Communiqué des services du Premier ministre, en date du 2 décembre 1994, sur le rapport sur la lutte contre la corruption de Mme Simone Rozès.

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Intervenant(s) : 

Auteur(s) moral(aux) : Premier ministre

Circonstance : Remise au Premier ministre du rapport de Mme Rozès sur la lutte contre la corruption le 2 décembre 1994

Texte intégral

Le rapport de la commission comprend deux parties : une première partie consacrée à l'analyse des facteurs de la corruption et une deuxième partie qui tire les conséquences de cette analyse en formulant des propositions. Le rapport établi par la commission ne contient aucune annexe.
- La commission a procédé à de très nombreuses auditions qu'elle n'a pas souhaité rendre publiques en raison d'un engagement de confidentialité pris auprès de ses interlocuteurs. Il ne lui est pas, davantage, paru utile de dresser un état du droit existant censé être connu.
- S'il peut paraître ambitieux de prétendre expliquer les causes de la corruption, la commission a cru cependant souhaitable de livrer ses analyses qui susciteront des débats ou des critiques.
- I - La commission a considéré pour l'essentiel que les conflits d'intérêts constituaient le terreau favorable à l'émergence de la corruption. Elle a estimé que cette situation était aggravée par la prééminence des exécutifs, que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public.
- Elle a, par ailleurs, considéré que la lutte contre la corruption pouvait légitimer des restrictions à la liberté d'entreprendre.
- La commission a cependant souhaité rappeler que la lutte contre la corruption ne saurait être menée au détriment des droits de la personne. Elle a, à cet égard, formulé des propositions qui peuvent constituer des pistes de réflexion comme par exemple le problème de la difficile conciliation entre la présomption d'innocence et le droit du citoyen à être informé.
II - La commission a délibérément pris le parti d'appréhender les problèmes posés par la corruption à partir des causes structurelles de cette dernière.
- a) Pour les marchés des collectivités locales, la commission a considéré que les contrôles a postériori ne constituent pas la voie la plus à même de faire prévaloir l'intérêt général. Aussi, la représentation active de l'Etat au sein des commissions d'appel d'offres est-elle apparue fondamentale pour assurer un meilleur équilibre entre des intérêts parfois divergents.
- b) La commission a considéré que l'aide à la décision des collectivités territoriales pouvait constituer une mesure intéressante mais ponctuelle et facultative.
- Il lui est apparu préférable de protéger les acheteurs publics et notamment les collectivités territoriales contre des groupes économiques parfois très puissants ; à ce titre la commission a souhaité que le législateur puisse établir une liste de clauses dites abusives, c'est-à-dire ne pouvant pas figurer dans un contrat conclu entre les acheteurs publics et les entreprises (durée des concessions, droit d'entrée). Ces clauses pourraient au demeurant faire l'objet d'un large consensus entre toutes les parties intéressées.
- c) Le contrôle de légalité peut certes être amélioré. Il n'en demeure pas moins que la rareté relative des déférés préfectoraux s'explique aussi pour des raisons d'opportunité relationnelle bien compréhensibles ; afin d'accroître ces contrôles, la commission a jugé utile de permettre, dans certains cas, à un organe collectif (pôle de compétence) de demander au Préfet de saisir le Tribunal Administratif.
- d) La commission a estimé que devrait être prohibé tout financement politique par les entreprises, en raison des suspicions que ne manque pas de provoquer une telle législation.
- e) Dans une perspective de renforcement de la répression, la commission a estimé que les élus convaincus de corruption, de trafic d'influence, d'ingérence ou de recel devraient être automatiquement rendus inéligibles et que le ministère public devrait pouvoir avoir accès à tous documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission pour des agissements particulièrement occultes (corruption, trafic d'influence, ingérence). De même la commission a-t-elle souhaité que le régime juridique de la prescription de l'abus de biens sociaux soit fixé dans la loi.
f) Il est apparu à la commission que la délégation de pouvoir pouvait présenter l'avantage pour l'entreprise de permettre que soit atteint le plus juste niveau de responsabilité.
- Cette responsabilité juste et intermédiaire ne pourrait toutefois pleinement jouer que dans la mesure où les entreprises déconcentreraient réellement leur pouvoir et s'organiseraient en structure moins pyramidale. La responsabilité pénale de l'entreprise demeure ainsi strictement dépendante de la structure des pouvoirs en son sein.
- g) Après avoir analysé la situation actuelle, la commission a, en outre, jugé fondamental de règlementer les relations entre les intermédiaires et les collectivités territoriales, les bureaux d'études constituant un important vecteur de corruption.
- h) Au titre de la démocratie locale, la commission a souhaité que les droits d'action des citoyens soient développés dans des conditions qui évitent toutefois tout abus. Des associations agrées dont la représentativité serait avérée pourraient ainsi engager des actions appartenant à la commune aux fins de faire sanctionner des irrégularités. Ces associations devraient notamment se voir conférer le droit de se constituer partie civile du chef du délit de favoritisme dans les marchés publics.
- i) Au titre du renforcement des droits de la personne, la commission a souhaité que soit affirmé le droit de toute personne a être jugée dans un délai raisonnable. Si des éléments objectifs (commissions rogatoires internationales par exemple) peuvent justifier la longueur de certaines procédures, il n'en demeure pas moins qu'une mise en examen est toujours fortement préjudiciable si elle n'est pas suivie, dans un délai raisonnable, d'un jugement au fond.
- j) Dans le même esprit, la commission a souhaité qu'afin de garantir la présomption d'innocence, le secret de l'instruction soit renforcé. Elle a considéré toutefois qu'un secret absolu n'était pas sans inconvénient et elle a souhaité que des fenêtres d'informations soient aménagées. S'inspirant du droit suisse, elle a préconisé que le parquet, doté d'un pouvoir propre, c'est-à-dire non soumis à l'autorité hiérarchique du Garde des sceaux, puisse délivrer des informations à la demande notamment de la presse et rendre compte des étapes principales de la procédure. La commission n'a pas souhaité pour autant créer une incrimination pénale spécifique pour la publication d'informations, mais que soit aménagée une voie de référé purement civile permettant aux victimes selon des modalités juridiques à définir de faire valoir leurs droits.