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Élections : questions sur l'influence et la réglementation des sondages d'opinion

Temps de lecture  10 minutes

Par : La Rédaction

Les sondages d'opinion et les sondages électoraux sont de plus en plus nombreux. Parce qu'ils peuvent avoir une influence sur le débat politique, ils sont réglementés depuis la loi du 19 juillet 1977. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'organisation des élections leur a consacré une partie de ses travaux.

Depuis la loi du 25 avril 2016 qui a apporté une définition légale du sondage d’opinion ou sondage politique, un sondage est, "quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon".

 

Un sondage n'est pas une science exacte, il est nécessairement affecté d’une marge d’erreur, dite aussi marge d’incertitude ou intervalle de confiance. Il est généralement admis qu’avec un échantillon de 1 000 personnes, la marge d’erreur est d’environ 3%. Mais, plus l’échantillon est faible, plus la marge d’erreur progresse.

Les sondages reposent majoritairement en France sur la méthode des quotas. Il s’agit d’interroger un échantillon de personnes qui ont les mêmes caractéristiques socio-démographiques (sexe, âge, catégorie socio-professionnelle, commune, région) que l’ensemble de la population. Cette méthode est rendue possible en France par l’existence d’un outil statistique fiable, la base INSEE, qui permet de bien connaître la population de référence et donc de bâtir des quotas précis.

Une autre méthode possible est la méthode aléatoire qui consiste en une sélection au hasard d’un nombre élevé de personnes appartenant à la population de référence.

Le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'organisation des élections met en évidence la possible faiblesse méthodologique de la représentativité des échantillons utilisés. "Dans le cas d’un sondage sur des intentions de vote, l’échantillon est de 1 000 personnes, mais seules celles qui sont inscrites sur les listes électorales et déclarent une intention d’aller voter ainsi qu’une orientation de vote seront prises en considération : en général, il faut diviser l’échantillon de départ par trois. Pas besoin d’avoir suivi des cours de statistiques pour savoir qu’avec un nombre aussi faible de répondants, on parvient évidemment à des prévisions qui n’ont aucun rapport avec la réalité".

Le redressement est une opération consistant à modifier les résultats bruts du sondage afin d’en renforcer la qualité méthodologique.

Le redressement est d’abord d’ordre socio-démographique. Il consiste à rétablir, dans le cas de la méthode des quotas, les bonnes proportions en affectant un poids (coefficient de pondération ou clé de correction) à chaque individu en fonction de ses caractéristiques. Le redressement consiste ainsi à rendre l’échantillon conforme en proportions à la population de référence.

Le redressement est ensuite opéré sur des critères politiques. Les instituts de sondages considèrent que certains votes sont traditionnellement sous-représentés dans les résultats bruts (votes pour des partis comme le Front national par exemple), les sondés étant réticents à avouer leur vote pour ce type de formation politique. À l’inverse, des partis de la gauche modérée sont généralement sur-représentés (phénomène du sinistrisme). Pour réaliser ce redressement politique, les instituts se fondent sur les souvenirs de vote. S’il apparaît un décalage entre ce que les sondés déclarent avoir voté dans certains scrutins précédents et les résultats effectivement obtenus, les instituts en déduisent que les résultats bruts doivent être corrigés. Par exemple, si seuls 5% des sondés déclarent avoir voté pour le Rassemblement national aux dernières élections alors qu’il a obtenu 15% des suffrages, le sondeur considérera que ce parti est sous-estimé dans le sondage et que ce dernier doit donc être redressé.

Les pratiques de redressement des instituts de sondage sont dénoncées dans le rapport de l'Assemblée nationale sur les élections. Pour l'élection présidentielle 2022, le rapporteur Antoine Léaument observe un écart significatif entre les redressements appliqués aux différents candidats. Pour mieux encadrer ces pratiques, le rapport recommande la publication systématique, pour chaque sondage d'opinion, des données brutes et des algorithmes de redressement.

La loi n°77-708 du 19 juillet 1977 modifiée relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion ne s’applique qu’aux sondages électoraux qui remplissent deux critères :

  1. le sondage doit présenter un lien direct ou indirect avec un scrutin, à savoir un référendum, une élection présidentielle ou l’une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu’avec l’élection des représentants au Parlement européen ;
  2. les résultats du sondage doivent être soit publiés dans un support de presse écrite (y compris Internet), soit diffusés dans un organe de presse audiovisuelle.

À l'inverse, ne sont pas soumis à la loi les sondages confidentiels ou les sondages publics qui ne portent pas sur le processus électoral, tels que les enquêtes portant sur les réformes en cours ou envisagées ou les études marketing (comportements d’achats, opinion sur tel ou tel produit...).

Les sondeurs doivent suivre des obligations méthodologiques relatives à la confection des sondages : caractère non biaisé des questions, rigueur scientifique dans le choix de l’échantillon, cohérence et honnêteté des redressements apporté aux résultats bruts...

Ils doivent aussi communiquer à la commission des sondages, dès la publication du sondage, une notice d’information comportant les principales données relatives à la réalisation du sondage (objet du sondage, méthode de constitution de l’échantillon, texte intégral des questions posées, etc.). Depuis la loi du 25 avril 2016, ces notices sont rendues publiques et mises en ligne sur le site de la commission des sondages.

Cependant, le rapport de l'Assemblée nationale met en évidence le caractère très fragmentaire des notices publiées sur la commission des sondages : "Ces notices ne mentionnent, en effet, que le redressement sociodémographique, qui ne nous apprend pas grand-chose : les personnes non diplômées ou sous-diplômées, issues de catégories sociales plutôt basses dans la hiérarchie sociale, ne répondent pas ; en revanche, celles qui ont un capital culturel élevé sur-répondent. Les notices mentionnent les redressements par rapport aux précédentes élections. Mais ce qui nous intéresserait vraiment, on ne le sait pas. Quels sont les coefficients qui sont appliqués ? Quelles sont les colonnes de référence ? Comment s’opèrent concrètement ces redressements ?"

La commission des sondages a pour mission de faire respecter la loi de 1977 afin que les sondages électoraux portant sur des intentions de vote ne viennent pas influencer ou perturber la libre détermination du corps électoral. La commission des sondages n’a pas de pouvoir propre d’énoncé des sanctions, par exemple pécuniaires, à l’encontre des journaux ou des instituts pour des manquements à la réglementation des sondages. Elle dispose toutefois d’une possibilité d’imposer des mises au point à la presse et peut saisir le garde des Sceaux.

Le contrôle exercé par la commission des sondages est un contrôle systématique, déclenché par la publication ou la diffusion d’une information relative à un sondage. Il porte sur la qualité de l’échantillon, sur le questionnaire (ordre et cohérence des questions, par exemple) et sur le redressement des résultats bruts (la commission demande que la décision d’une méthode de redressement soit clairement exprimée).

Pour le rapporteur Antoine Léaument, les conditions matérielles d'exercice du contrôle par la commission des sondages ne sont pas à la hauteur. De plus, les données communiquées par les sondeurs sont jugées insuffisantes pour permettre un contrôle rigoureux. "Les avis négatifs des experts de la commission ne sont pas toujours suivis d’effets ou de conséquences pour les sondeurs. Il a ainsi été stupéfait de constater que lorsque les experts saisis par la commission rendent un avis négatif, parfois même extrêmement critique ("il aurait mieux valu que ce dernier sondage ne fût pas publié"), il n’est pas rare qu’aucune conséquence ne s’ensuive pour les instituts de sondage, ce qui laisse de sérieux doutes sur l’effectivité du contrôle appliqué." 

Le fait d’utiliser le terme "sondage" pour des enquêtes qui ne répondent pas à la définition fixée par la loi ou de commander réaliser, publier ou laisser publier, diffuser ou laisser diffuser un sondage en violation des obligations légales est passible d’une amende de 75 000 euros.

La même sanction est applicable en cas d’entrave à l’action de la commission des sondages ou en cas de non-publication d’une mise au point demandée par la commission.

Dans les cas où la commission des sondages juge problématiques les méthodes des instituts, où dans le cas de déformations affectant la présentation ou la diffusion du sondage, elle prononce des mises au point.

La publication des mises au point obéit à des règles "de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle du sondage". La mise au point peut, dans certains cas particulièrement graves, porter l’énoncé d’une condamnation de principe par la commission des pratiques décrites.

Un média qui publie un sondage est soumis à un certain nombre d’obligations. La loi impose de faire figurer dans la publication du sondage les mentions suivantes : le nom de l’institut de sondage, le nom et la qualité du commanditaire et de l’acheteur du sondage s’il est différent, le nombre des personnes interrogées ainsi que la ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations, le texte intégral de la ou des questions posées, une mention précisant que tout sondage est affecté de marges d’erreur, les marges d’erreur des résultats publiés ou diffusés, le cas échéant par référence à la méthode aléatoire, une mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice.

La loi organique du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du président de la République a renforcé la régulation applicable aux sondages lors de l’élection présidentielle, en prévoyant explicitement que "toute publication ou diffusion de sondage est accompagnée des marges d’erreur des résultats publiés ou diffusés, le cas échéant par référence à la méthode aléatoire, établies sous la responsabilité de l’organisme qui l’a réalisé." 

Les médias peuvent ne pas publier intégralement un sondage mais les extraits publiés ne doivent pas travestir le sens général de l’enquête. Il y a une obligation de sincérité.

Le régime de la publication des mises au point est similaire à celui du droit de réponse. Les journaux doivent réserver, pour la publication des mises au point, un espace comparable à celui consacré au sondage.

Il est par ailleurs interdit de publier un sondage électoral la veille et le jour du scrutin. Parce que les sondages ne sont pas neutres et qu'ils peuvent avoir une influence sur la dynamique des candidatures, le rapport de l'Assemblée nationale évoque la possibilité d'interdire les sondages d'intentions de vote avant la publication de la liste définitive des candidats à une élection.