Sur plusieurs décennies, la Polynésie française a alterné périodes d'instabilité politique et de stabilité. Un des facteurs ne favorisant pas la stabilité politique réside dans la géographie de la Polynésie française, dont le territoire est vaste comme l'Europe. Les 280 000 habitants de 76 îles sont concentrés à 80% dans les îles du Vent (Tahiti et Moorea), selon un rapport d'information de l'Assemblée nationale sur le système électoral mis en œuvre pour les élections territoriales en Polynésie française de juin 2025.
Les partis politiques, surtout avant 2011, étaient "nombreux et morcelés", puisque certains ne représentaient que leur archipel. L'offre politique est fortement variable dans le temps : les partis se créent, disparaissent, se recréent…
L'éparpillement géographique est renforcé par des particularismes linguistiques et culturels très forts, notamment aux îles Marquises et aux îles Tuamotu. Autre facteur, l'attachement à la France est très variable selon les archipels : fort aux îles Marquises, il est plus faible dans les îles du Vent, où les indépendantistes enregistrent leurs meilleurs scores électoraux.
Le rapport souligne que "nombre d'élus polynésiens estiment qu'ils sont libres d'utiliser leur mandat, voire de négocier leur appartenance à un parti, en fonction de leur intérêt et de celui de leur électorat".
Toutefois, selon un rapport d'information du Sénat de novembre 2023, en Polynésie française la commune est l'institution de base et l'interlocuteur quotidien pour les habitants, et l'intercommunalité est même perçue comme un vecteur de développement collectif.
La Polynésie française a connu ces dernières décennies deux périodes de "relative stabilité" :
- entre 1984 (obtention du premier statut d'autonomie interne) et 1995, des coalitions gouvernementales ont dirigé le pays ;
- entre 1996 et 2004.
La seconde période de stabilité s'explique par deux décisions nationales stratégiques majeures, selon le rapport de l'Assemblée nationale, relatives aux essais nucléaires militaires sur les atolls de Mururoa et Fangataufa :
- leur suspension, annoncée par François Mitterrand en 1992 ;
- leur reprise, annoncée par Jacques Chirac en 1995, déclenchant des troubles dégénérant en émeutes.
Selon le rapport, après les violences civiles, les Polynésiens auraient aspiré à une période de stabilité.
Le statut de l'autonomie de la Polynésie française et la succession de lois électorales expliquent en partie les périodes d'instabilité, mais aussi celles de stabilité.
La loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 dote le territoire de la Polynésie française de son premier statut d'autonomie : "Le territoire de la Polynésie française constitue, conformément aux articles 72 et 74 de la Constitution, un territoire d'outre-mer doté de l'autonomie interne dans le cadre de la République". "Le territoire de la Polynésie française comprend les îles du Vent, les îles Sous-le-Vent, les îles Australes, les îles Tuamotu, les îles Gambier et les îles Marquises."
Les institutions du territoire sont :
- le gouvernement du territoire, qui comprend un président et des ministres ;
- l'Assemblée territoriale ;
- le comité économique, social et culturel.
Le haut-commissaire de la République en Polynésie française veille :
- aux intérêts nationaux ;
- au respect de l'ordre public et des lois ;
- à l'exercice régulier des compétences des autorités territoriales.
La loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 prévoit une autonomie renforcée et le "territoire de la Polynésie française" devient la "Polynésie française", qui participe désormais à l'exercice de certaines compétences de l'État. La loi renforce :
- les compétences consultatives du territoire ;
- le rôle du gouvernement ;
- les prérogatives du président.
L'avis du Conseil d'État peut être sollicité sur les questions de contrôle de la répartition des compétences entre l'État, le territoire et les communes.
La loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 inscrit la Polynésie française dans la Constitution et transfère de nouvelles compétences de l'État au pays. L'État reste compétent en matière de :
- nationalité, état et capacité des personnes ;
- droits civiques, justice et garantie des libertés publiques ;
- droit électoral ;
- défense et politique étrangère ;
- sécurité et ordre publics.
L'Assemblée de la Polynésie française (APF) a la faculté de voter les lois du pays, soumises à un contrôle du Conseil d'État.
La Polynésie française peut :
- abroger ou modifier des dispositions législatives ou réglementaires entrant dans son champ de compétences ;
- adopter des mesures préférentielles en matière d'emploi ou de protection du patrimoine foncier en faveur de la population.
La loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007, la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 et la loi organique n° 2011-918 du 1er août 2011 apportent des ajustements à la loi organique de 2004 et au statut d'autonomie de la Polynésie française.
Les réformes successives n'ont pas réussi à enrayer une instabilité chronique, qui, selon le rapport de l'Assemblée nationale, a nui au développement économique de la collectivité.
Entre juin 2004 et mai 2013, le pays a connu onze changements de présidents avec trois protagonistes seulement : Oscar Temaru, Gaston Flosse et Gaston Tong Sang. Chaque gouvernement est marqué par des démissions ministérielles qui empêchent le suivi des dossiers.
La loi organique de 2004 dote la Polynésie française d'un mode de scrutin mixte pour l'élection des élus territoriaux, qui combine :
- une prime majoritaire au profit de la liste arrivée en tête ;
- la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne avec un seuil d'accès à la répartition des sièges fixé à 3% des suffrages exprimés.
La prime majoritaire était fractionnée entre les circonscriptions et donc inefficace, puisque les partis pouvaient l'obtenir dans un archipel mais en être privés dans d'autres. Le pays était découpé en six circonscriptions (îles du Vent, îles Sous-le-Vent, îles Tuamotu de l'Ouest, îles Gambier et Tuamotu de l'Est, îles Marquises et îles Australes).
Les lois de 2007 tentent d'atténuer cette instabilité. La loi organique de février 2007 :
- permet le retour à un scrutin à un seul tour ;
- supprime la prime majoritaire ;
- rétablit un seuil de 5% des suffrages exprimés pour accéder à la répartition des sièges.
La loi organique de décembre 2007 :
- permet l'élection des représentants au scrutin de liste à deux tours à la représentation proportionnelle, selon la règle de la plus forte moyenne dans les six circonscriptions ;
- fixe un seuil de 12,5% des suffrages exprimés au premier tour afin de pouvoir participer au second, notamment afin de favoriser les alliances ;
- instaure la motion de défiance à la place de la motion de censure et la désignation du futur président dans le texte de la motion.
En 2011, la loi organique modifie le mode de scrutin de l'Assemblée de la Polynésie française (APF) pour la troisième fois en sept ans. Dans sa forme initiale, le projet de loi prévoyait d'instaurer une prime majoritaire équivalant à un tiers des sièges sans modifier le découpage des circonscriptions de l'époque. Le Sénat, en commission des lois, crée une circonscription unique divisée en huit sections afin d'assurer qu'une seule liste bénéficie de la prime majoritaire, avec un seuil fixé à 33%.
Depuis la réforme de 2011, l'APF :
- est élue au suffrage universel direct, au scrutin de liste à deux tours ;
- est composée de 57 membres élus pour cinq ans, rééligibles.
La prime majoritaire est désormais attribuée à un seul parti, mais ventilée par archipels, avec pour conséquence parfois d'imposer un élu de la majorité dans certains archipels qui auraient quasi unanimement voté pour l'opposition.
Le mode de scrutin adopté en 2011 a été utilisé lors des élections de 2013, 2018 et 2023. À chaque fois, la majorité a obtenu 38 élus sur 57 (majorité des deux tiers). La contrepartie de cette stabilité politique forte est un "écrasement de l'opposition" selon les termes du rapport de l'Assemblée nationale du 4 juin 2025. Le parti arrivé en tête aux élections territoriales :
- en 2013 a obtenu 38 élus avec 40,2% des suffrages ;
- en 2018 a obtenu 38 élus avec 43% des suffrages ;
- en 2023 a obtenu 38 élus avec 34,9% des suffrages.
Le rapport de l'Assemblée nationale du 4 juin 2025 propose des pistes afin de "corriger les excès de la réforme de 2011" autour de trois sujets :
- le seuil d'accès au second tour de 12,5% des voix ;
- le niveau de la prime majoritaire, fixé à 33% ;
- le nombre de membres de l'APF, actuellement de 57.
Lors des élections de 2023, le parti Amuitahiraa O te Nunaa Maohi est privé de second tour, n'ayant pas atteint le seuil de 12,5% des voix. Pourtant, un score de 11,88% lui aurait accordé une représentation, même minoritaire. Le seuil de maintien au second tour pour l'élection des conseils régionaux dans l'Hexagone est fixé à 10%.
Rapporteurs et acteurs de la vie politique polynésienne s'accordent unanimement, afin de sortir de la bipolarisation de la vie politique polynésienne, sur l'abaissement du seuil d'accès au second tour à 10%, voire à 7%, des voix.
Observateurs de la vie politique polynésienne et membres des partis suggèrent d'abaisser la prime majoritaire aux alentours de 20% à 25% du nombre de sièges, comme il est observé dans d'autres territoires d'outre-mer (Guadeloupe, La Réunion).
Depuis plusieurs années, la piste d'une réduction du nombre d'élus à l'Assemblée territoriale se pose également, entre autres parce que la population réclame des économies ou que certains s'interrogent sur l'absentéisme ou le travail réel des élus. Le rapport suggère de continuer la réflexion sur la réduction du nombre d'élus.
Au-delà du fonctionnement du mode électoral, d'autres pistes de réflexion existent sur :
- le statut de l'élu (risque de pertes financières, qui serait compensé par une vacation comme dans les conseils de prud'hommes) ;
- l'incitation des jeunes à se lancer en politique (rendre obligatoire une proportion sur chaque liste de candidats âgés de 18 à 30 ans) ;
- le remplacement du mandat représentatif par un mandat impératif (rendre obligatoire l'obéissance et la démission en cas de désaccord d'un élu avec la direction de son parti. Toutefois, l'article 27 de la Constitution dispose que "tout mandat impératif est nul") ;
- favoriser le vote par correspondance et le vote électronique.