteur de 47,5% du plafond des dépenses autorisées, dès lors qu'ils ont obtenu 5% des suffrages exprimés.
En 2024, la dissolution vit se présenter environ 3 200 candidats dont moins de 2 000 se répartirent 21 millions d'euros de remboursements publics directs (un peu moins de 5 300 candidats se présentèrent à la faveur des élections législatives après l'élection présidentielle de 2022, 3 200 s'étant répartis 41 millions d'euros).
Ce régime de financement prévoit également des aides publiques indirectes sous la forme de déductions fiscales (à hauteur de 66%) aux donateurs et aux cotisants (s'ils payent un impôt sur le revenu) souhaitant contribuer au budget d'un parti (avec un plafond de 7 500 euros par donateur et par an), ou au financement de la campagne de candidats (avec un plafond de 4 600 euros par donateur et par an).
Pour information, ces incitations fiscales ont permis qu'en 2024, les candidats aux législatives reçoivent des dons de personnes physiques d'un montant global de 4,3 millions d'euros (13% de leurs recettes) et qu'en 2023, les partis politiques collectent des cotisations auprès de leurs adhérents d'un montant de 24,6 millions d'euros auxquelles se sont ajoutés des dons de personnes physiques d'un volume total de 22,5 millions d'euros. L'aide financière de l'État apparaît donc centrale à la bonne marche des partis comme à la mise en œuvre des campagnes des candidats.
L'exigence de transparence
L'emprise de l'État se manifeste également à travers l'exigence de transparence qui guide ces réformes et dont on retrouve l'empreinte à de nombreux égards : obligation déclarative faite aux candidats de toutes les circonscriptions d'au moins 9 000 habitants de désigner un mandataire habilité à recueillir les fonds servant à couvrir ses frais de campagne et à assurer le paiement de ses dépenses, établissement d'un compte de campagne récapitulant l'ensemble des ressources et des dépenses, tout candidat ayant obtenu au moins 1% des suffrages exprimés étant tenu de transmettre ce compte, certifié par un expert-comptable, à une autorité administrative indépendante (AAI), la CNCCFP, pour contrôle et publication, sous une forme simplifiée. Des obligations du même ordre, quoique moins soutenues, s'appliquent aussi aux partis politiques.
Au-delà de cet interventionnisme étatique, l'autre élément clef de ce régime de financement tient à la séparation des sphères économiques et politiques sur laquelle il s'est adossé. En premier lieu, cela s'est traduit par une constante volonté du législateur de plafonner les dépenses de toutes les campagnes électorales, voire d'interdire certaines d'entre elles, notamment en matière de communication, dans le but de limiter l'emprise de l'argent sur la politique. Ce type de mesure fut en outre justifié au regard d'arguments d'équité entre candidats. La mise au pas des intérêts économiques a par ailleurs emprunté une autre voie : celle de la prohibition des dons des entreprises aux partis comme aux candidats. Initialement, les lois de 1988 et de 1990 restaient en effet floues sur la contribution de ces personnes morales au financement de la vie politique avant que la loi Sapin 1 de 1993 ne les légalise en les plafonnant et en les publicisant.
Plusieurs affaires ayant éclaté au milieu des années 1990, une loi fut finalement adoptée en janvier 1995 afin de préserver l'indépendance des élus et des partis et d'éviter la capture des activités politiques par des intérêts privés en prohibant cette source de financement. L'une des contreparties de ce revirement fut d'ailleurs l'accroissement des financements publics alloués au bon fonctionnement de la vie démocratique. Cet enjeu illustre bien à quel point toute législation sur le financement de la vie politique peut être sujette à des réorientations importantes, y compris sur un court laps de temps. Pour comprendre ces revirements, il importe d'en revenir aux conditions de fabrication de ces règles et aux usages politiques auxquels elles sont susceptibles de donner lieu. Cela permettra de prendre la mesure de leur portée limitée.
L'instrumentalisation des règles et leur recodification
Une première observation s'impose : dans tous les pays, les médias et les commentateurs politiques relèvent à quel point ces régimes de financement politique se révèlent soit lacunaires, soit faillibles. Le fait est que les règles qui les organisent revêtent un caractère autorégulateur puisqu'elles sont façonnées par des élites politiques à la fois juges et parties. Cela se traduit par deux conséquences.
Le caractère parfois flou de la législation
En premier lieu, les intitulés des textes présentent souvent un caractère grandiloquent voire moralisateur, sans que les dispositions prévues sanctionnent trop ou exposent les contrevenants. Sur certains points il leur est reproché d'entretenir le flou et de pouvoir faire l'objet de contournements en restant sujettes à interprétation. Les Anglo-Saxons parlent à ce sujet de législations "passoires" ("loopholisées"). La codification de ces règles devient du même coup contingente et dépendante d'un espace de coproduction ouvert à l'appréciation des juridictions administratives.
Pour l'illustrer il suffit de s'arrêter sur la question des dépenses engagées par les candidats en dehors de leurs mandataires financiers. Depuis 1988 les lois prévoient que le règlement des dépenses électorales par le mandataire financier est une règle à laquelle il ne faut pas déroger. Sa méconnaissance entraîne le rejet du compte de campagne, l'inéligibilité du candidat, et, si nécessaire, l'annulation de son élection ou sa démission d'office. La CNCCFP ayant eu à relever des pratiques contraires à cette règle, les tribunaux ont eu à se prononcer sur le point de savoir si cette pratique pouvait être tolérée et jusqu'à quel point. Et ils ont finalement décidé de faire preuve de mansuétude dans certains cas. Leurs décisions, puis le travail accompli par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel aboutirent à reconnaître une forme de tolérance qui n'était pas inscrite dans la loi en permettant aux candidats de régler, sans passer par l'intermédiaire de leur mandataire financier, des dépenses d'un montant faible par rapport au total de leurs dépenses électorales et au regard du plafond des dépenses autorisées.
Les mêmes observations pourraient être formulées autour de la définition de ce que sont ou ne sont pas les dépenses électorales (sans parler de celles qui sont remboursables et qui ne le sont pas) dont les lois se gardent bien souvent de préciser les contours, laissant le soin aux juridictions administratives de combler cette absence, et ce alors même que ces lois fixent des plafonds précis de dépenses à ne pas dépasser, au risque d'exposer les candidats fautifs à des sanctions. Au regard de ce qui précède, il importe en second lieu de comprendre à quel point les règles encadrant le financement de la vie politique sont faites pour être instrumentalisées. Pour les acteurs politiques, elles se présentent sous la forme de structures d'opportunités, voire de ressources dans la compétition politique.
L'introduction de financements publics suscite sous ce rapport, en France comme ailleurs, de virulents débats. Les conditions d'accès, la répartition des fonds font l'objet d'affrontements politiques. Car il peut être tentant pour une coalition majoritaire d'introduire des aides publiques "sur mesure" dans l'espoir d'en bénéficier majoritairement. Avec le temps toutefois le risque d'une défaite électorale expose à tout perdre. Ce qui conduit généralement les associés-rivaux promoteurs de ces réformes à réorganiser les modalités de répartition de ces aides de manière plus équitable.
Ainsi, à la fin des années 1980, la majorité UDF-RPR imposa un système où les aides publiques prévues étaient "attribuées aux partis et groupements politiques proportionnellement au nombre de parlementaires qui ont déclaré au bureau de leur assemblée […] y être inscrits ou s'y rattacher" (art.9 de la loi de 1988). Au grand dam de l'opposition de l'époque, criant à l'injustice d'un tel système privant de toute aide publique des formations politiques représentatives d'électorats à défaut d'élus. Dans les années qui suivirent, le bouleversement des rapports de force politiques inclina les parlementaires à réviser ce régime de financement en l'équilibrant en fonction et des voix et des élus obtenus, les différents partis à vocation majoritaire y ayant trouvé leur compte.
Les pouvoirs limités des institutions en charge des contrôles
La seconde observation relative aux faiblesses de ces régimes de financement renvoie aux institutions mises en place afin de garantir leur mise en œuvre. En France, il s'agit de la CNCCFP, qui ne fut pas créée dès les premières lois de 1988, mais en 1990, et qui finit par acquérir le statut d'AAI en 2003. Celle-ci fonctionne avec un collège de neuf membres et une cinquantaine d'agents permanents, pour un budget de 8,7 millions d'euros, ce qui reste modeste au regard de son travail et de ses missions.
L'existence d'un organe de contrôle n'est du même coup jamais une garantie en soi. Dans de nombreux États, bien souvent ces contrôles visant à garantir le respect de la législation sur le financement de la vie politique ne vont pas au-delà des données fournies par les acteurs politiques. Ce constat a largement été documenté par le Groupe d'États contre la Corruption (GRECO) dans son rapport Combattre la corruption (Financement des partis politiques, Synthèse thématique du 3e cycle d'évaluation du GRECO, 2010, p.36 et suivantes). Dans le cas français ces limites des contrôles relatifs aux partis ont été soulignées dès 1995 par la CNCCFP dans son rapport d'activité ("la loi est muette sur les pouvoirs de la CNCCFP en matière de contrôle du financement des partis politiques") dans le même temps qu'elle en appelait à l'amélioration de la transparence de leurs financements politiques, "sans pour autant remettre en cause le principe constitutionnel de liberté de création des partis" tout en entourant "leur existence par un minimum de formalisme".
La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 a certes renforcé les pouvoirs de la CNCCFP, puisqu'elle lui a permis de demander communication de toutes les pièces comptables et de tous les justificatifs nécessaires au bon accomplissement de sa mission. Mais la réalité de ce contrôle reste limitée. Un entretien d'un ancien président de la CNCCFP, donné en 2014 (Renaud Lecadre, "La fausse facture, on ne la détecte pas. Entretien de François Logerot, président de la CNCCFP", Libération, 28 mai 2014), suggère que les pouvoirs de validation des comptes sont limités. Pouvoir vérifier l'exactitude des dépenses, leur volume surtout, nécessite de pouvoir établir par exemple le nombre précis de chaises ou de caméras lors d'un meeting, ce qui est très difficile à réaliser. Malgré la meilleure volonté de ses agents, la CNCCFP ne saurait pallier son manque de moyens pour mener à bien ses missions.
Les enjeux contemporains de démocratisation
La vie démocratique reste enserrée dans ces contraintes financières, oscillant entre vie politique à crédit et expédients plus ou moins légaux. En 2023, sur les 525 partis dont les comptes ont été certifiés, 229 étaient déficitaires et pour les 329 disposants de produits de 5 000 euros ou plus, en moyenne, les dons des adhérents avoisinaient 67 000 euros (ceux des élus un peu moins, 61 000 euros) et les dons des personnes physiques 72 000 euros.
À chaque campagne électorale, les médias se font aussi l'écho de candidats empêchés de se présenter pour des raisons financières (apport personnel et partisan insuffisant, difficultés à lever des fonds auprès de particuliers, refus de prêts bancaires). Au-delà de malversations guidées par l'appât du gain, et sans qu'il s'agisse d'émettre un jugement sur les condamnations qui ont été prononcées et les procédures encore en cours, sans doute les récents scandales nés autour d'emplois fictifs d'assistants parlementaires européens du Front national (et dans une moindre mesure de la France insoumise et du Mouvement Démocrate) font-ils en partie écho à ces problèmes de financement.
Pour remédier à ces problèmes, un médiateur du crédit aux candidats et aux partis a bien été créé (loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017), avec pour mission de faciliter l'octroi de prêts à des candidats ou partis rencontrant des difficultés de financement. Ces derniers doivent démontrer qu'ils ont fait l'objet d'au moins deux refus d'ouverture de compte bancaire, de prestations liées à un compte bancaire, ou de prêt au cours des six derniers mois afin de saisir le médiateur. Dans son rapport de 2024, celui-ci indique pour les législatives avoir été saisi à 519 reprises (surtout de candidats Reconquête, d'Extrême gauche, du Rassemblement national et divers), 79% d'entre eux ayant finalement obtenu moins de 5% des voix, 14% de 10 à 60%.
Un projet de banque de la démocratie a également vu le jour en 2017. D'autres formules sont aussi expérimentées ailleurs pour favoriser cette démocratisation financière, tels les bons de démocratie, inaugurés à Seattle en 2017 ou à Oakland en 2022, permettant aux habitants de contribuer financièrement aux candidats qu'ils soutiennent lors des élections municipales, ce programme étant financé par une taxe foncière approuvée par les électeurs et abondée par les propriétaires à hauteur de quelques dollars par an. Une première évaluation réalisée pour Seattle a effectivement permis de montrer que ce procédé permettait d'accroître les moyens collectés par les candidats tout en favorisant l'implication de donateurs modestes qui auparavant rechignaient à les soutenir financièrement.