Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur le rôle de la décentralisation dans le cadre de la politique de la ville, Paris le 20 février 2002.

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Circonstance : IIème conférence des villes "Villes, territoires et citoyens solidaires, un nouveau souffle pour la décentralisation" à Paris le 20 février 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C'est la passion des villes qui nous rassemble encore aujourd'hui, deux ans après la première conférence, un an après l'installation de l'Institut des villes, après trois éditions du festival international de la ville, autant de moments et de lieux de débat que j'ai voulu créer avec les associations d'élus pour parler de façon positive de la ville.
Cette seconde conférence est donc une occasion de marquer notre fierté d'élus d'avoir oeuvré ensemble ces dernières années pour l'avènement d'une culture urbaine renouvelée.
Face à la ville qui inquiète, à la ville subie, nous travaillons à construire la ville solidaire, espace de partage et de fraternité.
Nous avons élaboré un nouveau vocabulaire. Les mots crise, zone, souffrance, ghetto, sont en train de céder le pas pour des mots porteurs d'espoir : écoute des habitants, qualité de vie, grands projets de ville. Nous pouvons nous réjouir des avancées accomplies pour que nos villes redeviennent les territoires de rencontres qu'elles n'auraient jamais dû cesser d'être.
Le renouvellement des politiques urbaines, engagé depuis 4 ans, a permis d'avancer dans l'ambition de bâtir des villes fières, humaines et hospitalières.
Nous avons su trouver des modes nouveaux et modernes d'organisation et de gestion avec la réforme du cadre institutionnel et juridique de l'intercommunalité.
La contractualisation entre l'Etat, les collectivités locales et leurs partenaires connaît un nouvel élan, avec la génération des contrats de plan Etat - Région et des contrats de ville 2000-2006, les contrats de pays, et les contrats d'agglomération. Elle a permis de rassembler les initiatives autour de projets de développement communs.
La mise en oeuvre de la loi "solidarité et renouvellement urbains" va en outre promouvoir une plus grande mixité urbaine et sociale, au travers d'une répartition plus harmonieuse des différents types d'habitat.
La politique de la ville elle-même a changé de dimension.
Je le rappelle, mais vous le savez, parce que vous avez pu le mesurer, le budget du ministère de la ville aura triplé en cinq ans et l'effort public total pour cette politique atteint 6 milliards d'euros en 2002 contre 3 milliards en 1998. Cette progression résulte aussi de l'effort consenti par toutes les collectivités locales, y compris les régions et les départements. C'est ainsi que pour 1 franc de crédit de l'Etat ce sont 3 à 6 francs qui sont mobilisés au niveau local.
Le programme national de renouvellement urbain, qui mobilise près de 5 milliards d'euros de ressources nouvelles sur la période 2000-2006, autour de 50 grands projets de ville et de 70 opérations de renouvellement urbain, doit dans les années qui viennent, renverser l'image de ces quartiers coupés du reste de la ville, dans lesquels les habitants ne connaissent pas des conditions de vie normale.
Les dynamiques que vous portez vont permettre de mener à bien des opérations de restructuration urbaine lourde, d'améliorer l'environnement urbain, d'implanter des services publics, des commerces, des entreprises, de redonner une valeur économique et sociale à ces territoires.
Elles doivent permettre aussi de favoriser l'accès à l'emploi, la réussite des jeunes, la sécurité et l'accès au droit. Il s'agit bien d'inverser le mouvement d'abandon de certains territoires, en agissant au cas par cas, projet par projet, en mobilisant élus, associations, professionnels, habitants, en leur donnant les moyens d'agir.
Mais, nous devons voir toujours plus loin, afficher toujours une ambition plus haute, pour dessiner le futur. Je voudrais pour cela partager avec vous cinq convictions :
1) Tout d'abord, dans le cadre d'une nouvelle étape de décentralisation, que nous reconnaissons tous aujourd'hui comme incontournable, il faudra aller vers une véritable politique de développement solidaire des territoires.
L'opposition ville campagne n'a aucun sens. Les territoires ruraux ne vivront bien demain que s'ils sont adossés à des villes dynamiques, qu'elles soient petites ou moyennes. Réciproquement, les grandes agglomérations doivent intégrer dans la dynamique de leur développement, les pays qui les environnent. La collaboration agglomération pays réalisée à Rennes sous l'égide d'Edmond HERVE est à cet égard exemplaire.
Sur le plan institutionnel, les départements doivent bien entendu continuer à jouer un rôle majeur vis-à-vis des pays et des territoires ruraux. Pour les territoires urbains, une nouvelle vigueur devra être donnée au couple agglomération - région, au bénéfice des 140 agglomérations françaises. Nous devrons engager une réflexion spécifique pour la région Île de France, marquée par de très fortes disparités.
2) Ma seconde conviction est que si cette nouvelle étape de décentralisation devra prévoir, comme il y a 20 ans, de nouveaux transferts de compétences, de l'Etat vers les collectivités locales, par exemple en matière d'habitat, de développement économique, d'emploi, d'environnement, de culture, il conviendra aussi de clarifier les compétences entre collectivités locales elles-mêmes.
Ainsi, pour donner plus d'efficacité et de lisibilité à l'action publique en zone urbaine, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines devraient coordonner les compétences dans le domaine social et, alors même que nous parlons beaucoup de sécurité, porter ainsi le nécessaire renouveau de la prévention sociale.
D'autres politiques publiques ne nécessitent pas de nouveaux transferts de compétences, mais plutôt de nouvelles formes de coopération entre des acteurs locaux plus autonomes, plus responsables. Elles supposent un rôle accru reconnu aux élus et aux autorités déconcentrées. Je pense tout d'abord à l'éducation.
Après la mise en oeuvre des zones et réseaux d'éducation prioritaire, des contrats éducatifs locaux, il convient de traduire plus largement le concept d'éducation comme "responsabilité partagée", en élaborant un projet éducatif local. C'est ce qu'ont entrepris les villes du réseau français des villes éducatrices. Je mentionnerai le projet exemplaire de la ville de Lyon qui organise un vrai partenariat avec l'éducation nationale.
Cette façon moderne de travailler au niveau local dans le cadre d'une stratégie collective de coopération me paraît devoir être développée demain sur l'ensemble du territoire national. Tout en maintenant une discrimination positive au bénéfice des territoires défavorisés, ce sera aussi une façon de sortir d'une politique de zonage dont nous connaissons bien désormais les effets stigmatisants, pour s'engager dans des démarches de projet.
La sécurité et la prévention constituent un autre champ de coopération renouvelée entre les acteurs.
Nous partageons tous aujourd'hui l'idée que la sécurité est une coproduction. Le développement de la police et de la justice de proximité, les contrats locaux de sécurité, en constituent les illustrations les plus récentes.
Nous savons que l'action des forces de police et de la justice ne peut seule permettre de répondre à cet enjeu. Je pense notamment à tous ces conflits de la vie quotidienne : tapages nocturnes, disputes, insultes, dégradations, qui empoisonnent le climat d'une cité ou d'un quartier.
Cette violence du quotidien naît aussi d'une certaine indifférence au sort de l'autre.
Pour y répondre, nous devons développer et coordonner l'action de nombreux acteurs locaux : services de l'Etat, mais aussi associations, enseignants, chefs d'entreprises, bailleurs, transporteurs avec bien évidemment, les collectivités locales. Nous ne pourrons efficacement assurer à nos concitoyens un cadre de vie paisible et sûr qu'en mobilisant de véritables coalitions locales, capables d'agir sur tous les facteurs de la sécurité. Le programme des 10 000 adultes relais que nous avons lancé en constitue un des éléments.
Si telle est notre ambition, alors, il faudrait sans doute prévoir de créer de nouveaux moyens pour y parvenir. Nous pourrions envisager de créer des agences locales de médiation et de sécurité, chargées de fédérer les initiatives locales et d'apporter des réponses concrètes aux troubles de la vie urbaine, en amont des interventions judiciaires ou en relais de celles-ci. Il faut que les collectivités locales se donnent les moyens et s'organisent en conséquence pour répondre efficacement, aux côtes de l'Etat, aux attentes de nos concitoyens.
3) Mais cette nouvelle étape de la décentralisation, et c'est ma troisième conviction, ne pourra pas se réaliser si nous ne rendons pas plus juste la répartition des ressources entre collectivités locales.
De nombreuses communes pauvres supportent des charges sociales lourdes et se trouvent dans des situations financières très délicates, avec des perspectives d'évolution de leurs ressources plus qu'incertaines. Certaines d'entre elles n'ont même pas les moyens d'assurer les services de base à leurs habitants, alors que ceux-ci en ont particulièrement besoin.
Certes, la dotation de solidarité urbaine a été augmentée de 75% depuis 1998. Parallèlement, des moyens financiers exceptionnels ont été mis en place au profit des communes les plus pauvres engagées dans un grand projet de ville, afin de les aider à faire face aux difficultés financières qu'elles peuvent rencontrer dans la mise en oeuvre de ces projets.
Mais, je le dis clairement, c'est très insuffisant.
Je suis convaincu tout d'abord de la nécessité de maintenir des ressources fiscales diversifiées pour les collectivités locales, afin notamment de ne pas faire peser sur les seules entreprises l'impôt local.
Mais parallèlement, il va falloir, par une plus grande solidarité au sein même des agglomérations, et par une réforme ambitieuse des dotations de l'Etat, renforcer vigoureusement la péréquation en faveur des communes les plus pauvres, pour corriger les énormes disparités que nous connaissons aujourd'hui.
4) Ma quatrième conviction, c'est que la nouvelle étape de décentralisation impliquera aussi d'accélérer la modernisation de l'Etat et la territorialisation des politiques publiques.
Je crois qu'il n'y aura plus désormais de réelle réforme de l'Etat sans cette nouvelle et puissante étape de la décentralisation.
L'Etat encore trop cloisonné, centralisé, ne correspond plus aux attentes différenciées de nos concitoyens et ne répond pas bien aux besoins de développement des territoires.
Plutôt que le foisonnement actuel de services déconcentrés qui dépendent trop encore des administrations centrales, il nous faut aller vers une réorganisation des services de l'Etat au niveau local en grands pôles de compétences, sous l'autorité réelle du préfet.
Parallèlement, il nous faut poursuivre la réforme des services publics, pour les adapter aux évolutions démographiques et sociales, pour assurer une plus grande égalité dans l'accès à ces services, pour faire correspondre leur implantation géographique à la réalité des besoins.
5) Ma cinquième conviction est que nous devons avancer résolument vers un approfondissement de la démocratie locale.
Des efforts importants ont déjà été engagés, dans le cadre des contrats de ville, pour élargir et conforter les moyens de la démocratie de proximité, en complément de la démocratie représentative, avec par exemple la mise en place de fonds de participation des habitants pour soutenir les initiatives locales. Ces fonds connaissent un succès considérable.
Il nous faudra aller plus loin pour diversifier cette participation, pour permettre l'expression de tous, et ainsi renforcer le sentiment d'appartenance à la collectivité qui conditionne le pacte républicain. La loi sur la démocratie de proximité constitue une première étape, même si le compromis réalisé m'a laissé un peu sur ma faim, concernant les conseils de quartier.
Enfin, pour donner corps à une véritable citoyenneté d'agglomération, l'élection au suffrage universel direct des élus des communautés d'agglomération et des communautés urbaines apparaît désormais incontournable.
Mesdames, Messieurs, je veux, en concluant cette intervention, plaider une nouvelle fois pour une meilleure prise en compte des villes à l'échelle européenne.
Je me suis battu depuis cinq ans pour que la Commission européenne appuie la mise en oeuvre des politiques urbaines dans les différents pays de l'Union. C'est ainsi que le programme Objectif 2 a pu être ouvert plus largement aux territoires urbains, et que le programme PIC Urban a pu être reconduit pour la période 2000-2006. Un vaste programme européen d'échanges sur le développement urbain va se mettre en place dans le prolongement des initiatives de la présidence française.
Je souhaite que l'Europe élargie qui se construit progressivement puisse s'appuyer sur une mise en réseau des villes à l'échelle du continent et que la politique de développement économique et sociale de l'Union s'appuie demain davantage sur la vitalité des villes.
Mesdames, Messieurs, j'espère que notre réflexion commune, qu'illustre déjà la "charte de l'urbain", nous permettra d'aboutir à des propositions concrètes, afin d'articuler les deux chantiers qui s'ouvrent à nous, la décentralisation et l'émergence de solidarités nouvelles entre territoires. Leur réussite sera le gage d'une plus grande égalité entre tous nos concitoyens, entre tous les habitants de nos villes.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 26 février 2002)