Régulation du prix des carburants et du gaz dans les départements Français d'Amérique

Remis le :

Auteur(s) : Éric Paridimal ; Alain Triolle ; Jean-Baptiste Rozières ; Valentine Messina

Auteur(s) moral(aux) : Inspection générale des finances

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En 2022, alors que le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié (GPL) atteint des niveaux record tant en métropole que dans les départements français d'Amérique (DFA) (Guadeloupe, Guyane et Martinique), ces derniers y sont particulièrement sensibles.

Objet régulier de mobilisations dans le cadre des mouvements contre la vie chère ils représentent aussi un intrant pour des secteurs économiques clés (BTP, pêche, agriculture).

Leur situation se singularise par l'existence d'un système de prix administrés dérogeant au principe général de liberté des prix prévalant en France depuis l'ordonnance du 1er décembre 1986. Le maintien de ce système, dont le principe se retrouve dans l'ensemble des collectivités françaises d'outre-mer, est justifié par les caractéristiques de ces collectivités.

Par rapport aux autres collectivités d'outre-mer, les DFA se distinguent par l'existence d'une raffinerie, celle de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA), qui détient un triple monopole de fait, sur l'importation de produits pétroliers bruts, finis et semi-finis, le raffinage et le stockage des produits finis, carburants ou GPL. Ce système a fait l'objet de critiques répétées au cours des vingt dernières années, conduisant plusieurs ensembles de textes réglementaires (2002, 2004, 2010, 2013-2014-2016) à lui apporter davantage de transparence, de pertinence et de réactivité sous la responsabilité de la SARA.

La mission a pu constater que si les modalités de calcul des prix sont satisfaisantes, la régulation de la SARA, le calcul de sa rémunération et la transparence du système doivent être renforcés et que l'activité de raffinage de la SARA ressort comme le principal facteur de surcoût des carburants dans les DFA.

En effet, la nécessité de couvrir les coûts de la raffinerie, ressortent comme élevés par rapport à d'autres raffineries, conduit à une augmentation du niveau des prix. La mission a évalué le surcoût lié à l'activité de raffinage, par rapport à l'importation de produits raffinés à environ 14,6 cts€/l (pour l'année 2022).

Des propositions sont formulées :

  • des propositions de court terme portant notamment sur le renforcement de la régulation mais qui ne devraient pas avoir d'incidence significative sur les prix ;
  • des scenarios qui pourraient avoir un impact plus structurel sur les prix mais qui nécessiteraient un arbitrage politique et une phase de négociation préalable ; notamment dans un scénario d'arrêt des activités de raffinage de la SARA.

INTRODUCTION

1. LE MARCHÉ DES CARBURANTS DANS LES DFA SE CARACTÉRISE PAR SA SENSIBILITÉ SOCIALE, PAR UN SYSTÈME DE PRIX RÉGLEMENTÉS PROPRE AUX OUTREMERS ET PAR UNE CONSOMMATION QUI DEVRAIT DÉCROITRE À L'HORIZON 2035

1.1. Les carburants sont une question sensible dans les DFA, du fait d'un taux de pauvreté et d'un taux d'effort sur les carburants plus élevés qu'en métropole
1.2. La clarté et la transparence du processus de fixation des prix ressortent comme l'un des principaux griefs des élus et des consommateurs 
1.3. Le marché des carburants dans les DFA, dominé par les carburants routiers et le carburéacteur, est peu dynamique et devrait décroître avec la réduction programmée des ventes de véhicules à moteur thermique
1.3.1. Les carburants routiers et le carburéacteur, représentent 75% des volumes vendus 
1.3.2. La consommation de carburants a moins progressé dans les DFA qu'en métropole et devrait diminuer à l'horizon d'une dizaine d'années 

1.4. L'encadrement des prix n'est pas une spécificité des DFA et se retrouve dans les autres DOM, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française 

2. LES PRIX DES CARBURANTS DANS LES DFA SONT PROCHES DE CEUX OBSERVÉS EN MÉTROPOLE, LES COÛTS DE PRODUCTION SUPÉRIEURS Y ÉTANT COMPENSÉS PAR UNE FISCALITÉ INFÉRIEURE 

2.1. L'essentiel du surcoût des DFA par rapport à la métropole et aux autres DOM provient de coûts amont d'approvisionnement et de production, qui ne sont que partiellement compensés par une fiscalité plus faible
2.2. Les variations de prix au cours du temps s'expliquent pour l'essentiel par les évolutions des cours internationaux et de la parité euro-dollar 

3. LA SARA, QUI BÉNÉFICIE D'UNE RENTABILITÉ GARANTIE, MAINTIENT UN OUTIL DE RAFFINAGE ANCIEN, SOUS-DIMENSIONNÉ ET COÛTEUX POUR LE CONSOMMATEUR EN DÉPIT D'UNE ACTIVITÉ D'IMPORTATEUR DÉSORMAIS PRÉDOMINANTE 

3.1. Acteur pivot de la filière carburants dans les DFA, la SARA dispose d'un monopole sur l'importation, le raffinage et le stockage de carburants 
3.2. Confrontée à des contraintes qui tiennent à la fois à son outil de raffinage, aux infrastructures portuaires des DFA et aux normes, la SARA a eu ces dernières années une activité d'importateur plus que de raffineur 
3.2.1. L'outil de raffinage de la SARA la contraint à importer du brut d'Europe du Nord pour une production qui ne correspond qu'imparfaitement à la demande des DFA 
3.2.2. La raffinerie ne suffisant pas à couvrir les besoins des DFA, des quantités croissantes de produits finis sont importées 
3.2.3. Les normes européennes applicables aux produits raffinés, qui sont importés d'Europe et des USA, limitent les possibilités de diversification
des zones d'approvisionnement
3.2.4. Les importations sont contraintes par les capacités d'accueil portuaire des DFA 

3.3. Le monopole de la SARA sur le stockage n'est, dans les faits, pas contestable
3.3.1. Le décret de 2013, complété par un avis de l'Autorité de la concurrence, exigent l'ouverture à la concurrence des cuves de la SARA 
3.3.2. Dans les faits, l'ouverture à la concurrence du stockage apparait difficilement compatible avec l'état de la réglementation, l'équilibre économique de la SARA et le statut fiscal et douanier des cuves en Martinique 

3.4. La rentabilité de la SARA, garantie par voie réglementaire, est supérieure en moyenne à celle constatée dans le secteur et son cycle d'exploitation dégage une capacité d'autofinancement qui a été utilisée pour investir 
3.4.1. Une rémunération stable de 23 M€ par an est garantie à la SARA et distribuée en totalité aux actionnaires, soit un PER supérieur à la moyenne
du secteur
3.4.2. Cette rémunération, constituant le résultat net de la SARA, est assurée quelles que soient ses performances commerciales et financières 
3.4.3. La méthode de calcul de la rémunération de la SARA s'éloigne des pratiques en vigueur dans les marchés régulés dans son taux comme son assiette 
3.4.4. La SARA a eu une politique d'investissements soutenue mais essentiellement autofinancée par son exploitation dans le cadre des prix réglementés 

3.5. L'activité de raffinage est à l'origine d'un surcoût pour les consommateurs des DFA, dont l'évaluation n'est pas aisée sans comptabilité analytique 

4. LE MÉCANISME DE FIXATION DES PRIX DE SORTIE DE RAFFINERIE EST COHÉRENT MAIS PRÉSENTE CERTAINES LIMITES 

4.1. Le calcul du prix de sortie de la SARA, commun aux trois DFA, est robuste, réactif et orienté vers les coûts de l'entreprise 
4.2. L'augmentation des prix de sortie SARA depuis 2020 résulte de la conjonction d'une hausse des cours internationaux, de la baisse du chiffre d'affaires sur le carburéacteur et, plus marginalement, de certains coûts de fonctionnement de la SARA 
4.2.1. La part du coût des achats de pétrole brut (terme A) diminue depuis 2015, notamment à cause des arrêts de la raffinerie 
4.2.2. Le maintien des coûts additionnels d'importation de produits finis (terme B) à son niveau de 2015 fait l'objet d'un engagement du groupe Rubis 
4.2.3. Les coûts de raffinage et de logistique (terme C), intégrant les coûts d'exploitation de la SARA, ont augmenté de 7 % depuis 2015 
4.2.4. Le chiffre d'affaire sur les produits non administrés (terme E) a un impact significatif sur le prix des carburants réglementés, favorable jusqu'à la
crise sanitaire 
4.2.5. La correction annuelle (terme L), qui a eu un effet global positif sur les prix entre 2015 et 2021, peut difficilement être réduite sans compromettre la stabilité et la sécurité du système 

4.3. La régulation du monopole de la SARA présente des faiblesses importantes 
4.3.1. La SARA ne dispose pas d'une comptabilité analytique, alors qu'elle se diversifie dans des activités concurrentielles 
4.3.2. Un transfert de la compétence de régulation à la CRE est souhaitable 
4.3.3. Le système n'est pas incitatif à maîtriser voire réduire les coûts d'exploitation de la SARA 

5. LA DISTRIBUTION DE GROS ET DE DÉTAIL EST PEU CONCURRENTIELLE MAIS SES MARGES SONT RELATIVEMENT STABLES, DÉSORMAIS PROCHES DE CELLES DE MÉTROPOLE ET PERÇUES COMME UNE CONDITION POUR PRÉSERVER L'EMPLOI 

5.1. Le marché de la distribution se caractérise par un niveau de concurrence réduit et par un consensus autour de la préservation de l'emploi 
5.1.1. Le marché est intégré verticalement, ce qui limite la concurrence entre grossistes 
5.1.2. La préservation de l'emploi explique des marges historiquement plus élevées qu'en métropole

5.2. Les marges réglementées ont peu été revalorisées dans les DFA, ce qui les a significativement rapprochées des niveaux constatés en métropole
5.2.1. Le niveau des marges doit être interprété avec prudence, notamment du fait des flux financiers entre marge de gros et de détail 
5.2.2. Les marges de gros et de détail ont peu progressé dans les trois DFA depuis 2008 
5.2.3. Les marges aval (gros et détail) sont désormais proches dans les DFA et en métropole, où elles ont connu une forte croissance depuis 2015 
5.2.4. Les marges de distribution sur le GPL ont connu une augmentation en Martinique du fait des coûts liés au PPRT d'Antilles-Gaz 
5.2.5. L'analyse des données macro-sectorielles de l'Insee fait apparaître un taux de marge élevé et un taux d'entreprises de détail déficitaires comparable à celui de la métropole 

5.3. Le système de régulation des prix n'encourage pas la concurrence au niveau de la distribution mais la mission ne recommande pas d'y mettre fin 
5.3.1. Les grilles établissant les prix à la consommation, à l'aval du prix de sortie SARA, pourraient être clarifiées
5.3.2. Le principe d'une régulation des marges aval présente d'importantes limites  
5.3.3. Néanmoins, la mission ne recommande pas de prioriser une libéralisation
de la distribution à court terme, au profit d'une action sur l'amont de la filière 
5.3.4. Afin d'anticiper la baisse tendancielle de la consommation de carburants, une réflexion sur l'avenir des stations-services sera indispensable 

6. À PLUS LONG TERME, UN CHOIX S'IMPOSE : ARRÊTER L'ACTIVITÉ DE RAFFINAGE DANS LES DFA POUR FAIRE BAISSER LES PRIX OU RÉINVESTIR MASSIVEMENT DANS L'OUTIL DE PRODUCTION POUR LE RENDRE PLUS EFFICACE 

6.1. Scenario 1 : investir dans la conversion en une raffinerie complexe plus efficiente et de plus grande capacité 
6.1.1. La conversion en une raffinerie complexe serait vraisemblablement coûteuse, alors que les perspectives de consommation de carburants sont orientées à la baisse, sauf à parvenir à exporter sa production 
6.1.2. La transformation en une raffinerie de biocarburants n'apparait pas viable 

6.2. Scenario 2 : arrêter l'activité de raffinage et évoluer vers une situation comparable à celle de la Réunion 
6.2.1. Description du scenario et leviers à la disposition de l'État
6.2.2. Ce scenario présenterait des inconvénients, principalement le risque social lié à la centaine d'emplois concernés 
6.2.3. Ce scenario apparaît comme le seul susceptible de permettre une baisse significative, structurelle et durable des prix 

6.3. Synthèse des simulations d'économies potentielles 

  • Type de document : Rapport d'inspection
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  • Édité par : Inspection générale des finances